' LA LONGÉVITÉ, TERRE CUITE VERNISSÉE DES MING (pÉ T'ANG). PROTESTATION Nous réprouvons d'avance tout ce que la Sainte Eglise romaine pourrait trouver de répréhensible dans cet ouvrage, et, conformément au décret d'Urbain VIII, nous déclarons qu'eu employant, dans cette histoire, les qualifications de saint, de martyr, de confesseur, nous n'avons entendu préjuger eu rien la décision officielle de F Eglise, et qui seule il appartient de décerner ces litres dans leur sens véritable et complet. 9& A. FAVIER. PÉKING ■X- -X- Histoire et He0crtptton -X- PAR -X- -X- MGR ALPHONSE FAVIER VICAIRE APOSTOLIQUE DE PÉKING ■X- 524 GRAVURES ANCIENNES ET NOUVELLES REPRODUITES OU EXÉCUTÉES PAR DES ARTISTES CHINOIS -X D'APRÈS LES PLUS PRÉCIEUX DOCUMENTS X NOUVELLE EDITION. -X- -X -X- ■X- DESCLÉE, DE BROUWER ET CIE, IMPRIMEURS DES FACULTÉS CATHOLIQUES DE LILLE. PARIS, 30, RUE ST-SULPICE. -- LILLE, 41, RUE DU METZ. . MCMII. ■X ■X 7 95643^ AU LECTEUR Y intérêt toujours 1res vif s'atta- che à l'étude des grandes cites, dans lesquelles s'af- firme le caractère d'une nation. Comme la chronique écrite, leurs annales île pierre racontent la vie d'au- jourd'hui,la vie d'autrefois, le génie propre de la race, ses passions, ses préjugés, ses qualités et ses défauts, enfin sa personnalité recon- naissable encore sous la poussière et les débris des siècles. Il semble même qu'eu leur suprême décadence, les vieilles villes aient conservé intact ce pouvoir évocateur, que l'image des générations évanouies nous apparaisse plus distincte dans le silence des ruines. Thèbes, Ninive, Baby/one, Rome et Athènes sont fouillées sans relâche. Le chercheur s'efforce de leur arracher quelques lambeaux de leur histoire, quelque traie ile leur vie physique et morale. lit cependant , les États dont elles furent les capitales n'eurent qu'une éphémère durée, si nous les comparons à F Empire Chinois. Vivantes ou mortes, les villes illustres ont toujours leur beauté, leur attrait ; ou veut savoir comment elles sont nées, quel fut leur berceau, par quelles mutations elles ont PEKING. passe, pourquoi elles s élevèrent au rang de capitales. Péking, à la fois ruine vénérable et cité bruyante, avec sa population bien diminuée, niais que l'on peut néanmoins évaluer à 500,000 âmes, ses poules bariolées et sordides, ses caravanes, ses cortèges de fête on de deuil évoluant dans des avenues spacieuses mais trouées de cloaques, avec son mélange d archi- tectures polychromes et de décombres poudreux, de falbalas et de haillons, est un sujet d'étude également séduisant pour ^archéologue, l'historien, F artiste et le voyageur. En résumant, dans ce volume, eu même temps que nos impressions personnelles résultant d'un séjour de trente-cinq années, les remarquables travaux de nos devanciers, notre intention a été de décrire Fékiug, non point seulement tel qu'il fut, mais tel qu'il se montre èi nous, majestueux encore dans sa décrépitude. Toutefois, avant de conduire le lecteur à travers cette ville si différente des nôtres, si lointaine, si imparfaitement connue, nous avons cru nécessaire de remonter aux origines mêmes dit peuple qui l'a fondée, et de repasser rapidement sou histoire. Après avoir raconté les événements qui s'y déroulent depuis plus de vingt siècles, nous étudions plus utilement ses progrès et sa décadence, ses arts et ses indus- tries, ses /meurs et ses monuments. Nous exposons donc à grands traits la période des Temps Fabuleux et des premières Dynasties, les croyances diverses où se complaît, avec un parfait éclectisme, le moins mystique et le plus indifférent des peuples : le Taoïsme, le Bouddhisme sous ses différentes formes ; la doctrine asses vide de Coufucius et de ses disciples, laquelle pourtant, eu exaltant le principe d'autorité dans la famille et dans l'Etat, fait encore tenir debout la vieille Chine. Nous examinons f Europe entrant eu rapport avec ces populations étranges, gardiennes obstinées des coutumes et des institutions léguées par les aïeux, immobilisées dans la contemplation béate du passé, gou- vernées par les morts ; les Franciscains venant eu qualité d'ambassadeurs et de missionnaires èi la cour des Gengiskanides ; Jean de Montcorvin et ses successeurs édifiant èi Péking des églises et convertissant à la vraie AU LECTEUR. ri Foi plus de cent mille personnes ; la glorieuse phalange des Jésuites, les Ricci, les Schall, les Verbiest ; après les bouleversements politiques et les persécutions qui marquèrent la fin du siècle dernier, les Lazaristes accep- tant, sur l'ordre du Souverain Pontife et des rois de France, de reprendre l'œuvre interrompue. Nous nous intéressons aux premiers traités conclus, bien à regret, avec la France et avec les autres puissances européennes ; enfin, nous suivons ta Chine pas à pas jusqu'à la récente et rude leçon de la défaite infligée par une nation voisine, assez guerrière et assez pa- triote pour mettre eu péril les maîtres de cette capitale d'un Etat de quatre cents initiions d'hommes. Pour toute cette partie, purement historique, nous avons dû nécessai- rement nous inspirer des travaux antérieurs et recourir à la bienveillante collaboration de nombre dérudits à qui nous sommes heureux d'adresser ici l'expression de notre profonde gratitude. A ces méritants collaborateurs reviennent surtout les encouragements qui nous furent prodigués pendant la longue préparation de ce volume, dont l apparition nous récompense enfin d'observations parfois difficiles, de recherches toujours patientes, bref d'un consciencieux labeur que beaucoup nous ont fait l'amabilité de déclarer digne d'assurer à notre livre un accueil sympathique auprès de nos lecteurs. ^ A. FAVIER. AUTEURS ET OUVRAGES CONSULTÉS. Annales des Dynasties chinoises et mongoles. | Annales franciscaines. Annales de la Propagation de la Foi. Annales de la Sainte Enfance. Annales des Missions belges. Annales du Muséum. BRETSCHNEIDER (Dr). Recherches sur Péking. Bushell (D.). Voyagea Chang-tou. Caubert (Léon). Souvenirs chinois. Cordier (II.). Odoric de Pordenone, elc. COURCY (de). L'Empire du Milieu, David A... Voyage en Mongolie, Voyageai Chine. Devi kia (G.). Traductions diverses. 1 >u Halde. Histoire de la Chine. Eul-ia. Gaillard (Louis) S. J. Croix et Swaslika. GAUBIL (S. J.) Mémoires. ( i RANDIDIEE ( E.). Céramique chinoise. GrosIER. Histoire de la Chine. Guerre sino-japonaise. H ei k el. Karabalgassoun. Henrion. Histoire des Missions. Histoire des Papes. Histoire générale des Voyages. Histoire de Gengiskan. Hubner (Baron de). Voyage en Chine. Hue. L' Empire chinois, I • y âge en Tartaric, Histoire du Christianisme en Chine. Je-sia kiou-ouen-kao. Kao-kou-tou. KlNG-TIN-SAN-LI-TOU. KlRCHER (S. J.). Chine illustrée. K'iUÈ Ll TCHE. Lecomte (S. J.) Lettres sur Péking. Lettres édifiantes. Lucy (A.). Expédition de 1860. MACARTNEY. ^/«/'kj.wi/,' de Chine. Marco Polo. Relation. MARTINI (DE) S. J. Histoire de la Révolution ta/ tare. MÉMOIRES UE Géographie. Mémoires sur les Chinois. Missions catholiques. MONTCORVIN (JEAN DEi. Lettres de Péking. Mutrecy (de). Expédition de 186c. Ouan-siao-t'an. Ouen-miao-se-tien-k'ao. PaUTHIER. La Chine ain ieune et moderne. PLAN-CARPIN (Jean DE). Relation. Pouo-kou-t'ou. RÉMUSAT (Abel DE). Mélanges asiatiques. RUYSBROECK (G.) . Relation. SiEN-FO-TSI-TSOUNG. Ti-kien-tou-chouo. Trigault (S. ].)..L)e christiana Expedilione. Yu-siou-t'ang-hoa-tchouan. <->- I «4* TOPOGRAPHIE. — TEMPS FABULEUX. — CULTES. — DYNASTIES. GUERRES. — HOMMES CÉLÈBRES. — HISTORIENS. POÈTES. — ANCIENS VKSTIGES DE LA RELIGION CHRÉTIENNE. PREMIÈRES RELATIONS AVEC L'OCCIDENT. FRANCISCAINS. — JÉSUITES. — LAZARISTES. CONVENTIONS ET TRAITÉS AVEC LES NATIONS D'EUROPE, ETC. DEPUIS LES PREMIERS TEMPS JUSQU'A NOS JOURS. *>»- APERÇU GÉNÉRAL SUR LES DIFFÉRENTS NOMS DONNES A LA VILLE DE PÉKING ET SUR SES MODIFICATIONS TOPOGRAPHIQUES. DEPUIS L'ANNÉE 1121 AVANT NOTRE ÈRE JUSQU'A NOS JOURS. le nord de la chine s'empara de toute 1 LA VILLE DE KL jadis, à peu près à la place que devait plus tard occuper Péking, s'élevait la ville de AV. En 1 121 avant Jésus-Christ, elle fut donnée en apanage aux descendants de l'empereur Yao, par Ou-ouang, fondateur de la dynastie des Tcheou (annales de la chine). On voit encore aujourd'hui dans un pavillon en tuiles jaunes, appelé Houng-tHng et situé à cinq //au nord-ouest de Péking, une stèle en marbre blanc sur laquelle l'empereur Kien-loung, de la dynastie actuelle, a fait graver l'éloge de AV. Une inscription dit que là était percée une des portes de la ville. C'est la seule donnée topographique au sujet de l'ancien AV. Il est possible que tel ait été son emplacement, mais le mur en terre sur lequel est élevé le pavillon susdit était, comme nous le verrons plus loin, l'angle nord ouest de la capitale mongole. De 723 à 221 avant notre ère, AV est donné, dans les annales, comme la capitale du royaume de Yen, assez fameux en ces temps dans AV fut pris et complètement détruit par Tsin- che-hoang-ti, qui a Chine en 221 avant Jésus-Christ. II. _ LA VILLE DE YEOU-TCHEOU. Les H an reconstruisirent une nouvelle ville avec le même nom de AV, puis de Yen. On donne encore maintenant dans les livres cette dernière appellation à Péking. Péking. 18 PEKING. Sous la dynastie des Tang (6 18-907 de l'ère chrétienne), la même ville s'appela Yeou- tckeou, et devint la résidence d'un gouverneur général militaire. Si, d'après l'inscrip- tion de l'empereur ICieng-loung, l'ancienne cité de Ki se trouvait à cinq //au nord- ouest de Péking, la ville qu'on rebâtit n'occupait pas le même emplacement que la première. En effet, le Je-siakiou-ouen-fèao, grande compilation où se trouve réuni tout ce qui a été écrit sur Péking et les vingt-six districts qui en dépendent, nous apprend (Chap. xxxvn, p. iS) que, d'après un monument bien authentique, la porte ouest de la ville impériale actuelle, appelée Si-ngan-men, était à cinq //au nord-est de Yixm- iclieou. Une autre inscription porte que le temple Min-tclwung-sse, maintenant Fa-ynen-sse, fut bâti en 645 dans l'angle sud-est de Ycou-tcheou. Ainsi Yeou-tchcon occupait, au sud-ouest de Péking moderne, une petite partie de la ville tartare et une partie plus grande de la ville chinoise (voir le plan). En 986, elle fut prise par les Léao qui la détruisirent, et sur son emplacement bâtirent leur capitale. III. — LA CAPITALE DES LEAO. 1. K'ioung-hoa-tao. — 2 et 3. Palais des Princes. — 4. San-li-lio. — 5. A A'Yun-léang-ho : canal creusé par les Kin. - (• Lten-hoa-lche. ~. Pè-yun-kouan. — 8. T'ien-ning-sse. — 9. T'ou-ti-miao. — 10. Fayuen sse. -- 11. Hée-oua-yc (Il '• yao-tch'ang). — 12. Léou-li-tch'ang. — 13. Fa-t'a-sse. — 14.Leang-choui.ho. INTRODUCTION. 19 Les Li'ao appelèrent d'abord cette nouvelle ville Nan-king, capitale du sud, en opposition avec leur autre capitale située au nord dans le Léao-toung. En 1013, ce nom fut changé en celui de Yen-king. L'histoire et les monuments indiquent claire- ment la position de la nouvelle cité. Le fe-sia dit que l'endroit appelé maintenant Léou-li-tch'ang était, au temps des Léao, un faubourg est de Yen-king, nommé Haè- ouang tsoun. À l'ouest du temple de l'agriculture, Sien-noung-t'an, se trouve le four à briques Hée-yao-tcJi ang, qu'une inscription place aussi à cette époque à l'est de la capitale. La ville avait trente-six li de circuit, elle était carrée, ses murs percés de huit portes avaient trente pieds de haut, et le palais impérial s'élevait vers l'angle sud-ouest. Enfin, on voit encore aujourd'hui un reste de murailles au nord, près du temple Pè-yun-kouan ; et au sud, près du village Ouo-fang-iin, un angle de mur assez étendu que l'on s'accorde à regarder comme ayant fait partie des anciens remparts de la capitale des Léao. Ainsi la position relative de plusieurs monuments, le péri- mètre de son carré, un angle de ses remparts, la direction du mur du nord, ce sont là des données plus que suffisantes pour retracer sans peine le plan topographique de la capitale des Léao (V. le plan). En 1 135. la dynastie tartare des Kin renversa celle des Léao et vint, en 1 1 5 r, s'établir dans leur capitale. IV. — LA CAPITALE DES KIN. Les annales de cette dynastie/A7//-r/^nous apprennent que les Kin ne détruisirent pas la capitale des Léao, mais l'agrandirent, c'est à-dire, comme les documents histo- riques vont nous le montrer, bâtirent sur le côté est une autre ville qui, avec l'ancienne, forma la nouvelle capitale des Kin et fut appelée Tchoung-tou. Les Kin construi- sirent à l'intérieur de la ville une nouvelle résidence impériale. En dehors des murs et au nord, ils bâtirent des palais d'été et de vastes jardins, parmi lesquels est signalé le K'ioung-lioa-tao. C'est aujourd'hui le Pc-t'a-chan qu'on voit dans la ville impériale. Il est dit d'ailleurs que la ville des Kin était au sud de la ville tartare. L'ouvraoe Pé-p' ing-£ ûu-king-tchechou affirme de son côté que la capitale mongole fut construite à trois li au nord de la ville des Kin. Or. ces diverses désignations manqueraient d'exactitude, si l'emplacement de la capitale des Kin avait été le même que celui de la capitale des Léao. Marco-Polo dit que Kambalick était contigu àl'ancienne ville des Kin, et qu'une rivière seulement les séparait. Les deux cités avaient donc au moins à peu près la même longueur sur un de leurs côtés. Les temples indiqués dans la capitale des Kin : Fa-yuen sse, ICouang-ngen-sse, Pè-yun kouan, Tien-ning-sse, T'ou-ti iniao, se trouvent, il est vrai, dans l'ancienne capitaie des Léao, mais on com- prend que la ville nouvelle des Kin ne pouvait alors avoir de monuments. heTa-kin- kouo-tche dit que la ville avait douze portes et soixante-quinze //de périmètre. D'après le même auteur, elle était composée de quatre villes, et les Mongols pour s'en emparer durent faire le siège de chacune. Ces quatre villes étaient évidemment la ville des Léa , celle des Kin et leurs deux palais fortifiés. On peut conclure de ce texte, que le mur est des Léao n'avait pas été détruit et séparait encore les deux capitales, autrement l'auteur n'aurait pu parler que de trois villes : une grande enceinte unique, et celles des deux résidences impériales. Le Taè-tsou-che-lou dit que Houng-ou, premier empereur des Ming, fit mesurer la ville du sud (Nan-tcJieng), et lui trouva environ trente li. C'était l'ancienne capitale des Kin prise toute seule, à laquelle, par rapport à la ville mongole appelée ville du nord, la désignation de ville du sud convenait parfaitement 20 PEKING. bien. Ainsi, la capitale des Léao comptant trente-six //, celle des Kin trente //, on aurait, d'après ces données, un périmètre de soixante-six li pour l'ensemble de Tckouncr-tou. Elle s'étendait un peu moins à l'est, mais plus à l'ouest et plus au sud que la ville chinoise actuelle (V. le plan). C'est seulement lorsqu'on bâtit cette dernière vers le milieu du seizième siècle, que les murs de la capitale des Kin furent détruits. En i 2 i 5, Gengiskan renversa la dynastie des Kin, et pendant un demi-siècle leur cité fut le chef-lieu d'une province mongole. Koubilaïkan, petit-fils du conquérant, quitta Karakoroum et eut d'abord l'intention de restaurer la capitale des Kin, mais il aima mieux bâtir, en 1264, une nouvelle ville au nord de l'ancienne. V. — LA CAPITALE DES YUEN. En 1271, cette nouvelle capitale fut nommée Ta-tou (grande capitale), en mongol Kambalick (ville du grand kan). Le fe-sia (Chap. xxx et suiv.) nous apprend que le palais desempereurs mongols occupait à peu près la même place que le palais impérial actuel. Il ajoute qu'en 1272, la tour de la cloche et celle du tambour furent bâties au milieu de la capitale. La tour du tambour n'a pas été détruite, mais cellede la cloche est récente, et l'ancienne se trouvait un peu plus à l'est, à l'endroit occupé maintenant par le temple Oiian-uing-ssc. Les ouvrages chinois assignent ordinairement à Kambalick 60 li de circuit; d'après Marco- Polo, elle était carrée et avait 6 milles de chaque côté. Le Yuen-che donne les noms des onze portes de la ville, mais Marco-Polo et Odoric parlent de douze. h.&Tck^oung-ming-moung-yu-lou dit que l'observatoire construit par les Mongols se trouvait à l'angle sud-est de la ville. Nous lisons dans le Je-sia (Chap. xxxvm)que la muraille méridionale d& Kambalick fut élevée à trente ^m?n. — 15. Tnung-ngsn-men. — 16. Chouang- fasse. — 17. Observatoire. — iS. Canal de T oung-tcheou. — 19. Ancien mur est de Kambalick. — 20 et 21. Anciens remparts rie Léao. — 22. Pè-vun-kouan. — 23. T'ien-ning-sse. — 24. Si-pien-men. — 23. T'ou-ti-miao. — 26. Tchang-i- men. 27. Fa-yuen-sse. 28. Hée-oua-iao. — 29. — Léou-li-tch'ang. — 30. Temple de l'Agriculture. — 31. Temple du Ciel. — 32. Fa-t'a sse. — H- Toung-pieil-men. — 34. Cha-ouo-men. — 35. Kiang-ts'e-men. — 36. Voung-ting-men. — 7. \an-si-nien. La ville chinoise, située au sud de la précédente et appelée Nan-tclieng, ville du sud, fut construite en 1524 par Léou-pï-ouen, grand ministre de l'Empire, et entourée de murs en 1 564. I. LA MYTHOLOGIE : p'AN-KOU, LES SAN-HOANG, FOU-SI, NU-KOA, LES PREMIÈRES ORI- GINES DU PEUPLE CHINOIS : HOANG-TI, VAO, CHOUN, VU. II. LA DYNASTIE DES TCHEOU : OOEN-OUANG, OU-OUANG, KIANG-TAÈ-KOUNG, TCHEOU-KOUNG. MANIFES- TATION DE BOUDDHA. SI-OUANG-MOU. III. LES GRANDS PHILOSOPHES! LAO-TSE, CONFUCIUS, MOUKG-TSE. père de l'Univers, dit la mythologie chinoise, fut P'an-kou. Ce personnage se métamorphosa: « sa )> tête forma les montagnes ; ses yeux, les astres ; » ses cheveux, les arbres; ses veines, les rivières, » et c'est ainsi que fut créé le monde. » On le représente ordinairement vêtu de roseaux, tra vaillant dans les rochers, ou tenant en main le soleil et la lune. A P'an-kou succédèrent les trois rois (Sau- hoang) : celui du ciel, celui de la terre et celui des hommes. Comme leurs noms l'indiquent, cha- cun a une fonction spéciale. Après les trois rois, paraît Fou- si ; sa mère, dit l'auteur du Li-Ki, fut Hoa-su ; de son épouse Nu-koz naquirent deux fils : Hoang-ti Chen-nouitg. et C'était l'âge d'or; « dans les tours du palais impérial, le Foung-hoang (Phénix) « faisait son nid ; le ICi-lin, couvert d'écaillés, se promenait dans les jardins. » Fou-si inventa les Pa-koua, figures numériques qui servaient, dit-on, à computer le cours des astres. On lui attribue aussi les deux instruments de musique nommés Kin, si fort en honneur autrefois parmi les Chinois. Malgré la légende qui place son tombeau dans le Ho-nan, près de Kaè-foung- 24 PEKING. fou, Fou-si ne peut pas être venu en Chine. Ni les King (livres sacrés), ni Confucius, ne font mention des générations qui précédèrent Yao. Les noms de Fou-si et de Cken-noung, son prétendu successeur, se trouvent, il est vrai, dans l'appendice du Y-king, mais Confucius ne dit nulle part qu'ils aient régné en Chine. Comment admettre que ce philosophe eût passé sous silence un fait si important, s'il l'avait cru authentique ? L'historien Sse-ma-tsien, que l'on a surnommé l'Hérodote de la Chine, ne parle point du règne supposé de Fou-si, et commence sa grande histoire par celui de Hoang-ti. Enfin, l'empereur K'an-si 1 ui-même, dans son commentaire du Y-king, en présence de toutes les fables débitées sur Fou-si, a pensé devoir se taire sur ce personnage. « Fou-si a été plus heureux en Europe que chez nous, dit le P. K'o, Jésuite chi- FOU-SI INVENTANT LE PA-KOUA. » nois ; on le regarde au-delà des mers comme le fondateur de notre monarchie, au » lieu que nos historiens ont affecté de n'en pas parler, et que ceux qui en parlent, » ne le font entrer dans nos annales que par manière de supplément et uniquement » pour en dire quelque chose. » (mémoires sur les chinois, t. i, p. 131.) Faut-il regarder Pan-kou, les trois rois, Fou-si, comme de pures fictions ? C'est à la critique qu'il appartient de répondre ; à elle de recourir aux sources, de com- pulser les textes, d'établir la vérité. En lisant la Genèse, l'attention s'éveille et certains rapprochements se présentent à l'esprit: Pan-kou et les trois rois nous rappellent Noé et ses trois fils. Le roi des hommes, Iou-tchao, ne serait-il pas Cham ? Son fils, Soui-jeu, ne serait-il pas Chus, fils de Cham ? Dans l'affirmative, Fou-si, fils de Soui-jeu, serait Nemrod, fils de Chus. Si telle est la vraie succession généalo- gique, î\&mroà- Fou-si est le fondateur de Babylone ; c'est là qu'il règne avec sa mère Réa, la Hoa-su des Chinois; c'est là, entre le Tigre et l'Euphrate, que se multiplient ses descendants. P'AN-KOU. FOU-SI. 25 Mort dans sa ville d'Areck, qu'il avait construite pour son fils Hoang-ti, Fou-si laissa le gouvernement à sa femme Nu-koa. Après elle, Hoang-ti et Chen-noung son frère se firent la guerre ; Hoang-ti, vaincu, fut obligé de passer l'Himalaya avec ses partisans, plus de 2.000 ans avant notre ère ; c'est le fondateur de l'empire Chinois. Le célèbre P. Gaubil semble partager cette opinion: «Je suis porté à croire, dit-il, que Hoang-ti a été le premier empereur chinois... ; que Chen-noungtX HOANG TI COMBATTANT TCHE-IOU. (TEMPS FABULEUX.) Fou-si ont été princes ou chefs des Chinois, mais dans le voyage des environs de Babylone ou autres pays voisins de la Chine. » (mém., t. xvi, p. 28 1.) Hoang-ti, pen- dant son très long règne, s'avança, croit-on, assez loin dans l'est, et son fils étant mort, il laissa le trône à son petit-fils Tchouan-su. Ce nouveau chef arriva jusqu'aux monts T'ien-c/ian et au Kou-kou-noor. Le nom de T ' ac-ynen-fou (première origine), donné à la capitale du C/ian-si. semble indiquer que la colonisation commença par cette province. A Tchouan-su succédèrent Ti-k'ou et Ti-tche, dont il est peu parlé. Pendant toute cette période, les empereurs n'étaient que des chefs de colonnes, 26 PEKING. s'avançant peu à peu vers l'est sans créer aucun royaume. Leur marche était diffi- cile, les eaux couvraient encore de vastes régions. L'auteur déjà cité, le P. Ko, a écrit sur cette époque deux articles dont l'un est intitulé : « Tout ce qu'on raconte » sur les temps qui ont précédé Yao, n'est qu'un amas de fables et de tradi- » tions obscures qui ne méritent aucune » croyance. » Le second a pour titre : « A en juger par ce qu'on sait d'authen- » tique sur Yao, Choun et Yn, l'origine » de la nation chinoise ne peut remonter » que d'une ou deux générations avant » Yao. » (mém., t. i, pp. 113 et 149.) On rencontre cependant dans les ou- vrages des anciens auteurs chinois, cer- tains textes relatifs à la création du monde et de l'homme, au paradis ter- restre, à la chute d'Adam, au déluge et aux autres événements des âges primor- diaux. En voici quelques intéressants exemples : Création du monde : « Celui qui est ui-même son principe et sa fin a créé le ciel et la terre. » ( Tchouang-tse.) — « Il y a une vie qui n'a pas reçu la vie. » (Lié-tsc.) Création de l'homme : « Quand le » ciel et la terre furent créés, il n'y avait » ni homme ni femme ; Nu-koa pétrit » de l'argile pour en faire un homme : » c'est lavraie origine du genre humain. » (Toung-fou-t'oimç.) — « Il n'y avait » d'abord que le ciel et la terre ; enfin un » homme et une femme. » (Confucius.) Paradis terrestre : « Au sommet .» de la montagne K'oun-loun est un jar- din où un doux zéphir souffle sans cesse. Ce jardin est pla- cé près de la porte fermée du ciel. » ( Hoc-nan-tse.) — L'homme habitait alors au milieu des bêtes : l'univers n'était qu'une famille ; on cultivait la vertu ; rien ne pouvait donner la mort. » ( TcJiouang-tse.) Chute d'Adam : « Le désir » immodéré de la science a perdu le genre humain » (Hoè-nan-tse.) — « La » gourmandise a perdu le monde ; il ne faut pas écouter les paroles de la femme. » (Lopi.) Déluge : « Les eaux immenses se sont répandues et ont submergé toutes choses. » 1. EMPEREUR VAO (M KIEX-T'OU C1IOUO.) » » « » » HOANG-TI. YAO. — YU. 27 (Confucius.) — « Sous Yao, l'emnire n'était pas formé; les eaux stagnantes couvraient » de tous côtés la campagne. » ( Moung-tse.) Ces passages se rapprochent d'une façon très remarquable du texte mo- saïque ; leurs auteurs, qui vivaient 500 ans avant notre ère, avaient eu sans doute quelques relations avec le peuple Juif, comme nous le verrons plus loin. L'empereur Yao est mieux connu que ses prédécesseurs. On peut dire que les temps historiques commencent à partir de son règne ; les livres sacrés des Chinois le nomment dès la pre- mière page. Il arriva jusque dans la province du Pc-tche-ly, et vint habiter T ang-sien, près de Pao-ting-fou. i ao associa à l'empire son gendre Choiin, et celui-ci. après être monté sur le trône, s'adjoignit Yu, appelé par tous les auteurs « le Grand Yu ». C'est à ce dernier que revient ia gloire d'avoir fait écouler les eaux et desséché les vallées, au moins dans le nord de la Chine. Yu n'était encore que le mi- nistre de Choun quand il commença ses travaux d'assèchement. Il parait probable que la plaine de Yen-king, où l'on entre par Tcka-tao au nord- ouest de Péking après avoir passé la première chaîne de montagnes, était sous l'eau ; ce pays en effet forme cu- vette, et c'était là que venaient se dé- verser, sans aucune issue, les eaux du fleuve Houn-ho et d<= ses affluents. D'après la tradition, Yu rit percer montagne qui se trouve au nord-ouest de H roc '•-lac -sien, et ouvrit ainsi un passage aux eaux. Ce lieu est fort intéressant, on le nomme Tchou- koung-ho ; tout y accuse un travail de main d'homme. La rivière se précipite, en mugissant, au travers des montagnes par des trouées sauvages ; elle redescend jusqu au superbe pont de Lou-keou-k 'iao, pour aller se jeter dans le Pého, puis se perdre définitivement dans le golfe du Pé-iche-ly. Le P. Ko, dans sa liste des dynasties, omet les deux premières, en disant que « la durée et le nombre des empereurs de ces dynasties n'ont rien de clair ni de cer- tain ». Passons donc de suite à celle des Tchcou, qui compte trente-cinq empereurs. L EMPEREUR YU. (ti-mex tou-chouo.) 28 PEKING. L II e dernier empereur de la dynastie précédente se nommait Tcheou-sin ; c'était un tyran détesté des princes feudataires et du peuple. En ce temps-là vivait un homme remarquable appelé Ouen-ouang, sou- verain du petit royaume de Si-pé ; son père Ki-li et sa mère Tac-jeu l'avaient élevé dans la vertu. Il gouvernait son royaume avec la plus grande sagesse, et les sujets de Tcheou-sin eu- rent recours à lui pour se délivrer du tyran. Plus de quarante princes le supplièrent d'accepter le trône. Accusé auprès de l'empereur, il fut mis en prison, et c'est pendant sa détention qu'il écri- vit sur les Pa-koua ses « Commentaires » qui ontété conservés jusqu'à nos jours. Mis en liber- té, il se retira dans son petit royaume, et après un règne de cinquante ans, il mourut dans la 97e année de son âge. C'est le père du fameux Ou-ouaug, fondateur de la dynastie des Tcheou. L'histoire dit qu'il eut une très nombreuse pos- térité et jusqu'à cent fils; on le représente habi- tuellement entouré de petits enfants jouant avec lui. Ou-ouang, second fils de Ouen-ouang, succéda à son père et fut pendant treize ans simple prince ouen-ouang. (ouan-siao-ï'an.) de Si-pé. Se rendant à la prière des Grands de l'empire, il prit les armes avec plus de huit cents petits princes pour détrôner DYNASTIE DES TCHEOU. 29 Tckeou-sin, qui malgré sa nombreuse armée fut complètement défait. Ou-ouang fut proclamé empereur, et tous les princes le reconnurent pour leur légitime souve- rain ; voulant conserver leur amitié, il donna à chacun d'eux un fief important. C'est alors que les seigneurs de la famille SYao reçurent en apanage la ville de A 7, comme nous l'avonsditdans l'Introduction ; ses frères qui l'avaient aidé, reçurent également des principautés particulières, et aucun de ceux qui avaient travaillé à son élévation ne fut oublié. Il rétablit les cérémonies ancien nés, composaune nou- velle musique, remit en or- dre le calendrier et fit les plus sages règlements pour la prospérité de l'empire. Sousson règne, quidurasept ans, on commença à exploi- ter des mines de cuivre, à frapper monnaie et à faire des vases de bronze et d'au- tre métal. Oji-ouang mourut à la 92e année de son âge, vers l'an 1 1 16 avant Jésus- Chkist. Samort fut un sujet de deuil pour tout l'empire; on honora sa mémoire en lui élevant un superbe tom- beau. L'histoire nous a con- servé le nom de quelques personnages célèbres qui vécurent au temps de Ouen-ouang et de Ou- onang : le premier est T'aî- koung, qui s'appelait aussi CJiang et Lu. Homme simple et sans ambition, il vivait pauvrement du tra- portrait de l'empereur ou-ouang. (ouan-siao-t'ant.) vail de ses mains quand un jour, péchant à la ligne, il trouva, d'après l'histoire chinoise, une pierre de jade sur 30 PEKING. .aquelle étaient gravés ces mots : « Tcheou recevra l'ordre du ciel, et Lu sera son ministre. » Peu après, Ouen-ouaiig, sur le point de partir à la j ' chasse, consulta les sorts afin de savoir s'il y serait heureux. Les sorts répon- dirent qu'il ne trouverait ni tigre, ni léopard, ni ours, ni dragon, mais bien un sage capable d'être ministre d'un grand prince. Ouen-ouang rencontra T'aè- koung et, charmé de sa sagesse, il le fit monter sur son char, le prit pour con- seiller et enfin pour premier ministre. Taè-koung contri- bua puissamment à l'élévation de la dynastie et, pour prix de ses émi- nents services, il reçut le titre de Koutig. Il a laissé plusieursouvrages surl'art de la guer- reet sur lamanière debien gouverner; ses œuvres sont encore estimées aujourd'hui. Le second per- sonnage remar- quable decettedy- nastie fut Te lie ou - koung, propre frè- : re cadet de Ou- ouang. Lorsque celui-ci monta sur le trône, il choisit Tcheou-koung pour premier ministre, charge qu'il occu- pa ensuite sous TcKeng-ouang de- venu empereur après la mort de Ou-ouang, son pè- re. Tcheou-koung, chargé de la ré- gence.montrapour lejeune empereur, son neveu, une in- violable fidélité et une abnégation à toute épreuve. 1 1 avait un filsnommé ktani;--i'a DYNASTIE DES TCHEOU. 31 *ws«v Pé-kin, qu'il éleva avec le plus grand soin ; ce jeune homme suivait les leçons don- nées par Tcheou-koung à l'héritier présomptif de la couronne, et, lorsque celui-ci faisait quelque faute, c'est Pé-kin qui était puni, sous prétexte que, sans son mauvais exemple, le prince n'aurait point failli. Cet usage est encore conservé aujourd'hui par les précepteurs impériaux. Lorsque Pé-kin, dev fut chargé par 1 gouvernement de cipauté de Lou, donna les plus ! tions ; elles nous c vées : « Allez, mo » ner les peuples ( » vous a confiés ; » plutôt que leur » père plutôt que » leurs intérêts soi » que votreprincif » soit de leur » rendre la jus- » tice, et qu'ils » puissent faci- » lement vous » aborder; vous )> savez ce que » j'ai fait : imi- » tez mon ex- » emple et votre » peuple sera » heureux. » C'est tzrâce aux sage s règle- ments de Tche- ou-koung que la dynastie des TcJieou est re- devable d'avoir régné pendant près de huit siè- cles. Ilétaitversé danslessciences et même dans l'astronomie ; disgracié plusieurs fois, par suite des intrigues de ses ennemis, il demeura fidèle jusqu'à sa mort, reprenant sans amertume le pouvoir dès qu'il était rappelé à la cour. Il mourut plein de gloire, et l'empereur lui fit construire un tombeau magnifique près de celui de Ou-ouang. Cha-kia-mou-ni, ou Bouddha, naquit dans le royaume de Mogada en Behar, sur les bords du Gange, de l'illustre famille des Cha-kia. L'histoire officielle, appelée 32 PEKING. T'oung-kien ou Kang-kien, place la naissance de Bouddha à l'an 1031, mais les annales des Ouée (386-556) la fixent clairement à l'année 6S7. Cette date est regardée comme très probable par les derniers critiques. Bouddha vécut 79 ans, et sa mort a dû arriver vers l'année 644 avant Jésus-Christ. D'après les livres de ses sectateurs, « Bouddha avait un teint d'or, un corps sans » tache comme la pierre de jade ; ses cheveux étaient de la couleur du « lapis lazuli >> >> et retombaient en boucles arrondies, n'étant ni mêlés ni crépus ; il possédait ainsi » toutes les beautés. » La religion de Bouddha, ou de Fo, se répandit d'abord dans l'Inde ; mais elle ne fut officiellement acceptée en Chine que la 67e année de l'ère chrétienne. On lit, en MANIFESTATION DE BOUDDHA. (LIVRE BOUDDHISTE: FO-KING effet, dans l'histoire chinoise : « Sous le règne de Ming-ti, quinzième empereur de » la dynastie des H an (65 ans après J.-C), le souverain, inspiré par un songe, » envoya en Occident les deux mandarins Tsac-tsing et Tsin-king, avec ordre de ne » point revenir avant d'avoir trouvé le Saint que le Ciel lui avait fait connaître. » C'était à peu près le temps où saint Thomas prêchait dans l'Inde la foi chrétienne, » et, si ces mandarins eussent suivi leurs ordres, peut-être que la Chine eût profité » de la prédication de cet Apôtre ; mais les dangers de mer qu'ils craignaient, les » obligèrent de s'arrêter à la première Isle, où ils trouvèrent l'idole de Fo ou Foé, qui » avait déjà corrompu les Indes, plusieurs siècles auparavant, de son exécrable » doctrine. » (p. LECOMTE, p. 417.) Deux ans après, ces émissaires revinrent à Lo- yang, ville située près de Kaè-foung-fou dans le Ho-nan, où se trouvait la cour. Ils rapportaient la statue de Bouddha ou Fo, et c'est ainsi que le Bouddhisme fut introduit dans l'empire. DYNASTIE DES TCHEOU. 33 On rencontre fréquemment dans les livres chinois le mot Saint appliqué à Soui- jen, à Foic-si, à Confucius, quelquefois à Bouddha, souvent aux empereurs. Cette qualification se donne à tous les grands personnages qui se sont illustrés à un titre quelconque ; l'empe- reur ICang-si, de la dynastie régnante, en a été honoré, On voit par là qu'il ne faut point confondre ce mot Saint, indiquant une distinction donnée à des hommes émi- nents, avec l'idée du Saint par excellence, du Saint par essence, con- servée par la tradition chez tous les peuples de l'univers qui l'atten- daient selon ces paroles du prophète : « Et erit expectatio gaitium. » Cette croyance primor- diale, commune à toutes les nations, avait été entretenue et ravivée chez les Chinois par leurs rapportsconstants avec l'Occident : Mou- ouang, mille ans avant le CtiRlsT.était allé jus- qu'à Babylone et jus- qu'en Palestine ; Lao- toava! tété dans l'Ouest jusqu'aux environs du Pamir, et peut-être plus loin ; les Juifs, persé- cutés, s'étaient de leur côté répandus danstou- te l'Asie, cinq ou six siècles avant notre ère ; aussi les disciples de Confucius, l'interro- geant un jour sur le Saint, lui demandèrent: « Un tel est-il le Saini ? — Non, répondit-il. - Tel autre est-il le Saint ? - - Non. — » Vous-même êtes-vous le Saint ? — Non. — Où se trouve donc le Saint ? » Alors )) le maître prononça solennellement ces mots : « Si-fang-tche-jen, iou-cheng-tche-ien ! » Les hommes de l'Occident ont le Saint ! » Dans la suite, les Bouddhistes vou- SI-OUANG-Mi lU. (SIEN-FO-TSI-TSOUNG.) 34 PEKING. lurent appliquer ces paroles mémorables à Bouddha, mais ils furent victorieusement réfutés par tous les interprètes chinois du texte de Confucius. Le livre Sienfo-tsi-tsotmg nous apprend que Mou-ottang alla, vers l'an 1005 avant Jésus-Christ, rendre visite aune princesse fameuse de l'Occident. Elle se nommait Si-ouang-mou (mère du roi de l'Ouest). Elle régnait à K'oun-loun, habitait un palais remarquable par ses jardins appelés Lang-foung, ses édifices de marbre et de jaspe, sa tour de neuf étages et ses eaux limpides. Mou-ouang offrit à Si-ouang-mou des présents magnifiques, puis revint en Chine. K'oun-loun était, ce semble, Babylone, où Sémiramis avait régné longtemps. Pour les Chinois, Si-ouang-mou ne fut jamais qu'un personnage mystérieux dont le royaume, d'après l'historien Sse-ma-tsien, était situé du côté de la Perse. L'histoire nous dit encore que, sous le règne de Tc/icno-ouano-, des hommes du Ni-li vinrent à la cour. Ce royau- me était peut-être l'Egypte, et ces voyageurs, des Juifs ; car nous savons qu'ils vinrent en Chine sous la dynastie des Tcheou, pro- bablement lors de leur captivité à Ninive, au temps de Nabucho- donosor. III Sous la dynastie des Tcheou naquirent les grands philo- LAO-TSE. SIEN-FO TSI-TSOUNG). sophes. Lao-tse fut le premier et vint au monde dans la province de Hou-Kouang (aujourd'hui le Hoti-pé), l'an 604 avant Jésus- Christ. Il précédait Confucius de 52 ans. A la même époque, Nabu- chodonosor montait sur le trône de Babylone. On raconte qu'il naquit à l'âge de 81 ans, avec des cheveux blancs ; de là son nom Lao-tse (vieillard enfant). Si l'on compare Confucius à Socrate, on pourrait dire que tse ressemble à Diogène. Il est représenté monté sur un bœuf, avec un air insouciant qui fait penser à la lanterne, et au tonneau du philosophe de Laërte. Il voyagea en Occident, probablement en Perse, soit par l'Himalaya, soit par Samar- kande, et put avoir des rapports avec les sectateurs de Bouddha, peut-être même avec les Juifs. On sait peu de chose de positif, sinon qu'il eut une entrevue avec Confucius, dans laquelle il lui reprocha son faste et sa vanité : « Le sage, lui dit-il, > aime l'obscurité et fuit les emplois ; celui qui est vraiment vertueux ne fait pas » étalage de sa vertu, et ne l'annonce pas à tout le monde. » Confucius fut peu datte ; aussi dans ses conférences avec ses disciples parle-t-il bien rarement de Lao-tsc. — Voyant l'empire en décadence, ce philosophe se retira au T/ou-kouang, LES GRANDS PHILOSOPHES. 35 et y composa, dit-on, son livre intitule Toa-teu-king. Traité sur la vertu et la raison, qu'on a dit plus tard dater seule- ment des Han. Lao-tse disparut tout à coup, sans qu'on ait jamais pu savoir ce qu'il était devenu. Les Tao-c/ie, ses sec- tateurs, sont très nombreux en Chine ; ils y pos- sèdent de belles pagodes. Les temples officiels f Kouan-ti-miao ) sont administrés par eux ; ils ado- rent des divinités diverses : le dieu de la Guerre (Kouan -lit), le dieu des Enfers (Yen-oitang), le dieu de la Lon- gévité (Lao-chc- on- si n), les huit Immortels ( l'a- sien), etc. Le taoïsme est une des trois religions reconnues p a r g; l'État. La ixnnéeda Lnicrou (?//;'",empereurdes Tcheou, K'otinp- fou -(se (Confu- cius)naquità/w><7, aujourd hui Yen- tcheou - fou. du temps de Siang- kounp\ prince de ce royaume, ^^C 5^ ^—~—^—^—-C O— ■^— ' — " — " — Q ? l'an 552 avant ^y^ —^ Jésus-Christ; il statue de confucius. (temple di yen-tcheou-fou était contempo- rain de Pytha^ore. Sa mère se nommait Tchen-lsaè et son père Chou-léang-ho. vingtième Vers 36 PEKING. ai,"1 l'acre de trois ans, il perdit son père ; sa mère mourut lorsqu'il n'avait encore que iô'ou i~ ans. A 19 ans, il se maria avec la fille de Kien-kouan, du royaume des Sozing, et en eut un fils qu'il nomma Pé- vit. — Confucius était d'une haute taille ; il avait la poitrine et les épaules larges, le teint olivâtre, les yeux grands, la barbe longue et noire, le nez un peu aplati, la voix forte et retentissante : voilà du moins ce qu'en disent les auteurs chinois. Ilalla visiter Lao-tse dans la capitale des Tchcoit, puis il se rendit dans le petit royaume de Tsi et devint l'ami du roi. A 42 ans, il revint dans sa patrie et ouvrit une école ; mais il n'avait encore exercé aucune charge publique. Le prince de Lou lui confia l'administra- tion de la ville de Tc/toung-tou, puis le nomma ministre de la Justice; enfin, à l'âge de 56 ans, il occupa le poste de grand ministre du roi Ting- koung. Obligé d'abandonner cette charge à cause d'une discussion vio- lente sur les Rites, il quitta le royaume et visita la principauté de Onée, ainsi que d'autres petits royaumes. Ses voyages durèrent 14 ans, puis il revint dans sa patrie, où, sans lui donner aucune charge, le roi de Lou le prit pour conseiller. C'est alors qu'il fit un long travail de révision sur les livres anciens, le }~-king, le Chou-king, le Cke-king et le Li-ki, qu'il expurgea et mit en ordre. Il composa aussi le T'ckoicn-tsiou, et il mourut en l'année 479 avant Jésus- Christ, à l'âge de j$ ans, dans la ville de Lou (Yai-tchcou-fou). On lui fit de pompeuses funérailles ; son tombeau fut élevé au nord de la même ville et, deux ans après sa mort, on bâtit une pagode en son honneur. Les descendantsdeConfucius habi- tent encore dans cette ville. Leur chef porte le nom de Chaig-koung, qui veut dire saint prince ; et il reçoit, même de l'empereur, des honneurs extraordinaires. Il a son palais à Péking, le Cheng-kowig-fou, dans la partie ouest de la ville tartare. Le chef actuel delà famille est un jeune homme, qui vient de se marier il y a quelques années à la capitale ; il MOUNG-TSE (OUAN-SIAO-T'AN.) LES GRANDS PHILOSOPHES. 37 habite ordinairement le magnifique palais de Yen-tcheou-fou. Dans cette même ville on voit une très belle statue de Confucius placée dans une pagode remarquable qui lui a été consacrée. La gravure (page 35) est tirée de l'ouvrage chinois K'iuèli- tche, Mémoires sur la patrie du célèbre philosophe. On peut visiter à Pékin- le temple de Confucius et son superbe portique; il est situé près de la salle des Examens littéraires. Moung-tse naquit dans le petit royaume de Tsou, dans le Chan touiig, au commen- cement du ive siècle avant Jésus-Christ. Il était contemporain de Socrate et d'Aristote. Son père se nommait Ki-koîtng-y, et sa mère Tchang-che. Moung-tse est l'auteur du fameux iivre classique qui porte son nom, et sa doctrine ne dif- fère de celle de Confucius que dans la manière de l'énoncer et de l'expli- quer. On le représente comme un homme sévère, d'un, port grave et majestueux. Il mourut à lage de 84 ans. Sa mémoire est honorée presque à l'égal de celle de Confucius, et dans les pagodes dédiées à ce philosophe (Ouen-miao), son image se trouve au premier rang. Il est un des grands assesseurs de Confucius qui portent le titre de Ya-cheng, ou saints du second degré. Nous ne saurions mieux terminer ce chapitre qu'en donnant quelques extraits du P. Kircher (Chine illus- trée, 3e partie, chap. 1: De T idolâtrie des Chinois) : <( Les Chinois font mention de trois sortes de sectes : La première est celle des savants, la seconde celle de Sciaguia (le bouddhisme), et la troisième celle de Lauzii ( Lao /se) ; voilà les trois différentes religions qui / sont reçues des Chinois, et générale- .> , , b- ■ t TAOÏSME, statue de kouan-iu, dieu de la guerre. ment de tous les peuples voisins. La porcelaine san-tsaé k'ang si. véritable secte des savants de la Chine lection grandidier.) qui est très ancienne dans cet empire, a le gouvernement de l'État, parce qu'elle est la mieux fournie de livres et la plus estimée de toutes les autres. Celle-ci reconnaît pour son auteur un certain Confucius qu'ils estiment être un prince philosophe. Voici comme en parle Trigautiusdans son Expédition chrétienne dans la Chine: « Ils (les Chinois) assurent que l'office de » sacrifier au Roi du Ciel et de lui rendre les honneurs dus à la divinité, n'appar- » tient qu'à la suprême dignité de l'empire ; et c'est pour ce sujet, sans doute, qu'il » y a deux temples magnifiques dans les deux villes principales de son Etat, savoir, » dans celles de Nan-king et de Pé-king, dont l'un est dédié au Ciel et le second à » la Terre ; c'était dans ceux-ci que le roi sacrifiait autrefois en personne, et ce sont » ceux-là mêmes, parmi lesquels on voit de très graves magistrats, qui y font l'office 38 PEKING. taojsmk. 'H1L0 i iPHE AYANT TROUVÉ LE LING K HE, ( H VMPU IN DE L'iMHl iK i M, Il I I •• INI i NIELLÉ. (PÉ-T'ANG.) » de sacrificateurs, et y présentent au Ciel et à la » Terre grand nombre de bœufs et de moutons en » sacrifices, avec des cérémonies extraordinaires. » Enfin, comme les lois ordonnent qu'il n'y aura » point de ville qui n'ait un temple dédié à ce dieu » Confucius, que je viens de nommer, il arrive » aussi que les savants, qui le reconnaissent pour » le prince des philosophes chinois, n'en ont pas » d'autre que celui qui lui est consacré, lequel est » bâti pour l'ordinaire près des universités, ou » joignant la maison du magistrat, qui tient le » premier rang parmi les doctes. On voit dans ce » temple la statue de ce dieu toute chargée de » lettres, ou bien on trouve à .ca place son nom » écrit en lettres d'or sur une table dont les carac- » tères sont de la hauteur d'une coudée. On » découvre, à côté de cette même statue, celles de » quelques-uns des disciples de ce Confucius que » les Chinois ont mis au nombre des dieux, et » qu'ils estiment beaucoup moindresqueleur maî- » tre. Tous les magistrats de la ville s'assemblent » dans ce temple deux fois le mois, savoir : au » temps du renouveau et du plein de la lune ; et » la coutume de ces personnes est d'adorer ce dieu » avec de profondes inclinations, avec des cierges » allumés, de l'encens et des parfums, après avoir » quitté toutes les marques de leur doctorat. » Voilà de quelle manière ces savants adorent cette fausse divinité, qui est presque la même que celle dont se servaient les Egyptiens, lesquels offraient des sacrifices à Mercure le premier jour du mois de Toth. Tous les temples sont ornés de statues de Confucius, et l'on en voit de toutes façons, les unes étant fort grandes, les autres médiocres, et les autres plus petites; de sorte qu'on peut porter ces dernières avec facilité. J'ai eu la satisfaction d'en considérer et toucher une que le P. Xunnius Mascarenias, assistant du Portugal, m'avait don- née, laquelle m'a fait voir la vérité de ce que je dis. » La seconde secte des Chinois est appelée Sciaguia, ou Omyto (bouddhisme). L'introduction de cette détestable loi est venue du côté de l'Occi- dent, et a été portée du royaume qu'on appelle Treitio ou Sciuro dans la Chine. Le P. Trigault nous assure que ces royaumes sont appelés du seul nom de Indostan, et que leur situation est entre l'Inde et le Gange. Si nous recherchons maintenant l'origine de cette secte, nous trouve- rons que les personnes qui se piquaient de science LES GRANDS PHILOSOPHES. 39 (comme les Brahmanes, les Perses et les Baelriens, qui habitaient clans tout le pays de l Indostan), ont été les introducteurs de toutes ces erreurs et de toutes ces idolà tries ; et on ne doutera plus que ce ne soient eux qui ont causé tous ces désordres, quand on saura qu'ils ont établi des colonies de leurs nations dans la Chine. Les sectateurs de cette opinion, qui suivent de point en point laphilosophie de Pythagore, croient qu'il y a plusieurs mondes, et admettent la métempsycose, c'est-à-dire la transmigration des âmes dans les corps des bêtes. » LeP.Trigault ajoute les paroles suivantes : « Cette » ridicule secte suit à l'aveu- » gle l'opinion de Démocrite » et le sentiment de quel- » ques autres philosophes, » savoir qu'il y a plusieurs » mondes dans la nature ; » mais surtout, elle a pour » maxime fondamentale de » la croyance la ■• doctrinede Py- » thagore.qui en- >> seignela trans- )> migration des ,>> âmes ; » à quoi elle a ajouté plu- sieurs autres rê- veriespourmieux pallier la fausseté de ses préceptes. Ils sont si exacts observateurs des lois pythagori- ciennes, qu'ils se privent de man- ger delà viande, se rasent la tête et la barbe, s'a- donnent si fort à lacontemplation, qu'ils choisissent KHISME. STATUE DE KO, EX rORCELAIXE POLYCHROME DE KIEX-LONG. les ieux écartés pour cet effet, et se retirent dans les déserts et sur les montagnes, afin d'y vaquer plus à leur aise et de jouir d'un plus profond 40 PEKING. BOUDDHISME. ; El DÉ] I i 0 \ \ UN. PORCELAINE BLANCHE. (PÉ-T'ANG.) repos. Leurs temples sont rem- plis d'un nombre infini d'idoles, qui représentent les plus horri- bles et les plus effroyables mons- tres qu'on saurait voir, et qu'on pourrait même s'imaginer, dont la matière est si différente, qu'il y en a de marbre, d'airain, de bois et de terre. » La troisième sorte de secte qu'on voit dans la Chine est appelée Lanzu (Laotse) ; celle- ci n'est que pour les gens du commun. L'auteur de cette opi- nion est un certain philosophe qui vivait du temps de Confucius, et auquel on donna le nom de Lanzu (Lao-tse, c'est-à-dire phi- losophe ancien). Les sectateurs de cette loi prescrivent quelques règles pour pouvoir parvenir un jour au bonheur du Ciel, et di- sant quelesplus efficaces moyens d'acquérir cette gloire consistent à faire certaines prières, à obser- ver quelques coutumes, às'asseoir et à pratiquer les choses qui leur sont en usage, parce qu'ils les estiment nécessaires pour parve- nir à cette béatitude du corps et de l'esprit. J'oubliais de dire que ces personnes persuadent à tou- tes sortes de gens qu'ils ont le pouvoir d'allonger la vie des mortelsavec desmédecines qu'ils donnent, et par le moyen du secours de leurs dieux. >• L'office des sacrificateurs de cette même secte est de chasser les démons des corps des possé- dés, par des supplications détes- tables et par des prières pleines d'impiétés et de blasphèmes. Voici les méthodes dont ils se servent pour l'ordinaire : La pre- mière chose donc que font les adorateurs des esprits infernaux, c'est de peindre avec de l'encre les horribles monstres des ténè- LES GRANDS PHILOSOPHES. 41 bres et de l'enfer sur du papier jaune, qu'ils attachent ensuite aux murailles de la maison ; après quoi ils commencent à hurler si horriblement, et à pousser des cris si affreux et si extraordinaires, qu'ils portent la terreur et l'effroi dans les cceurs les mieux assurés, et semblent être les diables mêmes qu ils doivent chasser des corps de ces misérables. Le deuxième office de ces sacrificateurs est de faire pleuvoir quand il est besoin, et d'obtenir du ciel (lorsqu'il est le plus serein et le plus beau) i5V^T> SAN-KIAO-KOUM, I ES TROIS RELIGIONS SE CONFONDENT EN UNE SEULE. l'eau dont la terre a besoin dans la sécheresse, ou bien d'arrêter les pluies excessives qui inondent le pays et ruinent le monde. Enfin leur présomption est si grande, et l'estime qu'ils ont de leur pouvoir va si avant, qu'ils se persuadent pouvoir secourir les hommes selon leur besoin, et se flattent de les retirer de toutes les infortunes où ils pourraient se voir engagés. Voilà à peu près les sectes, ou pour mieux dire les principales erreurs qui régnent dans ce vaste empire de la Chine. » Les trois religions de Fo, de Lao-tse et de Confucius n'en font qu'une, selon la maxime chinoise : « San-kiao-koui-i. Les trois religions se confondent en une seule. » 42 PEKING. Nous donnons ici une gravure tirée du P. Kircher, avec la note qui l'explique : «Cette » figure que vous venez de voir est divisée en trois ordres : le premier est celui de » 1 (A), c'est-à-dire la première divinité, le Seigneur et Souverain du ciel, que les » Chinois appellent Fé ou Fo, c'est-à-dire Sauveur. Ils le représentent tout éclatant » de lumière, pour mieux marquer ce qu'il est. Ils le dépeignent avec les mains ■> cachées, pour donner à connaître que c'est sa puissance qui opère invisiblement » toutes choses dans le monde, et ils lui donnent une couronne de pierres précieuses » sur sa tête, semblable à celle de nos saints, pour donner plus de gloire et de majesté » à sa personne. Il a à sa droite ( B) ce célèbre Confucius que les Chinois ont mis au » nombre des dieux, et à sa gauche (C) Lanzu (Lao-lsc ), que cette même nation » appelle l'ancien philosophe, et qu'elle honore comme l'auteur de la religion et » comme une des principales divinités. » (Chine illustrée, p. 184.) Vers l'année 250 avant Jésus-Christ, la plus complète anarchie régnait en Chine. Les princes feudataires des Tcheoit, voyant la faiblesse de leur suzerain, s'étaient depuis longtemps révoltés. Le plus puissant d'entre eux, le roi de Ts'iu, s'empara de presque toutes les provinces qui restaient à l'empereur Nan-ouang, et Toung-tcheou- kiun, dernier souverain des Tcheou, abandonna les sept villes qui reconnaissaient encore son autorité. Ainsi finit misérablement cette dynastie qui avait été si fertile en grands hommes et en célèbres philosophes. I. DYNASTIE DES Ts'lX : Ts'lN-CHE-HOANG-TI. LE LETTRE FOtT-CHENG. l.E GÉN] MOUNG-T'lEN. LA GRANDE MURAILLE. — II. DYNASTIE HES 1IA\: HAN-KAO-TSOU. TCHANG-KIEN. SOU-OU. SSE-MA-TS'lEN. PAN-TCHAO. III. XGAÈ-TI. APOSTOLA1 ! SAINT THOMAS. I N homme vraiment extraordinaire fonda la dv- nastie des Tsin (24; av. J.-C.) ; il se nom- mait Tsin-che-hoang-ti. Le premier il osa prendre le nom de Hoaug-ti, qui signifie « roi des rois ». En quelques années il fit la conquête de toute la Chine alors divisée en huit royaumes, qu'il réunit sous sa domi- nation. Le roi de Yen, dans sa ville de A'/, notre Péking actuel, ne pouvait résister à un si terrible adversaire ; il fut obligé de s'enfuir et de se retirer dans le Léao-toung. Sa petite capitale fut pillée et complètement détruite. Tsin-che-hoang embellit Ti/i'aiic'-nctiu (Si-ngan-fou), où se trouvait sa cour, et fit construire des routes militaires et des forte- resses dans tout l'empire. Avec une armée de plus de six cent mille hommes, il parvint à affermir sa puissance, surtout dans le nord, de telle sorte que les innombrables cavaliers tartares ne purent l'entamer. Il fut un des plus grands empereurs de la Chine, mais aussi un des plus détestés ; sa mémoire est encore en exécration parmi les Chinois. Cet empereur était d'une cruauté inouïe, et l'histoire rapporte qu'il fit tomber plus d'un million quatre cent mille têtes. La 28e année de son règne, l'an 217, les lettrés se révoltèrent contre lui ; ils le considéraient, à bon droit, comme un tyran sanguinaire ; mais ce qui les exaspérait surtout, c'était de voir ce souverain mépriser les anciens usages, méconnaître le passé et ne faire dater la Chine que de son règne. Les remontrances qu'ils se per- 44 PEKING. mirent furent mal accueillies, et Tsin-che-hoang déclara aux lettrés une guerre d'extermination ; il en fit mettre à mort un très grand nombre, et, en l'an 213, il promulgua un édit par lequel il or- donnait de brûler tous les livres. Il avait alors pour premier ministre Lisse, qui fut un des principaux instruments dont il se servit pour essayer d'anéantir les lettrés ; cepen- dant, c'est à ce ministre que l'on doit les caractères chinois encore en usage, et qui portent son nom. Le terrible édit ne fut point exécuté dans toute sa rigueur ; car, si les livres historiques parlant des anciens empereurs furent condamnés sans pitié, ceux qui traitaient de l'agricul- ture, de la littérature et des arts furent en partie épargnés. Les plus précieux ouvrages purent être con- servés, grâce au dévouement de quelques courageux lettrés. L'histoire nous a transmis le nom du plus cé- lèbre, Fou-cheng, qui cacha dans un des murs de sa propre maison les livres sacrés et les classiques. C'était risquer sa vie, car les ordres de l'empereur étaient formels. Sa mai- son fut détruite, son village réduit en cendres ; mais à la mort du tyran, Fou-cheng revint et eut le bonheur de retrouver dans les décombres les inappréciables écrits que son zèle avait sauvés de la ruine. Il mourut dans un âge très avancé, et sa mé- moire est restée en vénération. Les petites principautés du nord- est de la Chine, d'abord feudataires des Tcheou, s'étaient, vers la fin de cette dynastie, constitués en royau- mes indépendants. Pour se protéger contre les incursions des Tartares, leurs rois avaient élevé des murailles d'une étendue assez considérable. Vers l'an 303, le roi de Ts'in en construisit une au nord de la pro- vince actuelle du Chen-si ; les rois de Tchao et de Yen (Péking) en bâtirent une autre au nord du Chan-si et du Pé-tché-ly ; mais toutes ces fortifications n'étaient que des murs ordinaires déjà fort endommagés après un siècle d'existence. Il était réservé à Ts'in-c/w-hoang da répa- i:i HO rG. 1 lUAN-SIAO-T'AN.) DYNASTIE DES TS'IN. 45 rer, de reconstruire et de réunir toutes ces murailles. Ce travail est un des plus gigantesques qui aient été exécutés par l'homme, et laisse, bien loin derrière lui les fameuses pyramides d'Egypte. C'est la 33e année de son règne, l'an 214, que Ts'm- che-hoang donna l'ordre" de construire cette Grande Muraille, telle qu'on la voit indiquée sur les cartes géographiques et que les Chinois appellent « la muraille de 10,000 li, ouan-li-tch 'ang tciïeng. •> Le général Moung-t'ien, après avoir refoulé les Tartares dans le nord et soumis toute la Chine, à la tête d'une armée de 300,000 hommes, fut chargé de diriger la construction de la Grande Muraille et de maintenir l'ordre parmi les travailleurs. Plusieursmillionsd'hom- mes de toutes les provinces furent em- ployés, et quatre cent mille, dit-on, y périrent ! Ni l'empereur Tsin-che-koang, ni son successeur ne virent la fin des travaux, qui durèrent dix ans. La muraille fut terminée l'an 205, au temps du rebelle TcJi ou-pa-ouang ; mais toute la gloire de cette immense entreprise revient au grand monarque, fondateurdeladynastie. D'après les livres chinois, « la hauteur de cette grande muraille était de vingt- cinq à trente pieds, son épaisseur de vingt pieds, et six cavaliers pouvaient y marcher de front. Les tours, dequarante pieds d'élévation, n'étaient éloignées l'une de l'au- tre que d'un jet d'arc, c'est-à-dire d'environ cent pieds. Les maté- riaux employés, lapierre de taille et la brique, étaient si bien joints entre eux qu'on n'aurait pu enfoncer un clou dans les interstices. Des portes de fer, surmon- tées de fortins, fer- maient les principaux passages ; l'extrémité orientale entrait assez avant dans la mer, où l'on avait coulé d'énormes vaisseaux pour servir de pilotis. » On peut suivre, presque sans la perdre de vue, la Grande Muraille depuis Tchang- kia-k'eou (Kalgan) au nord-ouest de Péking, jusqu'à Chan-haè-kouan, point extrême de l'est. A dix lieues de Pékino-, vers le nord, on rencontre la ville ou plutôt la passe de LE LETTRÉ FOU-CHENG. 46 PEKING. Nan-Ice 'OU les fortins de la , I [EN, i IUAN I ! k'eou, la muraille redevient magnifique première enceinte commencent en cet endroit. La véritable muraille est à Kalgfan, et celle de Nan-k'eott ne fut construite que pour renforcer le passage, A environ sept kilomètres de Nan- k'eou, au village de Kiu-young-kouan, se trouve une superbe porte ; c'est un des plus beaux monuments en ce gen- re. Cette porte, qui remonte à la plus haute antiquité, est hexagonale et toute en marbre blanc merveilleuse- ment sculpté ; elletest ornée de statues en demi-bosse, finement ouvragées, et d'inscriptions en plusieurs langues ; il en est souvent question dans l'histoire de la Chine. Presque toutes les inva- sions se sont faites par cette ouverture, et le grand Gengiskan lui-même l'a traversée ; la muraille suit de chaque côté la crête des montagnes. Un peu plus loin, on rencontre une seconde fortification, puis le village de Tclia-tao où. finit la passe proprement dite. Après avoir traversé Hoc-lac-sicn et plusieurs autres villes importantes, on arrive enfin à Sueu-hoa-fou, grande préfecture qui fut témoin de bien des combats entre les Chinois et les Tartares. A Kalgan, 25 kilomètres plus au nord, la porte n'est pas en fer, mais elle est encore belle et solide. Au sortir de la ville, la Grande Muraille, quoique beaucoup moins soignée, continue vers l'est et vers l'ouest ; il était du reste inutile de la construire aussi massive que dans les passes. On la voit en effet serpenter sur des sommets presque à pic, dont quelques-uns ont de sept à huit cents mètres d'altitude et sont par eux-mêmes infranchissables. La mu- raille disparaît parfois dans les endroits les plus abrupts, mais ils sont toujours couronnés par des forts, dont quelques- uns, se détachant même de la ligne principale, semblent avoir plutôt servi de tours à signaux que de moyens de défense. A la passe du nord, appelée Kou-pc- ce n'est plus un simple mur, mais une DYNASTIE DES TS'IN. 47 véritable fortification très bien comprise. Xous en trouvons les mesures exactes VUE DE LA GRANDE MURAILLE. dans Macartney (t. ni, pp. 226 et suiv.) : « Le corps de cette muraille est une '••' >"'; " rnrr< '" • < ■ CARAVANE MONGOLE SE RENDANT A PEKIN*',. élévation de terre retenue de chaque côté par un mur de maçonnerie et recouverte 48 PEKING. d'une plate-forme en briques carrées ; les murs de côté, continuant à s'élever au- dessus de la plate-forme, servent de parapets. Hauteur totale du mur : vingt-cinq pieds, non compris deux pieds de pierres de taille servant de base. Epaisseur de chaque mur : cinq pieds à la base, un et demi au sommet ; épaisseur totale de la muraille : à la base vingt-cinq pieds, au sommet quinze pieds et demi. Les tours sont éloignées de cent pas l'une de l'autre environ ; elles ont quarante pieds de côté à a base et trente au sommet ; leur hauteur est de trente-sept pieds et demi, et elles avancent de dix-huit pieds en dehors de la muraille, du côté de la Tartarie. Quelques-unes ont un étage et sont plus élevées que les précédentes d'environ dix pieds. Les pierres employées ont un pied d'épaisseur, et les briques trois pouces trois quarts, sur un pied trente de long et sept et demi de large. » On arrive au sommet du mur par des escaliers à pente rapide, maintenant re- couverts de débris et de plantes sauvages ; il faut parfois s'aider des pieds et des mains pour les gravir. De Koîi-pc-Iceou à Chan-haè-kouan, troi- sième passe de l'est, la Grande Muraille con- tinue son tracé sur les montagnes ; souvent elle est doublée de pe- tites places de guerre et de fortins, surtout près de Young-p" hig- fou. Ce redoublement de forces a été néces- sité sans doute par les incursions si fréquentes desTartares orientaux. A l'approche de Chan-hac-kouan, la muraille prend de nouveau les plus grandes proportions ; elle est toute en pierres de taille fort bien travaillées, et entre réellement dans la mer jusqu'à huit ou dix mètres. Comme en ces parages l'eau est très claire, on voit distinctement dans le fond les énormes assises sur lesquelles elle reposait jadis. A l'origine, la Grande Muraille devait se prolonger encore à cent mètres au moins, HAN-KAO-TSOU. DYNASTIE DES TSTN. 49 mais on comprend que depuis deux mille ans, le temps et les marées l'aient peu à peu rougée. La grande porte qui donne accès en Mantchourie est surmontée d'une pagode ; il est de règle de ne la traverser qu'à pied, par respect pour l'inscription impériale que K'ien-lounç y a fait placer. On s'étonnera peut-être d'apprendre que Marco-Polo n'ait point parlé de la Grande Muraille. Voici une explication de son silence: « La bibliothèque de Venise possède une copie de la route suivie par Marco-Polo, d'après laquelle il aurait pris tchang-k'ien. le chemin des caravanes jusqu'à Samarkande et Kachgar ; puis, tournant au sud-est, il aurait traversé le Bengale, le Thibet, le Ckcn-si, le C/tau-si, et serait arrivé par le sud à Kambalick. » (macartney, t. m, p. 220.) Dans ce cas, il ne serait point venu à Péking par le nord, et, employé pendant toute sa vie dans les provinces du sud, il aurait jugé peu intéressant de parler de la Grande Muraille, que l'unification de la Tartarie et de la Chine en un seul royaume, sous Koubilaïkan, avait rendue inutile. Tsin-che-hoang termina son règne par un dernier acte de cruauté ; il fit mettre à mort son propre fils, Fou-fou; enfin lui-même mourut. On l'enterra sur la montagne Lichan; un grand nombre de femmes, d'enfants, de serviteurs, d'amis, furent immolés sur son tombeau ! Péking. * 50 PEK1NG. Eulche-hoang-ti lui succéda ; c'était un prince faible et sanguinaire, subissant l'influence d'un'détestable eunuque nommé Tchao-kao ; à son instigation il fit empoi- sonner le vaillant général Moung-ficn et son frère Moung-y. Lisse, premier ministre de Ts'in-che-hoang, tomba lui-même en disgrâce ; accusé, jugé et condamné par Tckao, il fut, en sa présence, coupé en morceaux. Devenu tout-puissant, Tchao aouve'rna si mal, que les révoltes éclatèrent de toutes parts. L'empereur se donna fa mort et Tse-iin, petit-fils de Tsin-che-hoang, étant monté sur le trône, tua de sa propre main l'infâme Tchao-kao. Il ne put cependant résister aux rebelles com- mandes par Tch'ou-pa-ouang, général du petit royaume de Tch'ou ; la capitale des Ts'in fut pillée et brûlée ; le vainqueur fit mourir l'empereur Tse-iin et jeta au vent les cendres de Tsin-che-hoang. Après cinq années de guerres, vaincu à son tour par Léou-pang, roi de Han, il se coupa la gorge (202). II Lêou-tang prit le litre d'empereur, sous le nom de Han-kao-tson. Par sa sagesse il rendit en peu de temps la paix à l'empire, et son règne paternel fit bientôt oublier la férocité du tyran Tsin-che-hoang ; ses successeurs rapportèrent les édits contre les livres et les lettrés ; une bibliothèque impériale fut fondée et l'étude des anciens remise en honneur. Après plusieurs expéditions heureuses, les provinces occidentales se soumirent à l'empire, qui fut pacifié et retrouva sa première splendeur. Nous lisons dans les annales des Han, que l'empereur Ou-ti, l'an 138 av. J.-C, envoya TcJiang-k ' ien dans un pays nommé Yuc-ti, situé à l'Orient de la Chine ; mais ce général, fait prisonnier par les Huns, resta dix ans en captivité. Etant par- venu à s'échapper, il visita Ta-sia, le Tokarestan, traversa le Thibet et revint en Chine, l'an 126. Il exposa devant l'empereur Ou-ti le résultat de ses voyages, et nomma plus de dix royaumes occidentaux visités par lui. Reparti en 122, à la tête de forces considérables, il soumit l'empire des Huns, la Boucharie, la Bactriane et tout le pays baigné par l'Oxus ; il mourut peu après son retour, couvert de gloire et comblé d'honneurs. La vigne, au témoignage de Strabon, se trouvait en abondance dans l'Afganistan, et c'est Tchang-kHen qui l'introduisit en Chine. SOU-OU (Son-/se-/cing). — Parmi les hommes d'État qui vivaient du temps des 1 fan, le plus célèbre est sans contredit Soutse-king, plus connu sou le nom de Sou- ou. L'empereur Siao-onti le nomma ambassadeur chez les Tartares orientaux qui, vers la 100e année avant notre ère, faisaient de fréquentes incursions dans les pro- vinces du nord de l'empire. Le roi des Tartares lui fit les plus belles promesses s'il voulait trahir son maître et le menaça des plus cruels traitements s'il lui restait fidèle. Son-ou répondit : « Je ne crains pas la mort, mais le déshonneur ; » puis, tirant son sabre, il voulut se tuer dans la crainte de faillir ; sa blessure n'étant pas mortelle, on le condamna à mourir de faim ; il fut descendu au fond d'un puits, couvert de quelques haillons et tenant un bâton de commandement, mis dans sa main par dérision. Les Annales de la Chine racontent qu'il mangea ses vêtements, effilés et mêlés avec la neige qui tom- bait sur lui. Cette triste nourriture le soutint plus longtemps qu'on ne le croyait : le roi, voyant qu'il ne mourait pas, le regarda comme un homme extraordinaire et le fit tirer de son puits. A de nouvelles propositions, il répondit courageusement : « Jamais je n'aurai d'autre maître que l'empereur de la Chine. » Il fut alors exilé au bord de la mer pour y garder les troupeaux. Cependant l'empereur ne l'avait pas oublié ; il DYNASTIE DES HAN. 51 le redemanda par une ambassade, et sur le refus insolent des Tartares, il fit mar- cher contre eux une armée commandée par le général Li-kouang-li, qui mit en déroute les troupes tartares ayant à leur tête le roi TcJiung-yu lui-même. C'est dans cette guerre que le général chinois Li-ling passa à l'ennemi. Quant à Sou-ou, il demeura fidèle jusqu à la fin et fut sauvé par l'empereur Tchaoti, successeur de Siao- ou-ti, qui parvint à l'arracher aux Tartares. Après dix-neuf ans d'exil et de souffrances, Sou-ou rentra enChine comme un triomphateur; il fut reçu dans la capitale au milieu des acclamations de tout le peu- ple, et l'empereur l'éleva à la dignité de prince. Il mourut à l'âge de So ans, vers l'année 60 avant notre ère. SSE-MA-TS'IEX. — Ce grand historien que les Chi- noisnomment encorele «père de l'histoire», naquit dans la ville de Loting-mcn. Son père Sse-ma-t'an fut célèbre lui- même par ses recherches his- toriques, et sous sa direction, Sse-iiia-ts ' len se livra dès son jeune âge à l'étude de la lit- térature. Lorsqu'il eut vingt ans, il commença ses voyages de recherches au nord et au midi de la Chine ; il visita les monuments et les travaux exécutés jadis par le grand i u, releva les inscriptions, les dates, et réunit tous les matériaux pour la recons- truction de l'histoire depuis Hoang-ti. Le général Li-ling qui, comme nous venons de le dire, avaittrahi l'empereur, était un des amis de Sse-ma- tsien, qui seul eut le courage de le défendre, et qui fut condamné à mort, comme impliqué dans sa trahison. On lui fit grâce à cause de ses mérites, mais il dut subir un supplice infamant, et alla cacher son humiliation dans la solitude, où il écrivit sa grande Histoire. L'empereur, dans la suite, le rappela à la cour, le combla d'honneurs et le nomma Tchoung-chou- ling, c'est-à-dire Inspecteur général des lettrés. Il mourut dans un âge très avancé. PAX-TCHAO (Pan ouée-pan). — Peu après Sse-ma-tsien parut un autre histo- SOU-OU. (MÉMOIRES.) PEKING. rien remarquable nommé Pan-koii, qui fut l'historiographe des Han ; il revisa et compléta les annales de Sse-ma-tsien et fit aussi plusieurs ouvrages que sa sœur Pan-tchao présenta elle-même à l'empereur. Pan-tchao naquit à Fou- foug- sien dans la province de Chen-si, du temps de l'empereur Ho-ti. Sa famille avait donné à l'Etat plusieurs hommes remarquables, et son père fit lui-même l'éducation de sa fille. Pendant qu'elle se livrait au travail manuel, elle écoutait les le- çons données à ses frères, et devint bientôt capable d'ex- pliquer elle-même les pas- sages les plus difficiles des livresclassiques.Déjàcélèbre, elle reçut le nom de Tchao, qui signifie splendeur ; on lui donnaencore plusieurs autres noms honorifiques. Mariée à l'âge de quatorze ans, son mari,qui était mandarin, n'eut qu'à se louer de sa conduite; elle fut le modèle des épou- ses et des mères ; lorsqu'il mourut, Pan-oudcpan le pleura, selon l'usage, puis se retira chez son frère Pan-kou qu'elle aida dans ses travaux et ses recherches. Peu après, ce dernier fut compromis dans une rébellion, et mourut misérablement en prison. Sa sœur acheva ses ouvrages, les publia en lui laissant toute la gloire ; elle acquit elle- même une grande célébrité par son livre sur les « De- voirs de la femme ». Après la publication del'histoiredes Han, l'empereur fut si satis- fait qu'ûnomma. Pan-o?ide-pa7i dame d'honneur de l'impé- et PAN- rCHAi '. (POUO-MÉI-T'OU.) ratrice, qui l'appela Ta-sia (grande dame). Sa modestie était égale à sa capacité, et malgré les faveurs impériales, personne ne lui porta envie ; toujours prête à s'effacer pour faire briller ses compagnes, elle se fit aimer de toute la cour, qui se transforma en une petite académie littéraire, Pan-tchao a sa place marquée parmi les lettrés, et le souvenir de ses vertus privées est resté ineffaçable. Elle mourut à l'âge de 70 ans ; les poètes de l'époque célébrèrent ses louanges ; le P. Amyot lui a consacré une longue notice en donnant l'analyse de ses ouvrages dans le 3' volume des Mémoires sur les Chinois. DYNASTIE DES HAN. 53 L III a 2e année de l'empereur Han-ngaè-ti, le Sauveur du monde naquit à Bethléem, de la Bienheureuse Vierge Marie. Tous les peuples de l'univers attendaient sa venue. Ses apôtres furent envoyés pour prêcher au monde la vraie foi, et, selon la tra- dition, saint Thomas reçut en par- tage l'Inde et la Chine. Que cet apôtre soit allé dans les Indes, nul ne saurait en douter, car le fait est mentionné dans tous les martyrologes. Les missionnaires do- minicains, traversant ce pays pour aller en Tartarie, écrivaient : « En ce royaume de l'Inde, prêcha la foy Monseigneur saint Thomas, qui convertit à Dieu moult de princes. » (histoire du grand caan.) Marco- Polo en parle aussi dans sa relation ; enfin, son tombeau a été découvert à Méliapour en i 54S ; une croix et une inscription y étaient gravées. D'après l'explication d'un brahme instruit, faite en langue malabarique, voici le sens de cette inscription, donné par le P. Lucenas : € Trente ans après la publication de la loi chrétienne dans toutes les parties de l'univers, saint Thomas, apôtre, mourut à Méliapor, le 21e jour de décembre, après avoir fait connaitre Dieu à tous ces peuples, les avoir fait changer de religion et avoir détruit par conséquent le démon. Dieu est né de la Vierge Marie ; il a vécu trente ans sous son obéis- sance, quoique Djeu sans fin. Ce Dieu enseigna la loi à douze de ses apôtres, dont l'un d'eux est venu à Méliapor, portant un bâton à la main. Le roi de Méliapor, de Coro- mandel et de Pandore, comme aussi plusieurs autres princes, embrassè- rent sa doctrine, après qu'ils eurent vu un prodige surprenant. Le temps vint enfin qu'un brahmane rougit ses mains dans le sang de saint Thomas, et que, par une cruauté inouïe, il versa le sang de l'innocent, lequel servit à cet apôtre de L'EMPEREUR XGAE-TI. 54 PEKING. matière pour for- mer de sa propre main une croix, laquellerestapar- faitement gravée de la façon qu'on la voit encore. » Mais S. Tho- mas est-il venu en Chine ? Il est certain que ce grandapôtrea pu facilement y pé- nétrer. Comme nous l'avons vu précédemment, lesjuifs, plusieurs siècles avant no- tre ère, étaient arrivés jusqu'en Chine ; la route étaittracée. L'his- torien Sse - ma- ts' icn parle de vaisseaux étran- gersabordant sur les côtes de Chi- ne. Enfin, des ca- ravanes organi- sées pour le com- merce, mettaient depuislongtemps déjà ce pays en relations avec l'Occident. Les apôtres ne pou- vaient se désinté- resser de ces im- menses contrées de l'Orient déjà connues. Du res- te, nous avons plusieurspreuves de la mission de saint Thomas en Chine. On lit en effet dans le Bré- viaire chaldéen : « L'erreur de l'idolâtrie a été chassée de l'Inde par le moyen de saint Thomas. — STATUE DE I \ MO. PORI E] AINE FLAMBÉE, K'IEN-LOUNG. (PÉ T'ANG.) DYNASTIE DES HAN. 55 Les Chinois et les Éthiopiens ont été convertis par saint Thomas. — Le royaume des deux a volé et est descendu aux Chinois par le moyen de saint Thomas. » De plus, les canons synodaux du patriarche Théodose parlent de la Chine comme province dépendante du métropolitain qui signait « Métropolitain de l'Inde et de la Chine ». Nicéphore dit même que non seulement saint Thomas, mais saint Philippe et saint Barthélemi ont prêché l'Evangile jusqu'en Tartarie. Nous lisons dans Kircher : « La foi de Jésus-Christ a été donc premièrement établie dans ces royaumes (Inde, Arménie, Géorgie) par les apôtres saint Thomas, saint Philippe et saint Barthélemi, puis portée dans ies autres États de l'Orient par les successeurs des mêmes apôtres. Depuis, l'an du salut 400, les sectes hérétiques pervertirent la Tartarie asiatique ; mais quoique la véritable foi de Jksus-Chkist ait souvent été altérée, elle a néanmoins toujours persévéré dans la Tartarie orientale. » (chine illustrée, p. 124.) Il parait donc certain que saint Thomas lui-même, ou pour le moins ses premiers disciples, évangélisèrent la Chine. Il ne faudrait pas confondre la mission de saint Thomas du Ier siècle avec celle du 2Se patriarche bouddhiste, nommé Bodhidharma ou Dharmarâja, et appelé comme lui par les Chinois Ta-mo ou To-iuo. « Le premier apôtre du Bouddhisme en Chine, dit Pautier, est Dharma ; il était fils de Saing-yu, roi de l'Inde méridionale. En 520 de notre ère, il vint en Chine par le sud et la voie de mer, puis il s'attacha à un temple nommé Choa-ling-sse. Bodhi- dharma, arrivé à Nanking, vit l'empereur Ou-ti, des Léang, puis passa à Lo-yang, dans le royaume des Ouée. On le représente généralement avec une figure noirâtre et une barbe frisée, revêtu d'un manteau qui lui couvre la tête, tenant en main un roseau auquel il a suspendu une sandale, et marchant sur les eaux ; les Chinois nom- ment cette image : Ta-mokouo-kiang, c'est-à-dire Ta/no traversant les eaux. » Dharma appartient donc au VIe siècle et n'a aucun rapport avec notre Ta-mo ou To-mo (saint Thomas). Peut-être les historiens chinois, en mémoire du premier Ta-mo, apôtre du christianisme venu au Ier siècle, ont-ils donné son nom à l'apôtre du Bouddhisme venu au VIe ? Nous laissons à la critique le soin de répondre. Vers la fin de la dynastie des Han, les eunuques furent admis au palais et com- mencèrent à faire sentir leur funeste influence. Encouragés par la faiblesse des empereurs, quelques princes s'affranchirent, et peu à peu des royaumes indépendants se formèrent ; celui des Ouée engloba dans ses possessions tout le nord de la Chine, la province de Pc'-tche-ly et sa capitale. — ■ Avec Siang-ii finit la dynastie des Han. qui avait occupé le trône de Chine pendant quatre siècles (220). t. LES PETITES DYNASTIES. TCHOU-KO-LÉANG. LES TROIS ROYAUMES. SOU- JO- LAN. l'eMPE- REUR OU-TSOUNG. CHOIX DE FER DU K1ANG-SI ET AUTRES MONUMENTS. II. DYNASTIE DES TANG : KAO-TSOU. INSCRIPTION DE SI-NGAN-FOU. t'aÈ-TSOUNG. LE P. SÉMÉDO. kouo-tse-i. — 1 1 1. l'impératrice ou-tse-t'ien. han-iu. li-t'aè-pè. TOU-FOU.LÉOU. TSOUNG-YUEN. MOUNG-HAO-JAN. IV. DYNASTIE DES SOUNG : SOU-CHE. NGO-YANG- SIOU. SSE-MA-KOUANG. TCHOU-SL — V. DYNASTIES DES LÉAO ET DES KIN. CHOU-KO-LÉANG, aussi habile ministre que vaillant général, était né à Léang-iè. Il vivait vers la fin de la dynastie des Han, peu de temps avant l'établissement des trois royaumes. Malgré son dévouement, il ne put sauver cette dynastie, que l'incapacité des derniers empereurs avait perdue. A cette époque, un autre général nommé Tsaotsao se rendit indépendant ; à sa mort, qui arriva l'an 220, son fils Tsao-pi lui succéda et fonda dans le nord. le royaume de Ouée. Au Kiaug-si, un autre prétendant forma le royaume de Ou, et les descendants des Han, grâce à Tchou-ko-léang, conservèrent le SsrU//'ouan, qui devint le royaume de Cnou : c'est ce que l'on entend parles « trois royaumes ». Tchou-ko-léang n'avait point cependant perdu l'espoir de reconquérir toute la Chine au profit des Han ; il réunit une armée formidable et mar- \cha contre les troupes des Ouée commandées par Sse-ma-î. Malgré sa vaillance, il fut vaincu et ne survécut que peu de temps à sa défaite ; il mourut en l'année 234, emportant l'estime et l'admiration des ennemis mêmes qu'il avait eu à combattre. Sse-ma-i, continuant ses victoires, finit par réunir les trois royaumes sous sa domi- nation, et, lorsqu'il mourut en 251, il laissa le trône à son petit-fils Sse-ma-ien, qui prit le nom de Tsin-ou-ti et fonda la dynastie des Tsin, Tant que leur capitale fut LES PETITES DYNASTIES. 57 Si-vgan-fou, on les nomma Tsin occidentaux ; puis, lorsqu'ils l'eurent fixée dans le Ho-nan, on les appela Tsin orientaux. — Pendant toute cette époque, des guerres sans fin désolèrent la Chine, guerres et combats qui donnèrent naissance à des romans de chevalerie, dont les récits mêlés de merveilleux passionnent encore aujourd'hui le peuple chinois. On ne saurait passer sous silence une femme très vertueuse qui, vers ce temps-là, se rendit célèbre par sa piété conjugale. Elle s'appelait Sou koui, et son petit nom ètahSou-j'o-/an. Teou- tao, son mari, accusé près de l'empereur de ne pas bien remplir son office de manda- rin, fut condamné à l'exil et envoyé dans le désert de Cha-mo. Alors, Sou-jo-lan for- ma le projet de faire parvenir au souverain 1 expressionde sadou- leur. Elle tissa une magnifique pièce de soie, sur laquelle elle broda une poésie dont les vers exprimaient, en termes touchants, la tristesse et la déso- lation de son cœur. Ce bel ouvrage fut présenté à l'empereur qui ne put, en le voyant.retenir ses lar- mes, et fit aussitôt rappeler de l'exil le mari de Sou-jo-lan. Depuis l'année 58 avant Jésus-Christ, les Japonais payaient à la Chine un tribut annuel ; mais, voyant laguerrecivile désoler l'empire, et profitant de la division des forces chinoises au temps des trois royaumes, ils envahirent la Corée et s'en rendirent maîtres. En 238 après Jésus-Christ, la reine du Japon Pc-mi-hou fit un traité avec le roi des Oiu'e : les faits accomplis furent reconnus, et pendant plusieurs siècles la paix entre les deux peuples ne fut pas troublée. Ces petites dynasties nous ont laissé des Annales, des écrivains célèbres, des monuments même qui nous permettent d'affirmer que la vraie religion, prêchée au Ier siècle, ne s'éteignit pas dans la suite, car les relations avec l'empire romain étaient fréquentes ; citons quelques passages. TCHOU-KO-LÉANG. 58 PEKING. On lit dans du Halde (t. ni, p. 66) : « Le fameux Kouang-yang-ichang, qui vivait au commencement du IIe siècle, connaissait certainement Jésus-Christ, comme en font foi les monuments écrits de sa main et gravés ensuite sur la pierre. On en a tiré des copies qui sont répandues de tous côtés, mais qu'il est impos- sible d'expliquer si l'on n'est pas chrétien, parce que Kouang yang- tchang y parle de la naissance du Sauveur dans une grotte exposée à tous les vents ; de sa mort, de sa résurrection, de son ascension et desvestiges de ses pieds sacrés; mystères qui sont autant d'énig- mes pour les infidèles. » L'auteur ne nous dit pas où il a trouvé ces précieux documents, mais il est impossible de supposer que du Halde ait affirmé si fortement un fait de cette importance sans en avoir en mains toutes les preuves. Ouang-kia, qui vivait en l'année 265, est l'auteur du Che-y-ki, où nous trouvons ce passage : « A la naissance de Confucius, le Ciel fit descendre la mélodieuse musique céleste et dans les airs une voix disait: Le Ciel tressaille et engen- dre un fils saint ; c'est pourquoi se font entendre les sons harmo- nieux des flûtes et des cloches, musique bien différente de celle de la terre...; cinq vieillards se rangent autour de son apparte- ment et cinq étoiles sont descen- dues sur sa maison...» Ces détails sont presque copiés dans le Nou- veauTestament et s'appliqueraient bien mieux à la naissance du Sauveur qu'à celle de Confucius. Evidemment Ouang-kia ne pou- vait les tenir des Juifs; aurait-il donc connu la religion chrétienne? L'empire romain est désigné dans les Annales par trois déno- minations différentes : Li kien, Ta-tsin et Foulïn, ce dernier nom s'appliquant plus spécialement à Constantinople. Ces Annales ont du reste le soin d'avertir que ces trois pays n'en font qu'un sous le nom général de Ta-ts'in. « Dès l'année 97 après Jésus-Christ, l'empereur Ho-ti envoya son lieutenant Kan-iin comme ambassadeur dans le Ta-tsin. — En 166, I '1 JO-LAN. LES PETITES DYNASTIES. 59 une ambassade vint à la cour, envoyée par Ngan-tou (Antonin), empereur de Ta- is in. — Ta-ts'in, Li-kien et Fou- lin ont pour capitale Ngan-tou ; en partant de l'Arabie, elle est éloignée de io.oco li ; en partant de la Chine, de 40.000 //. — Le royaume de Ta-ts in esta l'ouest ; il est situé entre deux mers, et lorsqu'on est au milieu, on voit la mer de chaque côté. » (annales des Ouc'e et des Hun.) Nous pourrions multiplier ces citations, mais celles-ci suffisent pour démontrer que les Chinois avaient de fréquentsrapportsavec l'Occident, connaissaient l'empire romain, l'Italie, voire même la ville de Rome. Examinons maintenant quel- ques monuments de ces premiers siècles. Une croix de fer fut découverte au Kiang-si. Elle porte le nom de l'empereur Soun-ou, souverain du royaume de On dont nous avons parlé plus haut, et qui régnait vers l'an 230. Mgr Rouger, Vicaire Apostolique du Kiang-si, nous donne sur ce monument les détails suivants ; sa lettre est du 15 jan- vier 1S86. <£ Nous avons à Ki neau une o belle et grande croix de fer, de la forme dite de Saint-André. Il paraît que cette croix de fer n'est nullement un objet profane, puis- que les écrivains du passé ont célébré les merveilles qu'elle opé- rait jadis, et que les populations l'honorent encore aujourd'hui d'un culte religieux tout particulier, l'appelant Chetsep 'ou-sa (divinité de la croix). On la salue, on lui offre des chandelles, des bâtons odoriférants et le sang d'un coq immolé à ses pieds. L'édifice qui la recouvre lui était primitivement réservé d'une manière exclusive ; elle en occupait le milieu, entourée de sentences poétiques qui sont reproduites de chaque côté de la gravure. Les expressions Ouan- OU-SOUN-TS'UEN. SOUN I I 60 PEKING. min et Sse-haé indiquent, à ne pouvoir s'y méprendre, quelque chose d'universel et non de local seulement. De plus, les trois grandes lettres qui ornent le fronton, Ta-ouang-miao (temple du grand Roi), peuvent fort bien n'être qu'une inscription chrétienne, et désigner le Rex regum ou le Do- minus dominantium de la Sainte Ecriture. Au- trefois on ne s'accordait pas comme depuis les décrets des Souverains Pontifes, pour ne dési- gner le vrai Dieu que par le mot Tientchon (Cœli Dominns). Le fait est que ce Ta- ouang-miao ne semble être la pagode d'aucun « P'ou-sa » connu des Chinois.et ne se trouve dans aucune des no- menclatures, même les plus complètes. N otre Ta - ouang - mia rayant été brûlé au milieu de ce siècle par les rebelles, il ne resta pendant plus de vingt ans que la seule croix de fer en question. Bien que couchée par terre à ciel ouvert, elle n'a pas été privée des hon- neurs qu'on lui rend « ab antiquo ». De nos jours on a rebâti à neuf le Ta-ouang-miao ; il occupe le même empla- cement et porte la mê- me inscription chinoise; seulement à l'intérieur on a placé au milieu un vilain « P'ou-sa », et la croix se trouve relé- guée sur le côté, dans un grand cadre en bois recouvert d'un voile. J'ai voulu faire copier les noms et les dates, mais il m'a été impossible de faire ouvrir le cadre, même à prix d'argent ; c'est à peine si on a voulu laisser prendre les mesures par un de nos élèves en théologie. Les voici : CROIX DE FER Dl , [EN, PRÉFEl fURE DE KI-NGAN-FOU AU KIANG-SI. LES PETITES DYNASTIES. 61 Hauteur totale. ... 4 pieds 5 pouces, < >uverture des bras. . 2 pieds 8 pouces. Largeur de chaque bras. . . 4 pouces. Épaisseur uniforme 4 pouces. Largeur du milieu 6 pouces l/2. Hauteur du milieu. . 1 pied 8 pouces }4. Eloignement des trous: 1 pied 1 pouce. » Dans une seconde lettre écrite peu de temps après, Mgr Rou- ger ajoute : « J'ai interrogé le vieux Père chinois nommé Fan, qui a vu la croix à plusieurs re- prises pendant qu'elle était couchée sur le sol avant la reconstruction du Taouang-miao ; il a parfaitementlulenom de l'empereur Souu ou, mais il lui a été impos- sible de déchiffrer les autres caractères, trop cachés par la rouille et probablement plus pe- tits, comme dans toutes les inscriptions. Cette croix fut découverte sous le règne de l'em- pereur Houng-ou des Ming. Voici la traduc- tion des deux belles sentences qui accom- pagnent la croix : Première : « Les quatre mers (l'Univers) se réjouissent de la tranquillitéobtenue par la croix, qui est comme une colonne de fer et une lumière très pré- cieuse. » Seconde : « Toutes les nations offrent l'en- cens dans un encensoir d'or, chantant leslouan- ges et adorant la croix jusqu'à l'Éternité, pour reconnaître ce très grand bienfait. » Depuis on a trouvé deux autres croix du même genre près de Nan-king ; les uns ont dit : Ce sont des croix ; les autres : Ce sont des ancres, des pièces de charpente, des instruments servant aux écluses. Le P. Louis Gaillard a traité cette question à CROIX DE TSUEN-TCHEOU-FOU AU FOU-KIEN. 62 PEKING. CRI IX DE TSUEN-TCHEOU-FOU. PAGODE CIIOUI-LOU-SSE AU KOU-KIEN. fond, sans oser la ré- soudre, dans une remar- quable brochure intitu- lée«CroixetSwastika» (Shano-hai, 1S93). On y trouvera les plus pré- cieux renseignements, Trois autres croix ont été encore décou- vertes dans la province du Fou-kien, la 23e année de l'empereur Ouan-li, de la dynastie des Ming. La première est en pierre et a la forme de la croix sculp- tée sur le tombeau de saint Thomas à Mélia- pour ; on la trouva près de Nan-ngan-sien, et 1 empereur la fit répa- rer ; selon toutes pro- babilités elle date du IVe ou Ve siècle. — A Tsuai-tcheou-foii, près de la porte Jeu-foung, une seconde croix fut mise au jour dans le voisinage de la pagode Tonng-chan-sse , bâtie par les T'ang au com- mencement du VIe siè- cle ; les chrétiens ont placé cette croix dans leur église. — La troi- sième croix fut décou- verte clans la ville de Tsuen-tcheou-fou, près delà pagode Choni-lou- ssc. Cette croix est en pierre assez grossiè- rement travaillée et remonte, ainsi que la pagode, au commen- cement du VI Ie siècle ; les chrétiens l'ont éga- lement placée dans leur chapelle comme un an- tique patrimoine. Nous parlerons bien- tôtd'un monument plus DYNASTIE DES T'ANG. 63 important, mais nous devons auparavant dire quelques mots sur diverses petites dynasties et sur l'établissement de la grande dynastie des T'ang. II Les Tsin régnèrent de 265 à 419. Après eux, la dynastie des Souug, celle des T'si, des Lcang, des Tch'en et des Soui, n'eurent qu'une existence éphémère. C'est encore, comme précé- demment, une période pleine de troubles et compétitions à main armée. Enfin, fait qui n'est pas rare dans l'histoire de la Chine, un général énergique vint rétablir la paix et la tranquillité dans l'empire. Il s'appelait Li-cJic-min, et était le second fils de Li-yuen, prince de TangopÀ régnait à Si-ngan- fou. Suivant ses conseils, son père se fit proclamer empereur sous le nom de T ' ang-kao-tsou, et bientôt Li-clte-min, par ses talents militaires, lui soumit tous les royaumes indépendants et refoula les Tartares dans le nord. Ainsi fut fondée la grande dynastie des T'atig. Malgré la jalousie de ses frères, qui vou- lurent l'empoisonner ensuite et le faire périr dans un guet- apens où ils trouvèrent eux- mêmes la mort, l'em- pereur nomma Li-che- min prince héritier. 11 lui laissa le pouvoir en l'an 626, et se re- tira dans un palais où il finit ses jours le 25 juin 635. Le nouvel empereur prit les rê- nes du gouvernement sous le nom de T'ang- t'aè-tsoung, et lut un des plus glorieux souverains qui aient jamais gouverné la Chine. Il avait à cœur le bonheur de ses sujets ; protecteur éclairé des lettres, il remit en vigueur l'étude des livres classiques , homme de guerre habile, il donna à ses armées une organisation fort remarquable pour l'époque. En même temps que sa puissance, sa renommée s'étendit au loin, et les royaumes de l'Inde et de l'Occident lui envoyèrent des ambassades. C'est alors aussi qu'arriva d'Europe en Chine la première mission chrétienne bien connue. Le souvenir nous en a été conservé par la célèbre inscription de Si-ngan-fou. Entrons, à son sujet, dans quelques détails. tfPEREUR C'ANG-KAO- CSOU. 64 PEKING. iM riERRE DE SI-NGAN-FOU ÉRIGÉE EN /S2, DÉCOUVERTE EN 1625. LINSCRIPTION, EN 1780 CARACTÈRES CHINOIS, MENTIONNE QUE LA RELIGION CHRÉTIENNE A ÉTÉ APPORTÉE EN CHINE LAN 635. I * Vil D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE ENVOYÉE DE SI-NGAN-FOU. En 1625, des ouvriers, creusant les fondements d'un édifice près de Si-ngan-fou, rencontrèrent une dalle de pierre sur laquelle on avait gravéune inscrip- tion composée de 1780 caractères chinois ; cette ins- cription, surmon- tée d'une croix, portait qu'en 635, sous le règne de T'aè-tsouttg, 2e empereurdelady- nastie des T'ang, des prêtres, ayant pour chef un nom- mé O/ofleu, étaient venus du Tatsin pour prêcher la religion chrétien- ne, dont ils appor- taient les Ecritu- res et les images. Voici quelques passages de cette célèbre inscrip- tion : « Il y a un premier principe intelligent et spi- rituel qui a créé toutes choses de rien ; il est une substance en trois personnes. L'hom- me fut créé avec la justice origi- nelle... le démon le fit succomber... de là viennent tous les maux qui accablent legenre humain. Une des personnes divines s'est cachée sous DYNASTIE DES T'ANG. 65 la forme de l'homme, on l'appelle le Messie ; il naquit d'une vierge ;sa naissance fut annoncée par un ange et marquée par une étoile ; des rois lui offrirent des pré- sents... il monta au ciel; il institua le baptême pour laver les péchés, et se servit de la croix pour sauver tous les hommes. — Ses ministres n'amas- sent pas de richesses ; ils se mortifient et respectent leurs supérieurs ; ils prient chaque jour sept fois pour les morts et pour les vivants ; ils offrent le sacrifice chaque semaine. » Sous le règne de Taè-tsoung, Olopen venant du Ta-tsin arriva en Chine l'an 635. L'empereur envoya à sa rencontre et le fit conduire au palais ; il apportait les Ecritures et les images ; on examina la doctrine, on la trouva vraie et l'empereur fit un décret en sa faveur : « Un homme » du Ta-ts' in, d'une grande vertu, est » venu à notre Cour ; nous avons » examiné sa doctrine avec soin, nous » l'avons trouvée admirable... elle > enseigne la voie du salut et sera » utile au peuple ; il faut la lui faire » connaître. Qu'on bâtisse une église » qui aura vingt et un prêtres pour » la desservir. » » En 651, Kao-tsoung succéda à son père, fit de grands honneurs à Olopen et bâtit des églises au vrai Dieu dans toutes les provinces. Les bonzes excitèrent une grande persé- cution contre les fidèles, mais deux personnes très zélées défendirent la foi, qui reprit son premier éclat et fut affermie par l'empereur lui-même. Il fit mettre dans l'église les tableaux de ses prédécesseurs ; il honora le mis- sionnaire Ki-ko nouvellement arrivé du Ta-ts1 in. L'empereur Sou-tsoung, en 757, bâtit cinq églises, et les em- pereurs suivants affirmèrent dans leurs édits la beauté du christianisme. Le même souverain fit des offrandes aux autels et bâtit des églises... » C'est pour conserver la mémoire de ces grandes actions et pour les faire passer à la postérité, que nous élevons ce monument en l'année 7S2. » A la nouvelle de la découverte de cette précieuse inscription, le P. Sémédo se rendit Péking. T AE-TSOUNG. 66 PEKING. à Si-ngan-fou pour l'examiner, et il en donna la première traduction. Les ennemis de la religion contestèrent d'abord l'authenticité du monument, puis, lorsqu'on l'eut prouvée, ils nièrent qu'il fût catholique ; dans la suite, une opinion se forma, regardant cette pierre comme nestorienne. Cepen- dant le P. Sémédo, et bien d'autres, la tien- nent pour catholique. Des auteurs laïques, et parmi eux M. Da- bry de Thiersant, par- tagent cette opinion. Voici quelques raisons qui militent en sa fa- veur : 1" Dans le texte de l'inscription, aucun mot, aucun indicen'in- diquelenestorianisme. 20 Le Ta-ts'in d'où était envoyé Olopen ne pouvait être que Rome. Les textes des Annales des Ouée et des Hait le démon- trent, et les distances indiquées prouvent bien que le Ta-ts'in n'était pas seulement la Perse. 3° Nous savons par les relations de Plan- Carpin, Rubruquis et autres, que le culte établi en Chine par les nestoriens consis- tait surtoutdans l'ado- ration de la croix. Rubruquis ajoute qu'ayant fait faire un crucifix, les nestoriens furent très irrités con- tre lui. Ils regardaient le Christ sur la croix et les images comme autant de signes idolâtriques. C'est sans doute pour bien distinguer la religion catholique de toute autre religion, que le Souverain-Pontile, dans ses Pulles, recommandait uu.y missionnaires allant en Chine d'emporter les images. Saint Louis, d'après Joinville, en avait fait broder à l'intérieur de la tente devant servir de chapelle qu'il envoyait au Grand Kan. Jean de Montcorvin en I. l'I RE . I.MEDO. DYNASTIE DES T'ANG. 67 faisait peindre dans ses églises de Kambalick. Or, nous lisons sur l'inscription de Si-ngan-fou <\\iOlopen portait les Saintes Écritures et les images ; comment l'aurait-il fait s'il eût été nestorien ? 4° A l'arrivée é'Olofieti à la cour, sa religion fut appelée Po-se-i-kao, et ses églises Po-sc-sse (de la Perse). Quoi- que directement envoyé par le Ta-tsin, il venait en effet de la Perse. Mais, lorsque les nestoriens, de la Perse éga- lement, arrivèrent à la cour, il y eut confusion, et nous lisons dans les An- nales des T'ang que les successeurs d'Olope/i,en l'année 745, présentèrent une pétition à l'empereur Si-ngan- tsonvg pour le prier de changer ce nom amphibologique de Pose en celui de Ta-ts'in, indiquant clairement que leur religion venait de Rome. Lorsque le monument fut érigé, en l'année 782, un grand nombre de noms d'évéques et de prêtres furent gravés dans le bas et sur les côtés, en caractères syriaques, dits cslranghelos. Parmi ces noms, on est surpris de trouver celui de Hanan-Yeshu, qui était alors patriarche nestorien de Ba- bylone. Comment a-t-il été placé là ? Comment éclairer ce mystère et résou- dre cette difficulté ? Espérons que les recherches de la critique en donneront l'explication. KOUO-TSE-I. — La grande dy- nastie des T'ang tut fertile en hommes célèbres, dont le premier fut sans con- tredit Kotio-tse-i. Il naquit à Tchang- sien, dans le province du Ckensi, et parvint par son mérite au grade de ministre d'État et delieutenant général du royaume ; c'était en 754. Dans ses guerres contre les Tartares orientaux, il prit pour lieutenant Li- koangpt,et s'attira ainsi l'amitié de ce général jalouxdesa gloire. Faussement accusé par les eunuques, il fut obligé de quitter son commandement et de revenir à la cour : mais les troupes se mutinèrent et l'empereur dut le remettre à leur tête. Sous l'empereur Teu-tsoung ce fut en réalité Kouo-tse-i qui gouverna la Chine. Il mourut l'an 7S3, et tout l'empire porta le deuil de sa mort pendant trois ans. D'après KOL'u- . 68 PEKING. l'inscription de Si-ngan-fou,ï\ éleva des églises au vrai Dieu, et eut pour conseiller un prêtre nommé Y-sse. Ce fut un des hommes les plus vertueux et les plus capables de la dynastie des T'ang. III L'empereur T ae-isounga.va.it trois femmes : la première, Tchang-soung-che, était très vertueuse ; la seconde, Ou-t'se-t'ien, était cruelle, ambitieuse, vindicative; troisième, femme de lettres, se nommait Sin-hoée. Vers la fin de son règne, célèbre à tous égards, il fit la conquête du Léao-toung, et soumit les Coréens révoltés. Il mourut, Igé de cinquante-trois ans seulement, l'an 649, et laissa le trône à son fils CROIX SCULPTEE AU SOMMET DE LA PIERRE DE SI-NGAN-FOU. TYPE EXACT DE WILLIAMSON, YULE. (L. Gaillard.) Kao-tsoung. Nous lisons dans l'histoire, que ce nouvel empereur installa le premier établissement de bonzesses (Ni-ko7i) dont il soit parlé dans les Annales de la Chine. L'impératrice Ou-tse-t'ien ne tarda pas à dominer le nouvel empereur ; elle-même était sous l'influence d'un nommé Ko S) a Q a> _^-> Z2S£^ Qf3 © 6d I^TnjxrLrinnjxnjxnji ji jT-TLnji .a a "HSTJ-LTLTLTLru ijxfMxuiiLTLriru h ^ \ — : o '&&' 'nnnnnjiTirurnnnjxruiJiruvin^^ù £3 /Si. -^ Ê. â q Œ CARTE DE KARAK.OROUM, D'APRES LES CHINOIS. forcé à bon droit de Nous étonner profondément que vous, comme Nous l'avons appris, après avoir envahi beaucoup de pays chrétiens et autres, vous les ayez dévastés et horriblement désolés, et que maintenant encore, ne mettant aucun frein à votre fureur, vous ne cessiez d'étendre plus loin les ravages de vos mains, et que sans respect pour le lien naturel qui unit les hommes, sans égard pour le sexe ni pour l'âge, vous les passiez tous indistinctement au fil de votre glaive. » C'est le 1 6 avril, jour de Pâques de la même année 1245, que Jean de Plan-Carpin DYNASTIE DESYUEN. 87 et Etienne de Bohême partirent de Lyon. Ils traversèrent l'Allemagne, la Bohême, la Pologne où un troisième Franciscain, Benoît de Pologne, se joignit à eux pour leur servir d'interprète, et arrivèrent à Kiew, métropole de la Russie. Le chef tartare qui commandait en cette ville leur fournit des chevaux et des guides ; mais après six journées de chemin, Etienne de Bohême tomba malade et dut s'arrêter. Les deux autres religieux continuèrent leur route à travers des pays dévastés et incultes. Le chef tartare de Kaniew leur fit donner des montures et ils arrivèrent à une autre ville où commandait un général alain nommé Michéas, plein de malice et de fourberie. Il suscita aux deux religieux toutes sortes de difficultés, qu'ils aplanirent par des présents. Partis avec lui le lundi de la Ouinquagésime, ils arrivèrent le ven- dredi suivant au premier campement des Tartares. Le lendemain matin, comme ils étaient déjà en route, les principaux chefs accoururent au-devant d'eux pour s'en- quérir du but de leur mission. « Nous venons, dirent-ils, de la part du Seigneur et du Père des chrétiens, pour vous exhorter tous à l'amitié et à la paix avec eux ; nous venons vous apporter la foi en Jésus-Christ pour le salut de vos âmes ; cessez d'of- fenser Dieu et faites pénitence du carnage que vous avez fait de tant de peuples. — Nous ayant ainsi entendus, ils nous donnèrent des chevaux et des guides pour nous conduire vers Corenza, et aussitôt ils demandèrent des présents que nous leur fîmes, car il fallait bien accommoder no- tre volonté à la nécessité. » Co- renzaétaitlecom- mandant en chef, au nom de Ba- toukan,de toutes les garnisons de la frontière éche- lonnées sur la rive droite du Dnieper ; il avait, d'après ce qu'on dit au Frère Jean, 60,000 hommes sous ses ordres. « Nous dûmes aussi lui donner des présents pour sauver notre vie et faire réussir l'entreprise de notre Saint-Père le Pape. » Le 26 février, ils reprirent leur route avec trois guides qui devaient les conduire le plus rapidement possible auprès de Batou. « Nous marchions du matin jusqu'au soir, et très souvent pendant la nuit en trottant avec toute la vitesse de nos chevaux, dont nous changions trois ou quatre fois par jour. » Enfin, le Mercredi-Saint, 4 avril, ils arrivèrent auprès de Batoukan, qui comman- dait sur le Volo-a ; Batoukan était l'aîné des princes gengiskanides et le plus puissant après le grand Kan. On conduisit les deux religieux à sa cour quasi impériale, et on les avertit de veiller avec le plus grand soin à ne pas heurter du pied le seuil de la tente, présage de si mauvais augure, qu'il entraînait la peine de mort. « Après être entrés, nous fléchîmes les genoux, et nous présentâmes la lettre de notre Saint-Père le Pape, en priant qu'on voulût bien la faire traduire par les interprètes. » Le Samedi- Saint, ils furent appelés près de Batou et on leur dit de sa part qu'ils devaient se rendre auprès du grand Kan. Le jour de la Résurrection du Seigneur, après avoir dit l'office et pris un peu de nourriture, nous repartîmes en pleurant beaucoup, car nous ne savions si nous allions à la vie ou à la mort. Nous étions tellement malades que nous avions grand'peine à nous tenir à cheval. Pendant tout ce carême, et aussi TENTES MONGOLES 88 PEKING. les jours de jeûne, notre nourriture avait été du millet cuit à l'eau et au sel, et notre boisson de la neige fondue. Nos membres étaient ligaturés avec des bandelettes afin de mieux endurer les fatigues d'une pareille course. » On avait en effet ordonné aux Tartares qui les conduisaient de les faire arriver avec toute la vitesse possible, pour assister à l'élection de l'empereur. Après avoir quitté le pays des Comans, ils entrè- rent dans celui des Gangues, déserts sans eau, où ils rencontraient parfois des crânes et des ossements humains qui recouvraient la terre « comme du fumier ». Arrivés au pays des Naïmans, il tomba, le jour de la fête des saints Pierre et Paul, une abondante neige et ils eurent grand froid. Enfin, ils atteignirent la région des Mongols, et le 22 juillet, jour de la fête de sainte Madeleine, ils parvenaient auprès du grand Kan. Le futur empereur, informé déjà par Batou, fit héberger les deux Franciscains et pourvoir à leurs dépenses. Après cinq ou six jours de repos, il les envoya au campement de sa mère, où se préparait une assemblée solennelle, pour laquelle on avait élevé une tente de pourpre blanche qui pouvait contenir plus de deux mille personnes. Ce lieu s'appelait Sira-Ordou. Tous les princes tartares et les ambassadeurs, au nombre d'environ quatre mille, s'y rendirent avec des présents de toutes sortes. Les bons religieux, « ainsi que l'exigeait la nécessité », durent se conformer au cérémonial, et revêtirent sur leur robe de bure un costume d'apparat qu'on leur avait prêté, puis ils se rendirent dans la grande tente, où on offrait à boire aux envoyés étrangers, et y acceptèrent un peu d'hydromel. On alla ensuite à trois ou quatre lieues de là, dans une belle vallée sur les bords d'un ruisseau qui coule entre les montagnes; cet endroit, appelé la Horde-d'or, avait été choisi pour l'intronisation de l'empereur. Elle eut lieu le jour de la Saint-Barthélémy, et fut suivie de grandes agapes et copieuses libations. Le trône du grand Kan, placé sur une estrade circu- laire, était en ivoire magnifiquement sculpté et garni d'or et de pierreries. Cet ouvrage avait été exécuté par un orfèvre russe très habile. C'est là que pour la pre- mière fois les deux religieux furent appelés auprès de Kouyoukkan, dans une grande réunion où les ambassadeurs offrirent des présents merveilleux soit par leur nombre, soit par leur richesse.Les deux Franciscains avaient épuisé leurs provisions et durent se présenter les mains vides. L'impératrice Tourakina se retira ensuite d'un côté et l'empereur d'un autre. « Kouyoukkan, dit Plan-Carpin, ayant appris que nous l'avions suivi, nous fit donner ordre de retourner au campement de sa mère. Le lendemain il voulait, en signe de guerre, lever son étendard du côté de l'ouest contre tous les peuples de l'Occident, et il désirait nous le laisser ignorer, mais nous l'apprîmes des témoins eux-mêmes de manière à n'en pouvoir douter. Nous revînmes après quelques jours et nous demeurâmes là un bon mois, ayant à souffrir de la faim et de la soif, car ce qu'on nous donnait pour quatre suffisait à peine pour un. Nous serions peut-être morts sans la charité de l'orfèvre russe, appelé Côme, qui nous montra le trône et le sceau qu il avait faits pour l'empereur, et fut pour nous une véritable providence. Nous connûmes aussi les secrets desseins du grand Kan par les Moscovites et les Hon- grois. Ils parlaient le latin ou le français et, sachant notre intention, ils nous don- naient, sans même que nous eussions besoin de les interroger, tous les renseignements quils pouvaient savoir. » L'empereur prit ensuite connaissance des lettres du Souverain- Pontife, et s'enquit minutieusement auprès des religieux de l'objet de leur mission. Il leur fit donner pour le Pape une réponse que les interprètes leur traduisirent mot à mot le jour de la Saint-Martin. Kouyoukkan, comme il en avait Je désir, leur proposa d'envoyer avec eux des ambassadeurs. Ne voulant pas avoir DYNASTIE DES YUEN. 89 près d'eux des espions qui auraient tout examiné et se seraient rendu compte de la faiblesse des Princes chrétiens alors divisés entre eux, les reli- gieux, en habiles diplomates, refusèrent cette dangereuse compagnie. « Le jour de Saint- Brice, 13 novembre, on nous congédia avec la lettre de l'empereur munie de son sceau, en nous envoyant auprès de l'impéra- trice-mère. Elle nous donna à chacun une pelisse de renard doublée de ouate, et un habit de pourpre, dont nos Tartares nous volèrent un pied de cha- cune; nous le vimes bien, mais nous aimâmes mieux ne rien dire. » La réponse du roi des Tartares, pleine de violence et de fourberie, était rédigée en ces termes : « La force de Dieu, Kouyoukkaii, empereur de tous les hommes, auerand Pape. Vous et tous les peuples chrétiens qui habitent à l'Occi- dent vous nous avez fait trans- mettre par votre envoyé des lettres très certaines etauthen- tiques dans le dessein de faire la paix avec nous. Comme nous l'avons appris de leur bouche et comme les lettres le portent, vous voulez doncavoir / la paix avec nous. Eh bien ! vous, Pape, vous tous, empe- reurs, rois, princes, chefs et gouverneurs, ne tardez plus à vous rendre auprès de moi pour en définir les conditions: vous entendrez notre réponse et saurez notre volonté. Vous dites que nous devrions nous faire baptiser et nous faire chrétiens ; nous vous répon- drons en un mot que nous ne comprenons paspourquoi nous l'empereur kouyoukxan. en agirions ainsi. Vous vous étonnez ensuite des massacres d'hommes que nous avons faits, surtout des chrétiens 90 PEKING. Hongrois, Polonais et Moraves ; nous ne le comprenons pas davantage. Cependant, pour ne pas paraître passer ce point sous silence, nous vous dirons que ces peuples n'avaient pas obéi à la volonté de Dieu et de Gen- giskan, et que, dans un mauvais dessein, ils avaient massacré nos envoyés ; c'est pourquoi Dieu nous a ordonné de les détruire et les a livrés entre nos mains. Et si ce n'était Dieu qui l'eût fait, que peut l'homme contre 1 homme ? Vous, habitants de l'Occident, vous adorez Dieu, vous croyez être les seuls chrétiens et vous méprisez les autres : comment savez-vous à qui il daigne accorder sa protection ? Nous aussi nous adorons Dieu, et c'est avec son secours que nous ravagerons toute la terre, depuis l'Orient jusqu'à l'Occident. Et s'il n'y avait pas un homme qui soit la force de Dieu, qu'auraient pu faire tous les autres hommes ?» — Le voyage de retour fait en hiver fut extrêmement pénible. Les deux Franciscains n'eurent souvent aucun abri et passèrent bien des nuits sur la neige, « à moins que nous ne pussions nous faire un gîte sur la terre avec le pied, car là n'était que cam- pagne rase sans aucun arbre, et souvent le matin nous nous trouvions tout couverts de neige que le vent avait chassée. » Jean de Plan-Carpin arriva à Kiew le 9 juin 1 247, puis enfin à Lyon, où il remit au Pape la lettre de Kouyoukkan. Le siège d'Antivari, métro- pole de la Dalmatie, étant devenu vacant, l'humble Frère Jean fut élevé à la dignité archiépiscopale. A son retour de Tartarie,le Pape l'avait béni et remercié en lui disant ces consolantes paroles de la sainte Écriture : « L'ambassadeur fidèle est, à celui qui l'envoie, comme la fraîcheur de la neige au temps de la moisson ; il réjouit le cœur de son maître. » Jean de Plan-Carpin mourut bientôt après, vers l'âge de 65 ans. III /^OMiiE le pape Innocent IV, le roi de France, saint Louis, se préoccupait gravement de la for- midable invasion qui venait de pénétrer jusqu'au cœur de l'Europe. « Il faut, disait-il, repousser ces Tatars dans le Tartare, dussions-nous tous périr. » Sachant toutefois qu'il y avait parmi ces peuples des chrétiens pour lesquels le grand Kan montrait des dispositions favorables, saint Louis, animé du même zèle que le Pape pour la paix et pour la foi, résolut de lui envoyer aussi des missionnaires. André de Longjumeau, de l'Ordre des Frères-Prêcheurs, avec deux de ses compa- gnons, deux clercs séculiers et deux officiers du roi, partit de Nicosie le 27 janvier 1249. Il portait au grand Kan, de la part du roi de France, une lettre, une parcelle LA RÉGI VI I OGi lULG VIMIZ. DYNASTIE DES YUEN. 91 de la vraie Croix, et une tente devant servir de chapelle. « Le roy Loys, dit Join- ville, envoya au roi de la Tartarie une tente faite à la guise d'une chapelle, qui estoit moult riche et bien faite. La tente estoit de bonne escarlate fine, en laquelle il fit tirer à l'aiguille toute notre créance : l'Annonciation, la Nativité, etc.. » Kouyoukkan étaitmort en avril 1 248, après avoir régné deux ans à peine. L'impératrice Ogoulgaimiz avait pris la régence, qu'elle garda pendant trois ans, et quand les ambassadeurs arrivèrent à Karakoroum, c'est à elle qu'ils furent présentés. Elle fit à la lettre du roi de France une réponse altière et peu bienveillante, et envoya quelques pièces de soie en échange des cadeaux qu'elle avait acceptés. Les Tartares n'avaient vu dans les envoyés de saint Louis que des porteurs d'un tribut de vassalité. La régence de la princesse Ogoul ne pouvait être que provisoire, et le grandOrdouavait étéconvoquépour l'élection d'unnouvel empereur.C'est là que le 1e1 juillet 1251, par suite d'intrigues et de ruses, le neveu dOktai se fit élire par les princes tartares au détriment du fils de Kouyouk, et prit le nom de Mangou- kan. La branche cadette arrivait ainsi au pouvoir, et l'empereur, pour se venger de l'opposition qu'il avait rencontrée parmi les partisans de la branche ainée, fit, au milieu même des fêtes du couronnement, mettre cruellement à mort soixante-dix per- sonnes, sous le fallacieux prétextes de complot. La princesse Ogoul, cousue vivante dans un sac de cuir, fut jetée dans le fleuve. Pendant ce temps, saint Louis avait appris par une lettre, très hum- ble cette fois et remplie de belles promesses, (\u Jîrgaltai, fils de Ba- toukan et son futur successeur, dési- rait faire alliance avec lui contre les Sarrasins. Dans ce message, les Tartares se disaient chrétiens catholiques, et fai- saient au saint roi les plus grandes protestations d'amitié. En tous cas ils étaient tolé- rants, comme on le voit par la fin de la lettre à! Ergaltai : U. DYNASTIE DES YUEN. 95 » expédié des lettres à Sartak en le croyant chrétien ; s'il avait su qu'il ne l'était pas, » il ne lui aurait pas écrit. Pour ce qui est de la paix, je vous assure qu'il ne vous a » fait aucune injure. C'est un homme équitable, et s'il vous avait donné quelque » motif de lui déclarer la guerre à lui et à son peuple, il vous ferait ses excuses et » vous demanderait la paix. Mais si vous, sans aucune raison, vous voulez lever vos » armes contre lui et son peuple, Dieu est juste, et nous espérons qu'il viendra à » leur aide. » Ils demeuraient étonnés et nous répétaient : Mais enfin, pourquoi êtes- vous venus, si ce n'est pour faire la paix ? Ils en sont arrivés à cet excès d'orgueil qu'ils croient que le monde entier n'a pas d'autre intention que de traiter de la paix OFFICIER TARTARE. GUERRIER TARTARE. avec eux. Au contraire, si la chose m'était permise, je prêcherais au monde entier de leur résister à main armée. » Un noble patriotisme, un amour profond pour la chrétienté, une foi vive, un cou- rage à toute épreuve, faisaient de ces généreux Franciscains des diplomates non moins habiles qu'énergiques. Il est permis de croire qu'ils ont ainsi sauvé l'Europe de l'invasion tartare. De pareils services ne doivent pas rester dans l'oubli, et méritent une éternelle reconnaissance ! Ayant aperçu à leur arrivée une tente surmontée d'une petite croix, ils y entrèrent 96 PEKING. a^gS > w pleins de joie. Ils virent là un autel fort bien orné, avec les images du Sauveur, de la Sainte Vierge, de saint Jean- Baptiste et de deux anges, brodées en or. Il y avait une grande croix d'argent ornée de pierreries, beaucoup de tentures, et devant l'autel une lampe à huit lumières. Là était assis un moine arménien. Avant de le saluer, ils entonnèrent X Ave, Regina Cœlorum, et le moine se levant pria avec eux. Ce moine portait des habits fort simples, un cilice, et était catholique. Les Fran- ciscains se joignirent à lui pour ne plus le quitter. Quand, plus tard, Mangoukan leur offrit d'aller à Karakoroum, ils répondirent : € Nous avons trouvé ce moine, que nous croyons un saint homme venu ici par la volonté de Dieu ; nous resterons volontiers avec lui, car nous sommes moines nous-mêmes, et nous prierons ensemble pour le grand Kan. » Ce moine était un peu médecin, et dans une décoction de rhubarbe qui lui servait de « panacée », il faisait tremper un petit crucifix avec l'image de Notre-Seigneur, ce qui montre bien qu'il n'était pas nestorien. Il rendit de bons services à Rubruquis et à son compagnon pendant leur séjour. Comme il était très faible en théologie, Rubruquis lui donna des leçons, et lui, en retour, enseigna le mongol aux missionnaires. Il avait promis au grand Kan que s'il se faisait chrétien, toute la terre se soumettrait à lui ; Rubruquis lui dit alors ces nobles paroles : « Frère, volontiers je l'exhorterai à se faire chrétien ; je suis venu pour cela et pour prêcher à tous. Je lui promettrai aussi que les Fran- çais et le Pape en auront une grande joie, et le regar- deront comme un frère et un ami. Mais qu'ils doivent se faire ses esclaves et lui payer tribut comme les autres nations, je ne le dirai jamais, car je parlerais contre ma conscience. » Le 4 janvier 1254, les deux Franciscains furent admis à l'audience du grand Kan. « On nous fit arrêter devant la porte dont on leva le feutre, et comme nous étions au temps de Noël, nous enton- nâmes l'hymne A solis ortus cardine. Après l'avoir achevée, ils se mirent à nous fouiller partout pour voir si nous ne portions pas de couteaux sur nous. L'habitation était entièrement tendue de toiles d'or. Le grand Kan siégeait sur un lit, revêtu d'une pelisse tachetée et lustrée comme la peau d'un veau marin. C'est un homme de moyenne taille, âgé d'environ quarante-cinq ans; près de lui était assise sa jeune épouse. Il nous fit demander ce que nous voulions boire, du lait, de la cérasine ou du carascosmos. « Seigneur, lui répondis-je, nous ne sommes pas gens qui nous plaisions à boire, » cependant nous prendrons ce qu'il vous plaira de nous faire donner. » Lors il commanda de nous donner de cette cérasine limpide et savoureuse comme du vin blanc, dont je goûtai un peu par respect. Par malheur pour nous, notre interprète se tenait auprès des échansons, qui lui donnèrent beaucoup à boire, et bientôt il fut ivre. Assez longtemps après, Mangou nous commanda de parler. Il avait pour inter- prète un nestorien que je ne savais pas être chrétien, et nous le nôtre tel quel, et de plus pris de vin. Alors je lui dis : « Avant tout nous rendons actions de grâces et » louanges à Dieu, qui nous a conduits de si loin jusqu'en présence de Mangoukan, » à qui il a donné une si grande puissance sur la terre. Nous prions aussi Notre- » Seigneur Jésus-Christ, par qui nous vivons et mourons tous, de lui donner heu- dsgr^ ^£S ^m ANCIEN ETENDARD CHINOIS. DYNASTIE DES YUEN. 97 » reuse et longue vie (car c'est tout leur désir qu'on prie pour leur vie). » J'ajoutai: « Nous avions oui dire que Sartak était chrétien, ce qui avait causé grande joie à » tous les chrétiens et spécialement au roi de France. A cause de cela nous sommes •• venus vers lui, et le roi notre maître lui a envoyé des lettres pleines de paroles de » paix.» « Entre autres choses il lui rend témoignage de nous, et le prie de vouloir bien nous permettre de demeurer en son pays, car notre profession est d'enseigner aux hommes à vivre selon la loi de Dieu. Sartak nous a envoyés vers son père Batou, et iui vers vous, à qui Dieu a donné un grand empire sur la terre. Nous supplions donc Votre Majesté de vouloirbien nous per- mettre de rester en son royaume, pour y faire le service de Dieu tout en priant pour vous, pour votre épouse et vos enfants. Nous nous offrons nous-mêmes à cette fin, n'ayant ni or, ni argent, ni pierres précieuses à vous présen- ter.Au moins donnez-nous laper- mission d'attendre que ce grand froid soit passé, car mon compa- gnon est si affaibli, qu'il ne pour- rait sans danger se remettre à cheval. » Alors Mangoukan répon- dit : « Tout ainsi que le soleil répand partout ses rayons, ainsi ma puissance et celle de Batou s'étendent de toutes parts. Je n'ai pas besoin de votre or ni de votre argent.» Je ne pus rien compren- dre autre chose à ce que me dit mon interprète, à cause de son état d'ivresse, et Mangoukan lui- même me paraissait un peu pris de vin. Dans ces circonstances je préférai me taire, et quelque temps après nous sortîmes de sa présence avec ses secrétaires et un de ses interprètes qui s'en vinrent avec nous, parla curiosité qu'ils avaient de savoir des nouvelles du royau- me de France ; s'enquérant s'il y avait force bœufs, moutons, chevaux, comme s'ils eussent déjà été tout près d'y venir et emmener tout. Plusieurs fois je fus obligé de dissimuler ma colère et mon indignation, leur disant qu'il y avait plusieurs bonnes et belles choses en France qu'ils pourraient voir si par occasion leur chemin s'adonnait par là. » Le grand Kan fit dire aux missionnaires qu'ils pouvaient se reposer près de lui ou aller à Karakoroum, et qu'il fournirait à leurs dépenses. Ils suivirent la cour et arrivèrent à cette dernière ville le dimanche des Rameaux. « Karakoroum, dit Ru- Péking. m ARlîRE EN ARGENT, EXECUTE PAR GUILLAUME BOUCHER. 98 PEKING. bruquis, n'est pas si grande que Saint-Denis, dont le monastère est dix fois plus vaste que le palais du grand Kan. Elle a deux quartiers et deux rues : celle des mahométans, où se tiennent les artisans et les marchands, et celle des Chinois, où habitent les artisans. 11 y a douze temples idolàtriques de diverses nations, deux mosquées et une église nestorienne. » Un nombre considérable de catholiques hon- orois, alains, russes, géorgiens et arméniens, qui n'avaient pas reçu les sacrements depuis l'époque de leur captivité, vinrent voir les missionnaires. Au temps de Pâques, les Franciscains entendirent leur confession comme ils purent, et leur donnèrent la sainte Communion. Parmi eux se trouvait un très habile orfèvre français, Guillaume Boucher, fait prisonnier à Belgrade. Il avait fait des vêtements sacerdotaux, un petit ciboire d'argent orné de reliques, sculpté une image de la Sainte Vierge et établi sur un char un petit oratoire avec de magni- fiques peintures. 11 grava aussi un fer à hosties et les religieux, ayant béni les ornements, purent adminis- trer la sainte Communion à tout ce peuple de captifs. Maître Guillaume de Paris avait fait pour l'em- pereur un grand arbre à feuilles et fruits d'argent, au pied duquel quatre lions de même métal vomissaient du lait de jument. A l'intérieur, quatre autres conduits montaient jusqu'à l'extrémité de l'arbre et redescen- daient par des serpents dorés, dont les queues s'en- roulaient sur le tronc. Ils laissaient couler, dans des vases d'argent, du vin, du lait, de l'hydromel et de la cérasine. Au sommet était un ange tenant une trom- pette. Il la portait à la bouche quand le premier échanson ordonnait de verser à boire, et l'instrument sonnait au moyen d'un soufflet manœuvré par un homme caché dans une crypte ménagée sous l'arbre. Des domestiques dans un appartement voisin ver- saient alors les liquides dans leurs conduits respectifs. Ce fut une grande joie pour Guillaume que l'arrivée des deux Franciscains, auxquels il rendit tous les services possibles. Sa présence à Karakoroum leur avait été précédemment signalée par une femme française de Metz, en Lorraine, nommée Pascha, emmenée captive de Belgrade. « Elle nous fit le meilleur accueil qu'elle put, et nous raconta les dénû- ments inouïs qu'elle avait soufferts avant de suivre la cour et d'entrer au service d'une princesse nestorienne ; maintenant elle se trouvait assez bien. Son mari était un Russe jeune encore, dont elle avait trois enfants très jolis ; il savait bâtir des mai- sons, ce qui est ici un bon métier. » Rubruquis dit des nestoriens de la Tartarie : « Ici, ils ne savent rien ; ils sont avant tout usuriers et ivrognes, comme les Tartares. A peine tous les cinquante ans, il vient un évêque, et ils font ordonner prêtres tous les enfants, même encore en bas âge. Ils n'ont de sollicitude que pour leurs familles, et n'ont en vue que le lucre, et nullement la propagation de la foi. Il s'ensuit que ceux d'entre eux qui élèvent les enfants des princes mongols, bien qu'ils leur appren- nent les vérités de l'Évangile, les éloignent plutôt cependant du christianisme par leurs mauvaises mœurs et leur cupidité, car la vie des Tartares et aussi des autres DYNASTIE DES YUEN. 99 idolâtres est plus innocente que la leur. » Les Franciscains eurent à endurer de leur part plus d'une tracasserie. Les musulmans les accusèrent aussi auprès de Mangoukan d'avoir dit qu'il était idolâtre. Sur ce, il leur envoya ses scribes, qui leur firent la communication suivante : « Notre maître nous envoie vers vous, qui vous appelez chrétiens, sarrasins et idolâtres. Chacun vous prétendez que votre loi est la meilleure, et que seuls vos livres sont vrais; il serait donc désireux de vous voir vous réunir pour avoir une conférence dans laquelle vous écririez vos arguments, afin qu'il puisse connaître la vérité. » Elle eut lieu dans l'oratoire du moine catholique ; Mangoukan y envoya trois secrétaires de chaque culte pour servir d'arbitres, et l'assistance fut nombreuse. On parla de Dieu, de son unité, de sa toute-puissance, de l'origine du mal, etc. Rubruquis seul était instruit; les autres furent sans grande peine réduits au silence, « et cependant personne ne dit : « Je crois ; je veux me faire catholique. » Le lendemain, jour de la Pentecôte, Maugoukan le fit appeler et lui dit : « Est-ce vrai que vous avez dit que j'étais idolâtre ? — Non, répondis-je, je n'ai pas précisément parlé de la sorte. — Je pensais bien que vous ne l'aviez pas fait, parce que c'eût été une parole déplacée, mais c'est votre inter- prète qui n'a pas bien compris ; ne craignez rien,» ajouta-t-il. — Je dis tout bas en sou- riant: « Si j'avais peur, je ne serais pas venu ici. » Après avoir demandé l'explication de ces mots à l'inter- prète, il commença à faire sa profession de foi à lui: « Nous, Mon- gols, nouscroyons qu'il n'y a qu'un seul Dieu, et nous l'honorons avec un cœur droit. Comme il a donné à la main plusieurs doigts, de même il a tracé aux hommes plusieurs chemins. A vous, chrétiens, il a donné les Écritures, mais vous ne les observez pas ; à nous il a donné les devins, nous suivons ce qu'ils nous disent et nous vivons en paix. » On voit par ces paroles combien Mangoukan était éloigné du christianisme. Il interrogea longuement Rubruquis sur le Pape, sur le roi de France, et il voulut lui adjoindre un ambassadeur que le missionnaire refusa prudemment. Rubruquis expliqua encore le but de sa mission, et demanda l'autorisation de revenir en ces contrées pour y prendre soin des chrétiens catholiques abandonnés. « Mangoukan se tut, et resta longtemps pensif. Ce n'est pas sans émotion que j'attendais sa réponse ; enfin il me dit : « Vous avez à faire une longue route, mangez bien pour » vous réconforter et arriver en bonne santé dans votre pays. » Alors il me fit donner à boire, puis je sortis de sa présence et ne le revis plus. Si j'avais eu la puissance de faire des prodiges aussi grands que ceux de Moïse, peut-être se serait-il humilié. » Au moment du départ, Mangoukan offrit aux missionnaires des habits simples, « puisqu'ils ne voulaient ni or ni argent et étaient restés longtemps à prier pour lui. •) Il les chargeait aussi d'une lettre pour le roi de France, conçue en termes des plus ANCIENNES ARMURES. 100 PEKING. orgueilleux et visant à inspirer la terreur : « Dieu seul éternel règne dans les cieux, et sur la terre il n'y a qu'un seul maître, Gengiskan, fils de Dieu. Voici son ordre : Faites savoir partout où des oreilles peuvent entendre et des chevaux marcher, que ceux auxquels nos ordres parviendront et ne leur obéiront pas ou s'armeront pour y résister, auront des yeux et ne verront point, voudront saisir et n'auront plus de mains, marcher et n'auront plus de pieds... Ce commandement est adressé par moi Mangoukan à Louis, roi de France, et à tous les seigneurs, prêtres et peuples de son royaume. Quand vous aurez appris nos ordres, vous nous enverrez vos ambas- sadeurs pour nous dire si c'est la paix ou la guerre que vous voulez. » Le compagnon de Rubruquis, extrêmement affaibli, ne pouvait songer à se remettre en route ; on lui permit de demeurer chez le bon orfèvre Guillaume, au milieu des chrétiens. Le 8 juillet, après un séjour de cinq mois, ils se séparèrent en versant d'abon- dantes larmes, et Rubruquis reprit seul le chemin de l'Europe avec son interprète, un guide et un domestique. Pendant le retour, il rencontra Sartak qui se rendait à la cour de Mangoukan. Il alla le saluer et lui dire qu'il n'avait pu obtenir la permis- sion qu il était venu solliciter. « II. n'y a qu'à obéir, » dit Sartak ; et ensuite il lui envoya deux vêtements de soie, l'un pour lui, l'autre pour le roi de France. Rubruquis les donna tous les deux à saint Louis. — Après avoir séjourné un mois chez Batou, il traversa le Caucase, l'Arménie, la Syrie, et arriva le 15 août 1255 a Tripoli près de Saint-Jean d'Acre, d'où il en- voya au roi la relation de son voyage : exposant les besoins de cette mission naissante chez les Mongols ; demandant qu'on fît partir des missionnaires pour développer le germe de foi qu'il y avait laissé. Ainsi se termina l'ambassade de Rubruquis. On ne saurait trop admirer le zèle de ce vaillant homme si dévoué au roi de France et aux intérêts de la sainte Eglise romaine. Il ne convertit pas les Mongols, mais il ouvrit la voie ; et nous verrons dans le chapitre suivant que ses successeurs furent plus heureux. Disons quelques mots de trois illustres personnages qui secondèrent les premiers princes mongols, soit comme hommes deguerre, soi tcommead mi nistrateurs. Dans le 28e chapitre de l'histoire des Mongols, un article entier est consacré à ce personnage. Il était de la nation des Ouïgours, d'une science plus qu'ordinaire, et très versé dans la connaissance des lettres de son pays. Tac-yan-kan, roi des Naïmans, l'avait pris pour ministre et lui avait confié son sceau d'or. Lorsque Gengiskan détrôna ce prince en 1204, T'a-£a-/oung-ko, emportant le sc< au de l'empire, fut arrêté. Le grand conquérant, connaissant la fidélité de son illustre captif, le prit à son service et lui demanda quel était l'usage de ce sceau ; il répondit : « I outes les fois que mon seigneur voulait lever de l'argent ou des grains, il faisait marquer ses ordres de ce sceau pour leur imprimer un caractère d'authen- ticité. » ^y IX I ERPRETE DE RUBRUQ T'A-T'A-TOUNG-HO. DYNASTIE DES YUEN. 101 A partir de cette époque, Gengiskan commença à se servir lui-même d'un sceau impérial, dont il confia la garde à son nouveau ministre. Il conserva cette char-' sous Oktaikan, et c'est à lui qu'on confia l'instruction des princes mongols. Sa femme fut la nourrice du prince hé- ritier, fils A'Oktai, et montra le plus grand désintéresse- ment, refusant tous les pré- sents qu'on voulait lui faire. ■ — T'a-t'a-toung-ko mourut comblé de faveurs et de titres honorifiques. On peut regar- der ce savant comme l'insti- tuteur des Mongols, en ce sensqu'il leurenseignal'usage d'une écriture qu'ils ne con- naissaient point avant lui, ainsi que l'application de l'al- phabet ouïgour à la langue mongole, vers l'année 1204 ou 1205. (abel de rémusat.) YÈ-LEOU. — Ce minis- tre, appelé aussi Tsou ts'ai, rendit les plusgrandsservices à la dynastie mongole. Il était né en 1198. Sa mère Yang-che prit beaucoup de soin de le faire instruire, et il s'acquit bientôt une telle ré- putation de science que l'em- pereur des Kin le nomma mathématicien et astronome de la cour. En 12 13, il fut nommé gouverneur de la ca- pitale, appelée Yen-king (Pé- king). Lorsque Gengiskan se fut rendu maitre de cette ville, il s'attacha J ~c-!con, dont il avait apprécié les qualités. Il fut fidèle à cette nouvelle dynastie, et Gengiskan le consultait avant toutes ses' expéditions ; son ascendant sur le prince et son humanité empêchèrent bien des meurtres et sauvèrent du carnage des populations entières. Sous Oktaikan, J è-leou conserva toute son influence et réprima, par ses sages avis, la cruauté des conquérants mongols. En 1234, sur son conseil, un dénombrement général de la population fut fait par familles, et les impôts répartis équitablement. YK-LEOU. 102 PEKING. Par ses soins des écoles furent ouvertes dans les provinces, et le système d'examen rétabli. Ce sage ministre, en temps de disette, nourrissait le peuple ; c'est lui qui faisait rentrer les impôts, empêchait les injustices et plaidait la cause des innocents. L'impératrice Tourakina, régente après la mort à'Oktai, le prit pour conseiller, mais elle donna bien- tôtle pouvoir suprême et remit les sceaux à un autre ministre, turc de nationalité. Yè-leou, voyant le mau- vais état des affaires, et attristé par l'ingratitude de l'impératrice, mourut à 55 ans (1253). Son fils et son petit-fils héritèrent de ses anciennes charges et faveurs, sous les empereurs mongols qui se succé- dèrent jusqu'à Témour (Ou-tsoung). En 1330, l'empereur, par un décret solen- nel, donna au fidèle Yè-leou le titre posthume de roi de Kouang-ning. SOUBOUCTAI. — C'est en 1 2 1 2 que Soulwuctai entra au service de Gengiskan. Il était d'une intrépidité rare, et d'un talent remarquable pour imagi- ner desstratagèmes et des ruses de guerre. En 1221, il s'empara de 5^ la Géorgie, puis, contournant la mer Caspienne, il soumit tous les peuples de ces contrées jusqu'au Volga, dé- vastales environs de la merd'Azof et pénétra en Crimée et en Bulgarie. Rappelé par Gengiskan, il fit la conquête du Tangut et de toutes les villes situées sur le fleuve jaune. En 1229, Oktai lui donna pour épouse une princesse du sang royal. Ce même empereur lui fit ensuite en- vahir l'empire des Kin. Pendant le siège de K 'aè-foung-fou,\e comman- dant des assiégés voulut, à coups de canon (p'ao), mettre le feu aux fas- cines qui comblaient les fossés. C'est au siège de celte ville qu'il est parlé pour la première fois de ces machi- nes de guerre, dont les Mongols apprirent l'usige des Chinois et qu'ils portèrent dans l'Occident, où l'on croit qu'elles ont donné l'idée de l'artillerie, (abri, de rémusat.) — Soubouc/at, après la mort SOktaikan, retourna (1 ins l'ouest pour prêter son aide à Batou, et établit son camp sur le Danube : il y mourut à l'âge de 73 ans. Il reçut le titre posthume de roi du Ho-nan, et l'épithète honorifique Ae. fidèle ri invariable. Son fils lui succéda, et les Mongols lui doivent la conquête du royaume d'Ava et de tout le Tonkin. I. DYNASTIE DES YUEN : KOUBILAIKAN (cHE-TSOU) MARCO-POLO. CONSTRUCTION DE KAMBALICK (pÉKING). - II. CONQUÊTE DE LA CHINE. NOMINATION DU GRAND LAMA. MORT DE CHE-TS - III. L'EMPEREUR OU-TSOUNG. JEAN DE MONTCORVIN, Ier AR- CHEVÊQUE DE PÉKING. ODORIC DE PORDENONE. — IV. L'EMPEREUR CHOUN-TI. NICOLAS DE BOTRAS, 2e ARCHEVÊQUE DE PÉKING. JEAN DE FLORENCE. GUILLAUME DE PRATO, 3e ARCHEVÊQUE DE PÉKING. FIN DE LA DYNASTIE DES YUEN. iès la mort de Mangoukan, l'assemblée des princes, en 1260, élut Koubilaï son frère. Depuis longtemps déjà il administrait, comme vice-roi, toute la Chine ;ptentrionale, dont les Tartares avaient fait la con- luête. Comme nous allons entrer maintenant d'une lanière plus spéciale dans 1 histoire de Péking, il semble nécessaire d'adopter pour les empereurs mon- gols les noms qui leur ont été donnés par les Chinois : iengiskan s'appelait T aè-tsou ; Oktai, T 'aè-tsoung ; louyouk, Tiftç-tsoung ; Mangou, Sien-tsoting ; enfin, [oubilaï prit le nom de Che-tsou, par lequel nous le lésignerons désormais ; il est le véritable fondateur le premier empereur de la dynastie des Yiten. En l'année 1255, Messire Nicolas Polo et son frère 1\1 atteo.marchands vénitiens, étaient àConstantinople, où régnait l'empereur Baudouin ; ils y achetèrent des bijoux et autres marchandises, et résolurent d'aller faire le commerce chez les Tar- tares. Ils passèrent d'abord un an chez Barka, qui commandait sur la mer Caspienne, puis se rendirent à Bokhara, où ils demeurèrent pendant trois ans. Ce n'est que vers l'année 1261 qu'ils arrivèrent chez le grand Kan Koubilaï, qui les reçut fort bien et leur demanda beaucoup de détails sur les empereurs, les rois, les princes, sur le Pape, l'Église et Rome. Après avoir demeuré plusieurs années à la cour, Tempe- 104 PEKING. -reur pensa en soi-même de les charger d'un message pour l'apostolle (le Pape), et ils repartirent avec un ambassadeur nommé Çogatal. Dans sa lettre, le grand Kan mandait au pape «qu'il voulût bien lui envoyer jusqu'à cent hommes sages de notre » foi chrétienne, » instruits dans » les sept arts, » sachant bien » discuter et dé- » montrer claire- » ment aux ido- » lâtres... que la » foi du Christ » estlameilleure, » que toutes les » autresloissont » mauvaises et » fausses.» Il les chargea aussi de lui apporter un peu d'huile de la lampe qui brûle sur le sépulcre de Notre- Seigneur à Jérusalem. (marco-polo, ch. m.) Ils reçurent une tablette d'or pour sauf-con- \M duit, tablette qui leur donnait le droit d'être trai- tés comme de grands seigneurs et d'être défrayés de tout pendant la route. Ils lais- sèrent en chemin Cogatal atteint d'unemaladietrès grave, et après trois ans d'un voyage fort péni- ble.ilsabordèrent enfin à Acre, en avril 1269. Le TSi il) ' 1 01 BILAIKAN). 1 ape était mort, et les deux frères demeurèrent deux ans à Venise en attendant l'élection d'un nouveau pontife. Messire Nicolas y avait trouvé son jeune fils, Marc, de 15 ans, né pendant son absence. Craignant de trop faire attendre le gran kan, ils demandèrent ,111 légat Thébaldo l'autorisation de repartir, et se mirent e d en DYNASTIE DES YUEN. 105 MARCO-POLO. route. Ce même légat, ayant été élu pape sous le nom de Grégoire X, les rappela pour leur donner ses instructions, une lettre pour le grand Kan, et leur adjoindre deux Domi- nicains : Nicole de Vizenze et Guillaume de Triple. Le jeune Marco était du voyage, qui fut si dangereux et si pénible, que les deux Frères- Prêcheurs, malades, furent obligés de s'arrêter en route. Les trois Vénitiens arrivèrent enfin après trois ans et demi à la cour de Koubilaï, qui se trouvait alors à Chang-tou, résidence d'été en dehors de la Grande Mu- raille. Ils lui présentèrent « les privilèges et chartes qu'ils avaient de par l'Apostolle, desquels il eut grande joie. Ensuite ils lui donnèrent la sainte huile du sépulcre ; il en fut très content et en fit grand cas. Quand il vit Marc, qui était jeune homme, il demanda qui il était. «Seigneur, dit son père Messire Nicolas » Polo, il est mon fils et votre )) homme. — Qu'il soit le » bienvenu, » dit le seigneur. (.marco-polo, ch. VI.) L'intelligent Marco de- vint bientôt le favori de l'empereur, au service du- quel il resta dix-sept ans, chargé de missions diverses et de postesimportants dans les provinces du sudde l'em- pire. A cette époque, Ar- goun, roi de Perse, ayant perdu sa femme Bolgara, envoya une ambassade au grand Kan pour lui deman- der une nouvelle épouse du même lignage ; on lui choi- sit la jeune princesse Coga- ta, et, sur la demande des ambassadeurs, les trois Vé- nitiens la conduisirent avec eux par la route de mer. Koubilaï leur avait donné de nouvelles lettres pour l'Apostolle et les rois chré- tiens. Après dix-huit mois de navigation, ils arrivèrent en Perse et remirentla prin- cesse entre les mains de Ga- i. Avant-cour Hu Palais. — 2. Si-chan-t'aè. — 3. T'ien-t'aé. — 4. K'ioung-hoa- zan, fils et SUCCeSSeur d Al- tao. — 5. Tching-cheng-koung. — 6. I^ung-fou-koung. — 7. T^^ • , ■ mnrf Fn S. Si-hoa-men. — 9. Ling-sing-men. — 10, n. Palais impérial. — 12. Palaisdes gOUll qui était mon. r.U Princesses. - 13. Nan-haè. — 14- Tchoung-haè. 12Q5 ils revirent leur patrie, et trois ans plus tard Mar- co-Polo, prisonnier des Génois, dicta sa relation à Rusticien de Pise. Nommé membre du Grand Conseil de Venise, il mourut dans cette ville en 1324. 106 PEKING. Cke-tsou, comme le raconte l'histoire persane de Raschid Eddin, « considérant que Karakoroùm était trop éloigné, que la contrée du Katai était très peuplée et la plus estimée de tous les pays et royaumes, y fixa sa résidence et établit son séjour d'hiver dans la ville de Kambalick, nommée, en langue du Katai, Tchoung-tou ou Ta-tou (o-rande capitale). » L'ancienne ville des Kin existait encore, mais fort délabrée, ayant, comme nous l'avons dit, supporté un siège mémorable ; Chetsou ne pouvait s'en contenter, et après avoir consulté les astrologues, il résolut de construire une nouvelle cité au nord de la précédente, de l'autre côté du fleuve. Ce fleuve, dont parle Marco- Polo (Ch. xvi), sépara les deux villes ; c'était le grand canal creusé par les Kin, et que la géographie impériale nomme Ta-t'otmg-ho (grande rivière de communication). Voici la des- cription de Kambalick, d'après Marco- Polo (Chap. xvi) : « La ville de Kambalick est située sur le bord d'une rivière, dans la province du Katai... elle est très grande, car elle a de tour vingt-quatre milles; chaqueface de son carré mesure six milles, car elle est toute carrée tant de part que d'autre. Elle est toute murée de murs en terre qui sont bien épais au moins de dix pas, mais ne sont pas si gros dessus que dessous, car ils vont tou- jours en s'étrécissant, si bien essus ils sont larges envi- GRANDE TOUR DE LA CLOCHE A KAMBALICK (TCHOUNG-LO). ron de trois pas et tout crénelés. Les créneaux sont blancs et les murs sont hauts de plus de dix pas. Elle a douze portes, et sur chaque porte il y a un grand palais très beau, si bien qu'en chaque face de son carré il y a trois portes, et cinq palais, parce qu'à chaque coin il y a un palais semblable aux autres. En ces palais il y a beaucoup de grandes salles, là où sont les armes de ceux qui gardent la cité ; et les rues sont si droites qu'on voit d'un bout à l'autre, car elles sont ainsi disposées qu'une porte se voit de l'autre à travers la ville par les rues. Il y a par la cité de grands et beaux palais, beaucoup de belles hôtelleries et de belles maisons en grande abon- dance. Il y a au milieu de la cité un grandissime palais, lequel a une grande cloche qui sonne la nuit pour que nul n'aille dans la ville quand elle aura sonné trois fois. » Cette tour est voisine d'une autre construite en 1272, et sur laquelle il y avait une clepsydre, du travail le plus délicat, composée de quatre bassins remplis d'eau qui coulait de l'un dans l'autre avec la même quantité, pour marquer les heures. DYNASTIE DES YUEN. 107 Odoric de Pordenone, qui demeura trois ans à Kambalick, nous donne quelques détails sur la ville . <"< M'en alay, vers Orient jusques à une autre cité moult noble et moult ancienne en la province de Cathay et a nom Chambalech. Ceste noble cité est moult ancienne et fut jadis conquise par les Tartres ; et à demi-lieue de ceste cité ont- ilz fait une autre cité qui a nom Cayto. Ceste a xn portes. Entre chascune des portes' a deux grandes mille d'espace, si que ces deux citésontbien xn milles de tour.» Che-tsou cons- truisit ensuite unpalaismagni- fique, dont tous les détails se trouvent dans le Tchao-kien-lou ou dans le K iu keng /ou, publiés vers la fin de la dynastie mon- gole. Bien d'au- tres ouvrages encore en par- lent ; ils concor- dent tous pour direquelepalais desMongoIsoc- cupait le même emplacement que celui de la dynastie actuel- le ; il était com- posé de trois clôturesconcen- triques ; celle du centre s'ap- pelait Ta - n?c. ou grand inté- rieur ; celle du milieu K ou no- te li cng (le Tse- kin-tek 'en/rd'au- jourd'hui) ; la plus extérieure, Houang-tcJi eng, qui avait 20 li de tour, a gardé son nom, sa place, et à peu près son ancien périmètre ; c'est la ville impériale actuelle. Marco-Polo nous dit que «le grand palais du Kan est entouré d'un grand mur for- mant un carré, dont chaque côté est d'un mille (environ 5000 pieds ou deux //et demi). A l'intérieur de ce mur il s'en trouve un second... au milieu du second enclos est le grand palais du souverain. » (V. p. 105, le plan de ce palais d'après bretschneider.) 1. Péking. — 2. Ma-yu. — 3. TcVang-p'ing-tcheou. — 4. Nan-k'eou. — 5. Yen-k'ing-tcheou. — 6. Hoè-laè-sien. — 7. T'ou-mou. — S. Ki-ming-ii. — 9. Pao-ngan-tcheou. — 10. Suen-hoa-fuu. — 11. Cha-ling. — 12. Kalgan. — 13. Ouang-ls'oun. — 14. Si-mal ing. — 15. Chang-fang. — 16. Karabalgassoun (actuel). — 17. Tcïiaganbalgassoun. — iS. Mi-yun-sien. — 19. Kou-pé-k'eou. — 20. Fen-ning. — 21. Tsi-tcheng. — 22. Loung-men. — 23 Tou-che-k'eou. — 24. Pè-l'a. — 25. Dolon-noor. — 26. Chang-tou ( ruines). 108 PKKING. CONSTELLATIONS iNCIKN ÉTENDARD CHINOIS Toutes ces constructions étaient recouvertes de tuiles vernissées comme aujour- d'hui : « A chaque angle du palais extérieur est un palais très beau et très riche, dans lequel on conserve les armesde guerre de l'empereurrtelles que carquois, arcs, selles, brides... ;à mi-chemin entre les deux palais d'angle de chacun des murs, il s'en trouve un semblable, de sorte que, si l'on considère l'enceinte tout entière, il y a huit vastes palais... ; la seconde enceinte a aussi huit palais correspondants à ceux de la première. » (marci i-n ili >.) Cette disposition n'a pas changé, et il semble que le palais actuel a été copié sur celui des ] 'itoi. Marco Polo nous apprend encore qu'un beau lac se trouvait au nord-ouest du palais, et une colline artificielle plantée d'arbres toujoursverts au nord du même palais. Sur cette colline on avait cons- truit des pavillons de plaisance, et à l'ouest du lac un deuxième palais appelé Loung-fou-koungi destiné à l'héritier présomptif. Le Je-sia nous dit que les em pereurs mongols avaient ordonné d'appor- ter du désert de Mongolie, appelé C/ia-mo, l'herbe tsing-is'ao, afin que leurs enfants et petits-enfants n'oubliassent pas les steppes (tsao-ti) qui avaient vu naître la dynastie. Ce lac, dont il vient d'être parlé, est le même que le T'ae-y-tclie de nos jours, le même que les Kin avaient creusé, et la rivière qui l'alimente s'appelle encore Kin-choui; la montagne verte ne peut être que le K'ioung-hoa-tao, appelé aujourd'hui Pè-£ a-chan. Des auteurs cependant, sur le témoignage de Marco- Polo, pensent que cette montagne verte au nord du palais était le Kin-chan ou Mei cûan,ma\s rien clans les livres chinois n'appuie leur opinion. Outre le palais d'hiver de Kambalick, Che-isou en avait fait bâtir un autre à Chang-tou. Ce palais d'été se trouvait en ligne droite à environ 800 // au nord de Péking ; trois routes y conduisaient : celle de l'ouest par Nan-keou, celle de l'est par Kou-pé-k'eou et celle du centre par Pè-t'a (V. la carte). Ce beau palais de marbre blanc était entouré d'un parc immense, avec « fontaines, fleuves, rivières et belles prairies, bêtes sauvages de toutes sortes que le seigneur y fait nicttre , parfois le Kan se promène céans, monté sur son cheval, et a derrière lui sur la croupe un léopard ; et quand il voit quelque bête qui lui plaît, il laisse aller le léopard qui la prend. » (MARCO-POLO, ch. XV.) L'empereur avait de plus, près de là, deux léang- fiuo (pavillons frais) : l'un à 50 li à l'est de Chang-tou, l'autre à 150 //à l'ouest ; 1 eS pavillons étaient construits en lamelles de bambou tressées et dorées, faciles à ' ' \ I . I • Kl E N . DYNASTIE DES YUEN. 109 démonter et transporter... « Ce palais de roseau que je vous ai dit, est si bien ordonné et disposé qu'il se fait et défait très promptement ; on le met tout par pièces, et on le porte sans peine Ja ou le seigneur com- mande qu'il soit. Quand il est dressé, plus de deux cents cordes toutes de soie le soutiennent... » Che-tsou pas- sait en Mongolie les mois de juin, juillet et août pour se reposer et se nourrir de laitage. « Sachez, dit ANCIi *> I VNi IN CHINOIS Marco- Polo, qu'il y fait tenir un très grand haras de juments toutes blan- ches, sans nulle tache, au nombre de plus de dix mille, et il boit, ainsi que tous ceux de son lignage, le lait de ces juments, et personne autre n'en peut boire, sauf la tribu Outrât » L'empereur rentrait le 28 août de chaque année au palais de Kambalick, où il séjournait tout l'hiver. On voit encore les ruines de Chang-tou, que plusieurs voyageurs et missionnaires ont explorées. II CHE-TSOU, fixé à Kambalick, lança ses armées, commandées par le fameux général Pè-ien, à la conquête des provinces méridionales pour anéantir défini- tivement la dynastie des Soung{ 1280). Les trois Véni- tiens aidèrent à la prise des villes fortifiées, en construi- sant des mangonneaux et autres machines de guerre in- connues aux Tartares. L'em- pereur fit ensuite la conquête du Thibet et de la Cochin- chine, qui reconnurent sa suprématie et envoyèrent un tribut d'éléphants. En 12S1, Che-tsou voulut s'emparer du Japon ; il fut moins heureux : son immense flotte portant 80.000 hom- mes, chinois et tartares, fut presque anéan- tie dans un ty- phon ; l'armée put se réfugier en grande par- tie sur l'île de Sing-hou, où les Japonais firent prisonniers les soldats chinois, et massacrèrent impitoyablement tous les Tartares au nombre de trente mille. Cinq ans après, Che-tsou dut soutenir une grande guerre contre son oncle Nayan, qui TEMPLE DE I AMAS, PRES DE PÉK.ING (OU-T'A-SSE). 110 PEKING. s'était révolté en Tartarie. Ce Nayan était chrétien et portait la croix sur ses éten- dards. Marco Polo raconte cette expédition dans tous ses détails. (Ch. ix, x, xi.) Nayan, surpris par la marche rapide de Che-lsou, fut fait prisonnier et son armée taillée en pièces. L'empereur le fit mettre à mort, traîné dans le désert par un cheval indompté, mais après l'avoir fait envelopper dans un épais tapis pour que le sang royal ne fût pas répandu à terre. Les idolâtres vilipendèrent ensuite les chrétiens, disant : « Voyez comme la croix de votre Dieu a aidé Nayan, qui était chrétien et qui l'adorait. » L'empereur réprimanda ces idolâtres et dit aux chrétiens : « Si la croix n'a pas aidé Nayan, elle a eu grand'raison, car, bonne chose comme elle est, elle ne devait pas agir autrement ; Nayan était un traître déloyal qui venait contre son seigneur, et la croix de votre Dieu fit très bien en ne i 'aidant pas contre le droit.» (MARCO-l'OLO, ch. XI.) Clie-tsou, à l'anniversaire de sa naissance et aux premiers jours de l'année, donnait de grandes fêtes à ses généraux, qui lui apportaient des présents de toutes les puissances de l'empire. Il aimait aussi beaucoup les grandes chasses soit au lévrier, soit au faucon, et y consacrait plusieurs mois. C'est Chc-tsou qui le premier introduisit le papier- monnaie fait, dit Marco-Polo, d'écorces d'arbres ; chaque billet de banque portait le sceau impérial, et les marchands étaient obligés d'accepter en paiement ce papier, contre « or, argent, pierreries et fourrures ». Du reste, ils l'employaient de même pour leurs achats, car il avait un cours forcé. L'em- pereur établit dans tout l'empire le service des postes par des courriers rapides relayés souvent. Dans les années de disette, il ouvrait ses greniers et faisait des distributions gratuites aux pauvres gens. Dans la capitale, plus de 20.000 enfants étaient exposés chaque année; il les faisait recueillir, élever avec soin, puis adopter par les familles pri- vées de postérité. Le sud de la Chine était déjà renommé par ses splendides étoffes de soie bro- chées d'or, que l'on apportait en immense quantité à l'empereur. Dès le commencement de son règne, Che-tsou établit au Thibet le Grand- Lama ou Fo vivant ; il voulait par là acquérir l'amitié et se faire des alliés précieux des I hibétains, qui venaient de le reconnaître comme suzerain. Il revêtit de ce titre un jeune Thibétain nommé Pa-sse-pa, dont la famille exerçait depuis des générations la charge de grand prêtre auprès des rois du Thibet. Par ce pontife fut continuée la succession des anciens patriarches bouddhistes, et commença celle des Grands- Lamas ; par lui aussi le Lamisme, ou Bouddhisme réformé, devint la religion com- mune des Mongols : la fondation du siège lamaïque de Pou-ta-la n'a pas d'autre origine. Nous savons qu'à la cour des Tang, avec Olopen se trouvaient de nombreux patriarches bouddhistes ; les nestoriens et les chrétiens de saint Thomas étaient répandus dans les contrées voisines du Thibet : les ornements et les cérémonies de TEU-MO. DYNASTIE DES YUEN. 111 la religion chrétienne, la magnificence de son culte frappèrent les réformateurs, qui en adoptèrent une grande partie ; et c'est ainsi que l'on rencontre dans le culte lamaïque des contre-façons et des copies souvent saisissantes du culte chrétien. Cke-tsou aimait les savants et les gens de lettres, et en avait fait venir plusieurs de l'Occident ; à leur tête, il plaça Teu-mo et Suheng pour diriger le collège impérial, pendant que Yao-tchou était chargé du ministère des Finances. Ces trois ministres jouissaient de l'estime des Chinois, et l'empereur mongol se servit d'eux pour régler la politique de l'empire. Su-heng rétablit les rites et les cérémonies, ainsi que le culte des ancêtres ; il apprit aux jeunes Mongols la langue chinoise et les usages de la bonne société ; il fit de nombreuses traductions des meilleurs livres chinois en langue mongole, rédigea le code et laissa des mémoires littéraires encore fort estimés. Il mourut en 1 281, et son portrait fut placé dans le temple de Confucius par l'empereur Jen-tsoung. L'empereur Che-tsou protégea ouvertement la religion des Lamas et fit brûler tous les livres de la secte de Tao, excepté le Tao-teu-king de Lao-tse. Les ouvriers venus des royaumes étrangers et très habiles dans les sciences comme dans les arts affluaient à Péking ; l'histoire rapporte qu'en 1286, des vaisseaux de plus de quatre-vingt-dix royaumes abordèrent au Fou-kien. L'astronomie fut en honneur sous son règne : quatre savants lettrés chinois travaillèrent à un grand traité sur cette matière ; le plus célèbre est Kouo-choit-king, qui suivait la méthode d'Occident, et fut chargé des observations astronomiques pen- dant 70 ans. 11 dota le grand observatoire des Yuen, situé, comme nous l'avons dit, à l'angle sud- est de Kambalick, d'instruments en bronze, tels que sphère, astrolabe, boussole, niveau, gnomon. Quelques-uns de ces instruments avaient près de 40 pieds ; iis servirent aux observations jusqu'à l'arrivée du P. Verbiest, sous la dynastie suivante. Les deux plus importants se voient encore dans la grande cour d'entrée de l'observatoire actuel. C'est à Cketsou que l'on doit l'achèvement du grand canal impérial commencé par les Kin ; il le fit continuer et terminer depuis Kambalick jusqu'à Hang tcheou, et même jusque dans le Fou-kien; il le rendit navigable pour les navires au moyen d'écluses que 1 on haussait ou baissait à volonté. Ce canal avait ses rives revêtues de pierres de taille et bordées d'arbres ombrageant une route de halage bien entretenue. Chi-isou mourut en février 1294 dans son palais de Kambalick, à l'âge de 80 ans, laissant un des plus grands empires qui aient jamais existé ; il s'étendait en effet de la mer Glaciale au détroit de Malacca, et de la mer du Japon jusqu'à la mer Caspienne. SU-HENG. 112 PEKING. III L' « petit-fils de Che-tsou, Témour, succéda à son grand'père sous le nom de Tcheng-tsoung, ne régna que deux ans et fut remplacé par un de ses neveux, qui prit le nom de Ou-tsoung. C'était un prince humain et pacifique, qui gagna l'amitié du peuple par sa libéralité, et celle des lettrés en faisant construire un temple à Confucius dans la ville de Pé- king. Malheureusement il laissa trop de puissance aux lamas, qui indisposèrent contre lui la population chinoise et hâtè- rent la chute de la dynastie des J 7uen. Ou- tsoung était, du reste, comme ses prédé- cesseurs,tolérant pour toutes lesreligions. A cette époque (1288), le pape Nico- las IV, connaissant les dispositions lavo- rables des princes mongols à l'égard du christianisme, résolut d'envoyer une am- bassade au grand Kan ; il s'adressa aux Franciscains dent le Général, Bonagratia, s'empressa de répondre aux désirs du Souverain- Pontife. Jean de Montcorvin fut choisi pour être le chef de cette nou- velle mission : il était né en 1247, près ! de Salerne, dans un petit village appelé 1 Monte Corvino. Le Pape lui donna des / lettres datées de Rietti, le 3 des Ides de juillet 1289, pour les rois de l'Inde, pour les chefs des nestoriens, pour Denys, évê- que de Tauris, pour le prince mongol qui régnait en Perse et pour le grand Kan. Il arriva en 1293 a Kambalick. Revêtu du titre de légat et de nonce du Saint- Siège, il fut bien accueilli par l'empereur, qui suivait comme ses prédécesseurs cette fausse maxime : « Qu'il n'y a qu'une seule religion, dont les sages des divers pays ont fait varier la forme suivant les temps et les lieux. » On a écrit souvent que le catholicisme n'a été prêché à Pé- king qu'au XVI Ie siècle; or, nous allons trouver deux cents ans plus tôt, dans la capitale, un archevêque, des églises et une chrétienté florissante. Voici in extenso le récit que nous a laissé Jean de Mont- corvin lui-même, dans deux lettres écrites de Péking : 1 le Kambalick, dans le royaume de Katai, le 8 du mois de janvier 1305. CHOU-KING. DYNASTIE DES YUEN. 113 « Moi, Frère Jean de Monte-Corvino, de l'Ordre des Frères-Mineurs, j'ai quitté Tauris, capitale de la Perse, l'an de Notre-Seigneur 1291. J'ai pénétré dans les Indes, où j'ai séjourné durant treize mois dans l'église de Saint- Thomas, apôtre; là, j'ai baptisé environ cent personnes, et le compagnon de mon voyage, Frère Nicolas de Pistoie, de l'ordre des Frères-Prêcheurs, y est décédé et a été enterré dans l'église. Pour moi, pénétrant ensuite plus avant, je suis parvenu dans le Kalai, domaine de l'empereur des Tartares, nommé le grand Kan. J invitai ce souverain, en lui remettant les lettres du Pape, à embrasser la foi catholique de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais il est profondément plongé dans l'idolâtrie, ce qui ne l'em- pêche pas d'accorder de nom- breuses faveurs aux chrétiens. Je suis à la cour depuis plus de deux ans. Certains nestoriens qui se prétendent chrétiens, maissecar- tent beaucoup de la religion chré- tienne, ont tant d'autorité dans ce pays-ci qu'ils ne permettent pas qu'un chrétien d'un autre rite ait un petit oratoire, ni qu'il prê- che une autre doctrine que celle des nestoriens. Ces nestoriens, soit directement, soit par des in- dividus qu'ils ont corrompus avec de largent, m'ont suscité d'im- placables persécutions, publiant de toutes parts queje n'étais pas envoyé par notre seigneur le Pape, mais que j'étais un espion dangereux et un séducteur du peuple ; puis ils produisirent de faux témoins qui soutinrent que j'avais tué dans l'Inde un ambas- sadeur étranger, chargé de porter à l'empereur un grand trésordont je m'étais emparé! Ces machina- tions durèrent environ cinq ans, pendant lesquels je fus souvent traduit en justice et menacé d'une mort ignominieuse ; enfin, par la grâce de Dieu, l'aveu d'un individu fit connaître à l'empereur et mon innocence et la malice de mes envieux, qui furent Péking 8 L'EMPEREUR OU-TSOUNG. 114 PEKING. exilés avec leurs femmes et leurs enfants. Je suis resté seul pendant onze ans, au bout desquels vint me rejoindre, il y a environ deux ans, le Frère Arnold. Allemand, de la province de Cologne. J'ai bâti une église dans la ville de Kambalick, qui est achevée depuis six ans ; elle a un clocher où j'ai fait mettre trois cloches. Jusqu'à présent, j'ai baptisé dans cette église, je pense, environ 6,000 hommes, et sans les diffamations dont j'ai parlé, j'en aurais baptisé plus de 30,000. J'ai recueilli successi- vement 150 garçons, fils de païens, âgés de 7 à 1 1 ans, qui n'avaient encore aucune religion ; je les ai baptisés et leur ai enseigné les éléments des lettres grecques et latines. J'ai écrit pour leur usage des psautiers, ainsi que 30 hymnaires et deux bré- viaires, en sorte que onze de ces garçons savent déjà notre office, et chantent en chœur selon la pratique de nos monastères, que je sois présent ou non. Plusieurs d'entre eux transcrivent des psautiers et d'autres livres; l'empereur se plaît beaucoup à les entendre chanter. Aux heures fixées, je fais sonner les cloches, je célèbre l'office divin devant la réunion de ces enfants, et, n'ayant pas d'office noté, nous chantons un peu par routine. Un prince, nommé Georges, issu de l'illustre race de l'empereur, et appartenant autrefois à la secte des nestoriens, s'attacha à moi la première année de mon arrivée ici. Je l'ai converti à la vérité de la foi catholique ; il a reçu les ordres mineurs, et lorsque je célèbre les saints mystères, il m'assiste, revêtu de ses habits royaux. Les nestoriens l'ont accusé d'apostasie et persécuté ; cependant il a gagné à la foi catholique la majeure partie de son peuple, et il a fait construire, avec une magnificence royale, une église en l'honneur de la Sainte Trinité; il l'appelle l'église romaine. Il y a six ans, en 1299, le roi Georges est mort en vrai chrétien, et son âme est allée vers le Seigneur ; il a laissé pour héritier un enfant en bas âge, qui actuellement est âgé de 9 ans. Les frères du roi Georges, étant opiniâtres dans les erreurs nestoriennes, ont essayé après sa mort de pervertir ceux qu'il avait conver- tis. Malheureusement je suis seul ici et je ne puis m'éloigner de l'empereur ; il ne m'est pas possible d'aller visiter cette église, distante d'une vingtaine de journées. Cependant, s'il m'arrivait quelque bon confrère, j'espère qu'avec la grâce de Dieu tout le mal pourrait se réparer, car je suis encore muni des pouvoirs du roi Georges. Je le répète, sans les calomnies dont j'ai parlé plus haut, les fruits de salut seraient très abondants ; si j'avais pu être assisté de deux ou trois compagnons, peut-être l'empereur se serait-il fait baptiser. Il y a déjà douze ans que je n'ai reçu aucune nouvelle ni de la cour de Rome, ni de notre Ordre, et'que j'ignore l'état des affaires en Occident. Je supplie le Ministre général de notre Ordre de m'envoyer un Anti- phonaire, une légende des saints, un Graduel et un Psautier notés pour modèles, car je n'ai qu'un bréviaire portatif avec de brèves leçons et un petit Missel. Si j'en avais un exemplaire, les enfants pourraient le copier. Je fais bâtir une seconde église, afin de diviser ces garçons. J'ai appris la langue et l'écriture tartare, et j'ai déjà traduit dans cette langue tout le Nouveau Testament et le Psautier, que j'ai fait écrire en très beaux caractères tartares. Enfin, je lis, j'écris, et je prêche publiquement la foi de Jésus-Christ. Je m'étais arrangé avec le roi Georges pour traduire, s'il eût vécu, tout l'office du rite latin, afin qu'on pût chanter dans tous ses États les louanges du Seigneur. Pendant qu'il vivait, je célébrais dans son église le saint sacrifice de la Messe selon le rite latin. Le fils du roi Georges s'appelle Jean, à cause de mon nom ; j'espère que, Dieu aidant, il marchera sur les traces de son père. )) Le roi Georges, dont il est parlé dans la lettre de Jean de Montcorvin, était un descendant de Ongkan ; il avait reconnu la nouvelle dynastie, et régnait à Karako- rou>u, que Koubilaïkan avait abandonné pour se fixer à Péking. Voici la seconde lettre, non moins curieuse et non moins édifiante que la première : DYNASTIE DES YUEN. 115 « J'ai fait faire six tableaux de l'Ancien et du Nouveau Testament pour l'instruction des simples ; plusieurs des enfants que j'avais recueillis sont allés vers le Seigneur. Depuis que je suis en Tartarie, j'ai baptisé plus de 5.000 personnes. J'ai commencé un nouvel établissement tout près du palais du grand Kan; de la porte de son palais à notre maison, il n'y a que la distance d'un jet de pierre. Un certain Pierre de Lucalongo, excellent chrétien et riche marchand, qui fut mon compagnon de voyage depuis Tauris, a acheté le terrain à ses frais et m'en a fait présent pour l'amour de Dieu. Lorsque nous chantons, le seigneur Kan peut nous entendre de ses apparte- ments. De la première église à la seconde que je viens de construire, il y a deux milles de distance ; elles sont l'une et l'autre dans lintérieur de la ville, qui est extrê- mement grande. Je vous assure que dans le monde entier il n'y a pas d'empire aussi vaste que celui du grand Kan. J'ai une entrée au palais et une place fixe à la cour comme légat du Pape. L'empereurm'honoreplus que tous les autres prélats, quels qu'ils soient. i> En 1305, il y avait donc à Péking deux églises,6.ooochré- tiens et un missionnaire légat du Pape, ayant ses entrées libres au palais. Clément V, instruit des succès de Jean de Mont- corvin, érigea Kambalick en métropole, l'an 1307, et l'en nomma premier titulaire. Le Pape conférait à Jean de Monl- corvin et à ses successeurs le droit d'instituer et de sacrer les évêques ; il le plaçait à la tête des missions catholiques de tout l'Extrême-Orient, à la con- dition de recevoir le pallium du Pontife romain. La bulle qui contenait ces dispositions re- commandait à Jean de Mont- corvin de faire peindre, dans les églises nouvellement construites, les mystères de l'Ancien et du Nouveau Testament. Sept Franciscains, tous sacrés évêques avant leur départ, furent chargés par le Pape d'aller eux-mêmes consacrer leur nouvel archevêque métropolitain; trois moururent en route, un quatrième retourna en Italie, mais Gérard, Pérégrin et André de Pérouse arrivèrent en 1308 à Kambalick, où ils accomplirent en grande pompe les cérémonies du sacre. Ils présentèrent à l'empereur les lettres pontificales, par lesquelles le Souverain Pontife le remerciait de sa bien- veillance envers les missionnaires et les chrétiens. Grâce à ce secours, Jean de Montcorvin multiplia tellement les conversions, qu'en 131 2, le Pape lui envoya trois nouveaux suffragants : Thomas, Jérôme et Pierre de Florence. Les Franciscains de Kambalick recevaient de l'empereur, pour l'entretien de huit personnes, une pension JEAN DE MONTCORVIX. 116 PEKING. annuelle nommée Alafa, accordée d'ordinaire aux ambassadeurs. Une riche armé- nienne ayant construit une église à Hang-tcheou à sa prière, Jean de Montcorvin l'érigea en cathédrale et la donna à Gérard, qui y fut enterré et dont Pérégrin fut le successeur. Dans une forêt voisine de la ville, André de Pérouse, grâce aux subsides de l'empereur, éleva une église et un couvent pour vingt-deux Frères; mais Pérégrin étant mort en 1322, l'archevêque nomma André de Pérouse évêque de Hang-tcheou; il y mourut dans un âge très avancé. Une des plus étonnantes pérégrinations accomplies dans ce temps-là est sans con- tredit celle d'Odoric Matthiucci. Né à Pordenone, dans le Frioul, en 1286, il entra très jeune chez les Franciscains, où il se fit remarquer par une grande austérité de vie; c'était un caractère énergique et prêt à tous les dévouements. Sur sa demande, il fut désigné pour les missions d'Asie ; il partît de Padoue en avril 13 18, et s'em- barqua à Constantinople pour Trébizonde ; de là il prit la route d'Arménie par Erzeroum et le mont Ararat, jusqu'à Tauris en Perse. De Tauris il se rendit à Sulthanye, traversa le Kurdistan, la Chaldée, revint au golfe Persique et s'embarqua à Ormouz pour les Indes. La traversée dura 28 jours; on prit terre à Tana de Sal- sette peu de temps après la mort de quatre Franciscains qui y avaient été martyrisés (avril 1321). Odoric visita la côte de Malabar, celle de Coromandel, et pria sur le tombeau de saint Thomas à Méliapour ; de là il se rendit à Ceylan, à Sumatra et à Java, puis arriva enfin à Canton. Après avoir traversé le Fou-kien, il se rendit chez ses confrères à Hang-tcheou et leur laissa les ossements des martyrs de l'Inde, qu'il avait apportés avec lui. Ensuite, remontant par Nan-king et Yang-tcheou, il prit le grand canal qui le conduisit à Kambalick, où il séjourna trois ans dans le monastère de Jean de Montcorvin. L'église de Péking était très florissante, et les chrétiens nombreux. Jean de Mont- corvin et ses Frères jouissaient d'une très grande considération à la cour, comme nous l'apprend la Relation d'Odoric : « Je, Frère Odoric, fus en ceste Cayto (Kam- balick) et souvent fus aux festes que le roy fist; car nous frères meneurs avons nous propre lieu en sa court et comment que nous allons à lui donner nostre béneiçon, si que je enquis et aussi vis moult songneusement Testât de la court et aussi tous chres- tiens, sarrazins, ydolâtres et aussi les Tartres de la court convertis à nostre foy Et encore raconterai-je une chose du grand Caan, laquelle je vis : Comme il venait une fois à Cambaleck, et que l'on avait entendu certainement de sa venue, notre évêque, quelques-uns de nos frères meneurs et moi allâmes à l'encontre de lui par deux journées, et quand nous approchâmes de lui, je mis la croix sur un haut bâton pour qu'elle pût être vue communément de tous, tenant en ma main un encensier. Nous commençâmes à chanter à haute voix Vent Creator, et si nous chantions c'était pour que le grand Caan entendît nos voix et nous fît appeler vers lui, car nul n'ose approcher de son char d'un jet de pierre s'il n'est appelé, hors ceux qui le gardent. Comme nous allâmes à lui la croix levée, il ôta aussitôt son chapel de son chef, qui était de si grande valeur que nul ne peut estimer la valeur de ce chapel, et lit révérence à la croix. Je mis aussitôt encens en l'encensier et notre évêque le prit et encensea ce seigneur. Comme il est coutume que ceux qui vont à ce seigneur portent toujours quelque chose à lui offrir, et gardent l'autorité de l'ancienne loi qui dit : Tu ne viendras pas vide devant moi, nous portâmes des pommes et lui en offrîmes moult honorablement sur un tréchouër (plateau). Il prit de ces pommes et en mangea comme un petit. Après cela, notre évêque lui donna sa béneiçon, puis il nous fit signe de nous écarter pour que les chevaux et la multitude des gens qui venaient après lui ne nous grevassent en aucune autre chose. Nous nous écartâmes DYNASTIE DES YUEN. 117 aussitôt et allâmes à quelques-uns de ces barons qui étaient convertis à la foi de Jésus-Christ par nos Frères, et étaient de sa compagnie. Nous leur offrîmes des pommes, et ils les reçurent avec grande joie et en furent aussi contents, comme si c'eût été un grand don. » L'humilité d'Odoric lui a fait supprimer dans son livre le récit de ses propres succès ; on sait pourtant qu'il baptisa plus de 20.000 infidèles, dont plusieurs occupaient une position élevée à la cour. Odoric revint en Eu- rope par le Chan-si, le Chen-si, le Sse-tcfi ouan et le Thibet ; il est le premier Européen qui nous parle de Lhassa. Il arriva en Italie en 1330, après une absence de douze ans. Sur les instruc- tions de son supérieur, il dicta au mois de mai 1330, dans le couvent de Padoue, le récit de ses voyages au Père Guillaume de Solagna ; il se rendit ensuite auprès du pape Jean XXII, pour lui rendre compte de sa mission, lui demander son aide et l'envoi de cinquante nouveaux mis- sionnaires dans l'Extrême-Orient. Mais, arrivé près de Pise, saint François lui apparut et lui ordonna de retourner sur ses pas, car il devait mourir dix jours plus tard. Odoric rebroussa che- min et revint à son couvent d'Udine, où il mou- rut âgé d'environ 45 ans (14 janvier 1331), après avoir reçu l'extrême-onction. Il fut enterré le lendemain. Tous le regardant déjà comme un saint, le 4 décembre 1749 son procès de béati- fication fut introduit, puis, soixante-dix miracles ayant été dûment attestés, le 2 juillet 1755 Be- noit XIV rendit le décret de béatification. A la fin de son intéressante Relation ('), Odoric donna l'attestation suivante : « Moi, frère Odoric de Frioul, je certifie devant Dieu et devant les hommes que toutes les choses qui ont été écrites ici, je les ai vues de mes propres yeux ou entendues de personnes dignes de foi. Il en est bien d'autres qui n'ont pas été écrites, parce qu'elles paraîtraient impossibles aux hommes de nos contrées, si ce n'est à ceux qui ont voyagé comme moi, pauvre pécheur, sur la terre desSTATUE DE MARBR1Î REPRESENTANÏ ODORIC infidèles. » sur son tombeau a udine IV L'empereur Jen-isoung, successeur de Ou-tsoung, ne se montra pas plus éner- gique que lui à réprimer les abus. In-tsoung, qui vint ensuite, ayant voulu s opposer à la domination des lamas, fut assassiné par son fils adoptif, et remplacé par Taè-ting en 1324, puis par Ouentsbung en 1329. Celui-ci est le premier des 1. Voir la très savante édition qu'en a publiée M. Cordier. 118 PEKING. empereurs mongols qui fit des sacrifices au temple du Ciel, et honora Gengiskan comme le fondateur de la dynastie. Il reçut à la cour le Grand- Lama du Thibet avec tant d'honneurs, qu'il s'attira la haine des lettrés. Il fut remplacé sur le trône en 1333 par Choun-ti, qui n'avait que 13 ans. Cette même année, l'Église de Kambalick fut plongée dans le deuil par la mort de son archevêque, l'illustre apôtre des Tartares et des Chinois. Jean de Montcorvin, âgé de 83 ans, fut assisté à son lit de mort par Jean de Cor, nouvel archevêque de Sulthanye.qui se trouvaitalors à Péking. Tous les habitants de Kambalick pleurèrent ce vénérablearchevêque, l'accom- pagnèrent jusqu'à sa dernière demeure, et le lieu de sa sépul- ture devint bientôt un but de pèlerinage. L'archevêque Jean de Cor nous a laissé ces dé- tails dans sa relation intitulée : « Le livre de l 'Estât du Grant Caau. » Le pape Jean XXII, Fran- çais natif de Cahors, élu le 7 août 1 3 1 6 et mort le 4 décem- bre 1334, gouvernait encore l'Église. Instruit de la mort de Jean de Montcorvin, il lui donna pour successeur Frère Nicolas de Botras, auquel il adjoignit vingt Franciscains prêtres et six Frères laïques, ainsi que des lettres pour le grand Kan. Ces lettres nous apprennent que Nicolas était français et professeur de théo- logie à la Faculté de Paris. L'empereur Choun-ti en- voya au pape Benoît XII, en I. EMPEREUR CHOUN-TI 1336, une ambassade dont le chef était Frère André, Franciscain de la maison de Péking. Voici la teneur de la lettre impériale qu'il emportait : <( Nous envoyons notre ambassadeur André, Fran- çais, avec quinze compagnons, vers le Pape, seigneur des chrétiens en France et au-delà des sept mers du côté de l'Occident... Nous le prions de nous envoyer sa bénédiction, de faire mémoire de nous dans ses prières et de s'intéresser aux Alains, ses enfants chrétiens et ses serviteurs. Nous Le prions également de nous envoyer des chevaux et autres raretés du lieu où le soleil se couche... Écrit à Kambalick, en l'année du rat (1336), le 3e jour de la 6e lune. » Une lettre des princes alains DYNASTIE DES YUEN. 119 dont il est spécialement fait mention dans la lettre de Choun-ti, et une autre des chrétiens de Péking avaient été remises aux ambassadeurs. Ils n'arrivèrent en Europe qu'en 1338. Benoît XII, le 13 juin de la même année, écrivit une réponse à l'empereur: Il le remerciait de la protection accordée aux chrétiens, le priait de permettre aux missionnaires de construire des églises et de prêcher la vraie foi dans toute l'étendue de l'empire. Il lui recommandait spécialement les cinq princes alains et les autres chrétiens qui lui avaient écrit. En novembre 1338, le Pape fit partir pour la haute Asie quatre Eranciscains qu'il nomma nonces apostoliques pour dix ans : Nicolas Bonnet, Nicolas de Molano, fcan de Florence et Grégoire de Hongrie. Ils arrivèrent en 1342 à la cour de Choun-ti, qui leur fit le meilleur accueil. Le nombre des catholiques s'était grandement accru, et les Franciscains avaient multi- plié leurs résidences. Ceux qui habitaient le couvent de Kambalick, construit par Jean de Montcorvin près du palais impérial, étaient l'objet de tels égards, que l'em- pereur les admettait fréquemment à sa table, et qu'il n'allait prendre le repos de la nuit qu'après avoir reçu leur bénédiction. Outre ces résidences fixes, les Franciscains avaient encore, à la mode tartare, des maisons roulantes qui leur permettaient de donner les soins spirituels aux populations nomades de la Tartarie. L'empereur fit un décret conforme aux désirs du Souverain Pontife, et la liberté religieuse fut complète ; par le zèle de Jean de Florence, les conversions ne se comptèrent plus, et de nouvelles églises s'élevèrent de toutes parts. En 1353, Jean de Florence vint trouver le pape Innocent VI de la part du grand Kan, et lui demanda de nouveaux missionnaires. Le Souverain Pontife le nomma évêque de Bicignano en 1354, et la même année il ordonna aux Frères- Mineurs de préparer une nouvelle expédition. L'annonce de la révolution qui commençait alors en Chine, dans laquelle allait sombrer la dynastie des Yuen, et les désastres qui en furent la suite, arrêtèrent pen- dant un certain temps l'envoi de nouveaux missionnaires. Urbain V, en 1370, ayant appris la mort de l'archevêque Nicolas, nomma au siège de Kambalick Guillaume de Praio, Français et professeur à l'Université de Paris. Il lui donna pour compa- gnons douze Franciscains, qui furent bientôt suivis par soixante autres. Les Annales franciscaines nous donnent encore le nom de huit Frères-Mineurs envoyés à cette époque. En 1371, François de Podio, surnommé Catalan, fut nommé légat aposto- lique de Grégoire XI et vicaire des Frères-Mineurs dans la Tartarie du nord : il partit avec douze compagnons, mais on n'entendit jamais plus parler d'eux. En 1 391, les Franciscains de Péking envovèrent Roger d 'Angleterre et Ambroise de Sienne pour supplier le pape Boniface IX de venir à leur secours. Ils repartirent pour la Chine avec vingt-quatre de leurs Frères, mais on n'eut plus jamais de leurs nouvelles. Nous savons enfin par le témoignage du F. Léon qu'en 1456, sous Calixte III, « le siège de Péking était occupé par un religieux franciscain, septième successeur de Jean de Montcorvin ; ces missions, à peine interrompues par les bouleversements politiques, furent reprises en 1579 par le P. Pierre Alfaro, Observant-déchaussé de la province de Saint-Gabriel. » (auréole séraphique.) Nous venons de voir que sous cette belle dynastie des Yuen, trois archevêques avaient occupé le siège de Kambalick ; en outre, des nonces apostoliques, des légats, des ambassadeurs et un total de 164 Franciscains avaient été envoyés dans la même ville. Le premier archevêque seul convertit 30.000 personnes ; Odoric seul, 20.000 ; en y ajoutant les fruits spirituels des évêques suffi-amants et des mis- sionnaires, il ne semble pas exagéré de fixer à 100.000 la population chrétienne, à la mort de Jean de Montcorvin. Les familles se multiplièrent d'année en année, et 120 PEKING. Jean de Florence augmenta considérablement et le nombre des églises et celui des chrétientés. Les deux autres archevêques de Péking avec leurs nombreux compa- gnons ne restèrent pas inactifs, et bien que les révolutions aient entravé la liberté religieuse, il est impossible d'admettre que des œuvres si nombreuses et tant de chrétiens aient disparu sans laisser de traces. Si nous prenons la date de 1391 jus- qu'en 1579, époque où les missions de Chine furent reprises, l'intervalle est de 188 ans; si nous acceptons celle de 1456, où d'après un témoignage sérieux, le siège de Péking était encore occupé par un évêque franciscain, l'intervalle n'est plus que de 123 ans ; or, n'a-t-on pas dernièrement retrouvé au Japon des milliers de chré- tiens qui avaient conservé leur foi après 240 ans d'abandon absolu ? Il n'est donc pas téméraire de croire que les nombreux Chinois et Mongols convertis par les Franciscains, soient demeurés chrétiens longtemps encore après eux. Accusés de trop d'affections pour les empereurs mongols qui les avaient toujours protégés, plu- sieurs renièrent peut-être leur foi, mais les autres se cachèrent et conservèrent leurs I. DEVANT DUNE PIERRE TOMBALE. I I TOMBES CHRÉTIENNES (MONGOLIE). pratiques chrétiennes. Sans aucun monument et par simple déduction ou comparai- son, on peut donc déjà avoir la certitude morale que les chrétiens des Franciscains n'avaient point disparu complètement. Mais nous avons de plus un précieux témoi- gnage qui nous donne une certitude presque absolue. Nous lisons, en effet, dans le P. Trigault (liv. i, ch. ii) : « Un Juif, venu de K ' aè-fotmg-fou à Péking pour les «•xamcns du doctorat, raconta au P. Ricci ( 1 603) que dans cette ville, ainsi qu'à Ling-tsing tcheou dans la province du Chang-toung çX même dans celle du Chan-si, il y avait quelques estrangers, desquels les prédécesseurs estoient venus des royaumes voisins, et qu'ils estoient Adorateurs de la croix, et avoient accoustumé d'en signer leur boire et manger avec le doigt voire m es me qu'on signoit les petits enfans du mesme charactère de ce signe salutaire au front avec de l'encre, en divers lieux, pour les préserver des malheurs qui arrivent ordinairement aux enfans... Assurant ensuite qu'une persécution ne s'estoit élevée contre eux, que parce que lesSarrazins (païens), ennemis jurés des Chrétiens, avoient causé ce désordre par le soupçon et la crainte qu'ils avoient inspirés aux Chinois; de sorte qu'il n'y avoit pas plus de 60 ans qu'elle avoit commencé. » (O 'cet Israélite parlait de cela l'an 1603 ; la persécu- DYNASTIE DES YUEN. 121 tion datait donc seulement de 1543, et jusqu'à cette date les chrétiens n'avaient pas été gravement inquiétés.) « Un de nos frères étant allé dans ces lieux pour descou- vrir les anciennes restes du Christianisme, n'en put jamais descouvrir pas une, quoi- qu'il eût apporté les noms des personnes et des familles chrestiennes, que le Juif lui avoit donnés par escrit, un chacun faisant son possible de dissuader qu'il fut sorti de tels parens, n'y qu'il eût esté d'une telle Religion : parce que peut-estre ils prenoient le frère pour un chinois, ou bien parce qu'ils le croyoient un espion des magistrats, lequel venoit pour les surprendre. » (kircher.) — Ce Frère (Sébastien Fernandez) était en effet chinois, et les chrétiens n'osèrent évidemment point se découvrir à lui. Ce témoignage nous semble prouver suffisamment que des chrétiens convertis par les Franciscains existaient encore lors de l'arrivée du célèbre P. Ricci. Ce zélé mis- sionnaire et ses illustres successeurs allaient reprendre l'œuvre des fils de saint François et rendre à l'Église de Péking, sous une nouvelle dynastie, sa première splendeur. Choun-ti ne pensait qu'à ses plaisirs, et ses ministres préparaientpar leur mauvaise adminis- tration la ruine de l'em- pire que les Chinois éclairés et patriotes es- péraient toujours déli- vrer du joug des Mon- gols. Dès l'année 1337 les révoltes éclatèrent, et en 1352 presque toute la Chine méridionale L S0CLE d'une croix enlevée par les lamas. — 2, 3, 4, 5. tomf.es . , . T CHRÉTIENNES DE LA DYNASTIE DES YUEN, DÉCOUVERTES RÉCEMMENT était en révolution. Les en Mongolie a trois journées de kalgan vers le nord-est gouverneurs et les prin- (missions belges). ces tartares ne purent résister au torrent de l'insurrection ; l'empereur, amolli par les débauches, découragé par les défaites, se voyant sur le point d'être investi dans sa capitale, assembla les Grands et leur signifia qu'il voulait se retirer en Tartarie. La nuit suivante, il prit la route du nord et se rendit avec toute sa cour à In-tchang -fou, à trente lieues plus loin que CJiang-tou. Ainsi finit la grande dynastie des }'?/,;;, dont un siècle auparavant les formidables armées avaient conquis toute l'Asie et fait trembler l'Europe. Les descendants du terrible Gengiskan durent regagner la Mongolie d'où ils étaient sortis, abandonnant le vaste empire de la Chine aux mains des heureux vainqueurs CHAPITRE VI **m I. DYNASTIE DES MING. IIOUNG-OU. LÉOU-PÈ-OUEN. MA-HOANG-HEOU. YOUNG-LO. II. SAINT FRANÇOIS-XAVIER. GASPARD DE LA CROIX. — III. L'EMPEREUR OUAN-LI. LE P. MATHIEU RICCI. — ■ IV. ATTAQUE DES TARTARES. INSURRECTION. LE P. LONGOBARDI. LE P. TRIGAULD. LE P. ADAM SCHALL. LI-KOUNG. FIN DE LA DYNASTIE DES MING. primée pari étranger depuis près d'un siècle, la Chine ne demandait qu'à secouer le joug. Les Mongols, efféminés par les délices de la paix, n'étaient plus redoutables. Tchou-yuen-chang, d'abord simple bonze puis chef de voleurs, forma le dessein de reconquérir son pays sur les envahisseurs. Il n'eut point de peine à se créer des partisans, et bientôt, levant l'étendard de la révolte, il s'empara de plu- sieurs villes dans les provinces du sud, défit les l%\/filèilj^^h^' */- Il l! troupes mongoles en bataille rangée, se fit procla- i/W ïJC\fl$ÊÊkl -& il // mer emPereiir sous le nom de Houng-ou (grand guerrier) et devint ainsi le fondateur de la nouvelle dvnastie des Ming. Il établit le siège de son empire à Nanking. Après avoir préparé une grande expé- dition et réuni une armée nombreuse, il marcha sur Péking, dont il s'empara. Ses descendants gouvernèrent la Chine de 1368 à 1644. Les généraux de Houng-ou refoulèrent les Mon- gols au delà de la Grande Muraille, et de ce pays firent, à leur retour, un désert entre la Mongolie et la Chine. Au nord de la muraille, tout fut brûlé et détruit, et les Mongols durent se retirer dans les steppes d'où, cent ans auparavant ils avaient répandu la terreur par le monde entier. Néanmoins, ils ne laissèrent pas que d'inquiéter encore pendant bien des années la nouvelle dynastie, par de fréquents retours offensifs. Sous le second successeur de Houng-ou, la Mongolie devint une province chinoise, et tout ce qu'avaient construit les Yuen fut anéanti par les Ming. La ville de Chang-ton fut détruite ; ses ruines, que l'on voit encore aujourd'hui, et £3* mi/ 11 M DYNASTIE DES MING. 123 celles du palais des empereurs mongols, montrent quelle devait être la grandeur et l'empereur houng-ou léou-pèouen. l'opulence de cette cité. La ville de Karakoroum fut rasée en 15 19 et, sur son 124 PEKING. emplacement, on construisit le temple lama d' Erdeni-tchao. Les Ming ne voulaient rien laisser qui pût rappeler le souvenir de cette odieuse dynastie mongole ; non seulement les villes, les palais, les monuments, mais encore les églises de Jean de Montcorvin, tout disparut, et au- jourd'hui il est fort rare de rencon- trer une inscription, une stèle, un tombeau datant de l'époque des } uen. Houng-ou se servit de tous les hommes de talent qu'il put trou- ver, pour l'aider dans le gouver- nement de ses Etats. Un des principaux fut Léou-pè-ouen. Cet homme remarquableavait été reçu docteur vers la fin de la dynastie des Yuen, et pour ne point servir les nouveaux maîtres de la Chine, il s'était caché et voulait vivre dans l'obscurité. Houng-ou enten- dit parler de lui, le fit chercher et conduire à la cour, où il le combla de prévenances et se l'attacha. Léou-pè-ouen fut fidèle à la nou- velle dynastie, qu'il servit pendant plusieurs règnes avec autant d'in- telligence que de dévouement. Il s'acquitta deplusieurs ambassades importantes et composa des livres encore fort appréciés ; enfin c'est à lui que l'on doit la construction de la ville Chinoise (Nan-tcJîeng), comme nous l'avons dit dans l'In- troduction. Pendantque ses généraux ache- vaient la conquête de la Chine, Houng-ou, avec l'impératrice Ma- hoang-Aeou, préparait de sages règlements pour le gouvernement de l'empire. Il élabora un code de justice criminelle, fit adopter l'an- cien cérémonial des Rites, et réta- blit les usages primitifs. Il porta un édit qui obligeait tous ses sujets à s'habiller comme au temps des empereurs chinois ; il retrancha tous les ornememts inutiles, et donna ,lui-même l'exemple de la plus grande simplicité. Par ses soins, des écoles furent ouvertes et des bibliothèques fondées dans les principales villes de l'empire. Respectueux pour les anciennes dynasties, il fit réparer ou reconstruire leurs sépultures. Les droits et les devoirs des mandarins furent fixés. Une carte générale de la Chine fut dressée [IMPERATRICE MA. DYNASTIE DES MING. 125 en 1394, carte qui devait servir de base à celle que firent les Jésuites un siècle et demi plus tard. Houng-ou mourut à Nan- king l'an 1399, laissant le trône à son fils Kien-ouen-ti, qui ne régna que quatre ans. Il fut détrôné par un de ses oncles nommé Yen-ouang, prince de Yen, qui commandait à Pé- king. Yen-ouang marcha con- tre son neveu, et après une bataillesanglante dans laquelle 300,000 hommes périrent, il s'empara de Nan-king et fit mourir dans les supplices plus de 800 personnages de haut rang demeurés fidèlesau prince légitime. Maitre des deux capi- tales-, Yen-ouang se fit procla- mer empereur sous le nom de Young-lo (1403). La 7e année de son règne, il quitta Nan-king et transporta sa cour à Péking, laissant son fils, le prince héritier, dans la capitale du sud, avec des tri- bunaux et une cour semblable à celle du nord, où il allait lui- même fixer sa résidence. Cet empereur, d'abord absolu et cruel, devint ensuite un bon souverain, aimé et estimé de ses sujets. Sa principale gloire est d'avoir reconstruit Péking presque en entier ; l'enceinte, les pagodes, le palais impérial, tous les principaux monuments datent de Young-lo. Il mourut en 1424. Unde sessuccesseurs, Ying- tsoung, fit rebâtir en 1436 les neuf portes de la ville. Sous son règne, les Tartares se révoltèrent et l'empereur en- voya contre eux une armée de 500,000 hommes, dont il donna le commandement à un chef incapable qui fut complètement battu : presque tous les soldats périrent de misère. L*empereur, voulant venger cette défaite, se mit lui-même à la tête d'une 126 PEKING. nouvelle armée : il perdit la bataille, fut fait prisonnier et emmené en Tartarie. Son frère King-ti tint sa place de 1450 à 1456. Plusieurs empereurs se succédèrent encore, tous dominés par les eunuques, dont la néfaste influence devait perdre cette dynastie, comme elle en avait déjà perdu tant d'autres. Pendant le règne de Che- tsoung (1522-1566), les Tartares orientaux ravagèrent toutes les provinces septen- trionales de l'em- pire ; moins heu- reux furent les Japonais qui se virent, à la même époque, repous- sés par trois fois descôtes du Tché- kiang. Vers la fin de cette dynastie, les empereurs, tou- jours sous le coup d'une invasion des Tartares orientauxou Tar- tares-mantchoux, entretenaient une armée d'un mil- lion d'hommes pour garder la Grande Muraille et ses passes. Le règne de Ouan-li (1573 1620) fut encore assez heu- reux ; il commit cependant une imprudence qui devait lui coûter cher, en refusant sa fille au prince des Tartares qui la lui avait de- mandée en ma- riage. Il fut aussi mal inspiré en vexant les mar- chands de Tartarie qui faisaient le commerce avec les Chinois. En outre, contre toute justice, il avait fait mourir le père du roi des Tartares tombé entre ses mains. Son fils jura de le venger et d'immoler à ses mânes 200,000 Chinois. A la tête de 50,000 cavaliers, il fondit sur la ville de Léao-yang et s'en empara. C'est là qu'il se fit déclarer empereur sous le nom de Tien-ming, l'an 161 5. Les Tartares-mantchoux avaient déjà la ferme volonté de s'emparer de l'empire et s'y préparaient. Nous ver- rons bientôt comment, aidés par les circonstances, ils parvinrent enfin à leur but. MORT DE SAINT FRANÇOIS-XAVIER. DYNASTIE DES MING. 127 II A la fin du XVe siècle, les Portugais et les Hollandais se lancèrent, en doublant le cap de Bonne-Espérance, à la recherche du fameux Katai de Marco-Polo, et leurs vaisseaux abordèrent sur les rivages de l'Extrême-Orient. Ainsi s'ouvrait par mer une nouvelle voie beaucoup plus facile, au moment où il n'était plus possible de songer à se mettre en route par le nord, à travers les steppes dévastés de la haute Asie. De nombreux ouvriers apostoliques partirent à la suite des navigateurs et des marchands. Un nouvel Ordre religieux, célèbre presque en naissant par l'ardeur de son zèle et l'éclat de sa science, venait d'être fondé par saint Ignace de Loyola. Gagné à Dieu par lui, François-Xavier, né dans la Navarre, le 7 avril 1506, fut un des cinq compagnons qui firent leurs vœux à Montmartre, en 1534, avec le fondateur. Sur les instances de Jean III, roi de Portugal, le pape Jules II choisit des mis- sionnaires pour les Indes. Il donna à saint François- Xavier le titre de nonce, avec les pouvoirs les plus étendus, et ce grand apôtre s'embarqua le 7 mai 1541. Après avoir visité le tombeau de saint Thomas à Méliapour, il partit pour le Japon et aborda au port de Cangoxima, le 15 août 1549. Après le Japon, son zèle lui montrait vers l'ouest un autre grand pays, la Chine ; il voulut à tout prix s'y rendre pour y prêcher l'Évangile. Re- poussé par les uns, trompé par les autres, ce n'est qu'après d'immenses difficultés que cet homme apostolique parvint à l'île chinoise de San-Siang, près de Can- ton. Cette île, où les Portugais avaient un comptoir pour leur commerce interdit sur le continent, fut le lieu où expira de fatigue saint François-Xavier. Un Portugais le trouva un jour étendu par terre, dévoré par les ardeurs d'une fièvre maligne ; il le porta dans sa cabane sur le bord de la mer, et lui prodigua les soins les plus dévoués. Mais le mal empira, et le 2 décembre 1552, le saint rendait sa belle âme à Dieu, en face et en vue de cet empire chinois où il avait tant désiré porter les lumières de l'Evangile ! Le Père Caroccio, jésuite, découvrit plus tard le tombeau du saint ; c'était une pierre de cinq coudées de long sur trois de large. On y avait gravé ces mots en latin, en portugais, en chinois et en japonais : «C 'est 'ici que Xavier, homme vraiment apostolique, a été enseveli. » D'un autre côté, l'ordre de Saint- Dominique travaillait depuis déjà deux siècles à la conversion de l'Asie. Aussi, en même temps que saint François-Xavier, douze Dominicains avaient passé dans les Indes. L'un d'eux, trois ans seulement après la mort du saint, tenta de pénétrer en Chine et y réussit. Ce Dominicain, nommé Gas- pard de la Croix, est donc le premier missionnaire entré en Chine par la voie du sud. Les commencements de sa prédication furent heureux, comme il le raconte dans la relation qu'il a laissée de son voyage et de ses missions. Les indigènes, touchés par ses exhortations et ses exemples, détruisirent eux-mêmes leurs pagodes et se firent baptiser ; mais les mandarins, effrayés de l'ascendant que prenait cet étranger, I I ES Dfc SAN-SIANG ET DE LAMPACAO. 128 PEKING. le firent arrêter et chasser de l'empire. Il passa dans le royaume d'Ormuz, puis retourna dans sa patrie, où il mourut en soignant les pestiférés de Lisbonne. Un autre missionnaire, Martin de Rada, Augustinien espagnol, entra également en Chine en 1575, par le Foukien. Il y séjourna trois années entières et fut ensuite saisi par les mandarins, jeté en prison, battu de verges et enfin chassé du territoire chinois. III Les Portugais, étant parvenus à s'établir sur la côte de Chine, construisirent la ville de Macao (en chinois Ngao-mcu). Les religieux de différents Ordres, entre autres les Jésuites, vinrent s'y fixer pour administrer la chrétienté europé- enne et tenter l'évangélisation de la Chine. Le P. Valignan, visiteur des Indes, nomma d'abord à cet effet le P. Michel Roggier de Na- ples, arrivé en 1579, et qui avait déjà étudié la langue chinoise. Ce Père ouvrit un catéchuménat à Canton, et le visiteur, ayant appris ce premier succès, lui adjoignit Mathieu Ricci, jésuite italien, né à Macerata, près d'Ancône, en 1552. Nous ne suivrons pas le célèbre Père dans ses missions du sud ; du reste, depuis son entrée en Chine, il n'avait qu'un but : se présentera la cour, avoir accès dans le palais impérial, et s'établir à Péking même. Il était persuadé, avec rai- son, que s'il parvenait à se faire accepter dans la capitale et à y établir une résidence, il ne serait pas difficile aux missionnaires de pénétrer partout ailleurs dans l'em- pire. Pour y arriver, il se livra d'abord avec ardeur à l'étude de la langue, puis il eut soin de se préparer des amis auprès de quelques mandarins en charge à la cour. Ver=; le commencement de l'année 1599, accompagné du P. Cattaneo et de deux Frères coadjuteurs indigènes, récemment arrivés de Macao, le P. Ricci partit de Nan-king à la suite d'un mandarin ami qui se rendait à Péking, où il arriva après un mois de voyage par eau. Ce mandarin lui fit faire la connaissance d'un officier du palais ; mais celui-ci, voyant qu'il n'y avait pas grand'chose à gagner avec les Pères et que, l'empire étant en guerre avec le Japon, tout étranger devenait suspect, refusa de les présenter. Le P. Ricci, après des efforts persévérants, jugea les difficultés jr~B L'EMPEREUR OUAN I DYNASTIE DES MING. 129 insurmontables, et résolut de retourner à Nan-king. A cause de la saison d'hiver, les Pères n'y arrivèrent qu'au printemps suivant. Ce premier échec ne découragea pas le P. Ricci ; il envoya le P. Cattaneo à Macao, et reçut bientôt par son entre- mise de beaux et riches objets destinés à l'empereur : des pendules, des montres, une grande horloge, un clavicorde et autres curiosités. Les Japonais ayant été vaincus et la paix rétablie, le P. Ricci partit de nouveau le 6 mai 1600, avec le P. Pantoja, sur la jonque d'un officier de sa connais- sance. Dans le Chan-icitvg, le vice-rci de cette province, dont le fils avait connu les Pères à Nan-king, les reçut avec bienveil- lance, mais arrivés à Linsr-ting-keou. Jl/a- l'ang, prépose aux douanes, leur suscita les plus grandes difficultés ; il ne put ce- pendant se dispenser d'avertir l'empereur de leur venue. Cet officier voulait accapa- rer à son profit les présents apportés par les Pères, ou au moins se charger de les offrir lui-même à l'empereur. Il entra à main armée sur la jonque du P. Ricci, bouleversa tout, prit ce qui lui convenait, vomit d'hon ibles blasphèmes contre le cru- cifix et les images, puis fit mettre en prison les missionnaires. Ce méchant homme les accusait de vouloir faire mourir l'empereur par leurs maléfices, et la position devint si dangereuse, que leurs amis eux-mêmes conseillaient le retour. Les Pères demeu- rèrent fermes et envoyèrent à Péking un des Frères chinois, Sébastien Fernandez, porteur de lettres pour leurs amis ; mais personne ne voulut le recevoir. Depuis six mois en prison, abandonnés de tous, n'at- tendant plus rien que de Dieu, ils furent agréablement surpris d'apprendre l'arrivée d'un ordre impérial qui les appelait à Pé- king. L'empereur Ouan-li, se souvenant du Mémoire que Ma-t'ang\u\ avait adressé, ordonnait d'expédier de suite ces étran- gers et leurs présents. Il fallut s'exécuter ; on donna au P. Ricci huit chevaux et trente porteurs renouvelés chaque jour, et pendant tout le voyage il fut fort bien traité. Le 4e jour de janvier 1601 , il entrait à Péking avec son escorte, et était reçu par un eunuque qui lui prêta son Péking. LE P. MATHIEU RICCI. palais. 130 PEKING. Dès le lendemain les eunuques portèrent les présents à l'empereur, qui en fut ravi ; on n'avait jamais vu pareilles choses en Chine. Les Pères durent venir dans la seconde enceinte du palais, pour mettre en marche les pendules et indiquer aux eunuques la manière de les remonter ; quant à la grande horloge, le ministère des travaux publics reçut l'ordre de construire, dans un des jardins du palais, une tour en bois très haute et très élégante pour la placer. Elle coûta 1300 onces d'or. Le P. Pantoja apprit aux jeunes eunuques la manière déjouer du clavicorde, sur lequel ils exécutèrent bientôt une cantilène chinoise. Mais, sans le vouloir et sans le savoir, les Pères avaient fait une grande faute en laissant offrir leurs présents par les eunuques ; cette cérémonie revenait de droit au tribunal des rites. Aussi, le président de ce tribunal, très irrité, fit arrêter les Pères, les retint trois jours en prison et les fit passer en jugement. Le P. Ricci n'eut point de peine à démontrer son innocence ; cependant on parlait encore de renvoyer ces étrangers, lorsque les eunuques s'y opposèrent : ils craignaient de ne plus pouvoir faire marcher les horloges après leur départ. Le Père Ricci présenta le 28 janvier 1601, à l'empereur, une requête ainsi rédigée : « Mathieu Ricci, votre serviteur, venu du grand Occident, s'adresse à vous avec respect, pour vous offrir des objets de son pays. » Votre serviteur est d'un pays fort éloigné, qui n'a jamais échangé de présents avec la Chine. Mal- gré la distance, la renommée m'a fait connaître les remarquablesenseignementset les belles institutions dont la cour impériale a doté tous ses peuples. J'ai désiré avoir part à ces avantages, et demeurer toute ma vie au nombre de vos sujets ; espérant d'ailleurs n'être pas tout à fait inutile. Dans ce but, j'ai dit adieu à ma patrie et traversé les mers. Au bout de trois ans, après un voyage de plus de quatre-vingt mille stades, j'ai abordé enfin au Koîiang-toung. » D'abord, ne comprenant pas la langue, j étais comme un homme muet. Je louai une habitation, et m'appliquai à l'étude du langage et de l'écriture — L'extrême bienveillance avec laquelle la glorieuse dynastie actuelle invite et traite tous les étrangers, m'a inspiré la confiance de venir droit au palais impérial. J'apporte des objets qui sont venus avec moi de mon pays. Ce sont une image du Maître du ciel, deux images de la Mère de Dieu, un livre de prières, une croix ornée de pierres précieuses, deux horloges sonnantes, une mappemonde et un clavecin européen. Tels sont les objets que j'apporte. Je vous les offre respectueusement. » Sans cloute ils ne sont pas de grande valeur; mais venant de l'Extrême-Occi- dent, ils paraîtront rares et curieux... N'ayant jamais été marié, je suis exempt de tout embarras, et n'attends aucune faveur. En vous offrant de saintes images, tout mon désir est qu'elles servent à demander pour vous une vie longue, une prospérité sans mélange, la protection du Ciel sur le royaume et la tranquillité du peuple. LE IiOCI EUR LY LÉON. DYNASTIE DES MING. 131 » Je supplie humblement l'Empereur d'avoir compassion de moi, qui suis venu me mettre sincèrement sous sa loi, et de daigner accepter les objets européens que je lui offre... » Autrefois, dans sa patrie, votre serviteur a été promu aux grades ; déjà il avait obtenu des appointe- ments et des dignités. Il connaît parfaitement lasphèrecéleste, la géo- graphie, la géométrie et le calcul. A l'aide d'instruments il observe les astres, et fait usage du gnomon ; ses méthodes sont entièrement confor- mes à celles des anciens Chinois. Si l'Empereur ne rejette pas un homme ignorant et incapable, s'il me permet d'exercer mon faible talent, mon plus vif désir est de l'employer au service d'un si grand prince. Toutefois je n'oserais rien promettre (vu mon peu de capacité). Votre serviteur recon- naissant attend vos ordres. » Lettre respectueuse. » L'empereur, bien disposéen faveur du P. Ricci, lui donna la permission de louer une maison à Péking et d'y rester. Le souverain ordonna de plus que les Pères recevraient du trésor les sommes nécessaires à leur entre- tien et à celui de leurs quatre servi- teurs. Il désirait beaucoup les voir, mais les rites s'y opposaient ; on en- voya donc les meilleurs peintres du palais pour faire leur portrait de grandeur naturelle ; ce qui permit au souverain de connaître, au moins en quelque façon, ces nouveaux étran- gers. Assuré de la protection du prince, le Père Ricci fit l'acquisition d'un terrain dans la ville tartare, non loin des grands tribunaux. Beaucoup de mandarins et de lettrés y étaient attirés par la curiosité ; d'autres y venaient pours'instruire des sciences mathématiques et naturrelles. Le P. Ricci en profitait pour leur expliquer les principaux mystères de la foi et les amener au christianisme. Il se servait à cette fin de tableaux apportés d'Europe, qu'il avait placés dans un petit oratoire, où il introduisait les mieux disposés. En 1605, la mis- sion comptait déjà plus de deux cents néophytes, parmi lesquels des personnages de LE DOCTEUR PAUL 5U-KOUANG-K I. 132 PEKING. marque. Parmi eux se trouvait le docteur Ly, natif de Hang-tcheou, dans la province du Tchc-kiang. Homme de talent, et doué d'une perspicacité d'esprit peu commune parmi les Chinois, il avait un grand désir de s'instruire. Aussi dès qu'il eut fait la connaissance du P. Ricci, il s'adonna, sous sa direction, à l'étude des sciences. 11 composa sept volumes sur les mathématiques, traduisit les ouvrages d'Aristote, les livres d'Euclide qu'il possédait parfaitement, et laissa plus de vingt volumes manus- crits sur différents sujets de philosophie. Comme il était très versé dans la littérature de son pays, il prit une grande part à la composition ou à la traduction des livres que les missionnaires publièrent pour les Chinois. Après être resté plusieurs années caté- chumène, il reçut le baptême des mains du P. Ricci, qui lui donna le nom de Léon. C'est lui dont il est parlé si souvent dans les Lettres édifiantes, avec le docteur Michel Yang, de Hang-tcheou, et le docteur Paul Su-kouang-k'i, de Su-kia-otiée; ce dernier venait d'être appelé à Péking pour être Ko-lao (ministre de l'empire). Ces trois lettrés chrétiens, par leurs écrits apologétiques, rendirent de grands services aux missionnaires et à la religion. Voici ce que le P. Sémédo nous dit du docteur Léon : « Il était natif de Hang- tchcou, personnage orné de belles qualités et doué d'un excellent esprit, et reconnu pour tel par tout le royaume ; de plus, à l'examen des docteurs, il aurait été le cin- quième entre trois cents licenciés, ou environ, qui prirent leur degré, ce qui lui acquit beaucoup de réputation. Il était naturellement curieux, ce qui fit qu'avec son bel esprit, et avec l'aide du P. Mathieu Ricci, il apprit force beaux secrets de la mathématique. Il traduisit en langue chinoise quantité de livres que le Père avait composés, et même, étant encore païen, il mit un catéchisme en beau style. On raconte que comme il le composait, voyant et pesant la force des raisons qui prouvent la sainteté de notre religion, qu'il n'avait pas encore embrassée, il s'écriait : « Certes, » il faut avouer que ces ouvrages sont merveilleux, et bien raisonnes. » Enfin, Dieu lui ayant ouvert les yeux pour pénétrer plus vivement les vérités de notre foi, et ne pouvant plus étouffer tant de lumières qui l'accablaient, il se résolut à être chrétien ; il fut nommé Léon sur les fonts du baptême. C'est ce Léon si célèbre par son zèle, par sa vertu, et pour avoir été une des plus importantes colonnes de cette nouvelle Église de Péking. » Le P. Mathieu Ricci, supérieur de la résidence et de la mission de Péking, avait de plus le gouvernement général de toutes les missions des Jésuites en Chine. Ses travaux apostoliques joints aux difficultés de cette lourde charge, usèrent sa santé, et il tomba gravement malade. Tous les remèdes furent inutiles, et ses confrères, après lui avoir demandé sa bénédiction, lui donnèrent les derniers sacrements, qu'il reçut avec la plus grande piété. Étendu sur son lit, sans douleur et sans agonie, il rendit en paix son âme à Dieu, le n mai 1610, à l'âge de 59 ans. Par la mort du P. Ricci, le P. Pantoja devenait le plus ancien des missionnaires ; il avait su s'attirer l'amitié d'un grand nombre de mandarins en leur faisant quelques présents, entre autres, certains cadrans d'ivoire qu'il fabriquait à la perfection. Sou- tenu par ses amis, il osa adresser à l'empereur une supplique pour demander un ter- rain devant servir de sépulture au P. Ricci. Il existait alors, en dehors de la porte Ping-tse-men, une belle maison appartenant à un eunuque récemment condamné à mort. La requête du P. Pantoja fut prise en considération, et le gouverneur de la ville, sur l'ordre de l'empereur, livra cette propriété aux missionnaires, par une pièce ainsi rédigée : « Le temple de la science et de la bonté ne doit point être acheté, puisqu'il est à l'empereur, en conséquence de la sentence de mort portée contre l'eu- DYNASTIE DES MING. 133 nuque qui le possédait ; que le bonze qui est dedans soit congédié et que le P. Pantoja et ses compagnonsen soient mis en possession.» Malgré l'opposition des eunuques, l'ordre fut exécuté et les missionnaires entrèrent en possession de cette propriété, qui, d'après le P. Sémédo, valait plus de 14.000 écus. La pagode qui s'y trouvait fut changée en une chapelle dédiée au Saint Sauveur; les idoles furent abattues et les matériaux de leurs au- tels servirent à la construction du tombeau du P. Ricci, dont les funérailles furent magni- fiques. Le jour de la Toussaint, une messe solennelle fut célébrée, et le cercueil déposé devant une petite chapelle hexagonale cons- truite au fond du jardin. Sur la porte de l'établ.ssement on grava les deux caractères chinois : Kinsse (don impérial) ; nous don- nons ci joint le plan complet de la propriété du célèbre P. Ricci. Voici, maintenant quel- ques extraits de l'éloge de ce Père, composé par le mandarin Ouang Iin-ling, préfet de Péking : « Au printemps de l'année 1610, Ricci mourut. Pantoja et ses compagnons en infor- mèrent l'empereur par une lettre commune, et le prièrent d'accorder des honneurs pos- thumes. L'empereurordonna une délibération. » Ou Tao-nan, vice-président du Tribunal des rites, et chargé d'expédier les affaires de cette cour, dit que Ricci était venu de loin, attiré par la bonté de l'empereur; qu'il avait étudié avec application et approfondi les sciences ; que ses écrits étaient en grand renom ; que Pantoja et ses compagnons dési- raient n'être jamais séparés de lui, ni durant la vie ni après la mort; qu'il convenait de lui accorder généreusement une faveur. Il pria l'empereur d'ordonner au préfet du Choun- tien-fou de chercher et de donner un terrain pour la sépulture du défunt, afin de signaler la bienveillance de la dynastie actuelle à l'égard des étrangers. L'empereur accorda la demande. » Le président du Tribunal des rites écri- vit à Houng Ki-cheu, préfet en second du Choun- tien-fou, qui se rendit dans le Ouau- p'iugsien. Dans le village de Eul-li-keou, se trouvaient une pagode de Bouddha et une maison de bonzes, en tout, trente-huit tra- vées, bâties sans autorisation sur un empla- |4 u. PLAN Dl CIMETIÈRE DE CHA-LA-EUL, EN IÔIO. 1. Chapelle hex- agonale de 2 mè- tres de diamètre. 2. Tombeau du P. Ricci avec stèle en marbre et table aux offrandes, sur laquelle se trou- vaient des coupes de fruits, et par devant un brûle- parfums, des vases et deschandeliers; le tout en pierre blanche. 3. Puits de 7 mètres de profon- deur. 4. Avenue con- duisant au tom- beau. 5. Cour inté- rieured'habitation pour les mission- naires. 6. Avant-cour et portique. 7. Cour inté- rieure pour les sal- les de réception et les salons. S.Premièrecour et dépendances pour les domes- tiques. 9. Porte d'en- trée. Tous ces bâtiments é- taient précé- demment oc- cupés par des bonzes. L'em- pereur donna l'ordre de les renvoyer pour faireplaceaux missionnaires. tiré DE llExpeditio DU P. TRIGAULT, 1MPR Cliristiana 1MÉE EN 1616. 134 PEKING. et nous avons eu un long entretien. cément de vingt mou par l'eunuque lang, dont les biens avaient été confisqués. Le président du Tribunal des revenus, ayant été informé de l'ordre de l'empereur, donna cette propriété. Il fit son rapport à l'empereur, et reçut son assentiment... » J'ai été chargé de faire exécuter les ordres bienfaisants et de publier les instruc- tions de l'empereur. Je suis allé à la maison des savants Européens. Pantoja et ses compagnons, Longobardi, de Ursis, Diaz et les autres sont venus au-devant de moi, - J'ai observé attentivement leurs discours et leur manière d'agir ; j'ai trouvé qu'ils sont hommes de bien et très distingués. J'ai péné- tré le fond de leurs sentiments. Leur principale affaire est d'honorer le Maître du ciel et de la terre, de l'aimer, de croire et d'espérer en lui. Ils font consister les bonnes œuvres dans l'amour de tous les hommes ; le commence- ment de la vie chrétienne, dans le repentir des fautes et la pratique de la vertu. J'ai reconnu qu'ils se conduisentavecmodestieet déférence. Ils connaissent admirablement l'astronomie. Ils ont appris, scruté tout ce qui concerne le ciel et l'homme... J'ai fait graver sur la pierre cette inscrip- tion, en témoignage des faveurs accordées par l'empereur aux étrangers, et du vif désir qu'il a de rendre sa bienfaisance à jamais célèbre, et de traiter avec honneur ceux qui viennent de loin. » Le P. Ricci, à son lit de mort, avait désigné pour son successeur le P. Longobardi, qui devint ainsi le supérieur de tous les Jésuites de Chine. Nicolas Longobardi, né en 1565, à Calata- girone, en Sicile, s'embarqua pour la Chine en 1596. Il mourut à Péking en 1655, après un séjour de 59 ans. Sa manière de voir au sujet de ce qu'on a appelé les rites chinois, était différente de celle de son prédécesseur le P. Ricci. D'après le conseil du P. Pasio, visiteur du japon, qui lui avait écrit que les Jésuites de ce pays n'approuvaient pas les rites, Lon- gobardi étudia la question plus à fond, et ces rites lui parurent entachés d'idolâtrie. En conséquence, il les interdit rigoureusement aux chrétiens, leur défendant, de plus, de se servir des mots Tien ou Changti pour désigner le vrai Dieu. Cette mesure n'empêcha nullement, tant que le P. Longobardi fut supérieur, qu'on ne vît se produire des conversions nombreuses et éclatantes. En 1618, Ouan-li, jusque-là tolérant pour la religion chrétienne, publia un édit qui ordonnait à tous les missionnaires de sortir de l'empire, et défendait à tout Chinois de se faire chrétien. Le P. Longobardi vint alors à Péking pour essayer de présenter un placet à l'empereur, mais ce fut inutile. Tous les Jésuites de Péking, même le P. Pantoja, durent se retirer en laissant la garde de Cka-/a-eul (cimeùeve du P. Ricci) LE GÉNÉRAL MA-OUEN-LOUNG. DYNASTIE DES MING. 135 à deux Frères de la Compagnie qui, étant chinois, ne tombaient pas sous 1 edit de proscription ; l'église et la résidence furent fermées. IV Nous avons vu plus haut que Tien-ming, roi des Tartares-mantchoux, s'était fait déclarer empereur l'an 1615; en 1619, ses troupes arrivèrent jusqu'aux portes de Péking, mais n'osèrent donner l'assaut. L'année suivante, Ouan-li mourut assez à temps pour ne point voir sombrer sa dynas- tie ; son fils Tac-chan lui succéda pour quatre mois seulement et fut remplacé par Tien-ki. L'empereur, se voyant en danger de perdre sa couronne, songeait à prendre tous les moyens possibles pour lutter contre l'invasion. Les docteurs chrétiens Paul et Michel, qui étaient à Péking, en profitèrent pour représenter au souverain que les Portugais de Macao étaient d'excellents soldats, que les Pères Jésuites étaient des savants de premier ordre ; que les unset les autres pourraientcontribuerpuissam- ment au salut de l'empire. C'est ainsi qu'un nouvel édit impérial rappela les missionnaires à Péking; 408 soldats partirent de Macao sous la conduite des capitaines Pierre Cordier et Rodriguez del Capo ; mais rencontrant trop de difficultés, ils s'en retournèrent après quelques semaines de marche. Au contraire, les PP. Longobardi et Diaz arrivèrent à Péking et furent bien reçus. Ils n'approuvaient pas le moyen employé, « étant ignorants, disaient- ils, des choses de la guerre, des armes et de l'art militaire ; 1> mais le docteur Léon leva leurs scrupules en disant : « Mes Pères, ne vous fâchez pas, s'il vous plaît, si l'on vous propose pour des guerriers: vous vous servirez de ce titre comme le couturier de son aiguille, qui ne lui sert qu'à passer son fil, et quand l'étoffe est cousue et l'habit achevé, il la quitte, n'en ayant plus besoin... » (sémédo, p. 350.) Le fait est que les Pères, après avoir été présentés au ministre de la Guerre, rentrèrent dans leur résidence, réparée par le Dr Ignace (sans que jamais depuis on leur ait ouvert la bouche, ny d'armes, ny de guerres, nyde Tartares. » (P. 351) Cependant les Mantchoux avaient enfin rencontré un général capable de leur résister ; il se nommait J\Ia-ouenloung. Dans la presqu'île du Léao-toung, en Corée et sur le fleuve Ya-lou, toujours il leur tenait tête, et demeurait incorruptible aux plus belles promesses ; Péking n'eut rien à craindre pour un temps. Tien-ki, l'empe- reur de la Chine, mourut en 1627 et fut remplacé par Tclioungtchen son frère. Tien-ming, l'empereur tartare, mourut aussi la même année, laissant le trône à Tten- tsoung son fils. LE P. TRIGAULT. 136 PEKING. En 1627 mourut le P. Trigault. Né à Douai, il était venu en Chine avec le P. Rho, peu après le P. Ricci, et s'était dévoué aux travaux de 1 evangélisation jus- qu'à l'année 1620. C'est alors que, le premier, il retourna de la Chine à Rome prendre soin des intérêts de la mission en qualité de procureur. Il y publia un abrégé de l'Histoire chinoise, et plusieurs autres ouvrages. Déjà en 1616, son « Expediho Christiana », contenant toute la vie du P. Ricci, avait été imprimée à Lyon. Dans la question des Rites, son opinion était celle du P. Longobardi, qui ne les autorisait pas ; il regardait Confucius comme une des divinités adorées par les Chinois. Vers cette époque, le fidèle général Ma-ouen-loiing fut empoisonné par le gé- néral l 'iicn, vendu aux Tartares. Tclîoung- tchen manda ce traître à la cour : il y arriva sans défiance et fut mis à mort. Cette condamnation intimida lesTartares, qui retournèrent pour quelque temps dans leur pays. Depuis plusieurs siècles, la rédaction du calendrier chinois et la direction de l'observatoire étaient confiées à des astro- nomes mahométans. On s'était aperçu que de nombreuses erreurs s'étaient glis- sées dans ce calendrier : mais, jusqu'à l'arrivée des missionnaires, on n'avait aucun moyen de les corriger. Immédiate- ment après la mort du P. Ricci, le docteur Paul présenta une requête à l'empereur Oitan-Ii, lui disant que les Pères du grand Occident avaient une science profonde et étaient très instruits dans l'astronomie. L'empereur, agréant la requête, les chargea officiellement de la correction du calendrier. Les premiers à qui l'on donna cet emploi furent le P. Sabatin de Ursis et le P. Jean Térentius (Allemand). Le P. Jacques Rho, Italien, savant astro- nome, fut, en 1634, chargé de l'observa- toire de Péking. Il appela pour l'aider dans ses travaux le P. Adam Schall, qui fut présenté à la cour par le docteur Paul. Ce savant Jésuite était né à Cologne en 1 59 1 ; entré en Chine en 1622, il s'occupa d'abord à Si-ngan-fou dans le C/ieu-si, soit aux travaux des missions, soit à des observations scientifiques. Par ses soins, une église y fut même construite. En 1634, Tcfi oung-tchen, qui devait être le dernier empereur des Ming, eut a combattre une insurrection formidable de ses propres sujets. Il se trouvait pour ainsi dire entre deux feux : les révoltés arrivant par le sud, et les Tartares prêts à envahir son empire par le nord. C'est alors, en 1636, que le P. Adam Schall accepta la direction des fonderies de canons et autres pièces d'artillerie destinées à la défense de Péking contre les rebelles. Ll-KOUNG, CHEF DES REBFXLES. DYNASTIE DES MING. 137 Il eut un plein succès : vingt canons de gros calibre pouvant lancer des boulets de 40 livres, et beaucoup d'autres moins importants, furent mis en batterie sur les murs de la capitale. Cependant, un nommé Li-koung ou Li-tse-tckang, voleur de grand chemin, avait résolu de faire la conquête de la Chine septentrionale, abandonnant le sud à un autre prétendant. A la tête de bandes nombreuses et aguerries, en 164 1, il s'empara du C lien- si et du Ho-nan, et vint assiéger l'année suivante ( 1642), la ville de K'aè-foùng-fou. Le 9 octobre, cette malheureu- se cité,précédem- ment ravagée par le débordement du fleuve Hoang- ho, fut brûlée et servit de bûcher à 300000 per- sonnes. Il s'em- para ensuite de Si-ngan-fou et se déclara empereur. Li- koung revint alors vers l'est et ravagea le Chen-si ; son armée fut renforcée par les troupes envoyées de Péking pour le combattre et qui passèrent à l'ennemi. L'empereur parlait de retourner à Nan- king, mais on l'en dissuada. Li-koung, après avoir acheté les principaux man- darins de la capitale, marcha sur Péking et y entra par trahison, en avril 1644. Réduit au désespoir, trahi et aban- donné de tous, le malheureux empereur voulut, avant de se donner la mort, tuer sa fille ; il la frappa d'un coup de sabre qui lui coupa seulement la main droite ; ensuite il se rendit au jardin du nord (le Mée-ckaii), où il se pendit à un arbre. Cet arbre, instrument de régicide, est encore enchaîné. La reine, le grand Kolao et quelques mandarins fidèles imitèrent son exemple. Pendant cette lugubre tragédie, Li-koung monta sur le trône impérial ; le lendemain, il fit mettre en pièces le cadavre de Tclioung- tchen et tuer deux de ses fils ; l'aîné seul fut sauvé. 138 PEKING. )n vit errer longtemps dans les montagnes du Chan-toung un vénérable vieillard, appé au carnage et toujours dévoué aux Ming vaincus ; il servait de mentor à un Or échappé au carnage et toujc jeune homme dont les manières distinguées trahissaient l'illustre origine ; près de lui était une jeune fille, sa sœur bien-aimée... ; elle n'avait plus qu'une main ! La cruauté de Li-koung s'exerça sur tous les personnages de haut rang faits pri- sonniers. Parmi eux se trouvait le père du général Ou-san-koui, qui commandait encore une armée dans le Léao-toung. Li-koung lui envoya un courrier pour lui signifier que s'il ne se rendait pas de suite avec ses troupes, son père serait égorgé, et il força ce vieillard à écrire la lettre suivante : « La terre, le ciel et les destins ont fait le chan- gement que nous voyons. Sachez, mon fils, que l'empereur Tciï oung-tchen est mort, et que ceux de la famille royale des Mingne doivent plus rien prétendre à l'empire, puisque le ciel l'a donné à Li- koung. C'est sagesse de céder au temps et d'obéir à la nécessité, pour éviter la rigueur de celui qui est maître de l'empire, et qui a entre ses mains notre bonne et notre mauvaise fortune. Il vous fera roi, si vous voulez le reconnaître empereur et engager vos troupes à son service ; sinon, je suis mort. Voyez, mon fils, ce que vous devez faire pour sauver la vie à celui qui vous l'a donnée. » Ou- san-koui répondit à son père de cette façon : « Celui dont vous me parlez ne nous sera pas plus fidèle qu'il ne l'a été à son roi ; et vous, mon père, si vous avez oublié ce que vous devez à votre prince, ne trouvez pas mauvais que je vous désobéisse, puisque mon obéissance serait criminelle. J'aime mieux mourir que d'être esclave d'un voleur. » Ayant fermé sa lettre, il envoya aussitôt un ambassadeur au roi des Tartares pour lui deman- der du secours contre Li-koung. Le Tartare, ne voulant pas laisser passer une si belle occasion d'entrer dans la Chine, se présenta dès le même jour à Ou-san-koui, avec So.ooo hommes tirés des places qu'il avait dans la province de Léao-totmg, et lui tint ce langage : « Pour rendre notre victoire plus assurée, je vous conseille de faire raser vos soldats et de les habiller comme nous, afin que Lt- koung les prenne tous pour des Tartares, et qu'ainsi notre nombre paraisse plus grand. Si je n'avais eu peur de trop tarder, je vous aurais amené une armée plus puissante, mais la brièveté du temps ne m'a pas permis d'en ramasser une plus forte. » Ou-san-koui avait un si grand désir de se venger, qu'il accorda tout, (le P. MARTINI.) Cette jonction ne laissa pas que d'épouvanter Li-koung; il abandonna la capitale et recula vers le Chen-si, emportant les trésors et toutes les richesses accumulées par les seize empereurs des Ming. Les cavaliers tartares le poursuivirent et recon- quirent une partie du butin, mais ils ne voulurent pas franchir le fleuve jaune et revinrent à Péking, où ils furent reçus en libérateurs. Toujours fidèle à la dynastie OU-SAN-KOUI. DYNASTIE DES MING. 139 qu'il croyait peut-être avoir sauvée, Ou-san-koui voulut faire couronner empereur le descendant des Ming. Il remercia les Tartares des grands services qu'ils avaient rendus à la Chine, leur offrit de riches présents et les invita à regagner leur pays, ne voulant pas abuser plus longtemps de leur bonne volonté. Les Tartares lui firent observer que l'empire était encore bien troublé, et lui conseillèrent de pour- suivre les rebelles dans le Chen-si avec ses troupes, auxquelles ils ajouteraient quel- ques régiments tartares ; eux, pendant ce temps, pacifieraient les provinces voisines de Péking. Ou-saJi-koui dut accepter leur proposition, sans probablement se faire illusion sur les desseins que cachait une politique aussi courtoise. Bientôt plus de 100.000 cavaliers arrivés de toutes les provinces tartares envahirent le Pé-tche-ly. % (1> 0 € ANTIENNES ARMES. Ils entrèrent en masse dans Péking ; c'était fini, l'empire leur appartenait. Leur premier empereur fut Choun-tche, fils de Tien-tsoung ; il n'avait que six ans. Le plus âgé de ses oncles, A-ma-ouang, fut nommé tuteur et régent de l'empire. C'était un prince d'une prudence consommée, un général habile et courageux, équitable dans ses jugements et bon envers tous. Ces qualités remarquables, jointes à un dévoue- ment sans bornes aux intérêts de son neveu, ne tardèrent pas à affermir la puissance du nouvel empereur. Pour gagner à la dynastie le général Ott-san-koni, qui pouvait devenir encore fort redoutable, on lui offrit, avec le titre de Pacificateur de l'Occi- dent, la vice-royauté de Si-ngan-foit dans le Chen-si. Le fidèle serviteur des Ming accepta, se réservant l'avenir. Les mandarins des divers tribunaux, les généraux chinois eux-mêmes vinrent féliciter le nouveau souverain ; le peuple cria : « Oitan- soui ! Ouau-soni ! » et la dynastie des Tsing fut fondée par acclamation (1644). I. DYNASTIE DES TS'lNG. CHOUN-TCHE. A-MA-OUAKG. JOUN-LIÈ. LTMPÉRATRICE HÉLÈNE. II. DÉCRET EN FAVEUR DU P. ADAM SCIIALL. CONSTRUCTION DE L'ÉGLISE DU NAN-T'ANG. MORT DE CHOUN-TCHE. HOUN-TCHE, premier empereur de la dy- nastie des Ts'ino- actuellement régnante, monta sur le trône en 1643. Apres son avè- nement, les Chinois vaincus reçurent l'ordre de sortir de l'enceinte des murailles et d'aban- donner la ville impériale aux Tartares. Adam Schall, pendant l'effroyable révolution dont Péking venait d'être le théâtre, avait pu sauver et sa petite résidence et ses instru- ments d'astronomie. Il fit valoir auprès du nouveau gouvernement le titre de Président du tribunal des mathématiques que les Ming lui avaient conféré, et obtint la per- mission de rester dans la ville. Un décret impérial du mois de février de l'année 1645 le confirma dans ses attributions, et la rési- dence de la ville et celle du cimetière où était enterré le P. Ricci, furent conservées. Les Tartares imposèrent aux Chinois l'obligation de se raser le contour de la tête et de s'habiller comme eux ; il fut ainsi facile de distinguer ceux qui acceptaient la nouvelle dynastie et ceux qui refusaient de la reconnaître. Aujourd'hui encore, garder les cheveux longs et non tressés est un signe de rébellion ouverte contre l'empereur. Cette condition, peu dure en apparence, coûta beaucoup aux Chinois, toujours si tenaces dans leurs coutumes, et plusieurs, plutôt que de se soumettre, préférèrent la mort. Le premier ministre, A-ma-oïiang, voulut avant tout assurer la tranquillité de l'empire. Les descendants des Ming étaient encore puissants dans le sud de la 142 PEKING. Chine, et plusieurs d'entre eux se firent proclamer empereurs dans diverses provinces. Leur division fit leur faiblesse, et après quinze années de lutte, les troupes tartares finirent par être vic- torieuses dans tout le midi de l'empire. Les villes qui se ren- daient sans combat, étaient traitées avec la plus grande hu- manité ; mais celles qui opposaient de la résistance, voyaient tous leurs habitants passés au fil de l'épée sans distinction d'âge ni de sexe. Les ar- mées tartares, char- gées de butin, reve- naient vers Péking après chaque grande expédition, et étaient remplacées par de nouvelles troupes ar- dentes au pillage. Aux prétendants qui luttaient contre les Tsiiig, se joignit un fameux chef de pi- rates nommé Tchcn- che-loung, qui tenait la mer depuis long- temps avec une flotte de plus de trois mille jonques. Les Tarta- res, pour le gagner, favorisèrent son am- bition en lenommant lieutenant - général , avec le titre àepaci- ficatcur du midi. Sans défiance, il se rendit à Fou-tcJieou ; là, il fut saisi, chargé de chaînes et conduit prisonnier à Péking. Mais le plus re- L'EMPEREUR CHOUN-TCHE doutable ennemi de la nouvelle dynastie fut un petit-fils de Ouan-li, que ses parti- sans proclamèrent empereur sous le nom Aejoun-lù. Il établit sa cour dans les pro- vinces de Koîiaug-toung&t. Kouang-si, et choisit pour capitale la ville de Kouie-lin- DYNASTIE DES TS1NG. 143 fou. Le vice- roi du Kouang-si, nommé Thomas Su, était chrétien, ainsi que le géné- ral en chef, Luc Sin ; enfin, le grand chancelier de l'empire avait aussi embrassé le christianisme. La mère de l'empereur avait été baptisée en 1648 par le P. André Koffler, ainsi que l'impératrice, à laquelle on donna le nom d' Hélène, et son jeune fils, que l'on appela Constantin. Deux ans après, la princesse Hélène et Pan Achillée écrivirent au pape Alex- andre VIII ; le P. Michel Boyme porta les lettres qui contenaient des promesses de fidélité au Souverain Pontife. Elles sont datées des Ier et 4 novembre 1650. Le Pape répondit par un bref du 18 décembre 1655 ; mais dans l'intervalle, les Tartares avaient vaincu, comme on va le voir, Joun- lie, leur dernier et plus terrible adversaire. Les armées tartares, presque toujours victo- rieuses, avaient cepen- dant essuyé plusieurs échecs inquiétants. A- ma-ouang fit alors par- tir de Péking trois grands corps d'armée, donnant aux généraux les titres de princes, avec ordre d'anéantir le dernier des Mine et tous ses partisans. Ils marchèrent contre Can- ton, défendu par une redoutablearmée etpar une Motte considérable commandée par le fils ~7 du fameux pirate dont nous avons parlé. Les troupes de Macao prê- tèrentaussi leur secours à Joun-lic. Le siège dura un an ; les Tarta- res éprouvèrent d'im- menses pertes et furent repoussés dans trois assauts ; enfin, le 24 novembre 1650, ils dressèrent une batterie de gros canons qui fit brèche à la muraille. Maîtres de la place, ils commencèrent le pillage, qu'ils conti- nuèrent jusqu'au 5 décembre. Le massacre fut horrible, on n'épargna ni femmes ni enfants ; plus de 100.000 personnes périrent par le fer ; le 6 décembre seulement, les généraux tartares publièrent un édit qui mettait fin à la dévastation. Ils marchèrent ensuite contre la ville de Chao-kin, oh. Joun-lic s'était retiré. Ce malheureux empe- reur s'enfuit avec ses partisans, et peu après fut tué ainsi que son jeune fils par les Tartares; l'impératrice Hélène, condamnée à une prison perpétuelle, fut conduite à Péking. Les généraux et les mandarins chrétiens, fidèles jusqu'à la fin à la dynastie des Ming, trouvèrent la mort en combattant. ^ Un autre danger avait également menacé la dynastie tartare. Les provinces du Chan-si, du Chen-si et de tout l'ouest de l'empire n'étaient encore qu'imparfaitement L'EMPEREUR JOUN-LIÈ ET SON FILS CONSTANTIN'. 144 PEKING. soumises ; de plus, il était à craindre que les Tartares mongols ne se joignissent à elles ; aussi l'empereur CJioun-tche envoya en 1649 un de ses oncles, le prince Pa- ouang, pour demander au chef de ces Tartares sa fille en mariage. En passant par la ville de Tac-tonng-fou, l'ambassade tartare commit quelques désordres et une révolte éclata. Pa-ouang ne voulant point faire justice, le gouverneur de la ville, nommé Kiang, se mit à la tête des révoltés, et l'oncle de l'empereur ne dut la vie qu'à la vitesse de son cheval. A la pre- mière nouvelle de cette rébellion, une armée partit de Péking et fut défaite ; une seconde éprouva le même sort. Les Chinois continuèrent leur marche sur la capitale, et A-ma onang craignit, non sans raison, de voir la puissance de son neveu ruinée de fond en com- ble. Il leva toutes les troupes de Tar- tarie, divisées comme aujourd'hui en huit bannières, et marcha en personne pour tenter une dernière fois la fortune. L'ambassade envoyée de nouveau aux Tartares mongols fut bien reçue ; l'or, l'argent, les étoffes précieuses qu'^4- ma-otiang avait fait offrir au prince, le gagnèrent à la cause des Ts'iug. Il leur accorda tout : et sa fille et le se- cours de ses soldats. Ainsi fortement appuyé, A-ma-ouang, par de savantes manœuvres, réussit à enfermer dans la place de Taï-tonng-fou le général Kiang et son armée. Des retranche- ments exécutés en quelques jours in- terdirent toute communication de la place avec le dehors. Réduit à la der- nière extrémité, Kiang voulut s'ouvrir un passage l'épée à la main ; après un combat acharné, il tomba mort, percé d'un javelot, et les débris de ses trou- pes mirent bas les armes, Taè-toung- fou fut pillée ainsi que toutes les villes de la province, puis les Tartares ren- trèrent à Péking triomphants et char- gés de dépouilles. l'impératrice-mère (anne). Les dernières résistances ayant ainsi cessé, la paix de l'empire étant assurée, A-maouang songea au mariage de son neveu. Pour que cette importante affaire réussît, il ne voulut la confiera personne et se rendit lui-même auprès du roi de la Tartarie occidentale, pour la traiter (1650). DYNASTIE DES TSING. 145 II Cette même année, l'empereur Choun-tchc, reconnaissant envers Adam Se hall pour la correction du calendrier, rendit en sa faveur le décret suivant : i, Puisque nos aïeux ont toujours fait tant d'estime de la science astronomique, elle mérite bien que nous en fassions de même à leur exemple, et que nous réle- vions encore par-dessus les astres, d'au- tant qu'ayant été presque mise en oubli sous le règne des autres empereurs, elle a été rétablie à présent dans sa première perfection, et particulièrement du temps de Soung, empereur tartare qui possédait cet empire chinois avant l'année 400, sous le règne duquel elle fut rendue plus exacte par Coxen Kim. Comme elle fut néanmoins remplie de si grandes erreurs sur la fin de la vie de notre prédécesseur qu'on nommait Ming, qu'il était impos- sible de pouvoir s'en servir, le bonheur a voulu que nous ayons trouvé Jean Adam Schall, qui est venu des extrémités de l'Occident en Chine, et qui sait non seu- lement l'art de calculer, mais encore pos- sède parfaitement la théorie des planètes et tout ce qui appartient à l'astrologie, lequel a mis cette science en lumière, et a mérité que notre prédécesseur, en ayant eu connaissance, l'ait envoyé chercher pour l'établir maitre de l'académie des mathématiques, et lui ait donné la charge de perfectionner la science astrologique. Il est arrivé néanmoins que, comme plu- sieurs personnes ne connaissaient pas le profit qu'il en proviendrait à l'empire, on ne voulait pas aussi se résoudre à la faire apprendre aux sujets de cet Etat; c'est pourquoi, voulant remédier à cet abus, mon premier soin (à mon avènement à cette couronne) a été de donner une par- faite connaissance de l'ordre des temps à tout ce royaume. Et parce que je voulais expérimenter le premier si l'art que le P. Adam Schall avait réparé était fidèle, j'ordonnai d'observer soigneusement l'éclipsé du soleil qu'il avait prédite autrefois, et je trouvai qu'elle arriva au même jour, à la même heure et à la même minute qu'il avait assuré, et que toutes les circonstances correspondaient très bien à son calcul. De plus, comme il avait dit qu'en l'année suivante il devait arriver une éclipse de Pékinj 10 L'IMPÉRATRICE HÉLÈNE. 146 PEKING. lune au printemps, je commandai de l'observer exactement ; de sorte qu'après avoir trouvé qu'il ne manquait pas d'un seul point, je crus que le Ciel nous avait offert cet homme pour nous servir dans le temps où je prenais en main le gouvernail d'un si orand empire. Voilà pourquoi je lui ai tout à Fiait commis l'intendance du tribunal des mathématiques : mais parce que le P. Jean Adam vit chastement depuis sa jeu- nesse, et qu'il ne veut point entreprendre d'affaires incompatibles avec son institut de religion, j'ai cru qu'il était nécessaire de l'obliger par un commandement absolu d'accepter la préfecture de cette charge, et de lui donner le titre de Maître des secrets célestes, avec la dignité du second ordre des mandarins, en suite de quoi il s'est si fort occupé à cet office depuis quelques années, qu'il y emploie toute son étude et s'y applique avec plus de diligence qu'il n'avait accoutumé de faire. Et parce qu'il a un temple auprès de la porte de la ville qu'on appelle Choun-tche-men, dans lequel il offre des sacrifices à Dieu selon la coutume de sa religion, j'y ai fait quelque peu de libéralité pour le faire bâtir et pour l'orner. Dès lors que je suis entré dans cette église, j'ai vu des images et autres ornements des pays étrangers, des livres de leur loi que j'ai vus sur les tables de leurs chambres; et les ayant interrogés sur ce qu'ils contenaient, ledit Jean-Adam m'a répondu que c'était l'explication de leur divine loi, sur quoi je dirai que quoique je me sois autrefois occupé à l'étude de la doctrine de Vao, C/iouu, Yu, et quoique j'aie lu leurs livres, auxquels j'ai compris quelque chose, comme aussi à ceux de Fo et de Tao, dont je n'ai jamais pu rien retenir dans ma mémoire, si est-ce pourtant que je ne trouve rien d'égal aux livres de cette divine loi. Et quoiqu'à présent je n'aie pas le temps de les lire, à cause de la grande multitude des affaires de notre royaume, qui ne m'ont pas permis d'en donner un plus parfait jugement, je crois toutefois que le P. Jean Adam, qui a de- meuré longtemps parmi nous (et qui est en grande estime à cause de sa vertu et de sa science), est capable d'en juger ; et parce que lui-même la prê- che et la suit, je crois aussi qu'elle est très bonne, d'autant mieux que ce Père qui adore Dieu, à qui il fait élever un temple où il le sert avec tant de modestie et de respect, garde toujours cette même loi depuis tant d'années sans y changer le moindre point: c'est une marque qu'elle est très pure. Ainsi, comme ce même Père est une personne douée d'une rare vertu, au jugement de tout le monde, et de plus que cette loi commande de servir Dieu et de lui obéir, comme aussi aux rois et aux magistrats, de ne point faire de mal à personne et de tâcher de procurer toujours le bien du public et du particulier, ce qu'il observe exactement et fidèlement, plût à Dieu que tous mes sujets et tous les magistrats de mon royaume eussent cette bonne méthode de servir Dieu, et que tous voulussent se conformer à son exemple pour LE VICE-ROI THOMAS SU. DYNASTIE DES TS'ING. 147 garder cette divine loi, et eussent le même zèle pour le service de leur empereur ; peut-être que l'on vivrait mieux avec moi qu'on ne le fait, qu'on serait plus soumis à mes ordres, et que l'empire jouirait plus longtemps d'une heureuse tranquillité. Pour ce qui est de mon particulier, je donne mon approbation à cette loi que ce Père observe, je l'estime et je la loue, et c'est pour cette raison que j'ai fait mettre ce titre devant cette église, afin que la mémoire s'en conserve éternellement : et je pré- tends au reste qu'on l'appelle T oung-ouèi-kia-king, c'est-à-dire, excellent lieu d'où l' on pénètre les cieux. Donné à Péking.la y" année de notre empire (1650).» (kirciier.) ni^aini^ SB _f:?cr J'urju-nr, m wrrtny un aj^jtjtj thj tj Tr\r\jTJ\HJTJ v ^p ' i=^£*. -•=4^*/ "'t^*' '*=&' ^'^ as ■ W ; 11: § 3 J' %,&% Si© m m % m ARC DE TRIOMPHE ÉLEVÉ DEVANT L'ÉGLISE DU NAN-T'ANG, PRES DE LA PORTE CHOUN-TCHE-MEN. Grâce à ce décret, le P. Adam Schall, en 1650, jeta les fondements d'une grande église, sur un terrain donné par l'empereur. Il put se procurer à bon compte les matériaux nécessaires, car la ville était encore couverte des ruines laissées par les rebelles. L'église fut rapidement construite en forme de croix latine et de style euro- péen, accommodé au goût chinois. Outre le maître-autel, elle avait quatre chapelles latérales, et les murs à l'intérieur étaient couverts de sentences chinoises sur la reli- gion. Au-dessus du portail se lisait l'inscription suivante, en chinois et en tartare : « Après que l'apôtre saint Thomas eut rapporté le premier la doctrine de l'Evan- gile dans ce pays ; après que les Syriens l'eurent publiée derechef et étendue par tout l'empire sous le règne des T'ang, elle y fut encore beaucoup divulguée sous l'empire 148 PEKING. des Ming, par des personnes très zélées, dont saint Xavier et le P. Riccius étaient les chefs de cette sainte entreprise, lesquels firent un grand fruit tant par leurs pré- dications que par les livres composés en langue chinoise, qu'ils firent distribuer par tout le royaume. Mais enfin, comme l'inconstance est ordinaire aux choses humaines, il arriva que l'empire de la Chine étant tombé sous la puissance des Tartares, les mêmes Pères, ayant rétabli le calendrier xi nommé Hien-lïè, ont mérité pour la récompense de leur travail que l'em- pereur leur ait fait bâtir dans la ville de Péking, où est la cour, un beau temple à la gloire du Dieu vivant. LEQUEL FUT BATI ET DEDIE EN L'AN MDCL. DE CHOUN-TCHE LA VIIe ANNÉE. » Le P. Jean-Adam Schall, Alle- mand, religieux profès de la Compa- gnie de Jésus et l'auteur dudit calen- drier, lègue cette maison à ses succes- seurs, laquelle il a fait bâtir avec grande peine et travail. » (kircher.) En face de ce monument s'élevait un grand portique ou arc de triomphe en marbre blanc, avec cette inscrip- tion : Cet arc de triomphe a été élevé en signe de reconnaissance, et dédié à Dieu et à la Sainte Vierge en l'an de grâce 1652. Sur le fronton extérieur on voyait quatre caractères gravés et dorés, donnés par l'empereur. Les di- manches et fêtes, on se rendait en foule dans cette église, même des villages voisins ; des catéchistes étaient prépo- sés pour recevoir les visiteurs et ins- truire les catéchumènes. Son érection et la faveur impériale portèrent à un haut degré le prestige des mission- naires. On peut voir en dedans de la porte Choun-tche-men l'ancienne église plu- sieurs fois reconstruite, et les pavillons jaunes recouvrant les stèles sur les- quelles sont sculptés les décrets impé- riaux ; elles sont religieusement conservées. Du temps des persécutions, on avait fermé cette église et détruit les bâtiments; la toiture était effondrée, les stèles à terre et sans pavillons. Ces ruines ont été relevées en 1S61. . l-ii/a-onaug mourut en 1651, laissant l'empire pacifié. C'est à lui que la dynastie des Tsiug doit son élévation. Il eut, paraît-il, vers la fin de sa vie un moment d'am- bition, et songea même à supplanter son neveu sur le trône de Chine. Le jeune empereur, après avoir pris les rênes du gouvernement, ayant eu connaissance des vues ambitieuses de son oncle qu'on lui représenta comme un traître, oublia tout ce I.IMI'KRVTRICE FILLE DU ROI DES TARTARES ORIENTAUX. DYNASTIE DES TS'ING. 149 qu'A-ma-ouang avait fait pour lui ; il fit déterrer son cadavre auquel on coupa la tête, et raser son tombeau ! Peu après, l'empereur procéda aux cérémonies de son mariage, qui furent magni- fiques ; parmi les nombreux cadeaux que le prince des Tartares occidentaux envoyait à Choun-tcke, le P. Martini rapporte qu'il y avait 80.000 chevaux ! L'empereur, pour honorer le P. Schall d'une manière spéciale, donna un édit par lequel il le nommait Ta-chan-sse, avec le titre de Tonng.hojii-tac.foii, c'est-à-dire « homme sage et prudent l. De plus, il voulut anoblir ses ancêtres, ce qui est une faveur tout à fait exceptionnelle, et rendit deux nouveaux décrets : l'un en l'honneur CHOUN-TCHE ET LES EONZES SE RENDANT AUX PAGODES. de son père, Henri Schall, l'autre en l'honneur de sa mère, Marie Schaiffart de Mérode. Il donnait au premier le titre d' « homme d'une piété remarquable » ; à la seconde, celui de « femme d'une grande sainteté ». Ces trois décrets sont datés de la 8e année de Clwun-tche (1651). Enfin, un peu plus tard, l'empereur conféra des honneurs à tous les ancêtres de Jean-Adam Schall, jusqu'à son trisaïeul. La position de grand mandarin, occupée par le P. Adam Schall, donnait beaucoup d'ombrage et excitait la ialousie de ceux qui auraient pu l'occuper à sa place. Il nommait lui-même les soixante-dix membres du tribunal dont il était président; il ne sortait jamais qu'avec une nombreuse escorte de satellites et de serviteurs ; il était astreint à de continuelles visites officielles qui contrastaient si fort avec sa con- dition de religieux, que lui-même s'en plaignit un jour à l'empereur. 150 PEKING. Choun-tche conçut beaucoup d'affection pour Tang-Jo-ouang (nom chinois de Jean- Adam Schall), et écouta souvent ses conseils. Ce missionnaire avait à lutter contre l'influence prépondérante desbon- zes protégés par la reine-mère. Malgré tous ses efforts, il ne par- vint pas à détourner l'empereur des plus folles superstitions ; ce- pendant Choun-tche lui donnait souvent le nom familier de Afajffa, et lui permettait l'entrée journa- lière du palais ; il alla même plu- sieurs fois lui rendre visite dans sa résidence. Le P. Adam Schall eut un instant l'espoir de convertir le souverain, mais tout fut inutile ; et un jour, pressé plus que de coutume, Choun-tche répondit : ^ « Maffa, je ne te comprends pas ! >ëM comment, toi qui es religieux, peux-tu me reprocher ce que ma religion me fait faire ? Ne trouve- rais-tu pas mauvais, si je voulais m'opposer à l'exercice de ta reli- gion ? Pourquoi donc veux-tu m'empêcher de pratiquer la mien- ne ? Je te pardonne, JMaffa, parce que tu agis ainsi par affection pour ma personne ; je supporte volon- tiers les invectives d'un ami. » Malgré toutes ses peines, le P. Adam Schall n'arriva à aucun ré- sultat, et, plus tard, il paya cher les faveurs dont il avait été comblé par Choun-tche. Dès l'année 1623, les Hollan- dais avaient montré leur pavillon sur les côtes de Chine. Vers 1644, ils occupaient T'ac-ouan dans l'île de Formose, et envoyèrent, le 20 janvier 1653, une riche frégate à Canton pour exiger la libertécom- merciale. Le vice-roi déclara que l'empereur seul pouvait l'accorder; alors, en 1655, une ambassade fut envoyée à Péking. Elle eut peu de succès, et les Hollandais attri- buèrent cette défaite aux intrigues du P. Adam Schall. (mém., t. y, p. 21.) En 1656, une ambassade envoyée à Péking par le Czar de Moscovie n'eut égale- ment aucun succès.l'ambassadeur refusant de se conformer aux exigences desChinois. LE l'KINCK PAO OUANG. DYNASTIE DES TS'ING. 151 Peu après, l'empereur étant tombé malade, le P. Adam Schall tenta de nouveau de le convertir, mais ce fut en vain. Choun-tche était livré aux bonzes; à la mort d'une de ses femmes de second rang, il lui fit faire des funérailles d'une pompe inouïe, renouvelant en sa faveur la barbare coutume des Tartares, qu'ils avaient abolie depuis leur entrée en Chine, et qui consiste à sacrifier des officiers et des esclaves sur le tombeau des princes, comme pour leur rendre dans l'autre vie les mêmes services qu'ils leur ont rendus dans celle-ci. D'après l'ordre de Choun-tche, plus de trente personnes se donnèrent la mort. Les funérailles furent surtout remar- quables par un immense concours de bonzes ; il en vint de tous les côtés, et dans l'intérieur du palais on en compta bientôt plus de deux mille. Le malheureux empereur, à qui la douleur avait bouleversé l'esprit, leur rendait les honneurs les plus extravagants. La chose alla si loin qu'il se fit raser la tête à leur manière, adopta leur costume et se déclara publiquement disciple des bonzes. Il s'abandonna avec eux à tant de superstitions ridicules. qu'il finit par exciter le mépris et l'indignation, non seulement des Chinois, mais encore des Tartares. On le voyait, en dépit de sa maladie, courir les rues de Péking comme un insensé, allant tantôt dans une pagode et tantôt dans une autre, se prosternant devant toutes les idoles qu'il rencontrait et psalmodiant des prières bouddhiques. Choun-tclie ne put résister longtemps à ces intempérances de tout genre. Une violente fièvre se déclara et le conduisit bientôt aux portes du tombeau. Le P. Adam Schall voulut le vcir, mais il ne fut pas reçu ; le monarque moribond fit aux quatre régents de l'empire, en signe de respect, une inclination de tête, et demanda ensuite son vêtement impérial. Il revêtit une robe ornée de dragons brodés en or, et après avoir croisé les jambes et les bras : « Voilà, dit-il, que je m'en vais » ; et peu de temps après il expira. Le lendemain, les quatre régents firent monter sur le trône impérial le jeune prince, âgé de huit ans, qui donna à son long et glorieux règne le nom de K'ang-si. Le quatorzième jour de la première lune on prêta solennellement serment de fidélité au nouvel empereur. Lorsque les grands de l'empire eurent prêté serment au jeune K'ang-si, on s'occupa des funé- railles de Choun-tche. On déploya une magnificence qui dépassa tout ce qu'on avait vu jusque-là dans la capitale. Il y eut des scènes tragiques, où de nombreux servi- teurs de l'empereur défunt se donnèrent la mort, afin d'aller dans l'autre monde reprendre leur service accoutumé auprès de leur maître. Son cercueil fut transporté à la sépulture impériale de la nouvelle dynastie, située à 24 lieues à l'est de Péking ( Toung-ling). Donnons ici un extrait d'une composition très élogieuse pour le P. Adam Schall, et qui paraît fort importante. Elle est datée de la 18e année du règne de Choun-tche. Quoique cette année 1661 soit celle de l'intronisation de K'ang-si, elle est notée cependant comme dix-huitième et dernière de Chouii tche. La suivante seulement est comptée pour la première année de K'ang-si. 152 PEKING. EXTRAIT D'UNE COMPOSITION ÉCRITE PAR LE MANDARIN HANCHE-NGAN A L'EFFET DE FÉLICITER ADAM SCHALL. « Le respectable Tao-ouée (surnom de Schall), par son art dans l'astronomie, aide le gouvernement de l'empire, qui s'étend aux huit parties (points cardinaux) jusqu'aux extrémités de la terre. « Le nouvel empereur (K'angsi), montant sur le trône, accorde une grâce extraor- dinaire à tous les mandarins petits et grands, et permet que tous ceux qui sont man- darins de 3e rang ou plus haut, puissent envoyer un de leurs fils à l'école impériale (Kouo-tse-kien) avec le titre de Kiencheng (bachelier). « Le révérend Tang Jo-ouang, qui est mandarin de 3e rang et a divers titres honorifiques, ne peut, à cause de sa religion, profiter de cette faveur, ce qui semble ne pas s'accorder avec la joie commune. A cause de cela, dans les premiers jours du 9e mois, on a reçu de l'empereur un commandement ainsi rédigé : « 7 'avg jo-ottang » est Européen, il a travaillé depuis de longues années pour le gouvernement, et il » n'a jamais eu de femme ; il ne faut pas que cela empêche de recevoir à l'école » impériale le jeune homme qu'il a adopté pour petit-fils ; recevez-le donc. — Qu'on » RESPECTE CECI ! » » En conséquence, Tang Jo-houang a obtenu que son jeune petit-fils, Tct7ig Chc- koung, adopté par lui, soit reçu avec des lettres d'approbation à l'école impériale. Ce fait n'est-il pas tout ce qu'il y a de plus extraordinaire ? Donc que tous portent leurs mains à leur front, louent la sainte dynastie qui, dans l'élévation des sages aux digni- tés, ne fait pas de distinction de nationalité ; et que tous félicitent Tang Jo ouang de l'immense bienfait dont il a été comblé. » I. AVÈNEMENT DE k'aNG-SI. LES RÉGENTS. MORT DU P. ADAM SCHALL. CIMETIÈRES ET SÉPULTURES. — II. GRÉGOIRE LOITZ. LE r. VERP.IEST. OBSERVATOIRE. LKS VICAIRES APOSTOLIQUES. III. LA MISSION FRANÇAISE. DÉCRET DE K'ANG-SI ; LE 1er PE-TANG. IV. LA QUESTION DES RITES. LE CARDINAL DE TOURNON. Msr MEZZABARBA. MM. AP- PIANI, PEDRINI ET RIPA. CONVERSION DESSOURMIA. TRAVAUX DES MISSIONNAIRl S. I.A MISSION RUSSE. MORT DE K'ANG-SI. — V. VOUNG-TCHENG. LES SOURMIA. LE P. MORAO. I 'ANG-SI (inaltérable paix), monté sur le trône en 1622, gouverna la Chine pendant 61 ans, et mourut en 1723. Son règne glorieux a été comparé à celui de Louis XIV. Il était le second fils de Choiui-tche et n'avait que 8 ans. Trop jeune encore pour gouverner, il confia la régence à quatre grands mandarins, dont le plus élevé se nommait Sorti. Leur premier soin fut de mettre en accusation le chef des eunuques, qui fut condamné à mort et exécuté. Une loi expresse que l'on fit graver sur une plaque de fer du poids de 1000 livres, interdit pour l'avenir aux princes mantchouxla faculté d'élever les eunuques à aucune sorte déchar- ges ni dignités. Cette loi, qui existe encore, est une des principales sauvegardes de la dynastie. Pour réduire un fameux pirate nommé Koiio-tclicn, les régents n'hésitèrent pas à tout brûler sur le littoral du Fou-kit a, qui tenait encore pour les Ming. En 1654, la mission de Péking fit une grande perte : le P. Langobardi, supérieur des Jésuites, usé par cinquante années de travaux apostoliques, termina sa longue vie en Chine, au mois de décembre 1654. L'empereur fit les frais de ses funérailles, et un détachement de la garde impériale accompagna le corps jusqu'au lieu de sa sépulture, dans le cimetière du P. Ricci, où il fut enseveli. 154 PEKING. 1. 1 .11 L'amitié personnelle de Ckoun-tche pour Adam Schall avait arrêté toute persécution ; mais à la mort de l'empe- reur, les régents, qui détestaient les mis- sionnaires, n'attendaient qu'une occasion pour les persécuter, et Adam Schall lui- même, malgré ses services, ne devait pas trouver grâce. Il s'était servi des mathématiques pour acquérir l'estime de l'empereur. Non seulement Choun-tclic avait ôté aux mahométans la direction de l'observatoire, dont ils étaient en pos- session depuis 300 ans, pour la donner au P. Adam Schall, mais il avait permis à ce Père de s'adresser directement à lui, sans passer par les tribunaux, peu favorables aux étrangers. Ce privilège lui avait suscité beaucoup d'envieux. En 1664, Yang-kouang-sien, l'astro- nome mahométan dépossédé, présenta un mémoire contre le P. Schall, l'accu- sant de fausses doctrines et de conspira- tion contre l'État. Les régents proscri- virent la religion dans tout l'empire et firent mettre en prison le P. Schall avec ses trois compagnons ; on brûla leurs livres et tous les objets religieux, sans cependant détruire leur chapelle. Traî- nés de tribunaux en tribunaux, ils furent enfin incarcérés au Siiigpou (tribunal des crimes) et chargés de neuf chaînes. L'état dans lequel se trouvait le P. Schall était navrant : affaibli par l'âge, les infir- mités et la paralysie.il souffrait, de plus, d'une espèce de catarrhe qui lui ôtait même la faculté de parler. Le P. Verbiest, qui partageait ses fers, présenta une courageuse défense de son confrère. On le condamna néan- moins à être étranglé; puis les juges, révoquant leur premier arrêt, en portè- rent un autre, par lequel Adam Schall devait être exposé sur la place publique et coupé, tout vivant, en dix mille mor- ceaux. Un horrible tremblement de terre et un incendie qui consuma une grande partie du palais, firent surseoir à l'exécu- tion ; on relâcha le P. Schall, et on lui permit d'aller dans sa maison, jusqu'à ce que l'empereur en disposât autrement. DYNASTIE DES TS'ING. 155 Il mourut le 15 août 1666, à l'âge de 75 ans, sans que la sentence de mort fût rap- portée. Quelques années après on réhabilita sa mémoire, et il fut enterré aux frais de l'empereur. Nous lisons dans les lettres écrites par les Jésuites : « Le tombeau du P. Mathieu Ricci est le premier au bout du jardin ; tous les autres sont rangés sur deux lignesau-dessous de lui. Le P. Adam Schall est d'un autre côté, dans une sépulture vraiment royale, que l'empereur qui règne aujourd'hui lui fit faire quelques années après sa mort. L'empereur destina des sommes considérables à lui élever un magnifique mausolée, que l'on voit encore à présent au lieu de sa sépulture, orné de statues et de plusieurs autres figures de mar- bre, selon la coutume du pays. » Comme on peut le constater par le plan du cimetière du P. Ricci, imprimé en 1616 (V. p. 133). le terrain donné par l'empereur n'avait pas même la moitié de la largeur du terrain actuel. Le tombeau du célèbre Jésuite se trouvait à égale distance du mur de l'est et de l'ouest, une allée en pierre conduisait de la résidence à ce tombeau, et les PP. Jé- suites enterraient leurs confrères défunts à droite et à gauche de cette allée. Les deux plus voisins du P. Ricci, sont le P. Jean Térenz (1630) et le P. Jacques Rho (163S) ; puis viennent le P. Longobardi (1654) et le P. Coronatus, Dominicain (1666). La sépulture donnée pour le P. Adam Schall se trouvait en dehors du mur ouest du premier cimetière. Il y fut enseveli à la manière chinoise ; mais, après sa mort, les missionnaires continuèrent à enterrer leurs confrères à droite et à gauche de l'allée dont nous avons parlé : le P. de Sequeira, Chi- nois (1673), le P. Gabriel de Magalhaes (1677), le P. Louis Buglio (1682), le P. Charles Dolzé (1701), le P. Pernou (1702). Le P. Verbiest (16SS) avait son tombeau à part, mais toujours dans le même cimetière. C'est en 170S que le P. Thomas Pereira fut enterré dans la partie ouest du mur ; ce qui tendrait à prouver qu'à cette époque seulement, les deux cimetières furent réunis en un seul, tel qu'on le voit aujourd'hui. Alors la grande allée fut transportée au milieu, et on enterra de chaque côté : le P. Thomas (1709), le P. Kastner (1 709), le P. Liebestein (171 1), le P. Grimaldi (1712), etc. LE KF.GENT SOUI. 156 PEKING. D'après les textes cités plus haut, la sépulture du P. Schall fut établie «à la mode c (S£> .in ni M? t3 r7 PLAN DE CHA-LA-EUL COMPRENANT LE CIMETIÈRE DU P. MATHIEU RICCI ET CELUI DU P. ADAM SCHALL. i Mathieu Ricci, 1610 2 Jean Terenz, 1630 3 Jacques Rho, 1638 4 F. Christophon,i64o 5 F. Mendez, 1640 6 N. Longobardi, 1654 7 D. Coronatus, 1666 8 Adam Schall, 1666 9 De Sequeira, 1673 10 A.deMacralhaes,i677 1 1 Louis Buglio, 16S2 12 Ferd. Verbiest, 1688 13 FrançpisSimoci,i694 14 Charles Dolzé, 1701 15 Louis Pernou, 1702 16 F. P. Frapperie, 1703 19 C. de Broissia, 1704 A, Chapelle hexagonale B, Brûle-parfums, vases E, E, Esplanade S, Stèle T, Table autel C C, Che\aux couchés M M' Mandarins A A' A", Allée pavée a a a' a" Allée pavée. DYNASTIE DES TS'ING. 157 du pays ». Au nord du tombeau, devait donc se trouver un assez grand espace avec un remblai fort élevé, formant montagne. Devant le tombeau construit en pierre de taille, et mesurant plus de trois mètres de long sur deux de large, une immense stèle en marbre, de quatre mètres de haut, avait été dressée, portant une inscription en l'honneur du défunt. Puis on voyait le grand autel, nommé « Koung-chouo », sur lequel étaient déposées des coupes de fruits en marbre (Koung), Devant cet autel se trouvaient cinq grandes pièces également en marbre, nommées « Ou-koung », à savoir : un brùle-parfums, deux chandeliers et deux vases ; ces pièces n'avaient pas moins de deux mètres d'élévation. Venaient ensuite deux chevaux couchés, en marbre, et deux statues de mandarins tenant une tablette (kou-pan) pour écrire les commandements. Les deux statues mesuraient plus de deux mètres et étaient de marbre blanc, sans aucune tache. Une allée s'étendait depuis le tombeau jusqu'à la porte d'entrée. Toute cette décoration entièrement chinoise avait été faite par ordre impérial, en l'honneur du P. Adam Schall, sans que les Pères y eussent participé. TABLE DE PIERRE SUR LAQUELLE SONT DEPOSEES LES OFFRANDES. « Le commencement de l'année 1666 fut marqué par la mort de Soui, le plus âgé des quatre régents de l'empire : ce fut une époque mémorable pour la Chine. Le jeune empereur Kang-si n'était encore qu'un enfant, mais un enfant d'une précocité extraordinaire. Doué d'un esprit solide et plein de raison, d'une intelligence vive et pénétrante, il était en outre courageux, énergique et persévérant dans ses entreprises. Toutes ces qualités, qui se manifestaient avec éclat dans la conduite du jeune empereur, faisaient présager un règne de prospérité pour l'empire et de gloire pour la dynastie tartare-mantchoue. » K'ang-si n'avait que quatorze ans lorsqu'on vint lui annoncer la mort de Soui, le premier des quatre régents. Il convoque aussitôt le conseil de régence, les cours souveraines et les grands dignitaires de l'empire. Ce jeune prince se présente avec une noble assurance au milieu de cette imposante assemblée, et après un instant de profond et religieux silence, il déclare que le conseil de régence n'existe plus et que dès ce moment il prend lui-même les rênes du gouvernement. C'était, avons-nous dit, au commencement de l'année 1666... Vers la même époque, et à l'autre extrémité du monde, venait aussi de mourir un puissant ministre qui avait gouverné un grand royaume durant la minorité du prince héritier. On rapporte qu'aussitôt après la mort 158 PEKING. de Mazarin on vint demander à Louis XIV qui allait gouverner la France... « C'est moi, » répondit le jeune roi... Ainsi à l'Orient et à l'Occident, au sein de deux civilisations bien différentes, on voyait s'inaugurer dans les mêmes circonstances et à la même époque les deux plus grands règnes qui aient illustré l'empire chinois et la monarchie française. » (me.) ^|^m@ VASE FUNERAIRE. BRULE-PARFUMS. CHANDELIER FUNERAIRE. Un jour K'angsi, passant auprès d'une sépulture qu'il trouva dans un état peu convenable, s'informa de qui elle était. Les courtisans qui l'accompagnaient lui répondirent que c'était le tombeau de TcK oung-tchen, dernier empereur de la dynastie des Ming. Ce prince généreux fit brûler des parfums sur cette sépulture abandonnée, puis donna des ordres pour qu'on y élevât aussitôt un beau mausolée, CHEVAUX DE MARBRE DANS LES CIMETIERES. et assigna les sommes nécessaires afin que tous les ans on pût faire des sacrifices solennels au dernier représentant de la monarchie chinoise. Le second régent, Soukama, accusé et convaincu de crime, fut condamné à mort ; ses biens confisqués et ses sept fils décapités. Un jour à la chasse un vieillard ayant supplié A ang-si de le protéger contre l'injustice du gouverneur, l'empereur fit, après examen, trancher la tête à ce haut dignitaire. Ces exemples, et bien d'autres, firent voir qu'il faudrait compter désormais avec le jeune souverain. DYNASTIE DES TS'ING. 159 II C étendant la persécution continuait dans tout l'empire; les missionnaires avaient été chassés, à l'exception de quatre résidant encore à Péking. Jésuites, Franciscains, Dominicains, se trouvaient à Canton dans l'impossibilité de rentrer en Chine. Les missions furent alors secourues par un prêtre chinois nommé Grégoire Loïc, élevé par les Franciscains, et entré dans la famille de Saint-Dominique; il avait reçu des Portugais le nom de Lopez. Le Pape le nomma évêque de Basilée, et lui donna la liberté de se choisir un successeur. Peu après avoir nomméen sa place son grand-vicaire, le P. de Leo- nissa, Italien et religieux de Saint- François, il tomba malade à /Van- _ king et mourut. Mgr de Basilée fut regretté desmissionnaires dont il était aimé, et des chrétiens qui perdaient en sa personne le pre- mier prêtre, le premier religieux et le premier évêque que la Chine eût encore donnéau christianisme. A Péking le P. Ferdinand Ver- biest, Belge de nationalité, doué d'une remarquable intelligence, succéda au P. Adam Schall. Leur accusateur, Yang - kouang - sien, chargé de nouveau de la rédaction du calendrier, y commit de telles erreurs que tout un mois interca- laire devait être supprimé. C'est alors que l'empereur eut recours aux missionnaires. Le P. Verbiest, fort versé en astronomie, démon- tra d'une façon péremptoire, en présence de l'empereur lui-même, l'inexactitude ducalendrier. J "ang- kouang-sien fut condamné à l'exil en Tartarie, et le P. Verbiest nommé à sa place président du tribunal des mathématiques. Les éclaircissements du P. Verbiest sur l'astronomie avaient excité la curiosité de l'empereur. Malgré l'opposition des mandarins chinois, qui appelaient le mission- naire un bonze d'Occident, Kang-si, admirant la sûreté des méthodes européennes et leur exactitude, se mit sous la direction du Père, pour apprendre la géométrie et même la musique. Voulant profiter de sa position pour le bien de la religion, le P. Verbiest présenta une requête qui fut agréée, et l'empereur, par un édit du mois de mars 1671, annula le décret de persécution lancé par les régents ; les missionnaires purent, en partie du moins, rentrer dans leurs chrétientés. Remarquons toutefois que l'édit impérial MGR GRÉGOIRE LOPEZ, ÉVLQUE DE BASILÉE. 160 PEKING. LE P. KKRDIMAND VERBIEST. était bien loin d'accorder la liberté reli- gieuse, car « il défendait absolument à tout Chinois d'embrasser, à l'avenir, la religion chrétienne. » Le P. Verbiest reçut de l'empereur l'ordre de fondre de nouveaux instru- ments pour l'observatoire. Voici les prin- cipaux : i° Une sphère armillaire zodiacale de six pieds de diamètre ; 2° Une sphère équinoxiale de la même dimension ; 3° lin horizon azimutal de six pieds également ; 4° Un grand quart de cercle de six pieds de rayon ; 5° Un sextant dont le rayon avait huit pieds ; 6° Un globe céleste de six pieds de diamètre- Tous ces instruments sont montés sur de magnifiques dra- gons en bronze, du travail le plus soigné ; des piédestaux en marbre les supportent, et com- me beauté d'exécution, ils ne laissent rien à désirer : ils sont en plein air, sans le moindre abri depuis 200 ans, et n'ont nullement souffert des intempé- ries. Le P. Verbiest écrivit trente-trois volumes sur l'astro- nomie et les offrit à K ang-si, qui le récompensa par un di- plôme d'honneur ; ensuite, il composa un Abrégé de la Doctrine chrétienne, le Kiao-iao-su-loun, qui fut placé dans la bibliothèque impéri de. L'empereur.craignantC^ stfw-^tw/, tou- jours dévoué à l'ancienne dynastie, avait retenu son fils en otage à Péking ; il le fit sommer de venir en personne à la cour pour lui rendre hommage. Ou-san-koiii, se défiant, non sans raison, répondit : « Si l'on continue de me presser, j'irai à Péking, mais ce sera à la tête de 80.000 hommes. » Il quitta l'habit tartare pour .•éprendre celui des Chinois, proscrivit le calendrier des Ts'ing, et avec ses alliés, se prépara à marcher contre les troupes impériales. Pendant ce temps, son fils DYNASTIE DES TS1NG. 161 fomentait une révolte à Péking. Une conspiration se forma ; on devait, le Ier jour de l'an, s'emparer de la personne de l'empereur, et faire main-basse sur tous les officiers chinois ou tartares que la solennité rassemblait au palais. Un traître fit découvrir le complot ; le fils de Ou-san-koui et les principaux chefs moururent dans les supplices... Ou-san-koui avait si bien pris ses mesures, qu'il s'était rendu maître des trois grandes provinces : Yunnan, Sse-tcK ouan, Kouei-tcheou, et d'une grande partie du Hou-kouang : de sorte qu'avec le Clien-si, où il commandait depuis longtemps, il était maître du tiers de l'empire. A l'occasion de cette guerre, le P. Verbiest rendit à l'empereur un service signalé. L'empereur, après avoir tenté divers moyens, vit bien qu'il était impossible de vaincre Ou-san-koui sans l'usage du canon ; mais les pièces qu'il avait étaient en fer.etsi pesantesqu'on ne pouvait les trans- porter au travers des montagnes escarpées. Il crut que le P. Ver- biest pourrait suppléer à ce défaut, et lui or- donna de fondre des pièces légères à la manière européenne. Ce Père s'en excusa d'abord ; mais ses en- nemis persuadèrent à l'empereur « qu'il n'y avait pas plus de dif- ficultés à faire des ca- nons qu'à fondre des instruments de ma- thématiques; qu'assu- rément le P. Verbiest s'entendait secrète- ment avec les révol- tés ; » de sorte que Kang-si lui fit com- prendre que s'il n'o- béissait pas, sa vie et sa religion étaient en danger. C'était prendre le P. Verbiest par l'endroit le plus sensible, il ne pouvait plus hésiter, et voici ce qu'il répondit à l'empereur : (( J'ai déjà assuré Votre Majesté que je suis très peu instruit en ce qui regarde la fonte du canon ; mais puisqu'elle me commande d'y travailler, je tâcherai d'expliquer à ses ouvriers ce que nos livres nous en apprennent. » Il conduisit en effet tout l'ouvrage, et les canons se trouvèrent excellents dans les épreuves qu'on en fit en présence même de l'empereur, qui, ravi de ce succès, se dépouilla devant toute sa cour de son manteau de zibeline et le donna au Père, comme marque de satisfaction. Sur ces entrefaites, Ou-san-koui mourut ; un de ses fils, après avoir continué la guerre quelque temps, s'étrangla lui-même de désespoir, ce qui termina la campagne. En 1681, le pape Innocent XI écrivit au P. Verbiest un bref de félicitations pour approuver sa conduite. Péking. 1 1 162 PEKING. Vers ce temps-là le P. Verbiest, déjà mûr pour le ciel par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, fut attaqué de la maladie qui devait l'emporter. Elle commença par une langueur et un épuisement universel, qui dégénérèrent en une espèce de phtisie. Les médecins de l'empereur le soutinrent durant quelque temps à force de remèdes ; mais la fièvre augmen- tant tous les jours, il reçut les sacrements avec une ferveur qui édifia tout le monde, et rendit son âme à Dieu le 29 janvier 168S. L'empereur donna 700 taéls pour les frais de ses funé- railles et de sa tombe. Elle se compose d'une stèle en marbre blanc montée sur une tortue ; on y a gravé l'éloge du P. Ver- dis biest fait par Kang-si. Le Père ne fut enterré que le 1 1 mars. Dès le matin, l'empereur envoya son beau-père, un des premiers mandarins de la cour, et cinq officiers du palais, pour le représenter aux obsèques. Le convoi passa par deux grandes rues de la ville, dans l'ordre suivant : « On voyait d'abord une machine élevée de trente pieds, sur laquelle on avait écrit en gros caractères d'or, sur un fond de vernis rouge, le nom et les qualités du P. Verbiest. Ensuite, une grande croix ornée de banderoles et portée entre deux rangs l| de chrétiens en habits de deuil. A quelque distance de la croix suivaient l'image de Notre-Dame et le tableau de saint Michel. Immédiatement après, paraissait l'éloge du Père, composé par l'empereur et écrit sur une grande pièce de satin jaune ; enfin le cercueil porté par soixante hommes. Dès qu'on fut arrivé au lieu de la sépulture, les missionnai- res, en surplis, firent les prières et les cérémonies, et le corps fut descendu dans le tombeau... » Le 2 septembre 1679, il y avait eu à Péking un tremble- ment de terre d'une violence extrême : une partie des mu- railles, des pagodes, des palais, furent renversés, et quatre cent mille personnes périrent. Vers l'est, dans la ville de T'oung-tcheou, trente mille habitants trouvèrent la mort sous les décombres. L'empereur et la cour quittèrent le palais ébranlé, pour aller loger sous des tentes. Une seconde cala- mité survint l'année suivante : le palais impérial prit feu, et les dégâts produits par l'incendie, furent estimés à deux mil- lions huit cent mille onces d'or ! Le peuple de Péking était réduit à la plus profonde misère ; mais l'empereur lui fit d'abondantes aumônes, comme cela se pratique encore aujourd'hui en temps de disette. La même année, le vice-roi de Canton devint suspect et fut accusé de pactiser avec les descendants des Ming. L'em- pereur, craignant une nouvelle révolte, lui envoya deux mandarins avec le lacet de soie pour se pendre. Cette céré- monie se passe ainsi : On présente au mandarin une belle corde tressée en soie jaune, et il se prosterne devant cet envoi impérial ; on attache la corde à une poutre, le condamné monte sur une table, se passe le nœud coulant, puis les mandarins retirent solennellement la table. Cette mort est regardée comme honorable. Le vice. roi de GRANDE BANDEROLE FUNERAIRE. DYNASTIE DES TS'ING. 163 Canton en eut seul le privilège ; cent douze de ses principaux officiers furent sim- plement décapités. A cette époque, le Portugal revendiquait pour lui seul le droit de patronage sur toutes les missions des Indes et de la Chine. Tout évêque devait être présenté par lui ; tout missionnaire devait avoir son autorisation, et ne partir que sur ses vaisseaux. Le Portugal, en échange, avait promis beaucoup et ne put rien tenir ; aussi la cour de Rome ne lui maintint pas ses privilèges. Sur la demande de la duchesse d'Aiguillon, le pape Innocent X nomma trois évéques français pour les missions de la Haute-Asie : François l'ai lu, de Lamothe- Lambert et Ignace Coiolenti. Ce dernier avait Péking sous sa juridiction ; il n'appar- porteurs d'insignes. porteurs d'insignes. tenait à aucun Ordre religieux. Pour soutenir ces missions. Dieu suscita une nouvelle Société française, sous la direction de trois saints prêtres : Vincent de Meurs, Armand Poitevin et Michel Gazil ; un évêque leur donna une maison, rue du Bac, à Paris ; la Société des Missions-Étrangères, d'où devaient sortir tant d'apôtres et de martyrs, était fondée (1663). En octobre 16S4, Mgr Pallu rendit son âme à Dieu après une vie pleine de labeurs. Il avait désigné sur son lit de mort M. Maigrot comme vicaire apostolique des provinces confiées à ses soins, et administrateur de toute la Chine. Ce nouvel évêque était du diocèse de Paris. Dans un but scientifique et religieux, Louis XIV fit envoyer alors à Péking six Jésuites : le P. Tackard, qui retourna plus tard en Europe, les PP. Gerbillou, Le Comte, de Visdelou, Bouvet et de Fontaney. Ils partirent le 3 mars 1685 et arrivèrent le S février 1688, grâce à la permission obtenue pour eux par le P. Verbiesc, qu'ils n'eurent pas la consolation de voir. L'impératrice-mère était morte et, le deuil ter- 164 PEKING. miné, l'empereur, qui aimait les savants, reçut les nouveaux Pères. Le supérieur des Jésuites, le P. Pereyrà, ne garda à Péking que les PP. Gerbillon et Bouvet; il envoya les trois autres dans les provinces. Ces deux Pères, retenus à la cour, s'appliquèrent non sans succès à l'étude des langues chinoise et tartare. Vers 1686, le Kan des Mongols occidentaux, chef de la nation connue sous le nom d'Eleutes, et qui régnait sur une partie des États de l'ancien prêtre Jean, voulut imiter Gengiskan et ressusciter le grand empire mongol. Il attaqua les Kalkas établis dans l'ancien pays clés Karaites, près de Karakoroum, et se prépara à envahir tout le pays jusqu'au lleuve Kairouîan. (V. la carte, p. 83.) K'ang-si comprit le danger que ce nouvel empire feraiteeu- rir à la Chine, si on le laissait se former. Il tempo- risa jusqu'après la mort de Ou- san-koui, puis il fit marcher ses troupes à la dé- fense des Kalkas. En 1688, le Kan blanc, roi des O- ros, c'est-à-dire le Czar de Rus- sie, envoya une ambassade pour fixer les limites des deux empi- res, près du fleu- ve Amour/v'r, ami de Yang-kouang-sien, vou- lant le venger, évoqua les anciens édits, et souleva une terrible persécution. La 9e année de son règne, K'ang-si avait en effet lancé un édit qui portait : « A la réserve de Nan-hoè-jen ( P. Verbiest) et de ses com- pagnons... de crainte que dans les provinces on ne bâtisse de nouvelles églises et qu'on ne fasse de nouveaux chrétiens, j'ordonne de le détendre sévèrement. )) Peu après (1760), il s'exprimait encore ainsi, dans un nou- veau décret : « Nous ne permettons à aucun de nos sujets, tant à la cour que dans nos provinces, d'embrasser cette loi. » Armé de ces deux pièces, le vice-roi fit arrêter partout les missionnaires et les chrétiens, qui subirent les plus indignes traitements. Par deux fois, le tribunal des rites repoussa la demande des Pères de Pékino- ; l'em- pereur lui-même avait dit en effet: « Les missionnaires ne doivent pas se flatter que je me déclare le protecteur d'une loi étrangère. » Les quatre Jésuites de Péking en appelèrent au prince Sosan; ce prince, touché de la douleur des'Pères, résolut de solliciter en leur faveur. Il alla donc trouver l'em- pereur et lui dit: « Enfin, Sire, ce sont des gens qui comptent pour rien leur vie, KALDAN. 166 PEKING. - ,i i quand il s'agit de vous obéir ou de vous plaire : il est vrai que tout cela ne mérite- rait pas que Votre Majesté approuvât leur loi, si d'ailleurs elle était dangereuse ; mais fut-il jamais une doctrine plus saine que. la leur, et plus utile au gouvernement des peuples ? » L'empereurécoutace discours, mais persista dans sa première détermination. « C'est une affaire conclue, lui répondit-il ; je me serais fait un plaisir de favoriser ces bons missionnaires, mais le déchaînement des mandarins contre eux ne m'a pas permis de suivre mon inclination. » — << — « Il n'a point eu de commencement, il n'aura point de fin ; il a produit toutes choses DYNASTIE DES TS'ING. 169 dès le commencement ; c'est lui qui gouverne tout et qui est le véritable Seigneur de tout. » La dédicace de cette église, consacrée au Sauveur des hommes, à Jésus-Christ mourant sur la croix, fut faite avec la plus grande solennité le 9 décembre 1703. Derrière le maître-autel, on avait construit une tour un peu plus élevée que le toit ; elle servait de bibliothèque et d'observatoire astronomique ; sur les côtés, se voyaient plusieurs petites chapelles et la sacristie. Enfin, vers l'est était la résidence des missionnaires, bâtie à la mode chinoise. Près d'un jardin assez grand, situé au sud de l'établissement, on éleva un bâtiment pour les chrétiennes, qui ne pouvaient alors entrer dans l'église ; ce jardin touchait au mur du palais impérial. IV Avant de parler de la question des Rites, voyons d'abord en quoi ils consistent : Le culte des ancêtres. — On honore les ancêtres d'un culte spécial, en public et en parti- culier ; ils ont des temples et des chapelles où sont placées des tablettes de bois peint, et de gros caractères dorés qui signifient: Siège de l'esprit de... (le nom du défunt). Ces tablettes sont mises sur des autels, et à certains jours fixes, surtout au printemps et à l'automne, on y célèbre le rite. Le chef de la famille se prépare plusieurs jours d'avance ; la veille, on éprouve les victimes : porcs, chèvres et autres ; en leur versant du vin dans l'oreille, il faut qu'elles remuent la tête pour être déclarées bonnes. Le matin suivant, tout le monde se réunit, on fait les prostrations à la tablette, on immole les victimes, on offre du vin avec le sang et le poil des animaux, on offre éga- lement des fruits, des étoffes, des lingots en papier d'or et d'argent que l'on brûle devant la porte. Le culte de Confucius. — Dans chaque ville, Confucius a son temple, son autel, sa statue ou sa tablette sur laquelle on lit : Siège de l'esprit du très excellent maître Confucius. Aux équinoxes du printemps et de l'automne, se célèbre la cérémonie officielle ; le mandarin préside l'office, aidé par les lettrés. La veille, tout est préparé comme pour le culte des ancêtres ; le jour suivant on allume les cierges, on brûle l'encens, on offre le sang et le poil des animaux immolés, on fait la procession à la tablette, puis les prostrations et on crie : L'esprit de Confucius descend; alors le mandarin verse du vin sur l'image d'un homme en paille, retire la tablette de sa niche et la dépose sur l'autel ; ensuite on fait l'adoration et on brûle une étoffe de soie en oblation, avec le vin ; enfin on offre la chair des victimes en récitant une prière à Confucius ; tout ce qui reste est distribué aux assistants. Le mot Chang-ti (Roi suprême) et le mot Tien (Ciel) peuvent-ils être employés pour désigner le vrai Dieu ? Les honneurs rendus aux ancêtres, à Confucius et au Ciel sont-ils superstitieux ? Telle était la question. Parmi les Jésuites, il s'était formé deux écoles: celle du P. Ricci, que les inter- STATUE DE CONFUCIUS. 170 PEKING. prétations qu'il crut pouvoir donner aux usages chinois déterminèrent à la tolérance ; celle du P. Longobardi, qui, voyant un véritable culte dans les hommages rendus à K ' oung-fou-tse (Confucius), une superstition dans les cérémonies en l'honneur des ancêtres morts, et l'idée, non du Seigneur du ciel, mais du ciel matériel, dans les mots King, T'ien et Chang-ti, interdit avec sévérité aux nouveaux chrétiens ce qui ne lui semblait pas pouvoir s'al- lier avec la sainteté du christianisme. Dès 1628, les Jésuites les plus expérimentés et les plus instruits des deux écoles se réunirent pour dis- cuter sur le choix d'un nom propre à rendre l'idée de Dieu ; la discussion dura un mois en- tier, sans qu'on pût arriver à s'entendre. Les missionnaires des autresOrdres adoptèrent généralement l'opinion du P. Longobardi, et la question fut portée à Rome. Deux réponses de la Propagande à deux ex- posés contradictoires des Dominicains et des Jésuites furent approuvées, l'une par Innocent X en 1645, l'autre par Alexandre VII en 1656, puis confirmées toutes deux selon leur exposé par Clément IX en 1669; rien n'était résolu. Mgr Maigrot, vicaire apostolique du Fou kien, fut chargé par Innocent XI et Innocent XII d'examiner le véritable état de la controverse, et d'en informer le Saint-Siège. Il publia, en 1693, un mandement dans lequel, tout en excu- sant les missionnaires, il condamnait les rites pratiqués en l'honneur de Confucius et des an- cêtres. L'examen approfondi de la question fut confié à la Congrégation du Saint-Office par Innocent XII et Clément XI. Il dura six années; les deux parties eurent toute liberté pour exposer et défendre leur sentiment. Cette même année 1699, pendant que l'on commençait à Rome les informations, les PP. Grimaldi, Pereyra, Thomas et Gerbillon s'adressaient à l'empereur pour avoir son sentiment sur la question. K'aug-si approuva en tout point les conclusions du rap- port que les Jésuites lui adressèrent, et entendit bien donner à son approbation l'autorité d'une décision sans appel. La Congrégation du Saint-Office porta, en 1704, un décret solennel approuvé par Clément XI. qui prohibait absolument les cérémonies chinoises, et le Souverain-Pontife voulut envoyer un légat pour le publier en Chine. Dans les instructions qu'il lui donna, il excusait tous ceux qui jusque-là ne s'étaient point ralliés : « Il ne faut \\( IF.N' COSTUME DES SACRIFICATEURS. DYNASTIE DES TSTNG. 171 pas, disait le Pape, blâmer les missionnaires qui ont cru devoir suivre jusqu'ici une autre pratique ; il ne doit pas paraître étonnant que, dans une matière discutée durant tant d'années, où le Saint-Siège a donné aupara- vant différentes réponses, selon les différents expo- sés qu'on lui avait taits, tous les esprits ne se soient pas trouvés réunis dans le môme sentiment. C'est pourquoi nous chargeons le Patriarche d'Antioche (Mgr de Tournon) et tous les autres qui auront le soin d'exécuter nos décisions, de mettre à couvert l'honneur et la réputation des ouvriers évangéliques, et d'empêcher qu'on ne les fasse passer pour des fauteurs de la superstition et de l'idolâtrie, étant hors de doute qu'après que la cause est finie, ils se soumettront avec humilité et obéissance aux décisions du Saint-Siège. » Charles Maillard de Tournon était né à Turin en 1667. Le 5 décembre 1701, il fut préconisé patriarche d'Antioche et sacré le 21 par le Pape lui-même, puis nommé légat a lafcre pour les Indes et la Chine, le 2 juillet 1702 ; il quitta Rome le 4, avec une suite de douze personnes. Les fatigues, les difficultés et les dangers ne manquèrent pas durant le voyage ; enfin, le 2 avril i 705, il abordait à Macao, et le 6 il se rendait à Canton. Le légat choisit pour interprète chinois M. Appiani, né à Dogliani, dans le Piémont, le 22 mars 1663. Reçu docteur en théologie, il entrait en 16S7 dans la Congrégation des Lazaristes, fondée par saint Vincent de Paul. La Propagande lenvoya en Chine avec le titre de vice-visiteur apostolique, et le [4 août 1699, il arrivait à Canton, où il s'adonna à l'étude de la langue chinoise et aux missions. Le patriarche fut heureux de trouver ce mis- sionnaire, bon sinologue et savant théologien. Après mille difficultés, le légat put enfin s'embarquer pour Péking le 8 septembre 1 705 ; il y arriva le 4 décem- bre et alla se loger à la résidence du Pé-t'ang. L'em- pereur envoyait chaque jour prendre des nouvelles du patriarche, un peu fatigué du voyage, et lui fournissait des vivres pour lui et sa suite. K'ang-si, bien disposé pour le légat, le reçut avec bienveil- lance le 31 décembre 1705 et lui dit entre autres bonnes paroles : ■< Oueles missionnaires, dans leur divergence, eussent à s'entendre avec le Pape et ne point troubler la paix dans son empire. » (mém. ancien costume i>es sacrificateurs. M CARD. DE TOURNON.) L'empereur l'invita à aller prendre pour sa santé les eaux sulfureuses aux bains impériaux de Tang-chan. Le légat s'y rendit quelques jours après, et y passa plu- sieurs mois. Rentré à Péking dans un état de santé fort inquiétant, il commença la 172 PEKING. publication du décret, comme il en avait reçu l'ordre exprès du Souverain-Pontife. Pendant tout ce temps, Kang-si avait bien changé. A la seconde audience, l'em- pereur s'emporta contre Mgr Maigrot et ceux qui condamnaient les rites ; à la troi- sième, le 29 juin 1706, sa colère éclata par la publication de plusieurs décrets défa- vorables : Mgr de Tournon recevait l'ordre de retourner en Europe ; Mgr Maigrot, que le légat avait appelé auprès de lui, devait, avec plusieurs personnes de la suite du lécrat, se constituer prisonnier. Chargés de chaînes, on les traîna au tribunal, où ils eurent à subir un interrogatoire humiliant et les plus mauvais traitements. Peu s'en fallut que Mgr Maigrot ne fût condamné à mort ; l'intervention du prince héri- tier obtint une sentence de bannissement. Le prélat s'embarqua sur un navire anglais et se rendit à Rome, où il mourut, en 1730, entouré des témoignages d'estime des Souverains-Pontifes. Le plus grand mal de ces édits contre la religion fut une nouvelle mesure qui annulait de fait le célèbre décret de 1692. L'empereur imposait à tous les mission- naires alors en Chine et à ceux qui y vien- draient, l'obligation d'approuver les rites chinois, et la promesse de ne plus retourner en Europe. Un permis de séjour (piao) serait délivré à ceux qui auraient pris ces engagements; tous les autres devaient quit- ter la Chine pour ne plus y rentrer jamais. Mgr de Tournon repartit pour Canton le 28 août suivant. Le 22 novembre, à Haï- nan, près de Nan-king, malgré les protes- tations du légat, on arrêta M. Appiani qui l'accompagnait, on le chargea de chaînes et on le conduisit à Péking pour y être jugé. Le légat dit alors : « Si M. Appiani est coupable, je le suis autant que lui ; enchaî- nez-moi de même, c'est ce que je désire!» On lui mit aussi une chaîne au cou ; mais l'ordre d'arrestation ne portant que le nom d'Appiani, le légat fut relâché. M. Appiani, arrivé à Péking, n'eut point de peine à se justifier ; alors ses ennemis, pour faire traîner son procès en longueur, le firent pnrtir pour le Sse-tch'ouan, où jadis il avait fait mission ; là encore on ne put que le trouver innocent et le renvoyer à la capitale. Enfin, le disciple ne fut pas mieux traité que le maître ; on l'emprisonna pendant deux années à Péking, puis il fut exilé à Canton, où il resta prisonnier pendant douze ans. Il y mourut le 27 août 1732, à l'âge de 70 ans, donc 30 années passées en Chine, et fut enterré dans l'église des Dominicains. -- Clément XI adressa à ce zélé missionnaire un bref de félicitations, daté du 22 août 1711. Le légat, considérant la nécessité de donner une règle de conduite à tous les missionnaires appelés dès lors à faire profession de leur foi devant les tribunaux, se détermina à promulguer le décret de Clément XI, condamnant les rites chinois. Afin de ne pas mettre directement le Souverain-Pontife en état d'hostilité avec l'empereur, il aima mieux attirer contre lui seul toute la colère du monarque. Il promulgua donc en son nom le décret du Saint-Siège, par son célèbre mandement de Nan-king du 27 janvier 1707. Aussitôt que ICang-si en eut connaissance, il fit immédiatement M. \PPIANI, LAZARIS1 E. DYNASTIE DES TS'ING. 173 arrêter et conduire à Macao Mgr de Tournon, avec ordre aux Portugais de l'y retenir prisonnier. Malgré la surveillance continuelle dont il était l'objet, il put en partie accomplir sa mission, réorganiser la hiérarchie, nommer des vicaires aposto- liques ; il sacra même le P. de Visdelou, Jésuite, le 2 février 1709, et fit approuver cette élection par le pape Clément XI. Le nouvel évêque, chassé de Chine, dut peu après se retirer dans les Indes, et mourut à Pondichéry le 1 1 novembre 1737. Cependant le pape Clé- ment XI, connaissant le zèle, la fidélité et les souf- Ir.mces de son légat en Chine, voulut l'en récom- penser; dans le Consistoire du ier août 1707 il le nomma cardinal. Cinq mis- sionnaires de la Propa- gande, parmi lesquels M. Ripa et M. Pedrini Laza- riste, arrives à Manille de- puis peu, partirent de cette ville pour Macao ; ils achetèrent les gardiens de l'illustre prisonnier, et lui remirent la barrette de car- dinal, le 8 janvier 1710. Le 8 juin suivant, après deux années de lutte et trois d'emprisonnement, le cardinal mourut, âgé seu- lement de 43 ans. Le Pape, en annonçant cette nou- velle au Sacré-Collège, ap- pelle le cardinal de Tour- non: « Très grand zélateur de la foi orthodoxe, défen- seur intrépide de l'autorité pontificale, trèsvaillant sol- dat de la discipline ecclé- siastique. » En écrivant à l'évêque de Manille, le même Pape nomme son légat «le bouclier du Saint- Siège, la gloire et la lumière de l'église de Rome. » On ne saurait rien ajouter à de tels éloges. LeSouverain-Pontifeavait approuvé.par undécret pontificaldu 25 septembre 1 710, tout ce qu'avait fait le cardinal de Tournon. Pour couper court à tout subterfuge, il publia la Constitution solennelle i.Ex illà d/c»,\e 19 mars 1 71 5, rejetant tout appel au Saint-Siège et obligeant, sous les peines les plus sévères, tous les missionnaires à prêter le serment d'observer fidèlement cette Constitution apostolique. Voyant que la paix ne se rétablissait pas, le Pape résolut d'envoyer un nouveau M PEDRINI, LAZARISTE. 174 PEKING. légat, et Charles Mezzabarba fut créé patriarche d'Alexandrie, légat et visiteur apostolique pour toute la Chine. 1 1 partit de Rome en i 7 1 9 et s'embarqua à Lisbonne en 1720 ; son voyage dura six mois. Dès son arrivée à Péking (26 décembre), il se vit assailli de difficultés et d'obstacles sans nombre. Ayant été obligé de préciser le but de sa légation, il n'obtint qu'à grand'peine une première audience. L'empereur reçut pourtant le légat avec les honneurs dus à sa dignité, mais ce fut tout. Après une sortie violente contre le Souverain- Pontife, qui avait, dit le prince, porté une condamnation sans connaissance de cause, il congédia la légation sans avoir laissé à Mgr Mezzabarba le temps de dire un seul mot. Après cette première audience, il y en eut d'autres qui eurent toutes le même caractère. L'empereur exigea que le légat lui remît la Constitution du Pape ; il la lui renvoya après avoir écrit au bas cette note menaçante : « Cette espèce de décret ne regarde que de vils Européens ; comment y décicleraient-ils quelque chose sur la grande- doctrine des Chinois, dont ces gens d'Europe n'entendent pas même la langue ? Il paraît assez par cet acte qu'il y a beaucoup de ressemblance entre leur secte et les impiétés des bonzes et des Tao-che. Il faut donc défendre à ces Européens de prêcher leur doctrine en Chine. » Le légat, en présence de cette opposition, crut pouvoir inscrire dans sa réponse à l'empereur quelques concessions. Il fut ensuite reçu dans une dernière audience, la onzième, le 2 mars 1721 : l'empereur lui signifia que l'affaire de sa légation étant terminée, il pouvait retourner en Europe. - - Le légat, la mort dans lame, partit aussitôt de Péking pour Macao, où il séjourna jusqu'à la fin de cette année 172 1. Il adressa aux missionnaires un mandement, où il déclara ne suspendre en aucune façon la Constitution de Clément XI, et ne rien permettre de ce qu'elle défend. Il partit quelques jours après, emportant avec lui le corps du cardinal de Tournon, et n'arriva à Rome qu'à la fin de l'année 1723 ; Innocent XII avait succédé à Clément XI. Enfui, le Pape Benoît XIV lança, le 1 1 juillet 1742, la célèbre bulle « Ex quo singulari » qui, affirmant le dogme de l'Église sur les rites chinois, les proscrivait sous les peines les plus sévères. Encore aujourd'hui, tout missionnaire arrivant en Chine doit jurer entre les mains de son évêque, et envoyer copie de son serment à Rome, pour attester devant Dieu qu'il admet dans son entier toute la Bulle susdite et en accepte toutes les conséquences. Cependant, les missionnaires restés à Macao et destinés au service de l'empereur: MM. Pedrini, Ripa et Bonjour, ainsi que deux Pères Jésuites, reçurent enfin l'ordre de se rendre à Péking. Ils partirent le 27 septembre 17 10, et arrivèrent dans la capitale le 5 février 1 7 1 1 ; l'empereur les reçut immédiatement, puis ils allèrent loger au Péi'ang chez les PP. Jésuites français. M. Pedrini avait des manières affables ; de plus il était versé dans les sciences et spécialement dans la musique. K'ang-si le prit en grande affection dès son arrivée ; il ne profita de la faveur impériale que pour le bien de la sainte Église, et ne craignit pas, plusieurs fois, de représenter humblement au souverain ce qu'il croyait devoir être utile à la religion. L'empereur le nomma précepteur de son quatrième fils, qui devait plus tard lui succéder sous le nom de Young-tcheng. Le 12 novembre 1 7 1 5, M. Pedrini avait rédigé un Mémoire pour tâcher d'amener l'empereur à accepter les décisions de la cour de Rome au sujet des rites. Il s'exposait ainsi à déplaire et à perdre la faveur dont il jouissait, mais aussi il pouvait rendre un éminent service à l'Église. Cette hardiesse devait lui coûter cher : la Bulle de Clément XI (( Ex MA die » fut publiée à Péking en octobre 1716, par le P. Castorano, Franciscain, vicaire général de Mgr de lia Chiesa, évêque de Péking, en résidence au Chantoung. On accusa DYNASTIE DES TS'ING. 175 M. Peclrini d'être l'inspirateur de cette Bulle et d'avoir voulu tromper l'empereur. Il fut saisi, enchaîné, frappé, et subit mille avanies. Enfin on le mit en prison au tribunal des crimes ; mais l'empereur, se souvenant de ses services, et sur les ins- tances de son quatrième fils, lui pardonna une faute qu'il n'avait pas commise. Peu après, à l'occasion de la légation de Mgr Mezzabarba, encore faussement accusé, il reçut la bastonnade et fut chargé de neuf chaînes, qu'on ne lui ôta qu'après le départ du prélat. Il resta prisonnier deux années entières, et ne fut délivré qu'à la mort de ICang-si, par son successeur Young-tcheng. En 1723, M. Pedrini acheta de son argent une maison près de la porte Si-tcke- men, où il se retira ; c'est le ! ri 6 5| 3 9 7 1 .4 oj 12 10 Si-i'ang actuel. Il en fit don à la Propagande ;elle lui avait coûté 2130 écus romains. Il mourut le 10 décembre 1746, à l'âge de Jj ans, dont 40 en Chine. L'empereur fit les frais de ses funérailles, et il fut enterré au cimetière de la Propagande, vis-à-vis celui du P. Ricci, cimetière éga- lement honoré des caractères impériaux. Nous avons vu que M. Mathieu Ripa, envoyé par la Propagande, arriva en même temps que M. Pedrini. Il était estimé de l'empereur, auquel il rendait de grands services comme dessinateur et graveur ; ses œuvres n'é- taient pas sans mérite. M. Ripa fut pour M. Pedrini un ami et un consolateur qui partagea souvent ses souf- frances ; il retourna plus tard en Europe où il fonda, puis dirigea lecollègede la Sainte- Famille à Naples. C'est là cimetière de la propagande (si-i'ang). qu'il mourut en odeur de sainteté. Le 29 novembre 1 720, une ambassade russe arriva à Péking. L'ambassadeur, avec une suite de cent personnes, fit son entrée solennelle dans la capitale, puis au palais, où il remit à l'empereur des lettres du czar Pierre, écrites en russe, en latin et en mongol ; cet ambassadeur se nommait Léon Ismailof. On s'entendit assez difficile- ment sur le cérémonial à suivre ; mais enfin le représentant du czar ne fut point astreint aux prostrations d'usage. — C'est depuis cette époque qu'une mission russe est installée à Péking, dans l'angle extrême nord-est de la ville ; on la nomme le Pé-kouan. La famille impériale tartare a beaucoup de ramifications, et tous ceux qui de près ou de loin lui appartiennent jouissent de titres et de privilèges spéciaux. Aux plus 1. Joseph François Deturige ? 2. Archan, Car me dé- chaussé, Milanais. 3 Théodore Pedrini, Lazariste, 1746. 4. Jean de la Croix, Napolitain. 5. Ange Burgo, Fran- çais. 6. Séraphin Bapta, Carme déchaussé. 7. Sans épitaphe. S. Prêtre indigène. 9. Sans épitaphe. 10. Prêtre indigène • 1 . » » 12, 13, 14 et 15. Sans épitaphe. 16. Paul Ly (prêtre chinois), 1895. 176 PEKING. proches parents on donnait, sous K'ang-si, le nom de Regolo, et parmi eux, les Sourniama se faisaient remarquer par les services rendus à la dynastie. En 1721, deux des fils du vieux prince Sourniama, le prince Paul et le prince Jean, se con- vertirent ; on verra ce qu'il en advint sous le règne suivant. Les Jésuites achetaient le droit de sauver 'les âmes par les plus grands services. Ainsi, le P. Dominique Parennin, né en 1665 au Russey, près Pontarlier, et arrivé en 1698 en Chine, ayant fait observer à K'ang-si qu'on se trompait sur la position géographique de quelques villes de l'empire, ce prince ordonna de faire des cartes nouvelles de toutes les provinces. Dès le mois de mai suivant, les PP. Régis, Jartoux et Fridelli allèrent lever celles du pays des Mantchous, puis celle du Pé-tche-li ; ce travail les occupa pendant l'année 1 710. L'année suivante, les PP. Régis, et Cardoso furent chargés de la carte du Chan-toung. Plus tard, les PP. Régis, Moyria.de Maillac et Henderer levèrent celles du Ho nan, du Kiang-nan, du Tche-kiang, du Fou-kien ; et après la mort du P. Bonjour, survenue en 1715, le P. Régis fut encore envoyé dans le Yzm-nan,dont il acheva la carte. Quand elle fut terminée, il se joignit de nouveau au P. Fridelli, avec qui il dressa les cartes des provinces du Kouei-tcheou et du Hou kouang. Tous ces travaux sont de la plus haute valeur. L'empereur K'ang-si, âgé de 70 ans, semblait devoir encore fournir une longue carrière, quand, au retour d'une chasse, il fut pris de frissons et mourut le 20 décembre 1722. Par son testament il désignait son quatrième fils, Young-tcheng, pour lui succéder. Ainsi finit l'empereur K'ang-si, dont le règne fut un des plus glorieux de la dynastie actuelle. Il aimait les sciences et avait réuni une fort belle bibliothèque ; c'est à lui que l'on doit le grand dictionnaire appelé « Kang-si tseu- tien », rédigé par trente lettrés de 1e1 ordre, et qui contient environ 40.000 carac- tères. La préface est de la main même de l'empereur. Cet ouvrage parut pour la première fois en 1716. K'an-si aimait aussi les arts, et pour cette raison il protégea les missionnaires qui étaient à Péking : comme nous l'avons vu, cette protection ne suffisait pas toujours pour assurer la paix religieuse dans les provinces. — Malgré les efforts des Jésuites et des autres missionnaires employés par l'empereur, il ne fut point possible de le convertir : on espérait en faire un Constantin, mais il resta jusqu'à son dernier soupir dans les erreurs du paganisme. V Vers l'âge de 40 ans, Young-tcheng (Concorde perpétuelle) monta sur le trône. C'était un prince sérieux et travailleur, mais qui n'aimait ni les missionnaires ni les chrétiens: aussi une persécution violente ne tarda pas à éclater au début même de son règne. Le Tsoung-tou, ou gouverneur du Fou-kien, présenta le 7 septembre 1723 une requête à l'empereur, dans laquelle il rendait compte des raisons importantes qu'il avait eues de proscrire la religion chrétienne dans toute l'étendue de son gouver- nement. 111e suppliait ensuite, pour le repos de l'empire et le bien des peuples, d'ordonner que les missionnaires fussent renvoyés des provinces, conduits à la cour ou à Macao, et que leurs temples fussent employés à d'autres usages. Ce placet fut remis au tribunl des rites, pour déterminer ce qu'il y avait à faire. La sentence de ce tribunal fut de conserver à la cour les Européens qui y étaient, et d'y faire venir ceux des provinces qui pouvaient y être utiles ; mais pour les autres, DYNASTIE DES TS'ING. 177 de les conduire à Macao, de changer les temples en maisons d'utilité publique, et d'interdire rigoureusement leur religion. Cette délibération du tribunal des rites fut approuvée par l'empereur, le i i janvier 1724; il ajouta que les vice-rois des provinces désigneraient un mandarin pour conduire les missionnaires à la cour de Macao, afin de les garantir de toute insulte. A 'ang-si avait permis aux missionnaires qui s'engageaient à observer les rites et avaient reçu une patente appelée piao, de rester en Chine. Cette fois, ceux-là mêmes ne furent point exemptés. D'un bout de la Chine à l'autre, les égliseset oratoires furent convertis en magasins ou en écoles, par ordre impérial ( 1 724). Dans la province de Péking, les églises de Ouen-ngan- sien, Kou-pé-k'eou, S/101- hoa-fou furent changées en greniers publics, et tous les tableaux qui les ornaient furentlivrés aux tlammes ; l'église de Pé- t'ang, confisquée, devint un hôpital pour les pes- tiférés. Les missionnaires s'a- dressèrent à un frère de l'empereur, qu'ils croy- aient leur protecteur, pour obtenir la révoca- tion de l'arrêt ; ce fut inutilement. Ils rédigé- rent alors un placetpour l'empereur, qui leur per- mit de se présenter et leur dit ces dures paro- les : « Si j'envoyais des troupes de bonzes ou de lamas dans votre pays pour y prêcher leurs lois, comment les recevriez- vous ? Vous voulez que tous les Chinois se fassent chrétiens, votre loi le demande, je le sais bien, mais en ce cas que deviendrions-nous ? les sujets de vos rois ! Les chrétiens que vous faites ne reconnaissent que vous ; dans un temps de trouble, ils n'écouteraient point d'autre voix que la vôtre. Je vous permets de demeurer ici à Canton tant que vous ne donnerez aucun sujet de plainte ; car s'il y en a dans la suite, je ne vous laisserai m ici, ni à Canton : je ne veux point de vous dans les provinces. Il ne manquera rien a la Chine quand vous n'y serez plus. » Pékin?. k' \XG-SI. 178 PEKING. Le P. Parennin rapporte que les missionnaires furent longtemps sans oser sortir, excepté pour aller au palais; et que les Jésuites chinois Lo et Tchen administraient seuls les sacrements aux moribonds. C'est à cette époque que toute la famille princière des Sourmia (ou mieux Sourniamd) fut exilée. La plupart de ses membres étaient redevables de leur conversion au P. Joseph Suarez, Jésuite portugais, qui leur avait conféré le baptême et qui dirigeait leur conscience. Quelques jours après l'audience accordée par l'empereur aux missionnaires, le chef de la famille Sourniama, qui n'était pas converti, reçut l'ordre de se rendre au palais. Dès qu'il parut dans le vestibule, le président du tribunal des princes fit mettre à genoux ce vieillard de soixante-dix-sept ans et lui lut, par ordre de l'empereur, une longue liste de fautes commises par lui et par ses ancêtres. Pour le punir on lui annonça qu'on le destituait de sa dignité, qu'on le privait de ses appointements, et qu'on le condamnait à partir dans dix jours avec toute sa famille, ses femmes, ses enfants et ses petits-fils, pour ) 'ou-ouée, en tartare Fourdane, ville de 50.000 habitants, ayant 40.000 hommes de garnison, et située à quatre-vingt-dix lieues à l'ouest de Péking, au-delà de la Grande Muraille. Le Prince Joseph, 12e fils de Sourniama, parent de l'empereur Young-tcheng. Par ordre impérial, trois fois exilé en haine de la foi chrétienne, chargé de 9 chaînes, affaibli par la faim, l'emprisonnement ei les privations, il mourut à Péking le 14 août 1727 à l'âge de 33 ans. Son cadavre fut brûlé, ses os, brisés à coups de marteau, furent enfouis dans un marais. ( Voir ci-contre la gravure tirée du livre Neuen well bott, t. ni.) Aussitôt que le vieux Sourniama fut de retour chez lui, espérant regagner la faveur impériale, il envoya chercher ses fils et ses officiers, fit apporter des chaînes, et, d'un signe de la main, il ordonna d'en charger le prince Jean et le prince Paul. Sourniama retourna ensuite au palais pour y rendre compte de ce qu'il venait de faire. Le président du tribunal des princes refusa d'avertir l'empereur et dit : «Tout est fini ; vous êtes instruit de la sentence qui a été portée ; il ne vous reste plus d'autre parti à prendre que celui d'obéir... » Le malheureux prince partit pour se rendre au lieu de son exil, avec ses enfants, ses petits-fils, ses arrière-petits-fils, au nombre de trente-sept ; les princesses, qui égalaient à peu près ce même nombre, et plus de 300 serviteurs. On ne leur permit pas de séjourner à Fourdane, mais on les relégua en plein désert, sur une petite colline où se trouvaient de misérables cabanes. Cet endroit s'appelait Sin-pou-tsc. Toute communication avec l'extérieur leur fut interdite. Le vieux Sourniama ne survécut pas longtemps à sa disgrâce ; accablé d'années, d'ennuis et de misère, il mourut le 2 janvier 1725, en protestant de son innocence. La mort de Sourniama n'apaisa pas la haine que Young-tcheng avait conçue contre toute la famille de ce malheureux Tartare. Des mandarins, envoyés exprès de la cour, firent venir les princes à Fourdane ; et, les ayant fait mettre à genoux, ils leur signi- fièrent un ordre de l'empereur, qui les dépouillait du rang et des prérogatives de princes du sang : on leur ôta la ceinture jaune et on les renvoya ensuite à Sin-poit-tse, où ils furent confondus avec le simple peuple. Cette haine féroce de l'empereur contre la famille Sourniama venait sans doute des accusations portées contre elle. L'histoire rapporte que peu de temps après la mort de K'aug-si, on découvrit une conspiration ayant pour but de détrôner Yoîing-tcheng pour proclamer un de ses frères. On prétendit que la famille Sourniama était entrée 180 PEKING. dans le complot ; le prince aspirant, disait-on, au trône, fut envoyé à Si-ning sur la frontière du Koukounoor. Le douzième fils de Sourniama, nommé Joseph, et son frère Louis, furent exilés au même lieu avec le P. Morao, supérieur des Jésuites. Le tribunal des crimes reprit ensuite toute cette affaire, et décréta que « les ossements du vieux Sourniama seraient déterrés, réduits en cendres et jetés au vent ; que tous ses fils et petits-fils au-dessus de 15 ans seraient mis à mort, et les plus jeunes dispersés dans les provinces ; enfin, que le P. Morao. également condamné, serait exécuté en automne. » L'empereur modifia cette sentence et ordonna que huit princes seraient bannis, mais que, le 2 janvier, Louis et Joseph, chargés de chaînes, seraient amenés à Péking et enfermés pour la vie dans une prison ; il maintenait la sentence de mort contre le missionnaire. La cour de Lisbonne, informée de l'affreuse position du P. Morao et des terribles consé- quences qui pourraient en rejaillir sur les mis- sions, fit partir immédiatement comme ambas- sadeur Dom Rlétello Souza y Menesez, pour essayer de le sauver. L'empereur, averti par un courrier rapide, envoya aussitôt l'ordre d'étrangler le P. Morao, ce qui fut exécuté. Dom Métello fut traité avec magnificence à Péking dans la résidence impériale de Yuen- )iiing-yucn, et s'en retourna sans avoir pu atteindre le but de sa mission. Le prince Louis mourut après un long em- prisonnement; quant au prince Joseph, il resta dans un étroit cachot de 9 pieds de long sur 6 de large pendant trois années, et fut trouvé mort d'un flux de sang, le matin de l'Assomp- tion 1727. Son corps, mis dans un pauvre cer- cueil deux jours après, fut conduit en dehors de la porte Occidentale, jusqu'à un endroit appelé Ssc-li-yuen, « où le chemin de l'est à l'ouest est coupé par un autre aussi grand qui va du nord au sud ; » le cercueil et le corps furent brûlés, les os écrasés par les roues des voitures que l'on fit passer par-dessus, et les chaines furent reportées au tribunal des crimes. Au moment où l'empereur traitait avec tant de rigueur les chrétiens et les mission- naires.le pape Benoît XI 1 1 envoyait en Chine deux religieux, avec un Bref apostolique, pour féliciter ) 'oung-tcheng de son avènement à l'empire et le prier de prendre sous sa protection la religion chrétienne. Les ambassadeurs du Saint-Siège arrivèrent à Péking dans le mois d'octobre 1525, et l'empereur leur fit donner une audience solennelle où il invita, au grand étonnement de la cour, tous les missionnaires de la capitale. Apres l'interminable cérémonie des génullexions et des prostrations au pied du trône, l'empereur fit présenter du thé aux missionnaires et leur dit : « Toutes les religions portent au bien et visent au même but ; mais aucune ne peut être comparée à celle des lettrés de la Chine. » Il les renvoya ensuite, après leur avoir fait distri. buer à chacun d'eux un melon de Hami, fruit précieux et très rare pour la saison. LE PRINCE LOUIS (i.ISSIHIN). DYNASTIE DES TS'ING. 181 Voici la réponse de ) 'oung-tcheng au Bref du Pape : « En lisant la lettre de Votre Majesté, et à la vue des beaux présents que vous m'avez envoyés, je me suis convaincu de la sincérité de vos sentiments. Ainsi je reçois avec joie la lettre obligeante dans laquelle, en me rappelant le souvenir des bienfaits que mon père a versés sur le christianisme, vous me souhaitez une longue prospérité et me promettez vos prières... » J'envoie cette lettre avec soixante pièces de soie brochées d'or, et quarante autres plus communes. » E;i 1728, fut signé le traité de Kiachta qui rétablissait le commerce de la Russie avec la Chine, et consacrait l'existence des établissements russes à Péking. En 1730. un violent tremblement de terre bouleversa la capitale; le 30 septembre eurent lieu les premières secousses ; plus de 100.000 habitants furent écrasés sous les ruines des édifices; les palais des princes, les pagodes et les deux églises catholiques turent renversésou sérieusementendommagés. L'empereur vint en aide aux habitants, réduits à la plus affreuse misère ; il leur fit distribuer plus de quinze millions de francs. Il donna aux missionnaires 1.000 taëls, soit environ 7.000 francs pour réparer leurs églises et résidences. Cette générosité n'attestait nullement un changement .dans les idées de Yonne- tcheng au sujet de la religion ; la persécution continua plus implacable que jamais, et le 20 août 1732, tous les missionnaires réunis à Canton furent chassés de Chine. Trente-cinq s'embarquèrent et arrivèrent à la colonie portugaise de Macao trois jours après. Pendant ce temps, les missionnaires qui avaient pu se cacher administraient les sacrements aux fidèles ; mais ils étaient en très petit nombre, et les chrétiens sans cesse poursuivis, frappés, mis à mort. Les missionnaires de Péking, Jésuites ou Lazaristes, restaient pour ainsi dire enfermés dans leur résidence ; seul, peut-être, M. Pedrini, que l'empereur avait eu pour précepteur et qu'il aimait, pouvait encore être admis près de lui; il rendit dans cette occurrence bien des services ignorés de ses confrères. Enfin, Young-tckeng mourut le 7 octobre 1735, âgé de 58 ans, dans son palais du Yuen-ming-yïien, près de Péking. — De tous les travaux des premiers et célèbres Pères Jésuites il ne restait rien, tout était anéanti ! !S\L^==^ f & •-. ■ M. WmmL mmmm mm CHAPITRE IX ii I. k'ien-loung. le p. parennin. guerre des êleutes. le p. gaup.il. le p. benoist. LE F. CASTIGL10NE. LE F. ATTIRET. II. PERSÉCUTION. GUERRE DES MIAO-TSE. LE GÉNÉRAL TCHAO-HOEI. SUPPRESSION DES JÉSUITES. INCENDIE DU NAN-t'aNG. III. LA CONGRÉGATION DE LA MISSION, DITE DES LAZARISTES. DÉCRETS. MSr DE GOUVÉA. MM. RAUX ET GHISLAIN. I.E V. PARIS. ABDICATION DE k'iEN-LOUNG. I onté sur le trône à 26 ans (1735), K'ien-loung eut la sagesse de se donner quatre régents pour l'aider dans le gouvernement de l'empire. Une amnistie générale rendit à la famille Sourniama la ceinture jaune, insigne de son alliance avec la famille impériale, et ses des- cendants la portent encore ; mais les chrétiens des provinces ne profitèrent point de la clé- mence de K'ien-loung. Cependant, il y avait encore à Péking trois églises desservies par les Jésuites. Le P. Koegler, Bavarois, et ses compagnons étaient au Nan-t'ang ; le P. Pa- rennin et les Français, au Pé-fang; le P. Pin- heiro et les Portugais, au Toung-t'ang. Il y avait également divers établissements où l'on transportait les enfants trouvés. Les régents rendirent un décret portant «que les Européens, tolérés seulement à cause des services qu'ils pouvaient rendre, ne pour- raient plus chercher à convertir ni les Chinois, ni les Tartares. » Des mandats d'arrestation furent lancés contre les chrétiens de Péking même, que l'on incarcéra en très grand nombre Dans ce temps-là, un Frère jésuite italien ornait de peintures le palais impérial ; il se nommait Castiglionc, et était né en 1698 ; K'ien-loung l'avait pris en affection. Doué d'un remarquable talent, on l'obligeait à renoncer aux règles de son art pour suivre les goûts de la cour ; outre les portraits, il peignait des aquarelles qui sont encore fort estimées, et c'est à prix d'or que l'on vend les éventails ou les pendentifs signés Lang-cke-ning (nom chinois de Castiglione). Les Jésuites, vou ant DYNASTIE DES TS'ING. 183 profiter de la faveur relative dont jouissait ce Frère, le chargèrent de présenter un Mémoire à l'empereur, qui le reçut et en prit lecture. Cette démarche, quoique sans succès, ne fut pas inutile ; on vit que les missionnaires avaient encore un certain crédit à la cour, puisque l'on recevait leurs pétitions ; mais peu de temps après, une accusation lancée contre un chrétien qui baptisait des enfants païens fit redoubler la persécution, et un édit terrible parut contre le christianisme. Le lendemain, 14 dé- cembre 1737, le Frère Castiglione, en pleurant, supplia à genoux l'empereur d'en suspendre l'exécution. K'ien- loung fut touché, et donna l'ordre impérial suivant :« Le tribunal des crimes a pris et puni Léou-eul (le chrétien accusé) pouravoir transgressé les lois de la Chine. . . cela n'a nul rapport avec la religion chrétienne, ni avec les Euro- péens...» Cette pièce atténua un peu l'effet de l'édit pros- crivant le christianisme, et quelques missionnaires en profitèrent pour rentrer furti- vement en Chine, sous des déguisements ; plus de qua- rante s'échappèrent ainsi de Macao. Quelques paroles bien simples du Frère Castiglione avaient plus fait que tous les Mémoires et que toutes les pétitions. Le 1 7 octobre 1741, mou- rut à Péking le P. Parennin. Il était âgé de JJ ans et avait quitté la France en 1698. Pendant plus de vingt ans, il avait suivi l'empereur PTaug"- si dans tous ses voyages et dans ses chasses, ne pouvant guère, que sur la route et en passant, s'occuper des chré- tientés. Ce Père était peu versé dans les sciences exactes, mais il avait fort bien appris le chinois et le tartare qu'il parlait avec la plus grande facilité. Comme les rapports avec les Russes se fai- saient en latin, un collège de ieunes Tartares avait été établi à Péking pour y enseigner cette langue, et c'est le P. Parennin qui en fut le directeur. L'empereur voulut faire les frais de ses funérailles, et il s'en acquitta d'une manière digne d'un grand monar- que. Le frère de ICien-loung et dix autres princes y concoururent aussi : ils envoyèrent chacun plusieurs de leurs officiers, pour accompagner le convoi jusqu'à la sépulture des Jésuites français donnée par l'empereur, et qui est située à une lieue de Péking, vers l'ouest. l'empereur k'ien-loung. 184 PEKING. En 1753, les princes descendus de ce Kaldan qui, plusieurs fois du temps de K'ang-si, avait troublé la tranquillité de l'empire, après s'être fait les uns aux autres une guerre continuelle, commencèrent à se rendre redoutables à leurs voisins. Beau- coup d'Eleutes vinrent implorer le secours de l'empereur. Ce prince prit parti dans la querelle qu'un des chefs éleutes, nommé Amour -sanan, avait avec Daivadji, autre chef de la même famille. Les troupes impériales mirent Amour-sanan sur le trône ; mais l'empereur fit grâce de la vie à Dawadji, son prisonnier ; peut-être moins par clémence que par politique, et pour pouvoir, au besoin, l'opposer à son rival. Ce dernier.devinant les mo- tifs de la conduite de K'ien-loung, et mécon- tent du peu d'autorité que les lieutenants de l'empereur lui laissaient en Tartarie, excita ces peuples contre l'autorité chinoise et leva, en 1 755, l'étendard de la révolte. Tous les grands étaient d'avis d'abandonner les Tartares à leurs dissen- sions, et de ne point en- treprendre une guerre lointaine et hasardeuse : K'ien-loung pensa diffé- remment. Ses généraux eurent ordre de pénétrer jusqu'au fond des pays habités par les Éleutes ou leurs partisans; mais, trompés et trahis parles Tartares, qui formaient une partie de leurs trou- pes, ils ne purent s'em- parer d'Amour-sanan, et furent plusieurs fois vaincus. K ien - loung, voyant ses armées presque dé- truites, hésita àcontinuer la guerre; mais Tchao-hocitX Fou-ie, deux excellents officiers généraux, l'un Chinois et l'autre Mantchou, firent changer la face des affaires. Les Eleutes plièrent devant eux , tout leur pays fut occupé. Amour-sanan, fugitif, se retira d'abord chez les Kasaks, ensuite dans la Sibérie, 011 il mourut bientôt après de la petite vérole. Les armées chinoises parcoururent alors la Tartarie, en rassemblant tout ce qui restait des tribus éleutes ; les hommes du commun furent transportés dans des con- trées lointaines, et les chefs envoyés pour la plupart à Péking, où l'empereur les jugea lui-même et les condamna au supplice des rebelles. Le pays fut administré sous sa protection par des gouverneurs qu'il institua, et dont il rendit la charge héréditaire, à la condition qu'ils tiendraient de lui leur autorité. . LE I'. I'ARKNNIN. DYNASTIE DESTS'INC. 185 . ! Les vastes contrées habitées parles Éleutes ne furent pas les seules qui se soumi- rent à K'ien-loung, Toutes les villes des Turcs de Kachgar, d'Aksou, de Yerkiyang, et jusqu'aux Kasaks, précédemment vassaux des Eleutes, passèrent sous la domina- tion chinoise. Le sultan de Badackchau, chez qui s'étaient réfugiés les princes de Kachgar et de Yerkiyang, fut contraint de les livrer. Ainsi la puissance chinoise s'exerça encore une fois sur toute la Tartarie, jusqu'aux confins de la Perse. K'ien- loung, se voyant seul maître des régions centrales de l'Asie, voulut se conformer aux rites que les anciens empereurs pratiquaient à la fin d'une guerre glorieusement terminée. Il se rendit à dix lieues de Péking, sur la route par laquelle devait revenir Tcliao-hoci, descendit de cheval, salua le vainqueur, lui présenta une tasse de thé, fit avec lui des sacri- fices et toutes les cérémonies prescrites, puis revint à Péking précédé du général, couvert de son armure et suivi de trente prisonniers turcs en- chaînés. Ce triomphe eut lieu au mois d'avril i 760. Un des Jésuites les plus remarquables de Péking sous le règne de K'ien loung, fut le P. . \ ut 01 ne Gaubil, né le 4 juillet 1689 à Gaillac, ville du Haut- Languedoc, et admis dans la Compagnie de Jésus à Toulouse, vers l'âge de quinze ans. Parti de France en 1721, il arrivait à Péking en 1723. Le P. Gaubil se mit dès lors à étudier les langues chinoise et mantehoue, dans lesquelles il lit de tels progrès, qu'il fut bientôt nommé interprète des Européens résidant à la cour. Il remplaça, de plus, le P. Parennin, en qualité de premier profes- seur du collège impérial, et fut comme lui interprète pour le latin et le tartare, charge que les relations établies entre la Russie et la Chine rendaient très importante. Un visage toujours serein, des mœurs extrêmement douces, une conversation agréable, des manières aisées : tout cela prévenait en faveur du P. Gaubil, et l'amitié ne tardait pas à se joindre à l'estime. Il mourut en 1759 et fut enterré au cimetière français. Un autre Jésuite, le P. Michel Benoist, ne se recommanda pas moins par son caractère et par ses talents. Il naquit à Autun le S octobre 171 5. fit son cours de théologie à Paris, au séminaire de Saint-Sulpice, puis entra au noviciat de Nancy, le 1 8 mars 1 737. Enfin il partit pour la Chine, et arriva heureusement à Macao en 1744. L'empereur l'appela dans la capitale comme mathématicien. En moins d'un an, il fut en état d'entendre les livres usuels et de faire toutes les fonctions de missionnaire. K'ien-loung, ayant vu en 1747 la peinture d'un jet d'eau, demanda s'il y avait à la cour quelque Européen en état d'en faire exécuter une semblable. Le P. Benoist fut désigné. Il se dévoua à cet ouvrage, et fut présenté à sa Majesté pour faire exécuter des choui-fa ou jets d'eau. L'empereur, satisfait, lui parla avec bonté, et donna des ordres pour qu'on lui obéît en tout. Le P. Benoist, astronome, fut donc transformé en fontainier. Les jardins du palais d'été lui furent ouverts à toute heure, et il fut AMOUR-SANAN 186 PEKING. libre d'y aller quand il voudrait. « Les jours de fête étaient les seuls où il pût respirer ; quelque temps qu'il fit, il venait la veille à Péking, éloigné de deux grandes lieues, et après avoir passé la soirée et la matinée à confesser et à prêcher, il s'en retournait le soir, à moins qu'on ne l'eût invité pour le lundi à quelques assemblées de néophytes ; car il mettait les fonctions de missionnaire au-dessus de tout, et ne voulait jamais s'en décharger sur d'autres. » La machine hydraulique et le premier jet d'eau furent terminés en automne ; l'empereur fut ravi, et, ce premier choui-fa fini, il fallut en commencer d'autres, d'abord dans les environs de la maison européenne, puis dans les jardins inté- rieurs de la ville et du Yuen-ming-yuen, qui est, pour ainsidire, le Versailles de la Chine... » Une carte générale de l'empirechinois et des pays limitrophes venait d'être dressée ; K'ien-loung vou- lut qu'elle fût gravée sur des planches de cuivre sous la direction du P. Be- noist. On grava donc cent quatre planches, et on im- prima cent exemplaires pour lesquels il fallut dix mille quatre cents feuilles. Le P. Benoist dut ensuite s'occuper d'un autre tirage d'une exécution plus diffi- cile encore. Seize magni- fiques dessins des batailles de K'icn-loitng avaient été envoyés en France, où ils furent gravés aux frais de LouisXV.sous la direction de Cochin. Ces planches, accompagnées deleursdes- sins originaux et de deux cents'exemplaires, revinrent d'Europe en deux lois. Les sept premières étant arri- vées à Péking au mois de décembre 1772, l'empereur vou]ut que le P. Benoist en tirât de nouveaux exemplaires. Ce premier essai de l'impression en taille-douce en Chine fut le dernier des travaux du P. Michel Benoist, qu'un coup de sang, qui ne lui laissa que le temps de recevoir avec édification les sacrements, enleva à Péking le 23 octobre 1774. K'ien-loung donna cent onces d'argent pour ses funérailles. Le Frère Castiglione appartenant à la mission portugaise, le Pét'ano- voulut avoir aussi un artiste, et le Frère Atliret fut demandé. Il était Français, fils de peintre, et né à Dôle le 31 juillet 1702. Admis dans la Compagnie de Jésus après deux années de noviciat, il fut envoyé à Péking, où il arriva en 1738. Quoique fort habile en son Q^z DYNASTIE DES TS'ING. 187 art, il dut y renoncer et ne peindre qu'à l'aquarelle, ce qui lui coûta beaucoup. L'empereur ne voulait pas d'autre peinture. « Elle est plus gracieuse, disait-il, et elle frappe agréablement la vue, par quelque côté qu'on la regarde ; ainsi, il faut que le nouveau venu peigne de la même manière que font les autres ; pour ce qui est des portraits, il pourra les faire à l'huile. Qu'on ait soin de l'instruire. » Le F. Attiret supporta même qu'on lui donnât des maîtres chinois pour lui apprendre à peindre ; il se soumit à tout pour la gloire de Dieu. On voulut le nommer mandarin, mais toujours il refusa, au grand étonnement de l'empereur. Le travail qu'il faisait au palais était fort pénible. Une espèce de salle isolée au rez-de-chaussée, comme sont tous les appartements chinois, entre cour et jardin, exposée à toutes les incommo- dités des différentes saisons, était le lieu destiné pour lui servir d'atelier. Là, n'ayant d'autre feu en hiver que celui d'un petit réchaud sur lequel il mettait ses godets pour empê- cher les couleurs de geler, il souffrait cruellement du froid toujours si vif à Péking. Par contre, en été, les rayons du soleil brûlant changeaient sa pauvre chambre en une véri- table fournaise. Une des lettres du Frère Attiret nous montre bien le servage auquel étaient réduits tous les missionnaires, esclaves des moindres désirs de la cour. « J'ai été reçu par l'empereur de la Chine, aussi bien qu'un étranger puisse l'être d'un prince qui se croit le seul souverain du monde, qui est élevé à n'être sensible à rien ; qui croit un homme, surtout un étranger, trop heu- reux d'ètreà son service et de travailler pour lui... Ce n'est pas assurément cet honneur qui m'a amené en Chine, ni qui m'y retient. Être à la chaîne d'un soleil à l'autre, avoir à peine les dimanches et les fêtes pour prier Dieu, ne peindre presque rien à son goût et à son génie, avoir mille autres embarras qu'il serait trop long de vous expliquer : tout cela me ferait bien vite reprendre le chemin de l'Europe, si je ne croyais mon pinceau utile pour le bien de la religion et pour rendre l'empereur favorable aux missionnaires qui la prêchent, et si je ne voyais le paradis au bout de mes peines et de mes travaux. C'est là l'unique attrait qui me retient ici, aussi bien que tous les autres Européens qui sont au service de l'empereur. » COMI1AT D KI.KUTES. ISS PEKING. Le Frère Attiret mourut à Péking, le S décembre 1768, âgé de 66 ans, dans les sentiments d'une vive piété. Le Frère Castiglione, que K'ien-toung avait honoré des plus riches cadeaux pour célébrer sa 70^ année, mourut peu après. L'un et l'autre furent enterrés aux frais de l'empereur. Depuis que les missionnaires étaient établis en Chine, aucun empereur n'avait autant profité de leurs services que K'ien-loung ; cependant, aucun ne les maltraita davantage, et ne porta de plus foudroyants arrêts contre le christianisme. E" II N 1746, la persécution, qui n'avait jamais cessé, sem- bla redoubler de violence, sur- tout dans les missions du sud. Le. P. Pierre Sanz, Dominicain, né en 1680, à Aseo.enCatologne, et arrivé en Chine en 171 5, avait été. nommé évêque de Mauricastre et vicaire aposto- lique du Fou-kien. Il fut arrêté et chargé de chaînes à l'âge de 66 ans, se livrant lui-même pour sauver son troupeau. Ses com- pagnons, les PP. Alcobcr, Royo, Diaz et Serrano, tous Domini- cains, imitèrent son exemple. Le ter novembre 1746, ils furent condamnés à mort, et le 21 avril 1747, l'empereur ratifia la sentence ; le prélat fut exécuté le 26 mai suivant ; avant de mourir, il s'écria: « Je vais de- venir dans le Ciel le protecteur de cet empire. » Le 28 octobre 1748, après une longue attente, les autres missionnaires domi- nicains, avec un nombre consi- dérable de leurs chrétiens, fu- rent aussi exécutés. En 1893, ils ont été déclarés bienheureux. Les PP. A ///émis et Henriijaez, Jésuites, furent arrêtés, emprisonnés, condamnes à d'affreux supplices et étranglés dans leur prison, le 12 septembre 1 748, avec plu- sieurs néophytes. Dans cette horrible persécution, le nombre des martyrs fut grand, mais bien grand aussi le nombre de ceux qui succombèrent aux tortures et aposta- sièrent. En 1775, eut lieu un événement que les Chinois regardent comme très glorieux, et que K'ien-loung a célébré comme faisant honneur à son règne. Nous voulons parler de l'expédition contre les Miao-tse, petit peuple de race thibétaine, qui était DYNASTIE DES TS'ING. 189 resté enfermé dans les montagnes du Sse-tch'ouan et avait conservé son indépen- dance. Cette guerre fut plutôt une véritable extermination. Le général Akouï, après avoir fait entrer son artillerie dans les gorges où vivaient ces montagnards, les poursuivit de retraite en retraite sur les rochers les plus escarpés et au travers des précipices les plus dangereux. La capitale fut prise, malgré une belle défense ; le dernier fort tomba entre les mains du général Akoui, et les prisonniers furent conduits à Péking, où l'empereur souilla l'éclat de cette petite mais pénible victoire en faisant mourir, non seulement les chefs, mais beaucoup de Miao-tse d'un moindre rang, dont les têtes furent exposées dans des cages. « En 17S0, dit Abel de Ré- musat, l'empereur fit venir à Jehol, en Tartarie, le second des lamas du Thibet ; et ce voyage, dont les motifs ne fu- rent jamais bien connus, donna d'autant plusàpen- ser que le lama, s'é- tantrendu à Péking, y mourut subitement petite véro tendit. Quelques personr soupçonné la politique de K' un loiuigà 'avoir été la cause de cette mort d'un des princi- paux personnages d'entre les Bouddhistes.Ouoi qu'ilen soit, À 'ien-loung, qui se servait adroitement des lamas pour tenir en respect ses peuples de Tartarie, et qui, dans cette vue, avait rendu de grands honneurs au lama pendant sa vie, lui en renditde plusgrands encore après sa mort, ce qui toutefois ne diminua rien des soupçons qu'on avait conçus. » La nouvelle de la suppression de la Compagnie de Jésus par le Bref de Clé- ment XIV « Dominus ac Redemptorl> ( 1 754), fut connue en Chine l'année suivante. Plusieurs missionnaires jésuites en moururent de douleur ; les lettres de ceux qui eurent la courageuse résignation de leur malheur, surtout celles du P. Bourgeois, supérieur des Jésuites de Péking, exprimèrent d'une manière touchante leur soumis- sion à la décision du Souverain- Pontife. Fin 1775, une nouvelle épreuve s'ajouta à celle qui venait de frapper les Pères. L'église de l' Immaculée-Conception, dite du Nan-t'ang, fut détruite par l'incendie, Le 13 février, on célébrait avec solennité la fête de sainte Catherine de Ricci, grand'tante du général des Jésuites, quand il sortit de dessous l'autel une odeur si MIAO-TSE. 190 PEKING. forte, que le célébrant eut bien de la peine à terminer l'office. On chercha de tous côtés, sans rien découvrir. Les fidèles etles missionnaires avaient quitté l'église depuis peu d'instants, lorsque les cris : Au feu ! Au feu ! retentirent de toutes parts, et aussitôt on vit de longs tourbillons de flammes et de fumée qui s'élançaient de toutes les fenêtres. L'incendie s'était propagé avec la rapidité de la foudre ; en moins d'une heure, le vaste bâtiment fut consumé. Dès le lendemain de l'incendie, l'empereur K'ien-loung, sensible au malheur qui venait de frapper les missionnaires, donna ordre au tribunal des ministres de s'infor- mer de ce que son aïeul, K'ang-si, avait fait lors de la construction de cette église. On trouva qu'il y avait contribué pour la somme de 10.000 taéls. En Chine, les anciens usages font loi ; K'ien-loung en donna autant pour la reconstruction de l'édifice, et promit d'écrire lui-même de nouvelles inscriptions pour remplacer celles de K'ano--si, qui avaient été brûlées. Cette nouvelle se répandit aussitôt partout ; on vint féliciter les Pères du Nan-t'ang pour ce témoignage extraordinaire de la faveur impériale. Les travaux avancèrent avec activité, et les Jésuites dépensèrent toutes les ressources dont ils pouvaient disposer. K'ien-loung témoignait encore quelque bienveillance aux missionnaires employés à la cour, et, pour le bien de la religion, ils continuèrent leurs travaux scientifiques ; mais la mort venait éclaircir peu à peu leurs rangs, et ils n'étaient pas remplacés. Ceux qui survivaient étaient plongés dans un profond abattement ; ils ne voyaient que des ruines dans le présent, et pour l'avenir un désastre total. En i 780, l'un d'eux, le P. Dollières, écrivait en Europe: « Nous avons grand besoin que Dieuhous regarde en pitié, et nous envoie des successeurs. Il est impossible que la mission se soutienne longtemps dans l'état où nos désastres l'ont réduite... Il faut recourir à quelques communautés où il règne beaucoup de piété, un grand zèle pour le salut des âmes, quelque goût pour les sciences, mais surtout beaucoup de douceur, de modération, de patience, d'abnégation et de charité. )) - - Le P. Dollières expirait de chagrin deux mois après avoir écrit ces paroles. III Le roi de France, Louis XVI, se préoccupait de subvenir aux besoins de la mission de Péking. Après s'être adressé à divers Instituts, qui ne purent accepter, Sa Majesté la proposa h. la Société des Missions- Étrangères (1776). Ce projet, approuvé par le Souverain- Pontife, rencontra de la part de cette respectable Société un refus absolu et irrévocable. M. Jacquier, supérieur général de la Congré- gation de la Mission, dite des Lazaristes, refusa de même jusqu'à trois fois ; c'est qu'en effet, s'il est fâcheux d'avoir à céder sa place, il est aussi fort désagréable de se mettre à celle des autres. Des instances multipliées, enfin un ordre du roi, arra- chèrent un consentement que M. Jacquier qualifia toujours de consentement forcé. Par le décret suivant daté du 7 décembre 1 783, la Congrégation de la Propagande mettait les Lazaristes en possession des missions, résidences, églises de Péking et des biens-fonds qui y avaient été annexés. <( Le roi très chrétien de France, Louis XVI, ayant, selon sa piété et son zèle pour la foi catholique, fait exposer à notre Saint- Père le pape Pie VI qu'il désirait que les prêtres de li Mission soient subrogés pour les missions de l'empire de la Chine aux Pères français de la Société éteinte des Jésuites, qui les administraient précédemment, Sa Sainteté, après avoir pris l'avis de quelques éminents cardinaux DYNASTIE DES TS'ING. 191 de la Sacrée Congrégation de la Propagande, louant hautement la foi et la religion du même roi très chrétien, et voulant seconder ses pieux désirs, a subrogé et député les susdits prêtres de la Congrégation de la Mission, sous la désignation du supérieur général et l'approbation de la même Sacrée Congrégation, à la place des susdits Pères de la Société éteinte des Jésuites, dans les missions de la Chine qu'adminis- traient ces mêmes Pères de la nation française, avec tous les pouvoirs, droits et privilèges qui doivent être donnés à chacun d'eux respectivement, lesquels la Sacrée Congrégation a coutume d'accorder aux missionnaires, sous la dé- pendance des évêques, ou des vicaires apostoliques là où il n'y a pas d'évê- ques, sauf pourtant les privilèges et exemptions accordés aux susdits prê- tres et à la Congrégation de la Mission par le Siège apostolique, suivant les mode, forme et teneur qui seront prescrits à l'avenir par Sa Sainteté, de con- cert avec le roi très chré- tien, soit pour la désigna- tion des lieux où ces mêmes prêtres de la Con- grégation de la Mission devront être envoyés, soit pour les biens et revenus à eux déjà assignés ou devant être assignés à l'avenir par la pieuse libé- ralité des fidèles chinois, soit pour les charges à acquitter par eux en con- séquence des fondations pieuses, et enfin pour les règles à observer dans l'exercice de leurs mis- M, RAUX, LAZARISTE. sions. Pour tout ce qui se rattache, soit aux biens, soit aux revenus, que tiennent ou que tiendront ces missions de la munificence des rois très chrétiens ou de la libé- ralité des sujets français, le roi très chrétien, en s'inspirant de son zèle et de sa sollicitude pour la foi catholique, en disposera seul pour l'avantage et l'utilité de ces mêmes missions. » Donné à Rome, dans le palais de la Sacrée Congrégation, le 7 décembre 1783. » Cardinal Antonelli, préfet, » Etienne Bokgia, secrétaire. » 192 PEKING. Quelques semaines plus tard, Louis XVI donnait, à son tour, les lettres patentes en "vertu desquelles le Parlement de Paris devait enregistrer le décret de la Congrégation : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, » A tous ceux qui ces présentes verront, salut. » Nous étant fait représenter le décret de la Propagande du 7 décembre dernier, par lequel les prêtres de la Congrégation de la Mission sont subrogés à la Société éteinte des Jésuites pour la desserte des missions françaises delà Chine qui avaient été confiées à ladite Société, nous avons, de l'avis de notre conseil, de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, ordonné et ordonnons par ces présentes, signées de notre main, que ledit décret de la Propagande du 7 décembre 1 7 S 3 , ci- attaché sous le contre-scel de notre chan- cellerie, sera exécuté suivant sa forme et teneur, en tout ce qui ne sera pas contraire aux libertés de l'Église gallicane. » Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre Cour de Parlement à Paris, que ces pré- sentes ensemble ledit décret ils aient à faire j enregistrer pour avoir leur pleine et entière exécution sous la réserve portée en ces û présentes. Car tel est notre plaisir, en témoin \ de quoi nous avons fait mettre notre scel à ces dites présentes. » Donné à Versailles, le 25e jour du mois de janvier de l'an de grâce 1784, et de notre règne le dixième. » Louis. » Par le roi, le ministre, » Maréchal de Castriel. » La substitution des Lazaristes aux Jé- suites étant désormais un fait accompli, le supérieur général, M. Jacquier, désigna pour cette nouvelle mission de Péking : M. Nicolas- Joseph Raux, né à Ohain, dans le Hainaut, diocèse de Cambrai, le 14 avril 1754; M.. Jean- Joseph Ghislain, né à Salles, diocèse de Cambrai, le 5 mai 1 7 5 1 , et le Frère Charles Paris, né le 8 décembre 1738 à Verderonne, diocèse de Beauvais. Ils arrivèrent devant Macao le 23 août 1784, et le 29 ils débarquaient à Canton. M. de Torre, procureur de la Propagande, leur offrit l'hospitalité. Après cinq mois d'attente, ils partirent de Canton le 7 février 1 785. arrivèrent à Péking le 29 avril, et furent présentés à l'empereur, qui leur lit les présents ordinaires. MM. les ex -Jésuites français et portugais, M M. les missionnaires de la Propagande et Mgr l'évêque de Péking lui- même les félicitèrent de leur heureuse arrivée. M gr Alexandre de Gotivéa, Franciscain portugais, publia, le 8 mai 1 7S5, le décret CHASUBLE DONNÉE PAR LOUIS XVI PÉ-T'ANG). DYNASTIE DES TS'ING. 193 pontifical avec l'ordonnance royale, et le même jour, M. Raux fut reconnu par tous comme supérieur de la mission, dont il prit possession en s'établissant au Pét'ang. Tous les anciens Jésuites de la mission française signèrent avec l'évêque de Péking l'acte suivant de publication : « D. F. Alexandre de Gouvéa, delà famille du tiers-ordre de Saint-François par la grâce de Dieu et du Siège apostolique, évêque de Péking, conseiller de la très fidèle reine des Portugais, etc., » A tous ceux à qui il appartient, faisons connaître et certifions qu'aujourd'hui, /&3/sf/>k\V\^ BURETTES EN ARGENT DONNÉES PAR LOUIS XVI. (PÉ-T'ANG.) dimanche de l'octave de l'Ascension, huitième jour du mois de l'année 1785, devant nous et en présence des missionnaires de l'église du Pé-t'ang, convoqués par notre ordre dans notre église cathédrale, ont été lus et publiés : le décret de la Sacrée Congrégation de la Propagande, en date du 7 décembre 1783, par lequel les prêtres de la Congrégation de la Mission sont subrogés et substitués à la place des Pères français de la Société éteinte des Jésuites, pour les missions de la Chine que les dits Pères français administraient ; le brevet du roi très chrétien des Français sur cette matière, donné à Versailles le 25 janvier 1784; le décret de la susdite Congré- gation de la Propagande du 17 décembre 1783, par lequel M. Nicolas-Joseph Raux, prêtre de la Congrégation de la Mission, est approuvé comme supérieur des susdites Péking. 194 PEKING. missions de la Chine. Ces divers décrets ont été acceptés par tous selon leur forme et teneur. » En foi de quoi nous avons donné ces lettres testimoniales, signées de notre main, ainsi que de celle de notre secrétaire et de tous ces missionnaires susdits, et munies de notre sceau. » A Péking, au palais épiscopal, les jour et an par-dessus. Signé : F. Alexandre, évêque de Péking ; J. Marie Amyot ; J. Mathieu Venta von ; François Bourgeois ; Louis de Poirot, missionnaire apostolique j Joseph Panzi ; Rodrioue de la Mère de Dieu, secrétaire. » Les Pères Jésuites étaient restés dans cette maison du Pé fang 93 ans, de 1692 à I785- Dès les commencements, une entente cordiale s'établit entre les anciens mission- naires et leurs successeurs. Voici le témoignage touchant que le P. Bourgeois se plut à rendre aux Lazaristes qui venaient prendre leur place au nom du Pape et du roi de France : « On a donné notre mission à ces MM.de Saint- Lazare. . . Ce sont de braves gens : ils peuvent être assurés que je ferai tout mon possible pour les aider et les mettre en bon train. » Après l'arrivée des Lazaristes, il ajoute : « MM. les missionnaires, nos successeurs, sont des gens de mérite, pleins de vertu et de talents, de zèle et de bonne société. Nous vivons en frères ; on ne sait pas si ce sont ceux qui vivent en Jésuites, ou nous en Lazaristes. » Il y avait alors à Péking quatre églises : i° le Pé-t'ang, dont nous avons donné la description, et qui était situé dans la ville impériale, près de la porte Si-hoa-men ; 2°le Nan-fang, jadis résidence du P. Ricci, puis des Jésuites non français, située dans la ville tartare, près de la porte C/wun-tche-men (cette église venait d'être reconstruite) ; ^rWtTT^iVrVrT^fïSNM ^o ]e Touug-t'aug, occupé par les Jésuites portugais ; belle calice donné par louis xvi. église de style ionique, mais, comme le Pé-t'ang, fort (pé-t'ang.) petite : elle n'avait que 70 pieds de long ; 40 enfin, le Si-t'ang, donné avec la résidence par M. Pedrini, Lazariste, pour l'usage des missionnaires envoyés par la Propagande. M. Raux, aussitôt installé, s'appliqua avec ardeur à l'étude des langues chinoise et mantehoue, dans lesquelles il ne tarda pas à faire de si rapides progrès, qu'il composa une Grammaire et un Dictionnaire en tartare, et remplaça M. Amyot comme interprète. Il fut présenté à la cour par le P. Bourgeois, qui écrivit peu après à ses confrères: « Ses talents ne tardèrent pas à lui donner la réputation d'un homme du premier mérite. » Son tact et sa prudence, son caractère facile et bienveillant, ses qualités extérieures, sa haute taille, ses manières nobles, en imposaient aux gens du peuple et ne plaisaient pas moins aux princes et aux dignitaires de l'empire. Il fut d'abord nommé assesseur, puis, quatre ans plus tard, président du tribunal d'astro- nomie, après le P. Espinha, mort en 1788. C'était le premier Français élevé à cette dignité, M. Raux se servit de son influence à la cour, et de ses bonnes relations avec les mandarins, pour venir en aide aux missionnaires des provinces détenus dans les prisons de Péking. Il écrivit sur ce sujet à M. Jacquier la lettre suivante : La prise des quatre missionnaires dans le Hou-kouaug, arrivée l'an 1784, a entraîné la prise de tous les missionnaires du Chcn-si, Chan-toung et des quatre du DYNASTIE DES TSTNG. 195 Sse-tch' ouan. Les prêtres chinois ont été condamnés à un exil perpétuel dans la Tartarie. Les missionnaires européens ont été conduits dans les prisons de cette capitale, au nombre de dix-huit, y compris M. de Torre et deux Franciscains du Kiang-si. De ce nombre, il en est mort six dans les chaînes : deux évêques, le nouveau et l'ancien vicaire apostolique du Chen-si, M. de Torre, procureur de la Propagande à Canton, le P. Atho, Franciscain italien, et deux Français, MM. Devaut et Delpont, des Missions-Étrangères. Nous avons pourvu à leur subsistance le plus tôt qu'il nous a été possible, et l'on n'a épargné aucune dépense pour cela. » Lorsque l'empereur revint de Tartarie, nous allâmes à sa rencontre ; il nous reçut avec un air de bonté qui nous donna des espérances. Elles ne furent pas vaines, car le 10 de ce mois (novembre 1 785), les douze missionnaires qui restaient au Sing-pcu furent délivrés par un édit de l'empereur, qui leur permet de demeurer dans les églises de Péking, ou de s'en retourner. » L'édit étant publié, M. de Ventavon, trois prêtres portugais et italiens avec moi, nous courûmes aux prisons pour recevoir nos douze illustres confesseurs. Des prisons nous allâmes tous ensemble à la cathédrale, pour rendre au Roi du ciel mille actions de grâces de la preuve si tou- chante de sa protection, qu'il venait de donner en faveur des églises de l'empire de Chine. Ensuite, nous avons conduit dans notre maison française Mgr de Saint- Martin et M. du Fresse, des Missions- Etrangères ; de plus, un Franciscain espagnol qui a le plus souffert durant la persé- cution. Nous n'épargnons rien pour bien traiter des hôtes si illustres, si respectables et si saints, qui nous édifient beaucoup par leurs vertus vraiment apostoliques. Ils se proposent de retourner à Macao dans quelque temps. Nous aurons soin de pourvoir à tout, rien ne leur manquera. » Les Lazaristes dépensèrent à cette occasion plus de 2500 taëls. (lettres des missions-étrangères, p. 209.) Les rapports que M. Raux était obligé d'avoir avec la cour ne lui firent oublier ni les missions, ni les chrétiens. Plus de 3.000 baptêmes d'adultes furent donnés sous son administration. Les offices solennels et les proces- sions se faisaient avec grande pompe au Pé-t'ang, et étaient très suivis. Non seule- ment il prêchait les dimanches et les fêtes, mais il donnait encore des retraites qui faisaient grand bien aux âmes. Il fit construire des chapelles spéciales pour les chrétiennes, qui purent ainsi assister aux cérémonies de l'Église. Il fonda des écoles et un séminaire qu'il confia à son confrère M. Ghislain, et d'où sortirent de bons prê- tres indigènes, entre autres MM. Sue et H an qui rendirent les plus grands services. M. Raux mourut le 16 novembre 1801, muni des sacrements de l'Eglise. Il avait 48 ans d'âge, dont dix-huit années passées en Chine. L'empereur contribua aux frais de ses funérailles, selon l'usage établi pour les hauts mandarins du tribunal d'astronomie. Les chrétiens, venus en grand nombre, purent profiter de la liberté qui leur était accordée à Péking, pour accompagner publiquement le cercueil jusqu'au cimetière français, où il repose sous un modeste monument. Après la mort de M. Raux, le supérieur de la mission française fut M. Ghislain, qui avait d'abord été chargé de former à l'état ecclésiastique les élèves chinois du séminaire établi dans la capitale. Il s'occupait en même temps des fonctions ordinaires du saint ministère, faisant des missions dans la province. Sa vertu aimable, CIBOIRE DONNE PAR LOUIS XVI. (PÉ-T'ANG.) 196 PEKING. sa prudence, et surtout sa grande charité, le faisaient chérir également de ses élèves et des chrétiens. Tous le vénéraient comme leur père, et avaient en lui une parti- culière confiance. Par ses connaissances en médecine et en physique, il s'attira l'estime du peuple et des mandarins. Sa science de la mécanique lui fut aussi très utile: les membres de l'ambassade de Macartney, en 1793, conservèrent une vive reconnaissance, qu'ils témoignèrent plus tard aux Lazaristes et aux autres missionnaires, pour les soins qu'il apporta, aidé du Frère Paris, à monter les pièces des diverses machines astro- nomiques que l'ambassadeur anglais offrit à l'empereur. La Révolution française fut la cause des plus grandes difficultés pour la mission de Péking. Les ressources promises n'arrivaient plus; les missionnaires ne pouvaient plus obtenir la permission d'aller à Péking. Seul, M. Lamiot put entrer dans la capitale en 1797, avec un autre Lazariste, M. Hanna, qui mourut la même année. MM. Richenet et Dumazel, qui les avaient suivis de près, rencontrèrent des diffi- cultés insurmontables et n'eurent pas le bonheur d'entrer à Péking. Vers 1805 seulement on commença à respirer. Le supérieur général des Lazaristes avait envoyé 14 missionnaires ; trois seulement arrivèrent dans la capitale. Le Frère Paris avait succédé à M. de Ventavon comme horloger et machiniste du palais. « On ne le trouvait jamais oisif, écrivait M. Ghislain, mais il travaillait ou priait continuellement. A une régularité et à une piété fort exemplaire, il joignait un talent presque universel. Il fit plusieurs grandes horloges, deux grands carillons, un petit et un grand orgue, une pendule qui doit aller trois mois sans qu'il soit besoin d'en remonter les poids. Il fit même un automate de cinq pieds de haut, qui écrivait les louanges de l'empereur en chinois, en tartare et en mongol. Il est allé en paradis, comme nous le croyons tous, le 6 septembre 1804, muni de tous les secours de la religion. » Les Lazaristes français de Péking furent puissamment aidés dans leur tâche par les Lazaristes portugais. Après la suppression des Jésuites, la reine de Portugal avait également envoyé des Lazaristes pour les remplacer. MM. Ferreira et Ribeiro arrivèrent en 1801 et furent mis en possession de l'église du Toung-f ang par Mgr de Gouvéa. Ils furent rejoints en 1S04 Par MM. Gaétan Pires et Serra. M. Ribeiro était leur supérieur et en même temps président du tribunal des mathé- matiques. Un autre Lazariste portugais, M. Joachim de Souza-Sarraira, fut nommé coadjuteur de Mgr de Gouvéa à Péking et sacré en 1805 à Macao. Mgr de Gouvéa étant mort le 6 juillet 1808, Mgr Souza devint titulaire du poste, mais il ne put jamais s'y rendre et ne l'administra que par son vicaire-général M. Ribeiro. Sous le règne de Kien-loung, la Russie, l'Angleterre et la Hollande, envoyèrent plusieurs ambassades à Péking. En 1792, lord Macartney fut convenablement accueilli; en 1793, Isaac Titsing'i et Van Baam, Hollandais, vinrent aussi compli- menter l'empereur K'ien-loung sur son long règne et furent reçus avec politesse ; mais tous ces ambassadeurs n'obtinrent aucun avantage pour les pays qu'ils représentaient. K'ienJoîing occupait depuis longtemps le trône impérial, et on avait remarqué qu'à mesure qu'il avançait en âge, il devenait plus exact à s'acquitter des devoirs du souverain. Quand les infirmités qui commençaient à l'assiéger l'obligeaient à relâcher quelque chose de son exactitude, il s'en justifiait par des déclarations publiques. Il était aussi de plus en plus appliqué aux affaires de l'État ; et à l'âge de quatre-vingts ans, il se levait au milieu de la nuit, dans la saison la plus rigou- reuse, pour donner des audiences ou travailler avec ses ministres. Les missionnaires DYNASTIE DES TS'ING. 197 et les ambassadeurs étrangers qui ont eu quelquefois de ces audiences matinales, ne concevaient pas comment un prince âgé et infirme pouvait en soutenir la fatigue ; mais les exercices tartares et la chasse l'y avaient endurci. Son plus grand désir avait toujours été d'égaler, par la durée de son règne, son illustre aïeul K'avg-si, qui avait occupé le trône pendant soixante années. Ses vœux furent satisfaits ; et il se montra fidèle à un serment qu'il avait fait, d'abdiquer la couronne s'il parvenait à ce terme. C'est ce qu'il exécuta le premier jour de l'année 1796, en remettant, MISSEL ROMAIN DE MGR DE GOUVÉA. OLISIPONE (LISBONNE), ANNO MDCCLXXXI V. (PE-T'ANU.) par une déclaration qui fut rendue publique, les sceaux de l'empire à son fils, lequel a donné à son règne le nom de Kia-k'ing ou suprême félicité, A ien-loung est certainement un des empereurs les plus illustres de l'histoire chinoise. Il était doué d'un caractère ferme, d'un esprit pénétrant, d'une rare acti- vité, mais peut-être d'un génie moins élevé et de moins de grandeur d'âme que son aïeul. Il aimait et admirait les missionnaires à la façon de K'ang-si, utilisant volon- tiers leurs talents sans se préoccuper de leur doctrine, sans même trop s'inquiéter de leur propagande religieuse. Il les laissait faire et les couvrait avec bonté de sa protection, tant que les accusations n'étaient pas trop pressantes et que les tribu- naux suprêmes de Péking ne poussaient pas les hauts cris. Ainsi durant son long 198 PEKING. rè°rie, il sut entretenir les missionnaires dans de perpétuelles illusions, dans des espérances qui ne se réalisèrent jamais. K'ien-loung n'aimait sérieusement des Euro- péens que les talents littéraires et artistiques, pour lesquels il avait lui-même des dispositions remarquables. Ouoique les missionnaires et les chrétiens de la Chine aient eu beaucoup à se plaindre de l'empereur K ien-loung, sa mort dut cependant leur causer de grands regrets ; car son successeur, qui était ouvertement hostile au christianisme, allait le poursuivre sans relâche et déchaîner contre lui les plus violentes persécutions. K'ien-loung, quoiqu'il eût abandonné les rênes de l'Etat à l'empereur son fils, ne laissa pas de^recevoir les ambassadeurs des Mongols et des autres États étrangers. On se préparait à célébrer les fêtes de la nouvelle année 1799, lorsqu'il mourut âgé de quatre-vingt-sept ans (huc). On fit à l'empereur les plus pompeuses funérailles et son cercueil fut transporté à la sépulture de l'est (Toung-Hng). I. l'empereur kia-k'ing. persécution générale, destruction du si-t'ang. M"' pires. DESTRUCTION DU TOUNG-T'aNG. MARTYRE DE M. CLET. RÉVOLTES. MORT DE KIA-k'iNG. II. L'EMPEREUR TAO-KOl ANC DESTRUCTION DU PÉ-T'ANG. M51 MOULV. MORT DE M-r PIRES. CONFISCATION DU NAN-T'ANG. J. -GABRIEL PERBOYRE. GUERRE DE L'OPIUM. TRAITÉ LAGRENÉE. MORT DE TAO-KOUANG. iul ne persécuta plus violemment la religion chré- tienne que l'empereur Kia-king. Dès le com- mencement de son règne, en 1805, il rendit un édit défendant, sous peine de mort, aux missionnaires de rester en Chine. Il y eut de nombreux martyrs ; un des plus célèbres fut l'évêque de Tabraca, vicaire apostolique du Sse-tcliotian, Mgr Dufresse, qui eut la tête tranchée. Quelques années plus tard (1811), sans annuler le premier édit, Kia-king en fit paraître un second qui permettait à MM. Ri- beiro, Serra et Pires, Lazaristes portugais, de rester à Féking comme président et membres du tribunal des mathématiques ; quant aux autres, « ils ne devaient plus sortir de chez eux, sous peine d'expulsion ». Les quatre missionnaires de la Propagande qui demeu- raient au Si-t'ang, repartirent alors pour l'Eu- rope, et leur église fut démolie par les man- darins. Pour comble de malheur, M. Ghislain, miné par les soucis de sa lourde charge, par ses infirmités et son grand âge, mourut à Tchenç-fou-ssc (cimetière français) en 181 2, le 12 août à 10 heures du matin, assisté par M. Lamiot et entouré des élèves du séminaire ; c'était un homme d'une grande science et d'une grande piété. M. Pires, nommé évêque de Nan-king, sacré par Mgr de Gouvéa, ne put quitter la capitale. A la mort de l'évêque de Péking, il fut administrateur du diocèse, et la 200 PEKING. cathédrale du Naii-fanq passa aux Lazaristes portugais, qui avaient dû quitter le Toung-fang. Ces missionnaires, en effet, voyant la persécution devenir chaquejour plus sé- vère, voulurent mettre en sûreté leurs livres les plus précieux, et comme ils y travaillaient la nuit, ils mirent le feu à la bibliothèque. Au lieu de les aider à re- construire leur résidence, l'empereur les envoya au Nan-fang< confisqua leur maison et démolit l'église restée intacte. En creusant les fondations de celle qui devait la remplacer, vers 1 884, nous avons retrouvé des soubassements de colonnes, des frises, des corniches et les deux co- lonnes de marbre rouge qui décoraient la porte principale ; aucune pierre ne portait trace d'incendie. Le travail en était remarquable, et cette église Saint- Joseph du Touwg-t'angpsissait, à bon droit, pour la plus belle de Péking. L'établisse- ment fut complètement anéanti, et lors- qu'en 1860 on rendit le terrain aux mis- sionnaires lazaristes, il ne restait plus qu'une simple porte. Deux églises avaient ainsi disparu ; deux restaient encore : le Nan-fang et le Pé-fang. Dans les années qui suivirent, M. La- miot, joignant la prudence au zèle, put, avec l'aide de ses confrères portugais, entretenir et augmenter la chrétienté confiée à ses soins ; mais la persécution allait bientôt l'atteindre lui-même. M. Clct, Lazariste, venait d'être arrêté à King-kia-kang dans le Ho-nan ; c'était un vénérable vieillard de 72 ans, d'une vertu admirable. Malgré son grand âge qui, selon les mœurs chinoises, eût dû l'exempter des supplices, il fut martyrisé avec un raffinement de cruauté inouï. M. Lamiot dépensa les derniers biens de la mission de Péking, près de 200.000 francs, pour essayer de sauver son con- frère, tout fut inutile ; ce missionnaire, qui avait travaillé en Chine pendant 29 ans, fut étranglé pour la foi, le 18 février 1.S20. En plein tribunal, il avait prédit la mort prochaine de l'empereur, qui en effet devait suivre de près la sienne , l'Église l'a déclaré vénérable. DYNASTIE DES TS'ING. 201 M. Lamiot, très versé dans les langues chinoise et tartare, avait été nommé inter- prète de la cour. C'était un homme remarquable, qui pendant sa vie entière n'eut que déboires et difficultés, dont sa rare énergie parvint à triompher. Il fut arrêté en juin 1 8 19, comme impliqué dans le procès du vénérable Clet. Enfermé dans la prison du tribunal des crimes (Sing pou ), où il confessa la foi, il y resta quatre mois. Conduit en septembre à Ou-tchang-fou, il arriva dans cette ville à la fin de décembre et fut confronté avec M. Clet, puis déclaré innocent, mais forcé de partir pour Can- ton, en mars 1820. Malgré ses efforts, on lui refusa toujours de revenir à Péking. Il se rendit à Macao où il mourut le 5 juin 1831, âgé de 64 ans. M. Serra prit sa place dans la capitale, et administra avec beaucoup de prudence les biens de la mission fran- çaise ; quant à M. Sue, Lazariste chinois, il fit l'office de supérieur du Pé-fang et dirigea les séminaires. Kia-k'ing eut plusieurs révoltes à comprimer pen- dant son règne. De plus, une conspiration, à la tête de laquelle se trouvaient, dit-on, des personnes de haut rang et même des parents de l'empereur, fut découverte en 1803 : l'empereur qui avait échappé à l'assassin, continua quand même sa vie efféminée et licencieuse ; les révoltes furent apaisées plutôt par l'argent que par la force des armes. De nombreuses associations secrètes se formèrent en Chine sous le rèome de Kia-k'ing ; leur but était de détruire le çjouvernement et la domination des Tartares. La société secrète dite Pé-licn-kiao, ou secte du Nénuphar blanc, excita une sérieuse insur- rection dans le Chan-toung et les provinces limitro- phes. Leur chef s'arrogea le titre de San-hoang, c'est à-dire empereur du ciel, de la terre et des hommes. Dans une de ces révoltes du palais, l'empereur dut la vie au dévouement personnel de son second fils, qui le protégea au péril de ses jours. Plus tard, une formidable association de pirates, commandée par Tcheng-i et Tchang-pao, et disposant de 600 jonques bien armées, désola les côtes méridionales de l'em- pire. Les flottes et les soldats du gouvernement ne parvinrent pas à la détruire ; mais, divisés par les habiles intrigues des autorités provinciales du Kouang-toung, ces deux chefs en vinrent aux mains et, affaiblis par leurs mutuelles attaques, firent successivement leur soumission. C'est sous Kia-k'ing qu'arriva à Péking l'ambassade de lord Amherts (1816). Au mois d'août 1820, l'empereur, étant au palais à&Je-hol, en Mongolie, faisait la sieste dans l'après-midi avec un favori qui le suivait partout, lorsqu'un orage éclata : un éclair foudroya les dormeurs, les brûla au point que l'on ne put pas même recon- naître le cadavre impérial ! Lorsque l'empereur sort de Péking, on doit, selon les rites, le faire suivre de son cercueil : cette fois on l'avait oublié. Oue faire? On entoura de glace le corps présumé du souverain, en attendant que la bière arrivât de la capitale, puis on l'enterra sans bruit, voulant cacher cette triste mort au peuple. CHEF DE I'E-LIENKIAO. 202 PEKING. C'est dans ce palais qu'en 1860 Sien-foung se retira, fuyant les troupes européennes, et c'est là aussi qu'il termina ses jours. Ce palais est situé près des montagnes, le parc est superbe, des sources d'eau minérale y abondent ; le lieu est agréable, mais on le regarde comme néfaste, et l'empereur n'y va plus passer la saison d'été, comme il avait "coutume de le faire avant ces tristes événements. II T ao-kouang, deuxième fils de Kia-kHng, appelé sur le trône par le testament de son père dont il avait sauvé les jours, se montra moins acharné contre les chrétiens. C'était un prince pacifique, qui possédait un réel talent d'administrateur. Il sor- tait souvent à cheval dans la capitale pour se rendre compte de tout par lui-même. On pouvait raisonnable- ment espérer une trêve à la persécution, et cependant nous allons voir sous son règne la fin de l'église du Pé- t'ang. Comme Européens, il n'y avait plus à Pé- kingque Mgr Pires, M. Ribeiro, supérieur et vicaire-général au Nan- t'ang, M. Serra.aidé par M. Sue au Pé-t'ang, et M. Ferreira. Ce dernier mourut le Ier février 1824. M. Serra voulut alors tenter un dernier effort pour obtenir des missionnaires français; il représenta, dans un placet à l'empereur, « que sa mère étant vieille, il devait aller l'assister et se faire remplacer par d'autres pour le service de Sa Majesté. » L'empereur approuva le départ, mais sans vouloir de remplaçant, et M. Serra dut quitter Pékin en octobre 1826. M. K'o, missionnaire chinois, mort il y a quelques années seulement, était alors étudiant au Pé-t'ang; il nous a raconté que le malheureux M. Serra pleurait et se désolait en quittant la résidence. Son confrère, M. Ribeiro, président du tribunal des mathématiques depuis vingt-deux ans, mourut de chagrin quelques jours après, le 14 octobre, à l'âge de 61 ans. L EMPEREUR TAO-KOUANC. DYNASTIE DES TS'ING. 203 Mgr Pires, sur les sollicitations de M. Sue, consentit à rester encore à Péking et conserva le Nan-$ang, mais ne put sauver le Pé-t'ang, qui fut vendu par ordre de l'empereur, au mandarin Vu, pour la somme de 5000 taëls ; il en valait dix fois plus. L'église fut démolie en 1S27, les caractères impériaux TcJie-kien Tien-tchou-ï ang du fronton, enlevés, furent enveloppés de soie jaune et portés au trésor Née- ou-J vu. Le mandarin Vu mourut sans postérité et le Pé-fang passa à un prince qui laissa tout dépérir. Ses femmes étaient logées dans un bâtiment reconstruit sur l'emplace- ment même de l'église. Lorsqu'en 1860, l'établissement fut rendu, on installa dans ces bâtiments une chapelle provisoire. La grille en fer de Louis XV existait encore sur le devant avec deux bou- les de même métal montées sur un socle de marbre. Ainsi finit l'établissement du Pé- t'ang, qui était resté entre les mains des missionnaires pen- dant 135 ans. Le pauvre M. Sue, désolé, se retira au Naît- (ang, près de Mgr Pires, qui aurait voulu le conserver toujours ; il ne consentait à demeurer lui-même à Péking qu'à la condition que ce bon prêtre ne le quitterait pas. Mais peu de temps après, M. Sue, dénoncé et menacé d'ar- restation, dut se retirer en Mongolie, et s'établir dans un grand village chrétien nommé Si-ouan-tse, d'où il dirigea avec sagesse la mission de Péking jusqu'en 1835. Si- ouan-tse devint dès lors le centre de l'action apostolique et l'école du clergé indigène. Il y avait encore à Macao un autre séminaire dirigé par les Lazaristes, dont M. Torrette était le supérieur. Il en sortit trente-trois bons prêtres, parmi lesquels M. I-Co et M. Yang, qui vinrent ensuite à Péking et rendirent d'excellents services. En 1830, arriva de Portugal M. Jean de Castro, Lazariste, destiné à la mission de Péking, et qui travailla 17 ans en Chine. Mgr Pires le nomma son vicaire général. — L'Eglise de Corée, qui naissait alors, peut à bon droit passer pour la fille de l'Église de Péking; en effet, Mgr de Gouvéa avait fait baptiser dans sa cathédrale du Nan-t'ang, par M. Raux, Lazariste, le Coréen Paul Soung, dont le Frère Paris fut le parrain. De plus, l'évêque de Péking avait envoyé en Corée un missionnaire chinois, le P.Jacques Tsiou, qui, le premier, eut la gloire d'y pénétrer et d'y souffrir le martyre à l'âge de trente-deux ans. Mgr Pires, toujours membre du tribunal des mathématiques, restait au Nan-t'ang, seul et sans pouvoir en sortir, tant il était surveillé de près. Mais bientôt, un M. SUE, LAZARISTE CHINOIS. 204 PEKING. auxiliaire puissant lui arriva de France, et la mission française, passée pendant quelques années aux Portugais, revint aux mains des missionnaires français. Joseph- Martial RIouIy, né à Cahors en 1S07, débarqua à Macao après 9 mois de voyage, le 14 juin 1S34 ; il y apprit la langue chinoise, puis fut dirigé sur Péking. Il a raconté lui-même tous les dangers de ce voyage, qui dura huit mois et demi en doublant le cap de Bonne-Esperance. Il mit autant de temps pour se rendre de Macao à Péking. On l'avait déguisé en malade ; chaque jour il se lavait la figure avec du thé pour le rendre jaune et pâle ; dans les auberges, on le couchait face au mur, enveloppé de couvertures. Malgré toutes ces précautions, il manqua d'être reconnu plusieurs lois, ce qui aurait fait tomber sa tête. Enfin il arriva près de Péking ; il put entrer en ville et s'entretenir toute une nuit avec Mgr Pires. Quel courage dans ce jeune missionnaire ! mais aussi quelle joie pour le vénérable évêque abandonné depuis si longtemps! M. Mouly se rendit ensuite en Mongolie, où le P. Sue remit entre ses mains la direction de la mission française exilée ; cette belle mission allait bientôt renaître de ses cendres! Le 2 novembre 183S, Mgr Pires, après 38 années de séjour en Chine, mou- rut âgé de 71 ans, et fut enterré par les soins de l'archimandrite russe dont il était l'ami ; on voit sa tombe au cimetière de Cha-la-eul. Lui-même avait préparé une simple stèle sur laquelle les dates seules restaient à graver. La Gazette officielle dit à ce pro- pos : « Le mandarin de droite du tribunal des ma- thématiques, l'Européen Pi-siao-yucn (Mgr Pires), est mort de maladie, le 2e jour de la 10e lune de la iSe année de Tao-ko7iang. En conséquence, l'église et la maison des Européens sont remises au prési- dent du tribunal Née ou-fou, chargé des Européens ; on délibérera et l'on verra ce qu'il faut en faire. » Mais le Nan-t'ang fut sauvé par la prévoyance de Mgr Pires, qui, se voyant seul et craignant que tout fût détruit après sa mort, avait confié ses titres de propriété à l'archimandrite, lequel réclama de suite et finit par obtenir un décret portant que « l'église et la maison seront ionises à Jll. Ouée de la nation russe ». Il sauva ainsi l'ancienne cathédrale, où les scellés furent apposés ; les cimetières des missionnaires et la biblio- thèque du Nan-t'ang lui doivent aussi leur conservation. En 1860, son successeur rendit ce dépôt aux missionnaires français, qui n'oublieront jamais le service éminent et désintéressé rendu par les Russes en ces tristes circonstances. La bibliothèque de la mission française avait été transportée au cimetière français ; elle était fort riche, mais ne fut pas sauvée. Les chrétiens chargés de la conserver, ayant été accusés, l'enfouirent dans la terre, espérant la retirer bientôt ; mais ils furent envoyés en exil, et ces précieux ouvrages périrent complètement. Les 6.000 volumes anciens qui se trouvent actuellement au Pé-t'ang, proviennent de l'ancienne bibliothèque du lYan t'ang, conservée par l'archimandrite. — La résidence du Nan-t'ang fut démolie par les mandarins, et les maisons qui en dépendaient vendues ou détruites ; l'église seule subsista et resta fermée jusqu'en 1860. — Avec Mgr Pires, disparut le dernier missionnaire-mandarin du tribunal des mathématiques. Pendant les cruelles persécutions qui désolèrent la chrétienté chinoise, l'Église COREEN. DYNASTIE DES TS'ING. 205 eut un martyr admirable, qu'elle mit au nombre des bienheureux de 1889 ; nous voulons parler de Jean-Gabriel Perèoyre, Lazariste, qui fut arrêté, emprisonné, cruellement torturé, enfin étranglé dans la ville de Outckang-fott, province du Hou-pé, le 11 septembre 1840. Comme cet illustre martyr n'est jamais venu à Péking, nous nous contentons de cette mention ; mais nous ne pouvions passer sous silence un nom si glorieux pour l'Église de Chine. — Nous avons dit que le patronage du Portugal s'étendait sur toute la Chine, spécialement sur les évêchés de Macao, Nan-king et Péking, souvent au préjudice de ces missions. Aussi la cour de Rome avait-elle déjà distrait plusieurs provinces pour les ériger en vicariats apostoliques. Ainsi fit-elle en 1840 pour la Mongolie et la Mantchourie, par un bref du 28 août. Mgr Mouly fut nommé vicaire apostolique de la Mongolie ; mais il ne put se faire sacrer que deux ans plus tard, le 24 juillet 1842, par l'évêque du Chen-si. A la même époque (1S40), eut lieu la guerre des Anglais contre la Chine. Le commerce de l'opium de contrebande se faisait sur les côtes de Chine depuis 1 832. En 1836, on agita cette question à Lon- dres, aux Indes et à Péking, où l'empe- reur défendit ce commerce comme im- moral, et menaçant l'existence même du peuple chinois. En 1838, un édit rigou- reux parut, et les plus féroces contreban- diers chinois furent mis à mort par le vice-roi de Canton. En 1839, le commis- saire Lin, vice-roi du Hou-kouatig, exigea la livraison de 20.281 caisses d'opium valant 60 millions de francs, et les détrui- sit complètement, expulsant de plus 16 négociants étrangers qui se livraient à ce commerce. Sir Elliot protesta et envoya YAriel en Angleterre pour prendre des ordres ; ce navire revint en 1840, et les Anglais déclarèrent la guerre à la Chine. Les îles Tchou-san furent occupées, puis les deux forts de Canton. Ki-cheng, successeur de Lin, accorda 6 millions de piastres avec 1 île de Hong-kong ; mais cette concession n'ayant pas été ratifiée par l'em- pereur, les hostilités recommencèrent. Y-tchang, successeur de Ki-cheng, offrit de nouveau les 6 millions de piastres : on ne les accepta pas, et la guerre continua. En 1842, les Anglais prirent Tse-ki, près de Ning-po, occupèrent Chang-hai et impo- sèrent a cette ville 1.800.000 francs d'indemnité. Au mois de juillet, 72 navires anglais mouillèrent devant Nan-king, qui paya 18.000.000 de francs pour se racheter. La paix fut conclue le 29 août, ratifiée en septembre, et les Chinois payèrent encore une indemnité de 21.000.000 de piastres. — En 1843, Ki-ing, commissaire impérial, charge de la ratification du traité de Nan-king avec sir Henry, solda enfin en décembre 6.000.000 de piastres pour l'opium détenu jadis par le vice-roi Lin. MGR PIRES, LAZARISTE. 206 PEKING. 66 76 en a en 1=1 ooooo V ,/ eu ooooo 59 CZ1 SX 7 H H Ifî 4:i 77 441 6oi 62 20 22 26 64 56 U7 [42 |52 po 8a 53! +5 0 65 32 J46 49 j \7Ï\ |4o | 67 y_, SSHSE a 0 0 69 n '9 E 0 E 2t| 79 10 24 0 11 S 4 86 87 SJL0 0 iS 1 1 ni S 29 141 a 28 0 0 0 S 3 0 0 0 00 73 CIMETIÈRE DE CHA-LA-EUL. (VOIR LA LEGENDE CI-CONTRE.) DYNASTIE DES TS'ING. 207 5 6 7 S 9 io i i 12 i Mathieu Ricci, jésuite, 1610. 2 Jean Terenz, jésuite, 1630. 3 Jacques Rho, jésuite, 163S. 1 < hristoph orus (chinois), F™ coaAyjésuite, 1640 F. Mendez (chinois), frère coadj. jésuite, 1040. Nicolas Longobardi, jésuite, 1654. Dominique Coronatus, dominicain, 1666. Jean-Adam Schall, jésuite, 1666. Emmanuel de Sequeira (chinois), jésuite, 11 Gabriel de Magalhaes, /ésui/e, 1(177. Louis BuGLio.yô«/Vt-, 1682. Ferdinand Verbiest, jésuite, 16SS. 13 François Si mois, jésuite, 16^4. 14 Charles Dolzé, jésuite, 1701. 15 Louis Pernon, jésuite, 1702. 16 Pierre Frapperie, frère coadj. jésuite, 1703. 17 Charles de BoiSSl A, jésuite, 1704. iS Thomas Pereyr a, jésuite, 1708. 19 Antoine Thomas, jésuite, 1709. 20 Gaspar Castner, jésuite, 1709. 2r Léopold Liebstein, jésuite, 171 1. 22 Philippe GRiMALDi,/ô»fV«, 1712. 23 Cresc. ab Tlporkdia, franciscain, 1712. 24 Guillaume Bonjour, auguslin, 1714. 25 Bernard Rhodes, frère coadj. jésuite, 1715. 26 François Tillisch, /««/te, 1716. 27 Jacques Brocard, frère coadj. jésuite, 1718. 28 Joseph Baudino, frère coadj. jésuite, 1718. 29 Killianus Stumpf, jésuite, 1720. 30 Pierre Jartoux, jésuite, 1720. 31 François Cardoso, jésuite, 1723 32 Pierre du Tartre, jésuite, 1724, 33 Paul de Mesquita, jésuite, 1729. 34 Antoine de Magalhaes, jésuite, 1735. 35 Charles Si.aviszek, jésuite, 1735. 36 François Calado (macaïste), jésuite, 1735. 37 Eusèbe Acifiadeila, franciscain, 1735. 38 Rosario (chinois), frère coadj. jésuite, 1736. 39 Joseph Su arez, jésuite, 1736. 40 Jacques Anromm, jésuite, 1739. 41 François Stadlin, frère coadj. jésuite, 1740. 42 André Pereyra, jésuite, 1743. 43 Ehrenbert Fridelli, jésuite, 1743. 44 Ignace Kogler, jésuite, 1746. Caries de Rezende, jésuite, 1746. \6 foseph da Costa, frère coadj. suite, 1747. 47 Dominique \'is\ikxro, jésuite, 1 74S. 48 Antoine Gomez, jésuite, 1751. 49 Joseph de Aguiar (chinois), jésuite, 1752. 50 Ignace Frani esco, jésuite, 1752. 51 Paulus Cruce (chinojs),/M«/'/«, 1753. 52 Ignace Sichelbarthes, jésuite, \ , ; ; Louis Fan (chinois), jésuite, > 75 j. 54 Joseph de Almeida, jésuite, 1755. 55 t Polycarpe de Souza, évêque, jésuite, 1757. 6 lean Walter, jésuite, 1759. 5 7 Emmanuel de MATTOS, frère coadj. jésuite, 1 764. 58 Joseph Castiglione, frère coadj. jésuite, 1766. Florianus Baher, jésuite, 1 7 7 1 . 60 Antoine Gogeisl, jésuite, 1771. Or Paul Kia (chinois), frère coadj. jésuite, 1771. 62 Augustin de Hallerstein, jésuite, 1774. 63 Jean Régis (chinois), jésuite, 1776. 64 Ferdinand Moggi, frère coadj. jésuite, 1777. 65 Félix da Rocha, jésuite, 1781. 66 t Franc. Magida Dervio, Évêque franc , 1785. 67 Jean de Seixas, jésuite, 1785. 68 Jean Simonelli, jésuite, 1785. 69 Joseph d'Espinha, /«««"&, 1788. 70 Paul Lieou (chinois), jésuite, 1791. 71 Barthélémy de Azevedo, jésuite, 1792. 72 André Rodriguez, jésuite, 1796. 73 Gregorius a Crucf. (macaïste), jés uite, 1799. 74 Antoine Duarte (chinois), jésuite, 1799. 75 Antonius a Purifications, franciscain, 1S00. 76 t Alexandre de Gouvéa, év., franciscain, 1808. 77 Domin. Joachim Ferreyra, lazariste, 1.S24. 78 Joseph Ribeiro, lazariste, 1S26. 79 t Cajetan Pires, évêque, lazariste, 1S38. 80 Joannes a Remediis (macaïste), jésuite. 81 Joseph Seraiva (chinois), jésuite. 82 Ignace Hou (chinois), jésuite. 85 Jean Hou (chinois), frère coadj. jésuite. 84 Sans épitaphe. 85 Sans épitaphe. 86 Sans épitaphe. 87 Sans épitaphe. 88 Paul Loefro (chinois), frère coadj. jésuite. Deux ans après, des traités de commerce furent conclus entre la Chine d'une part, l'Angleterre, l'Amérique et la France de l'autre ; le plénipotentiaire français, M. de Lagrenée, obtint alors ledit de tolérance religieuse suivant : « I\i-ing, grand commissaire impérial et vice-roi des deux provinces de Kouang- toung et de Kouang-si, présente respectueusement ce mémoire. » Après un examen approfondi, j'ai reconnu que la religion du Seigneur du ciel est celle que vénèrent et professent toutes les nations de l'Occident. Son but prin- cipal est d'exhorter au bien et de réprimer le mal. Anciennement, elle a pénétré, sous la dynastie des Ming, dans le royaume du Milieu (la Chine), et à cette époque, elle n'a point été prohibée... » Sous le règne de Kia-Icing, on commença à établir un article spécial du code pénal pour punir ceux qui abusaient de la religion pour faire le mal. Au fond, c'est 208 PEKING. pour empêcher les Chinois chrétiens de faire le mal, mais nullement pour prohiber la religion que vénèrent et professent les nations étrangères de l'Occident. » Aujourd'hui, comme l'ambassadeur français La-ko-niè (Lagrenée) demande qu'on exempte de châtiments les chrétiens chinois qui pratiquent le bien, cela me paraît juste et convenable. » J'ose, en conséquence, supplier Votre Majesté de daigner, à l'ave- nir, exempter de tous châtiments les Chinois comme les étrangers qui professent la religion chrétienne et qui, en même temps, ne se ren- dent coupables d'aucun désordre ni délit. » Quant aux Français et autres étrangers qui professent la religion chrétienne, on leur a permis seule- ment d'élever des églises et des chapelles dans le territoire des cinq ports ouverts au commerce (Can- ton, Hong-kong, Ningpo, Amoy et Chang-hai) ; ils ne pourront prendre la liberté d'entrer dans l'intérieur de l'empire pour prêcher la religion. Si quelqu'un, au mépris de cette défense, dépasse les limites fixées et fait des excursions témé- raires, les autorités locales, aussitôt, après l'avoir saisi, le livreront au consul de sa nation, afin qu'il puisse le contenir dans le devoir et le punir. On ne devra pas le châtier précipitamment ou le mettreàmort. » Parla, Votre Majesté montrera sa bienveillance et son affection pour les hommes vertueux; livraie ne sera point confondue avec le bon grain, et vos sentiments et la justice des lois éclateront au grand jour. » Suppliant Votre Majesté d'ex- empter de tout châtiment les chré- tiens qui tiennent une conduite honnête et vertueuse, j'ose luipré- LE COMMISSAIRE YTCHANG. senter humblement celte requête, afin que sa bonté auguste daigne approuver ma demande et en ordonner l'exécution. « Requête respectueuse. )> APPROBATION DE L'EMPEREUR. « Le dix-neuvième jour de la onzième lune de la vingt-quatrième année Tao- kouang (1844), j'ai reçu ces mots écrits en vermillon : » J'acquiesce à la requête. — respectez ceci. » DYNASTIE DES T'SING. 209 y eut plus tard un édit impérial, adressé à Conformément à cette approbation, tous les vice- rois et gouverneurs de pro- vince, faisant l'éloge de ia religion chré- tienne et défendant à tous les tribunaux , grands et petits, de poursuivre à l'avenir les Chinois chrétiens pourcause de religion. Voici cet édit : € Déjà auparavant, Ki et d'autres m'a- vaient adressé des let- tres dans lesquelles ils attestaient la bonne conduitedeschrétiens, me priaient de lever les peines portées con- tre euxet disaient qu'il ne fallait pas les re- chercher, ni les em- pêcher de bâtir des églises, de s'y réunir pour les cérémonies du culte, d'exposer des croix et des ima- ges, de réciter des prières, d'expliquer la doctrine chrétienne. Leurs demandes ont été pleinement accor- dées. » La religion chré- tienne, ayant pour but d'exciter les hommes à la vertu, est fort différente des sectes perverses ; déjà j'ai supprimé les enquêtes et les interdictions auxquelles elle était soumise. Ce qu'on de- mande cette fois, doit aussi être entièrement accordé. » Au sujet des éta- blissements religieux qui ont été fondés autrefois sous K'anjr-si dans diverses nro- Péking. Ô l 210 PEKING. vinces, excepté ceux qui ont été changés en pagodes ou en habitations particulières, et dont il ne doit plus être question, j'accorde que tous les bâtiments qu'il constera avoir appartenu à ces établissements, soient rendus aux chrétiens de la localité où ils se trouvent. » Quand dans chaque province les autorités locales auront reçu cet édit, si quelque officier se permet de rechercher et d'arrêter des hommes qui sont vraiment chrétiens et n'ont fait aucun mal, il devra être mis en jugement, en vertu du présent décret. » Mais ceux qui sous couleur de religion feraient le mal, attireraient et réuniraient des hommes de pays éloignés, les engageraient dans une cabale et les exciteraient à une mauvaise action ; de même les malfaiteurs qui, appartenant à une autre société, se couvriraient du nom de chrétiens et chercheraient à susciter ses affaires : tous les coupables de ce genre doivent être jugés et punis selon les lois. » D'après les règlements actuels, aucun étranger n'est autorisé à pénétrer dans l'intérieur des terres pour propager sa doctrine ; ce qui met une différence entre les Chinois et les étrangers. Qu'on fasse connaître partout cet édit. » « Respect a cet ordre. » € L'édit impérial fut promulgué et affiché dans les cinq ports ouverts au commerce européen. M. de Lagrenée demanda qu'il fût également publié dans l'intérieur de l'empire ; on le lui promit, mais on se garda bien d'en rien faire, et les persécutions locales continuèrent. Cependant le traité Lagrenée fut un grand succès, et, si les chrétiens demeurèrent encore longtemps sous la verge des mandarins, du moins les missionnaires cachés dans l'intérieur de l'empire ne coururent plus le risque d'être décapités. Le Souverain-Pontife voulut alors ériger en vicariat apostolique l'ancien diocèse de Péking, que M. de Castro, grand vicaire, administrait depuis la mort de Mgr Pires, et confier le poste à cet excellent missionnaire. Mais M. de Castro, se croyant lié vis-à-vis du roi de Portugal son souverain, ne voulut point accepter. Dans ces conjonctures, la cour de Rome prescrivit à Mgr Mouly de ne rien négliger pour faire revenir M. de Castro sur sa décision ; ajoutant que si ce missionnaire persistait dans son refus, elle nommait, par le fait même, Mgr Mouly administrateur du diocèse de Péking. Ce dernier alla voir M. de Castro à Hou- lin-tien, village situé à neuf lieues de Péking, vers le sud. Il passa toute une nuit à l'exhorter, il se mit même à genoux pour le supplier d'accepter l'épiscopat, sans pouvoir rien obtenir. M. de Castro adressa alors un mandement aux missionnaires et aux chrétiens pour les mettre sous l'obéissance de Mgr Mouly, puis il partit pour le Portugal, où il fut nommé évêque de Porto, et mourut saintement en 1869. La mission entière de Péking passait aux mains des Français par le bref donnant l'administration de ce diocèse à Mgr Mouly, que plus tard le pape Pie IX nomma vicaire apostolique du Tchc-ly. Mgr Mouly avait choisi pour coadjuteur de la Mongolie M. Florent Daguin, qui fut sacré le 25 juillet 1848. C'est vers cette époque que les douze premières Filles de la Charité débarquaient en Chine. I. l'empereur sien-foung. la croix du nan-t'ang abattue, mort DE M. CHAPDE- la1ne. expédition de 1 858. ii. expédition de i sôo. ta-kou. tchang-kia- ouan. t'oung-tcheou. pa-li-k'iao. palais d'été, fuite de l'empereur, le prince koung. traité signé a péking. IEN-FOUNG fut le successeur de Tao kouang, qui mourut à Péking le 20 février 1850, après un règne de 30 ans. Le nouvel empereur se montra dès l'abord fort opposé au christia- nisme et à tout ce qui était européen : il des- titua les mandarins qui avaient signé des traités avec les Anglais et les Français, par l'édit suivant : « Les deux mandarins Niou et Ki qui ont adopté les idées des Barbares de l'Occident, ont trompé mon père en lui faisant accepter des traités ; qu'ils soient dégradés comme traîtres et criminels au premier chef. » Sien-foung n'avait que 19 ans ; à peine sur le trône, il eut à dominer la révolte des Tchang- maa (rebelles aux longs cheveux) qui dévas- taient les provinces du sud ; un missionnaire ^français, M. Montels, Lazariste, fut massacré par eux. Cette rébellion, qui menaça Péking même, ne fut éteinte que grâce au secours des étrangers. Quoiqu'il n'y eût aucun chrétien parmi les rebelles, ceux-ci, dans l'espoir d'être aidés par les Européens, arborèrent souvent la croix sur leurs étendards, et brûlèrent les pagodes aussi bien que les temples de Confucius ; de là, soupçon de pacte avec les chrétiens, et persé- cution plus violente. Le Ier juillet 1853, parut un décret impérial ordonnant au préfet de la ville de Péking d'avoir à abattre la croix qui surmontait l'église du Nan fang; ce qui fut exécuté. Un courrier de Mgr Mouly fut arrêté le 15 août 1854 et mis en prison : ce fait compromettait la chrétienté ; pour la sauver, Mgr Mouly se livra lui-même aux mandarins. D'après le traité Lagrenée, on dut le recon- 212 PEKING. duire à Chang-haè, avec une escorte d'honneur; il y arriva sans difficulté, et regagna peu après son vicariat où il demeura caché, tout en continuant son administration. A cette époque, la nomination définitive de Mgr Mouly, comme vicaire apostolique de Péking, arriva de Rome ; on lui donnait pour coadjuteur Mgr Anouilh. En 1853, les rebelles prirent Nan-king, et le 29 mars de l'année suivante, Chang- hai' tombait en leur pouvoir. Au mois de janvier 1855, les troupes chinoises, aidées par les Français, attaquèrent cette ville, qui ne fut prise que le 17 juillet suivant, Un missionnaire français, M. Chapdelaine, du diocèse de Coutances, fut dénoncé et arrêté au Kouang-si, le 25 février 1856. Le mandarin Tchang, après lui avoir donné trois cents coups de bambou et trois cents soufflets, lui fit offrir la liberté s'il voulait donner 500 taëls, mais M. Chapdelaine répondit : « Allez, et dites au mandarin que je ne donnerai pas même une sapèque. Il peut faire de moi ce qu'il voudra. » Le 27 février, il fut condamné au supplice de la cage et expira le même jour. Ce meurtre, violation flagrante des traités, ne pouvait rester impuni, et la France prit la résolution de se joindre à l'Angleterre qui, ayant aussi à se plaindre de la Chine, venait de faire bombarder Canton et brûler le tribunal du vice-roi Yè. Il devenait nécessaire de reviser les traités de 1842. Lord Elgin pour l'Angle- terre, et le baron Gros pour la France, furent nommés plénipotentiaires à cet effet, et voulurent se mettre en rapport avec le eouvernement de Pékino;. Le 20 avril 1858, se joignirent à eux le comte Poutiatin pour la Russie et M. Reed pour l'Amérique. La flotte anglaise, composée de quinze navires, partit pour le nord avec la flotte française qui en comptait onze ; les Américains avaient deux vaisseaux et les Russes un seulement. L'empereur ne voulut point consentir à recevoir les ambassadeurs, qui avaient envoyé un message à Péking pour demander audience ; et le 20 mai, les alliés sommèrent le commandant des forts de Ta-kou, qui refusa de les liver ; ils furent emportés de vive force le même jour. En juin, les traités furent signés à Tien-tsin, et le 4 juillet l'empereur les approuva. Le baron Gros et lord Elgin quittèrent la Chine en mars 1859, laissant M. de Bourboulon et sir Frédéric Bruce pour représenter la France et l'Angleterre à Péking, et y échan- ger les ratifications du traité. Dès le mois suivant, la gazette de Péking annonçait la fuite des Jiarbares, et les troupes chinoises relevaient les forts de Ta-kou. En juin 1859, les flottes anglaise et française, composées de dix-huit navires, voulu- rent forcer l'embouchure de la rivière et furent repoussées par le fameux Sctn-ko- LUlPERliUK SIEN-FOUNG. DYNASTIE DES TS'ING. 213 lin-stn, qui leur fit éprouver des pertes sensibles. Trois chaloupes-canonnières furent coulées à fond, et 474 hommes mis hors de combat, dont huit officiers parmi lesquels l'amiral Hope et le commandant Tricaitlt. II Les Européens ne pouvaient rester sur cette défaite; une expédition anglo-fran- çaise fut résolue. Le général Cousin de Montauban pour la France, et le général Hope-Grant pour l'Angleterre, prirent le commandement. Cette fois tout était préparé avec soin, et le 31 juillet 1860 les deux flottes, comptant deux cents navires, étaient réunies près de Pé-t'ang, ville fortifiée au nord-est de Ta-kou. Le lendemain, Ier août, les rrrrtTTTrTTrrrorr troupes, leurs généraux en tête, souvent dans l'eau jusqu'à la poitrine, débarquèrent et enlevè- rent les forts sans coup férir. Après avoir pris successivement les forti- fications de Tang-kou et de Sing-ho, livré bataille aux troupestartares, pré- paré l'attaquedesgrands forts de Ta-kou, le 2 1 août les deux forts res- tèrent aux mains des alliés ; ils contenaient 500 bouches à feu de gros calibre et d'innom- brables munitions de guerre. Cinq jours après, les ambassadeurs, lesgé- néraux et les troupes étaient à Tien-tsin. Les négociations commencèrent mais n'aboutirent pas, et on dut marcher sur Péking. Le départ eut lieu le 9 septembre avec 2 500 hommes. Le 12 septembre, l'armée était à Yang-tsoun, le 17 à Ma-teou, en suivant toujours la rivière ; il faisait très chaud et les étapes étaient forcément courtes. Voyant la marche sur Péking s'ac- centuer, les Chinois demandèrent une conférence à Toung-tckeou, afin de régler les dernières conditions de paix. Une commission anglo-française fut envoyée dans cette ville pour tout préparer ; mais lorsqu'elle voulut revenir au camp, elle s'aperçut de la trahison des Chinois et fut inopinément attaquée. Chacun s'en tira comme il put ; le capitaine Chanoine, grâce à un domestique chinois nommé Simon et à un excellent cheval, rejoignit l'armée ; mais le colonel Grandchamps, le sous-intendant Dubut, le Père Duluc, INI. Ader, officier d'administration, ainsi que plusieurs Anglais et soldats de l'escorte furent massacrés. M. d'Escayrac de Lauture, M. Parkes, interprète de lord Elgin, et plusieurs autres furent retenus prisonniers. Toute l'armée chinoise, forte de 30.000 hommes, se prépara à attaquer le corps expéditionnaire. A PLAN DU LIEU DE DÉBARQUEMENT DES ALLIÉS. (LUCV). 1. Village de Ta-kou. — 2. Rivière du Pè-ho. — 3. Fort du nord. — 4. Fort du sud. — 5. Camp tartare. — 6. Village de Pé-t'ang. — 7. Rivière de Pé-t'ang. — 8. Fort de Pé-t'ang. — 9. Barre de la rivière. — 10, 11, 12. Banc de sable. — 13. Lieu de débarquement. 2\< PEKING. peine parut-elle que les Anglo-Français ouvrirent le feu ; les Chinois, assaillis avec la plus grande vigueur, perdirent plus de 2.000 hommes, So pièces de canon, une immense quantité d'armes et de munitions, et s'enfuirent dans toutes les directions. Dans cette bataille de Tchang-kia-ouan, livrée le iS septembre, deux mille Anglo- Français mirent en fuite en quelques heures toute l'armée chinoise. On eut à déplorer la perte du lieutenant de Damas, qui se fit tuer dès le commencement de l'action en se jetant seul au milieu des escadrons ennemis. Jusque-là, rien n'avait été plus facile que l'approvisionnement de l'armée ; le général de Montauban a dit lui-même qu'on n'avait pas été obligé de recourir aux biscuits et aux conserves emportés d'Europe, les Chinois fournissaient abondamment FORT DU SUD. (D'APRÈS UN DESSIN CHINOIS). et à des prix très modérés tout ce dont l'armée avait besoin : dans ce pays, l'amour de l'argent laisse loin derrière lui l'amour de la patrie. Mais à partir de cette pre- mière bataille le peuple, effrayé par les menaces des mandarins, n'osa plus rien vendre à l'armée des alliés ; on fut obligé de piller la ville de Toung-icheou, qui était très bien approvisionnée. San ko- lin sin s'était retranché, avec ses troupes et la cavalerie tartare qu'il avait pu réunir, derrière le petit canal qui va de T'oung-tckeou à Péking. A quatre kilo- mètres ouest de cette ville se trouve le pont de Pa-li-k'iao, qu'il avait mis en état de défense ; c'est là qu'il comptait arrêter les alliés dans leur marche sur Péking. Le 21 septembre, les troupes européennes attaquèrent à 7 heures dn matin l'armée chinoise retranchée dans les villages ; le colonel de Bentzmann battit le pont avec l'artillerie française, et le général Collineau l'emporta ; à midi, tout était fini. Plus DYNASTIE DES TS'ING. 215 de 50.000 cavaliers tartares cédaient la route de Péking à 1200 Français, et s'enfuyaient par toutes les issues de la Grande Muraille jusqu'en Mongolie. Les fusées, les pièces d'artifice lancées au milieu de ces chevaux mongols à demi sau- vages, les avaient rendus furieux, et quatre à cinq mille Tartares périrent piétines par leurs montures. Quel- ques soldats français, blessés par les flèches mongoles, furent étonnés de ces bles- sures qu'ils ne connaissaient pas, mais aucun d'eux ne fut tué. Le célèbre San-ko-lin-sin, criant victoire et annonçant la défaite complète des Bar- bares, s'enfuit sur la route dallée jusqu'à Péking, dont on luiouvrit les portes; entré en ville avec son état-major, il les fit bien vite refermer, abandonnant ses troupes aux hasards de la défaite. Tel est ce fait d'armes, qui valut au général de Mon- tauban le titre de comte de Palikiao. Après avoir atten- du quelques jours les vivres et les munitions qui arri- vaient par le Pè-ho, et fait plusieurs reconnaissances jusqu'aux portes de Péking, les alliés apprirent que les débris de l'armée tartare s'é- taient reformés vers l'ouest. Les généraux résolurent de se porter sur ce point, où se trouvait également le fa- meux palais d'été appelé } uen-ming-yuen. Les deux armées devaient partir en- semble le 6 octobre, à 4 heures du matin ; mais, d'a- près ce qui a été raconté, les Anglais levèrent le camp les premiers et se mirent en ] rrrrrrF> g* TOUR DE TOUNG-TCHEOU. marche à minuit. Quelques heures après, le général de Montauban, apprenant leur départ, fit venir deux Chinois et leur dit: « Voilà 100 piastres pour vous si vous nous conduisez directement au Yuen-ming-yuen, et voilà un revolver pour vous cas- ser la tête si vous nous égarez. » Le revolver était inutile, un Chinois ne résiste pas à 100 piastres. A 7 heures du soir, la division française atteignit le palais, tandis que 216 PEKING. la division anglaise, égarée dans le pays, n'arriva que le lendemain. M. de Pina, officier d'ordonnance du général, escalada les murs avec M. Vivinon, enseigne de vaisseau. Ils soutinrent d'abord seuls l'attaque de quelques Tartares qui les blessèrent 0-rièvement, mais des soldats vinrent bientôt à leur secours, et les portes furent ouvertes. Cette nuit-là même du 6 au 7 octobre, l'empereur s'échappait sur la route qui conduit kje-/w/ en Mongolie. Un piquet de cavalerie contournant les murs du Yuen-ming-yuen aurait pris l'empereur sans difficulté; on n'y pensa pas. Le 7 au matin, les généraux et officiers français visitèrent le palais, mais le général de Montauban eut la délicatesse de faire placer des sentinelles afin qu'on ne touchât à rien jusqu'à l'arrivée du général Grant. Il arriva enfin et une commission mixte entra dans le palais pour choisir les objets les plus rares destinés à Napoléon III et à la reine d'Angleterre. Rien ne peut donner une idée des merveilles entassées depuis plus de 200 ans dans les quatorze palais dont était composé le Yuen-ming- yuen; or, argent, bronzes niellés, émaux cloisonnés, jade vert, jade antique, jade blanc, cornaline, améthyste, pierres dures de tout genre, bois précieux, ivoire, incrustations de nacre, soieries brochées, porcelaines admirables, tapis précieux, PONT DE PA-LI-KI'AO. fourrures inestimables, laques anciennes, tout se trouvait entassé à profusion dans d'immenses salles, dans de splendides pagodes. Les objets européens y étaient aussi en abondance : pendules Louis XV, montres décorées d'émaux et de perles, tapis- series de Gobelins et jusqu'à de magnifiques voitures anglaises offertes jadis par lord Macartney. Un soldat a raconté qu'en voulant saisir un petit chien caché sous un sopha, il avait rencontré un gros anneau de cuivre: détourner le sophaet ouvrir la trappe fut l'affaire d'un instant ; la cachette contenait deux caisses remplies de montres garnies de perles et de diamants ; il vida son sac et y cacha vivement ces richesses avant l'arrivée des camarades : « On me donna, dit-il, deux jours de salle de police, mais je ne les regrette pas, car j'ai vendu mon sac 25.000 francs. » Chaque soldat avec plus ou moins d'intelligence fit son choix ; les connaisseurs achetaient simplement aux troupiers leurs meilleures trouvailles pour quelques piastres, et plusieurs remplissaient de pierres précieuses des bas de laine et des musettes de cavalerie. Les cantiniers surtout firent fortune, et l'un d'eux échangea, dit-on, contre un verre d'absinthe un Poussa en or massif. Souvent, dans le ventre des idoles, on place des pierreries et des lingots d'or ; aussi nos soldats ne se faisaient pas faute de donner quelques coups de baïonnette aux divinités pansues. La difficulté était DYNASTIE DES TS'ING. 217 d'emporter toutes ces richesses. Les premiers arrivés purent mettre la main sur une foule d'objets transportables ; les autres furent moins heureux, et s'en vengèrent en cassant beaucoup ; les étoffes précieuses couvraient les cours de plusieurs pieds d'épaisseur ; on s'en servait comme de matelas ou de toile d'emballage. Ceux qui firent les meilleures affaires furent sans contredit les Chinois ; nos soldats ne connaissant point les lingots d'argent, n'acceptaient d'eux que des piastres, et le prix de la piastre monta subitement dans Péking- à plus de i 2 francs. Malgré la peine de mort portée par les man- darins contre tout receleur des objets du Yuen-min?- yuen, la plupart passè- rent aux mains chinoi- ses,etpendant plusieurs années les marchands de Péking en offrirent aux amateurs ; quel- ques-uns y perdirent la vie, mais beaucoup y gagnèrent une fortune! Donnons la parole à quelques témoins ocu- laires : « Dans la matinée du 7, le général de Montauban, accompa- gnédesgénérauxjamin et Collineau, du colo- nel Schmitz, du briga- dier anglais Fattle, du colonel Fowley et du major Sley des dragons de la reine, se rendit au palais de l'empereur. Une compagnie d'in- fanterie était chargée d'ouvrirla marche pour faire face à toutes les éventualités ; mais, le palais étant complète- ment évacué par les Tartares, il n'y eut pas un coup de fusil échan- gé. Après cette pre- mière visite dans le palais du Yuen-ming-yucn, le général de Montauban fit placer des sentinelles chargées de veiller à ce que personne ne pût pénétrer avant l'arrivée du général Grant. Aussitôt l'arrivée de ce dernier, on désigna dans chaque corps d'armée trois commissaires chargés de faire mettre à part les objets de curiosité les plus précieux, et de procéder au partage des monnaies d'or et d'argent trouvées dans le palais. LE GENERAL SAN-KO-LIN-SIN (SENG-OUANC.). 218 PEKING. » La commission anglo-française, présidée par le général Jamin, a décidé, au nom du corps expéditionnaire, d'envoyer s S. M. l'empereur Napoléon ainsi qu'à S. M. la reine Victoria les objets les plus curieux trouvés au Yucn-ming-yiicii, à titre d'hommage et de souvenir. » Parmi les objets envoyés par l'armée à l'empereur Napoléon, figurent : » Deux bâtons de commandement (Jou-y), longs de 40 centimètres environ. Ils ont la forme d'un C allongé et sont en or, ornés au milieu et aux extrémités de jade remarquable par la beauté, la grosseur des pierres et la perfection du travail. » Un costume complet de l'empereur de Chine. Ce costume consiste en plusieurs vêtements superposés les uns sur les autres : le premier est en soie lamée d'or ; le second, en acier, forme cotte de maille ; le troisième, le plus riche, est en soie couleur jaune d'or avec de ravissantes broderies de toutes couleurs ; des boutons en or et en pierreries rehaussent encore la richesse de ce vêtement, qui est complété par un casque d'or et d'acier surmonté par une longue pointe en acier. » Une pagode, bron- ze doré et ciselé d'un remarquable travail; de gigantesques vases en émail aux couleurs va- riées ; plusieurs divini- tés en or et en émail. Cesobjets faisaient par- tie d'un temple situé à peu de distance du pa- lais, dans les vastes jar- dins impériaux. » Deux énormes chi- mères en cuivre doré, et pesant chacune près de 400 kilogrammes. » Deux stores d'une longueur démesurée et d'un travail remarquable. » Enfin des bagues, des colliers, des coupes, des laques, des porcelaines, et mille objets de curiosité. » Quand les objets précieux ont été réunis et partagés, il nous a été permis de visiter nous-mêmes ce merveilleux palais, véritable palais des Mille et une nuits. » Quand nous avons pénétré dans ces jardins immenses où, sur une étendue de quatre lieues environ, les palais, les pagodes, les lacs se succèdent à chaque pas, nos regards étonnés ne savaient où se fixer. » Dans les pagodes, nous avons remarquétoutes les divinités bouddhistes, colossales statues d'or, d'argent et de bronze ; une seule, en bronze, a soixante-dix pieds de hauteur. — Dans les palais, c'est une profusion d'objets d'art chinois et européens où les lambris d'ivoire, les candélabres étincelants aux mille facettes, les meubles de toute tonne, les ornements d'or, de jaspe, de jade et de porphyre, se mêlent, s'enlacent, se répercutent dans de grandes et belles glaces, qui semblent sortir de la manufacture de Saint-Gobain. » Dans des garde-meubles sont entassées les dentelles les plus fines, les fourrures les plus riches, les soieries les plus variées. » Il faudrait des volumes pour décrire toutes les splendeurs amoncelées depuis des siècles dans le palais favori de l'empereur du Céleste Empire. SCEPTRES IMPÉRIAUX (JOU-Y), OK MASSIF II JADE VERT. DYNASTIE DES TS'ING. 219 » Dans une des habitations voisines du palais de l'empereur, nous avons retrouvé plusieurs effets appartenant aux malheureux prisonniers européens ; parmi ces effets, nous avons reconnu ceux du colonel Foulon-Grandchamps, de M. Ader, comptable des hôpitaux, de plusieurs officiers anglais, et enfin quinze selles complètes de sicks. » Nous avons quelques raisons de craindre que nos compagnons d'armes n'aient succombé. Il nous tarde d'avoir de leurs nouvelles. » (de mutrécv.) « On a partagé un trésor aux soldats, environ 90 francs par homme, mais qu'est-ce que cela pour eux au prix de ce qu'ils ont razzié en or.en argent, en objets précieux !— Un soldat vend deux piastres pièce soixante montres, et quelles montres! C'est avec des sacs à distribution qu'on rapporte des bijoux et colliers en corail, des perles fines, et encore, et encore! Une perle est estimée seule 10,000 francs. Lorsque l'armée se mit en route pour Péking, elle présentait le plus singulier coup-d'ceil ; plus de 300 voitures étaient chargées uniquement de butin. Les soldats avaient | fÊk à FAÇADE PRINCIPALE DU PALAIS EUROPÉEN AU VUEN-.MIXG-YUEN. remplacé le couvre-nuque blanc par des turbans en soie rouge pour les grenadiers, jaune pour les voltigeurs, bleue, verte ou rose pour le centre. Puis, sur le sac, des ballots énormes. » Le lendemain arrive en voiture le pauvre M. d'Escayrac, dans quel état, grand Dieu ! les mains paralysées, des plaies saignantes aux poignets, quelques haillons sur le dos. On avait jeté de l'eau sur les cordes qui le liaient, et mis des tourniquets ! D'autres prisonniers arrivèrent; un Français nommé Petit, grièvement blessé et demi- fou, était avec eux. M. Parkes et M. Lock, rendus à la liberté avec M. d'Escayrac, n'avaient pas souffert. » Enfin, on rendit six Français sur treize ! Les autres étaient morts. Six cadavres furent aussi rendus. On reconnut aux bandes du pantalon le colonel Grandchamps, le malheureux M. Dubut, un chasseur à pied, le brave Ozouf, un trainglot et un soldat d'administration. — Qu'était devenu M. Duluc, des Missions-Etrangères ? Des chrétiens chinois affirmèrent que, le 21 septembre, le général Chen-pao avait fait couper la tête à deux Européens, près de Pa -li-k'ioo. Leurs corps ne purent être renvoyés ; ils avaient été dévorés par les chiens ! Les Anglais eurent également leurs morts, moins un nommé Trahison. La moitié des individus qu'on leur avait 220 PEKING. pris avaient été massacrés. Il y eut des détails atroces. On les garda quatre jours, les quatre membres amarrés ensemble, sans leur donner même à boire. Un attaché d'ambassade anglais, M. de Norman, a vécu 17 jours ; tous ses doigts sont tombés l'un après l'autre rongés par la gangrène. Les vers de ces blessures étaient entrés dans son corps et le dévoraient vif! Le pauvre M. Ader avait des vers dans le nez et les oreilles quand il est mort. Quant aux autres, Dieu seul sait ce qu'ils ont souffert ! » (lucy.) « De toutes les splendeurs, il ne restera bientôt plus que des ruines, car lord Elgin et le général Grant viennent de faire incendier ce fameux pa- lais impérial, pour tirer ven- geance des cruautés infligées aux prisonniers européens. A cet égard, je crois pouvoir dire que le général en chef du corps anglais, sous l'in- fluence de lord Elgin, pressa de tout son pouvoir le géné- ^ rai de Montauban pour le décider à envoyer des soldats j français chargés d'aider les soldats anglais à incendier le palais. A cette communica- tion par écrit, notre général en chef répondit qu'il ne re- tournerait pas au Yiien-ming- ynen,&i qu'il considérait le fait d'incendier le palais comme une représaille inutile. » Lord Elgin persista dans son projet. L'ambassadeur d'Angleterre a donné à son gouvernement des explica- tions pour justifier ce fait ; mais il importe de dire ici que les troupes françaises n'ont coopéré en rien à cet immense incendie, et que si la grande bibliothèque du Yitcn-ming-yueti, si riche en collections diverses, et dont on peut avoir une idée en consultant le catalogue déposé à la bibliothèque impériale de Paris, a été brûlée, l'armée française et son chef avaient protesté d'avance contre cet acte dont lord Elgin a assumé sur lui toute la responsabilité. » (de mutrecy.) « Du reste, au dire des Chinois, deux ou trois palais seulement furent incendiés par l'armée anglaise, et les onze ou douze autres par des bandes de pillards qui pro- fitèrent de la bonne occasion pour tout ravager. )) Vous l'aurez appris par les journaux et, sans aucun doute, on aura fait suivre ce récit de commentaires plus ou moins flatteurs pour nous. Mais c'était le seul moyen VASE K'IEN-LOUNG 1U.ANC ET OR (PALAIS D'ÉTÉ). DYNASTIE DES TS'ING. 221 de frapper l'esprit des manda- rins et surtout la cour. Piller et brûler Péking n'était rien en comparaison. Qu'importait en effet à celui qui est tellement au-dessus de tous, que nul ne peut lever les yeux sur lui ? Tan- dis qu'au Yuen-ming-yuen, c'était directement l'empereur que nous frappions. Nous ne faisions du mal qu'à un homme, et nous lais- sions derrière nous un souvenir éternel de notre vengeance et un sentiment de terreur chez les grands, qui pourra assurer notre tranquillité dans l'avenir. Si dans quelques jours (le 25 probable- ment) nous allons conclure la paix, nous la devrons en grande partie à cet acte d'énergie, d'au- j^~ tant plus frappant que les petits ont été protégés par les plus sévères punitions. » (lucy.) Le 9 octobre, les alliés aban- donnèrent le Yuen-ming-yuen et vinrent camper sous les murs de Péking, en dehors de la porte Ngan-ting. Le colonel de Bentz- mann reçut l'ordre d'établir une batterie à 75 mètres de la place ; le chef d'es- cadron d'artillerie Schenegaens mesu- ra la distance à eran- des enjambéeset alla reconnaître les mu- railles, sur lesquelles on avait préparé des amas de chaux pour jeter aux yeux des assaillants. Evidem- ment Péking ne pou- vait ni ne voulait se défendre. L'empereur Sien- foung, retiré, comme nous l'avons dit, à Je-hol avait laissé le soin de traiter avec k'ien-loung fond blanc grenades polychromes en relief (PALAIS d:été). 222 PEKING. les Barbares à son frère le prince Koiuig, nommé aussi sixième prince, parce qu'il était le 6e fils de Tao-kouang. Agé de 25 ans seulement, il était plein d'in tell igenceet d'amabilité, mais saisi d'une crainte bien naturelle en pensant à la lourde charge qui lui incombait. Les alliés brûleraient-ils Péking et le palais impérial, comme ils avaient fait du Yuen-ming-yuen ? N'im- poseraient-ils pas des conditions inacceptables ? Et lui, quoique prince du sang, ne se verrait-il pas plus tard désapprouvé, con- damné et exécuté peut-être pour avoir livré la capitale ? Aussi, lorsque, le 13 octobre, il reçut l'ultimatum qui exigeait l'ouver- ture des portes à midi sous peine de bombardement, hésita-t-il encore jusqu'à la dernière mi- nute. Il fallait cependant se déci- der, car le massacre des Euro- péens et la vue des plaies des survivants avaient exaspéré les alliés. Enfin, le 15 octobre à il h. 1 '2, la porte Ngan-ting fut ouverte, selon qu'il avait été con- venu ; 200 Français et 200 An- glais devaient en même temps occuper la droite et la gauche des murailles, et y déployer à la mêmeminutele drapeau national. Les Anglais étant montés sans attendre leurs alliés, le colonel Schmitz avec le 101e de ligne s'avança à plus d'un kilomètre dans la ville et, après cette mani- festation, monta aussi sur les remparts. Une altercation très vive s'éleva entre lui et le géné- ral Napier, qui s'excusa de son mieux ; tout rentra dans l'ordre. Malgré les dangers qu'il pou- vait y avoir pour un Européen à traverser les districts occupés par l'armée chinoise et tartare, Mgr Mouly, vicaire apostolique de ; commencement des hostilités ; le VASE K'IEN-LOUNG FOND ROSE, ARABESnUKS ET FLEURS POLYCHROMES (PALAIS D'ÉTÉ). Péking, s'était approché de la capitale dès 1 DYNASTIE DES TS'ING. 223 prince Koutig, régent de l'empire, qui n'ignorait pas sa présence, lit chercher l'évêque, pour servir d'intermédiaire entre lui et les alliés, par un nommé Tchang, mandarin de irc classe à bouton rouge ; l'évêque partit aussitôt pour Péktng, accompagné de son coadjuteur Mgr Arnouilh. Ils arrivèrent au camp des alliés le 23 octobre, après la suspension d'armes et l'ouverture des portes de la ville. M. Campenon, alors chef d'escadron d'état- major, en compagnie de l'abbéTrégaro, aumônier en chef, avait déjà visité l'anciennecathédrale ca- tholique fermée depuis plus de 30 ans. Plus de fenêtres, plus d'autel, plus de tableaux ; une ouverture considérable dans la voûte au-dessus du chœur, la croix dis- parue, tel était le triste état de l'église. Mais enfin c'était encore une église et on résolut d'en faire la réouverture par une cérémonie funèbre en faveur des victimes, suivie d'un Te Deum so- lennel en l'honneur de l'armée française et de l'empereur Napoléon ; la cérémonie fut fixée au 2Soctobre,afin de laisser le temps de faire les réparations les plus ur- gentes. Quelle joie pour Mgr Mouly de retrouver en- core cette vieille cathé- drale, et de rentrer dans la capitale de la Chine au milieu de ses chré- tiens ! Ces braves gens du reste n'étaient pas moins heureux, et prêtèrent leur aide à nos soldats afin de tout préparer pour la cérémonie. Pendant ce temps eut lieu la signature des traités par les plénipotentiaires. Le 24, lord Elgin, ambassadeur d'Angleterre, signa le traité anglais avec le prince Koung ; le lendemain 25, à onze heures, le cortège se mettait en marche du quartier général français pour se rendre au Ya-men des Rites, situé très loin dans la VASE KTEN-LOUNG FOND BLANC, DESSIN REPRÉSENTANT UNE VUE DU PALAIS D'ÉTÉ. 224 PEKING. nia ville de Péking. — Après une heure et demie de marche dans l'intérieur de la ville tartare nous arrivons devant un vaste édifice d'assez triste apparence, c'est le J a- men des Rites, lieu désigné pour l'entrevue des grands dignitaires français et chinois, où le prince Koung attendait les représentants de la France, entouré d'un grand nombre de mandarins civils et militaires. Le prince Koung s'est montre dune amé- nité fort gracieuse pour le baron Gros et le général de Montauban à qui, tour a tour il s'est empressé de tendre la main. Après l'échange des salutations d usage, le baron Gros, le général de Montauban, suivis du personnel de l'ambassade et des officiers généraux et supérieurs du corps expéditionnaire, entrèrent dans une vaste cour tendue de riches tapisseries, puis dans un grand vestibule dans lequel étaient «rroupés deux ou trois cents mandarins à globules de toutes les couleurs, enfin dans fa salle des cérémonies, où le prince Koung les conduisit au siège qu'ils devaient occuper. En face de l'entrée se trouvaient deux tables ; celle de droite était occupée par le prince Houng assisté de Kang-ki, gouverneur de Péking ; celle de gauche, le côté d'honneur en ce pays, était occupée par le baron Gros, assisté du général de Mon- tauban. Devant la table de notre ambassadeur ^MMiUl^ffll]^»^ étaient assis le général Jamin, le général Colli- neau.lecolonelSchmitz, et tous les officiers su- périeurs chefs de ser- vice ; derrière se te- naient tous les officiers du corps expédition- naire. L'abbé Delamarre, mis à la disposition de notre ambassadeur, remplissait les fonctions d'interprète. L'échange des pouvoirs, leur vérification, la lecture et la signature du traité ont duré une heure environ ; au moment de la signature, une salve de vingt et un coups de canon annonçait au peuple chinois que la paix était conclue. Après l'échange des traités (le nôtre sur très beau parchemin, celui des Chinois sur des plaques d'or), le baron Gros a offert au prince Koung plusieurs pièces d'or à l'effigie de l'empereur Napoléon et une collection de très belles photographies représentant S. M. Napoléon et la famille impériale. Ces petits présents ont paru très agréables au prince Koung, autour duquel sont venus immédiatement se grouper en curieux tous les mandarins présents à la cérémonie. Après les saluts d'usage on se sépara, et nous reprimes la route de notre camp au milieu de la population compacte qui nous avait accueillis à notre arrivée. Seul, notre ambassadeur, M. le baron Gros, resta à Péking dans un Ya-men mis à sa disposition par le prince Koung, et scus la garde d'honneur d'un bataillon du 101e régiment de ligne. Le 27 au matin, le général en chef alla visiter lui-même l'ancienne cathédrale; le génie sous la direction de ses officiers s'était surpassé ; toute l'église était décorée Nl'.AN-TING-MEN (PORTE DE LA PAIX). DYNASTIE DES TS'ING. 225 de tentures noires et de drapeaux français en soie, l'autel reconstruit, le pavé recou- vert de feutre ; un immense catafalque s'élevait au milieu de la nef; bref, rien ne manquait pour la cérémonie du lendemain. Le 28, le général, avec tout son état-major eveques, accompagnée ^v. o..v [Jiv,m,3 mui^ua, mciu icu cuncc bi brèrent la Messe, pendant laquelle la musique joua des airs funèbres et religieux ; le vent soufflait et une petite pluie glacée tombait par la vaste ouverture du toit ; néanmoins chacun était heureux et content, car l'ancienne croix avait été retrou- vée et replacée tant bien que mal au faîte de l'édifice par les soldats du génie. Les ambassades française, anglaise et russe assistaient à l'office, après lequel le cor- tège se forma ; c'est ce jour-là même, 28, que Mgr Mouly fut reçu par le prince INSCRIPTION DU MONUMENT. COLLINEAU, général de division. DUBUT, sous-intendant militaire. FOULON-GRANDCHAMPS, colonel d'artillerie. LIVET, colonel du génie. GARY, chef d'escadron d'artillerie. MARIF, capitaine d'artillerie. DE MONTFERRANT, lieut. au 2' B. de chass. DE ROQUEFEUILLE, lieut. au 2= B. de chass. DE DAMAS, capitaine au 2e B. de chass. d'Afriq. \ AZEILLES, capitaine au 101e régiment de ligne. DRIOU, lieutenant au 101e régiment de ligne. JOLV. capitaine au 102= régiment de ligne. LOUBET, capitaine au 102e régiment de li^ne. GRANDPERRIER, lieut. au 102e rég. de ligne. ADER, officier d'administration. OZOUF, chasseur au 2e B. de chasseurs à pied. BONICHO, soldat au 5"= escadron du train. BLANQUET, infirmier militaire. Koung, à l'heure fixée pour le convoi funèbre, si bien que 1 evêque ne put y assister. Le prince, quoique le traité fût signé, tremblait de crainte et n'avait qu'une con- fiance limitée en voyant tant de soldats dans la ville de Péking : Mgr Mouly prit ses deux mains dans les siennes, et pendant plus d'une demi-heure il le rassura et finit par calmer sa frayeur. Depuis ce temps-là le prince Koung garda à Mot Mouly une profonde reconnaissance, et lorsque 1 evêque mourut, il se fit représenter à ses funérailles. Au sortir de cette audience, Mgr Mouly se rendit en toute hâte au cimetière, où il arriva assez à temps pour bénir les cercueils des victimes Ces cer- cueils renfermaient les corps de MM. Foulon-Grandchamps, colonel d'artillerie, Dubut, sous-intendant militaire, Ader, officier comptable, Blanquet, infirmier' Bonicho, soldat du train, et Ozouf, chasseur à pied ; ils étaient portés chacun sur un chariot d'artillerie. Charles Foulon-Grandchamps, né à Caen (Calvados), le 11 novembre 1S0S com- mandait les batteries montées attachées à l'expédition.Sorti del'École polytechnique il était lieutenant en 1832 et capitaine en 1838. Nommé chevalier delà Lésion Péking 0 A LA MÉMOIRE DES 1 '1 I ICIEkS ET SOLDATS MORTS PENDANT LA CAMPAGNE DE CHINE l860 / / / / ^Q, 3 226 PEKING. d'honneur en Algérie, il devint officier en 1S53 et fut nommé lieutenant-colonel en 1S57. En 1860, il partit pour la Chine avec le grade de colonel et se distingua par la plus grande bravoure. Fait prisonnier le 10 septembre dans le guet-apens de T oung-tcheou, ce brillant officier périt accablé par le nombre ; il venait d'être nommé commandeur de la Lésion d'honneur. Victor- Laurent Dubut, né à Paris le 3 septembre 1S15, sortit de l'Ecole polytech- nique en î 853 avec le grade de sous-lieutenant. Lieutenant en 1841, sa belle conduite en Algérie lui valut la décoration de la Légion d'honneur; pendant la guerre d'Orient, il reçut la croix d'officier. Il succomba le 19 septembre en résistant aux Tartares qui voulaient s'emparer de lui. [eau Picrrc-Prospcr Ader, né à Neyrac (Lot-et-Garonne) le 16 janvier 1814, élève du Val-de- Grâce, fut nommé adjudant de i'e classe en 1841 et passa dix années en Algérie. Il se distingua par sa belle conduite devant l'ennemi, fut nommé officier comptable de ire classe en 1853, et chevalier de la Légion d'honneur. Attaché à l'expédition de Chine, il suc- comba le 24 septembre aux infâ- mes traitements dont il fut l'objet lors de la trahison de T'onng- tekeou. Le clergé, composé de l'abbé Trégaro, l'abbé de Serres, l'abbé Delamarre, l'abbé Mahé et six prêtres chinois, suivait le cata- falque ; les généraux, les ambas- sadeurs portant 1 echarpe de deuil, les officiers tant anglais que fran- çais, enfin les brigades Jamin et Collineau accompagnèrent le con- voi jusqu'au cimetière, au son des tambours voilés alternant avec la musique du régiment, Arrivé à Cha-la enl< plusieurs voix éloquen- tes se firent entendre et, les honneurs militaires une fois rendus, les cercueils furent déposés dans une fosse préparée d'avance ; quelques mois après, on construisit un caveau au cimetière français de Tcheug-fou-sse, où les six cercueils furent trans- portés ; on éleva en leur honneur un monument sur lequel furent gravés les noms des victimes de la guerre en 1S60. Une autre cérémonie devait avoir lieu le lendemain 29 octobre ; pas plus que la veille, personne ne voulut manquer au rendez-vous. Le service solennel célébré, MgrMouly fit un discours de circonstance pendant lequel des larmes de joie coulaient des yeux de ce vieil évêque ; il remercia Dieu, l'empereur, la France et l'armée, et enfin, au milieu de l'émotion générale, il entonna le Te Deuw, qui fut suivi des prières pour l'empereur. La croix dominait de nouveau l'édifice, le culte public était rétabli dans la ville de Péking, tous les établissements religieux avaient été restitués; une fois de plus, on pouvait dire à bon droit : Gesta Dei per Francos. Le traité franco-chinois contenait la disposition suivante : MEDAILLE DE LA CAMPAGNE EN CHINE. DYNASTIE DES TS'ING. 227 Art. i 3. « La religion chrétienne ayant pour objet essentiel de porter les hommes à la vertu, les membres de toutes les communions chrétiennes jouiront d'une entière sécurité pour leurs personnes, leurs propriétés et le libre exercice de leurs pratiqui s religieuses, et une protection efficace sera donnée aux missionnaires qui se rendent pacifiquement dans l'intérieur du pays, munis des passe-ports réguliers dont il est parlé dans l'article 8. Aucune entrave ne sera apportée par les autorités de l'empire chinois au droit qui est reconnu à tout individu en Chine d'embrasser, s'il le veut, le christianisme, et d'en suivre les pratiques sans être passible d'aucune peine infligée pource fait. » Il avait été stipulé, en outre, que les anciennes églises, établissements ou cimetières seraient rendus aux missions ; Mgr M oui y en prit possession sans difficulté. Dans l'article concernant la religion, rien n'autorisait les missionnaires à acheter des propriétés en dehors des ports ouverts, et par conséquent à s'établir dans l'intérieur de la Chine ; l'abbé Delamarre, travaillant à la rédaction du texte chinois du traité, y introduisit une clause qui donnait ce droit aux missions. Malheu- reusement, elle ne se trouvait pas dans le texte français, qui seul devait faire foi. Aussi, peu d'années après, les Chinois protestèrent-ils : ce qui donna lieu à une convention spéciale qui permettait d'acheter dans l'intérieur, mais seulement au nom et pour l'usage de la communauté chrétienne. Le 5 novembre, l'empereur Sien-foung approuvait définitivement les traités et mourait peu après, laissant l'empire à son fils T'oung-tche ; mais on cacha sa mort, qui ne fut annoncée que l'année suivante, si bien que l'année 1861 appartient encore au règne de cet empereur. L'expédition anglo-française dut précipiter son embarquement, car les glaces ferment l'entrée du Pt'-ho de décembre en mars. On laissa cependant quelques trou- pes pour occuper les forts de Ta-kou ; les Français gardèrent ceux du sud et les Anglais ceux du nord, qui ne furent évacués définitivement qu'après l'entier paiement des indemnités de guerre ; celle de la France s'élevait à 50 millions, y compris les paiements à faire aux familles des victimes du guet-apens de T oung-tcheou. Aurait-on mieux fait de s'établir définitivement dans les forts ou du moins d'en prolonger l'occupation pendant plusieurs années ? c'est possible, mais on ne connaissait point alors les Chinois comme on les connaît aujourd'hui. Chacun tira le meilleur profit possible de l'expédition : La France eut la gloire des armes, vengea le meurtre d'un de ses enfants, M. Chapdelaine ; on vit quelques milliers de ses soldats pénétrer au cœur d'un empire de 400 millions d'âmes, en vaincre les armées, en prendre la capitale. L'Angleterre obtint les plus sérieux avantages pour son commerce, et les négo- ciants firent de rapides fortunes dans les ports ouverts. La Russie rectifia ses frontières de Mantchourie, qui suivirent désormais le fleuve Amour jusqu'au confluent de l'Ousouri ; la ville d'Ourga et même celle de Kachgar furent ouvertes à ses produits ; enfin le service des postes entre la Russie et la Chine fut définitivement organisé. La religion retrouva sa liberté et en profita pour relever les ruines de ses temples détruits pendant les persécutions. Mgr Mouly, laissant son coadjuteur et ses mission- naires réparer provisoirement les églises et les sépultures de Péking, partit pour l'Europe, où il arriva en juin 1861. La guerre de 1860 fut une dure leçon pour la Chine ; malheureusement la Chine oublie vite les leçons ! CHAPITRE XII Mm I. t'oung-tciie. rebelles aux longs cheveux (tch'ang-mao). les filles de la CHARITÉ. LE SECOND PÉ-TANG. II. M. ARMANI) DAVID ; SES TRAVAUX, SES DÉCOU- VERTES. — III. MORT DE MGR MOULV, ÉGLISE DE SAINTE-CROIX. ÉGLISE DE N.-D. DES VICTOIRES. MM. CHEVRIER ET OU. ■ — IV. MASSACRES DE TIEN-TSIN. MGR DELAPLACE. CONSTRUCTION DE L'ÉGLISE SAINT-LOUIS. dant que l'armée anglo-française battait les Chinois, les rebelles aux longs cheveux (T'chang-mao), soi-disant descendants des Ming, se révoltèrent contre la dynastie et s'emparèrent de presque tout le sud de la Chine : Hang-tcheou, Ning-po, Chao-sing, Nan-king et enfin Chang-haè tombèrent en leur pouvoir. Les alliés se réso- lurent à défendre la dynastie et à reprendre aux moins les ports qu'elle avait ouverts au commerce de l'Europe. En février 1862, on débarqua de l'infanterie de marine, et Chang-haè, attaqué par terre et par mer, fut évacué par les rebelles. Le 10 mai, Ning-po était pris ; la joie de ce succès fut bien amoindrie par la mort de l'amiral Proté, frappé d'une balle en pleine poitrine à la tête de ses troupes. Peu après, à une troupe assez nombreuse de Manillois et de Chinois fidèles se joignirent des soldats français qui, ayant fini leur temps, voulurent prendre du service en Chine. Un corps se forma à Ning-po sous le commandement de MM. Lebreton et d'Aiguebelle. Le 19 juillet 1864, Nanking, dernier rempart des rebelles, fut emporté, et Taè ping-ouan, leur chef, se suicida, ce qui mit fin à la révolte. — C'est au corps franco-chinois que la dynastie est redevable d'avoir reconquis ses provinces du sud. Peu après la guerre, Mgr Mouly était parti pour l'Europe, qu'il n'avait pas revue depuis 25 ans. Son arrivée fut un événement; ce bon évêque à longue barbe, à grosses lunettes chinoises, à l'air un peu dépaysé, était une curiosité ; on se le disputa. Avec l'extrême bonté qui le caractérisait, il se laissa faire ; on le fit prêcher, DYNASTIE DES TS'ING. 229 présider des conférences, des réunions de tout genre en France, en Italie.cn Belgique, en Hollande, enfin un peu partout. Il alla voir l'empe- reur qui, sur l'in- demnité de guerre, lui avaitalloué une forte somme pour reconstruire les anciennes églises détruites. Napo- léon III, très af- fable et fort bien disposé pour ce vieil évéque qui était resté si fran- çais, lui dit: « Que pourra is-je faire encore pour vous être agréable ? — Sire, répondit - il, ce serait de me faire reconduire jusqu'à Tien-tsin avec la colonie de missionnaires et de sœurs que je dois emmener. » L'empereur accor- da gracieusement la demande et, le 24 février 1862, sept missionnaires et quatorze Filles de la Charité par- tirent sur une fré- gate de l'Etat. Après mille pé- ripéties et mille dangers, la nou- velle colonie arri- va à Chang-haè à la fin du mois de mai. Les navires du port avaient leurs pavillons en berne et leurs vergues en croix, à l'occasion des funérailles de l'amiral Proté. Mgr Mouly mit 21 jours pour aller de Chang-hai à Ka-kou sur un voilier américain. On installa les Sœurs destinées à Tien-tsin dans la maison qui leur avait 230 PEKING. été préparée ; quant aux missionnaires, ils logèrent au Ouang-hàè-leou, belle résidence donnée par le gouvernement chinois; elle se trouvait à la jonction du canal impérial avec le Pc-Jw, et avait servi à l 'état-major lors de l'occupation par les alliés. Le 10 juillet, Mgr Mouly faisait son entrée solennelle à Péking. Pendant son séjour en Europe, les missionnaires avaient relevé les murs d'enceinte, refait la toiture de la cathédrale et construit quelques chambres d'habitation. Au Pè-t'ang, résidence française, on s'était contenté de réparer les anciens bâtiments ; l'évêque, les missionnaires et les séminaires y trouvèrent place ; au To/iuç-fang et au Si-fang rien n'était fait encore. Mgr Mouly se mit de suite à l'œuvre ; une maison disposée pour les Sœurs de Charité non loin du Pè-t'ang fut bientôt remplie de malades et d'enfants abandonnés. On termina les réparations de l'ancienne cathédrale, qui fut repeinte en entier, en conservant religieusement les mêmes dessins qui la décoraient jadis. Mgr Mouly ne voulut point tarder à réparer aussi le cimetière français de Tcheng-fou-sse, situé à 8 kilomètres de la porte Pin-tcJie-men. On dut refaire les tombes, relever les stèles, replanter les arbres et reconstruire tout le mur d'enceinte. Un accident vint encore augmenter les dépenses : la résidence du Pé-fang, nouvellement restaurée, fut presque totalement détruite le 9 janvier 1864 par un incendie. On sauva non sans difficulté, la grande bibliothèque qui commençait à flamber; le soir chacun eut à peine de quoi coucher ; la perte fut estimée à 100.000 francs. Quelques mois après s'éleva sur les ruines une grande maison européenne, et Mgr Mouly pensa à reconstruire la cathédrale française du Pé-t'ang. Un architecte du Lot-et-Garonne, M. Bourrières, en avait fait le plan ; deux tours surmontées de deux (lèches fort élégantes devaient s'élever sur la façade ; mais pour ne point créer d'affaires avec les Chinois, le plan fut envoyé au Tsoung-li ya-men, qui pria l'évêque de retrancher aux flèches. Ainsi diminuées, les tours avaient encore près de 90 pieds de haut. La première pierre fut posée le Ier mai 1865, en présence de M. de Berthemy, ministre de France, que tous ses collègues avaient accompagné, et des ministres du Tsoung-li ya-men : Tchoung, Toung et Heng-tsi. Cette pierre fut bénite par Mgr Mouly. L'église, dédiée au Saint-Sauveur, ne se trouve pas sur l'emplacement de l'ancienne bâtie par les Jésuites et détruite en 1S27 ; comme cet emplacement était beaucoup trop restreint pour la nouvelle cathédrale, on acheta à l'est de la résidence un vaste terrain pour l'y construire. Cette église est gothique (XI IL siècle) ; elle mesure à l'intérieur 49 mètres de long sur 30 de large au transept et 2 1 à la nef, y compris les bas-côtés ; la hauteur est de 1 7 mètres 66 sous clef de voûte. Le Ier janvier 1867011 en fit la bénédiction solennelle, à laquelle assistait M. le comte de Bellonet, chargé d'affaires de France. La même année, l'église de N.-D. des Sept-Douleurs était bâtie au Si-t'ang, ancienne résidence de M. Pedrini ; et une grande chapelle provisoire au Toung-t'ang pour les chrétiens de cette paroisse, qui durent encore attendre longtemps leur église, car l'indemnité avait été totalement absorbée. II Parmi les missionnaires arrivés avec Mgr Mouly, il s'en trouvait un très remar- quable par ses connaissances en histoire naturelle : c'était M. Armand David. La Chine était ouverte, les Européens astronomes, mathématiciens et autres allaient se mettre au service des Chinois; les missionnaires n'avaient donc plus raison d'être comme savants ou artistes de la cour. Cependant, on ne pouvait DYNASTIE DES TS'ING. 231 SYRNIUM KAVIIH. abandonner les sciences, qui sont un puissant auxiliaire pour la religion ; il était bien à désirer qu'un collège s'ouvrit à Péking, et pour ce collège il fallait un homme ; M. David fut choisi. Missionnaire avant tout, cette qualité lui eût fait préférer la vie apostolique, mais ses supérieurs en disposèrent autrement. Sur leur désir et sur la demande du gouvernement français, M. David dut utiliser ses connaissances variées à la préparation du collège futur, et surtout à l'augmentation des collections du Muséum de Paris. Il fit plusieurs voyages fort pénibles, dans les premières années de son séjour en Chine, voyages qui furent très fructueux pour le Muséum. En 1868, il alla jusque dans le Thibet indépendant, où il fit des découvertes importantes ; sa santé ruinée l'obligea à retour- ner en Europe (1874). Nommé membre de plusieurs académies, il reçut deux médailles d'or, et refusa par trois fois la croix delà Légion d'honneur, se conformant ainsi aux règles de sa Congréga- tion. Bien des années s'écoulèrent, et, s'oubliant lui-même, il devait croire que personne ne penserait plus à lui ; mais les travaux qu'il avait entrepris pour la science, ses mémoires, ses relations et ses pré- cieuses découvertes, réclamaient une récompense ; sans lui deman- der son assentiment, en 1S96, à l'occasion du centenaire de l'Ins- titut, la croix de la Légion d'hon- neur lui fit envoyée; il ne pouvait plus la refuser. Les services que M. David a rendus à la mission de Péking sont inestimables ; il a formé à lui seul un musée d'histoire naturelle comprenant plus de 800 oiseaux, quelques beaux mammifères, en- viron 3.000 insectes ou papillons ; de plus, un herbier et des échantillons minéralo- giques très complets. Ce musée du Pé-t'âng fit pendant longtemps l'admiration des visiteurs qui s'y rendaient presque chaque jour. Les mandarins, fréquentant par ce moyen les missionnaires, perdirent peu h peu leur antipathie ; les préjugés tom- bèrent, et l'estime qu'on avait déjà pour les prêtres catholiques français s'en accrut sensiblement. La renommée de ce musée alla jusqu'au palais, d'où plusieurs prin- cesses, et même, dit-on, l'impératrice, vinrent le visiter incognito. Enfin, lorsqu'en 1885 un arrangement dut intervenir pour rétrocéder le Pé-t'ang, ou plutôt pour 23 2 PEKING. l'échanger contre une nouvelle résidence, la dernière clause stipulait que le Pape serait prié d'offrir le musée à l'impératrice. Quelque temps après, un missionnaire fut nommé par le 7e prince, père de l'empereur, conservateur de ce musée, et il désigna lui-même deux chrétiens intelligents qui s'y rendent chaque semaine pour l'entre- tenir en bon état, enlever et remplacer au besoin les pièces avariées. Pour l'empereur et pour l'impératrice, ce musée est une des choses précieuses du palais, et la gra- cieuseté avec laquelle on l'a cédé à l'impératrice sur sa demande, n'a pas peu contribué au résultat pacifique de la négociation si dif- ficile, qui s'est terminée à la gloire de la France, de la mission de Péking et de la religion en Chine. Voici quelques-unes des plus belles trouvailles en zoologie fai- tes par M. David, soit à Péking même, soit dans les provinces : Syrnium Davidi ; espèce de chat-huant, trouvé dans les forêts de Mou-ping (Thibet), fort rare même dans cette région. Pvrgilauda Davidi; espèce de passereau découvert sur les plateaux les plus élevés de Mongolie ; il est très farouche et fait son nid dans les rochers. Arundinax Davidi anus ; nouvelle es- pèce également découverte à Mou-ping ; c'est un spécimen unique, rare même dans le pays ; se trouve dans les hautes herbes au bord des ruisseaux. Pterorhinus Davidi ; découvert près de Péking, dans les montagnes Si-chan. Les Chinois le nomment Chan-hoa-mi et le conservent en cage, se plaisant à en- tendre sescris singuliers et sonores, même quelque peu fatigants ; dans les bois, il est peu sauvage et se laisse facilement approcher ; il niche jusqu'en septembre dans les buissons. Oreopneuste Akmandi ; découvert Chine, où il vient se loger en été ; son / / dans les hautes montagnes du nord de la chant est sonore et varié. Crossoptilon Mantchuricum ; trouvé sur le marché de Péking en hiver, puis tué dans les montagnes de l'ouest (Si-chan)^zx M. David ; les Chinois le nomment llo ki ; ce magnifique oiseau a depuis été répandu en Europe ; on peut l'élever faci- lement dans les parcs. Propasser Davidianus ; ce charmant roselin habite les plus hautes montagnes du nord-est de la Chine ; on en trouve sur les marchés de Péking à l'ouverture du printemps ; son nid, trouvé par iM. David sur des lilas sauvages, contient cinq œufs, bleu-turquoise tacheté de points bruns ; son chant est peu varié. DYNASTIE DES TS'ING. 233 Elaphurus Davidianus. Hors de la porte sud de Péking.à 2 kilomètres environ. se trouve l'ancien parc de chasse de l'empereur ; il a 1 2 kilomètres de côté ; on y élevait par tradition (car l'empereur n'y chasse plus) de nombreux cerfs, daims, chè- vres sauvages et autres animaux. M. David apprit par les chrétiens qu'un animal ELAPHURUS DAVIDIANUS. (SSE POUSIANG) fort curieux s'y trouvait ; les Chinois le nomment Sse-pou-siang (qui ne ressemble à aucun des quatre), parce qu'il a les bois du cerf, la queue de l'âne, les pieds du bœuf et le pelage du mulet. M. David lui-même, dans une promenade, aperçut par-dessus les murs d'enceinte cet intéressant animal, et alors il ne songea plus qu'au moyen de s'en procurer un spécimen pour le Muséum de Paris. Ce n'était rien moins que facile ; il y a peine de mort contre ceux qui se permettent de tuer le gibier impérial, 234 PEKING. c mais cela n'empêche nullement les gardes de s'en nourrir. M. David se ménagea une entrevue avec l'un d'eux, et il fut convenu qu'on jetterait par-dessus le mur, d'un côté une peau avec les bois et les os, de l'autre la somme promise. C'est ainsi que M. David put envoyer à Paris le premier spécimen du Ssé-pou-siang. Plus tard d'autres nations s'en procurèrent aussi par leurs ministres, mais le premier était à la France. Si l'on considère ce que M. David a découvert dans le sud de la Chine, les trouvailles faites dans le nord sont bien minimes. Nous ne pouvons entrer dans de plus grands détails, et nous devons renvoyer ceux qui voudraient en savoir davan- tage à ses ouvrages très intéressants, très savamment rédigés et toujours delà plus parfaite exactitude, ainsi qu'aux travaux spéciaux des professeurs du Jardin des Plantes de Paris. III ependant Mgr Mouly perdait ses forces, et sa première vigueur avait disparu ; perclus de rhumatismes, affaibli par une vie de privations et de fatigues, on ne pouvait plus espérer pour lui de longs jours. Souvent le pieux évêque subissait de douloureuses crises ; l'une d'elles, pendant la nuit du 30 novembre au Ier décembre, le conduisit aux portes du tombeau et on dut lui administrer les derniers sacrements, qu'il reçut avec une grande ferveur ; malgré les soins de deux docteurs européens, il s'affaiblit de plus en plus et s'éteignit le 4 décembre à 4 heures du soir, à I'â^e de 61 ans ; il eut la joie de mourir au milieu de ses con- frères et dans ce Pé-t'ang reconstruit par lui. Mgr Mouly peut être, à bon droit, regardé comme le second fondateur de la mission de Péking, car après les horribles persécutions qui l'avaient presque anéantie, c'est lui qui la ressuscita et lui donna une vie nouvelle. Les funérailles du saint évêque furent une démonstration. Tous les ministres européens, les représen- tants du prince Koung et du Tsoung-li ya-men, l'archimandrite russe, le clergé en entier et plus de 400 voitures contenant chacune deux ou trois chrétiennes, l'accom- pagnèrent au cimetière. Le cortège s'étendait sur plus d'un kilomètre et demi, une foule respectueuse évaluée à 100.000 personnes bordait les deux côtés de la route ; les chants liturgiques alternaient avec les prières chinoises. Mgr Mouly repose dans un tombeau orné d'une belle stèle en marbre, devant les mausolées de MM. Raux et Ghislain, au cimetière français de Tcheng-fou-sse. — Mgr Mouly, né à Figeac, diocèse de Cahors, le 2 août 1807, n'était point un homme ordinaire : il avait fait d'excellentes études, et sa science en chinois était peu commune. Son talent d'administration, son sang-froid dans les circons- tances les plus critiques, son courage, sa fermeté, et surtout une sérénité et une bonté de cœur inaltérables, avaient fait de lui un missionnaire hors ligne. Il servit de trait-d'union entre la grande ère des persécutions et celle de la liberté religieuse ; son passage sur la terre de Chine fait époque. ANCIENNE RÉSIDENCE DU PÉ-T'ANG. DYNASTIE DES TS'ING. 23; Cependant les œuvres continuaient de progresser dans les environs de Péking, et plusieurs églises étaient construites ; l'une, sous le vocable de Saint-Pierre, à 18 lieues sud-ouest de la capitale ; l'autre, dédiée à la Sainte-Croix, dans la ville de Suen-hoa-fou. Un monument de plus grande importance, l'église de N.-D. des Vic- toires, s'élevait en même temps dans la ville de Tien-tsin, sous la direction du Frère Marty, Lazariste ; cette construction avança rapidement. Le ministre de France avait prié 1 evêque de rétrocéder au gouvernement français une partie de la résidence des missionnaires de Tien-tsin, pour y établir le consulat. La mission devait cet empla- cement aux armes françaises, elle consentit à le partager, et la partie est avec les bâtiments qui s'y trouvaient devant l'habitation du consul ; à côté du pavillon français s'éleva la belle façade de N.-D. des Victoires. Entièrement terminée à la fin de 1S69, bénite très solennellement par 1 evêque en présence du consul et des autorités chinoises, elle ne devait durer que quelques mois ! Deux excellents missionnaires furent chargés de cette nouvelle église : M. Claude- Marie Chevrïcr, né le 13 août 182 1 à Vanneau de Vieillezire, paroisse de Saint-Jodardans le diocèse de Lyon, fut d'abord soldat et envoyé dans la Guyane, où il devint sous-officier. Son service militaire achevé, il continua ses études ecclésiastiques et reçut la prêtrise. Nommé vicaire à Batna près de Constantine, puis curé à Lambesse, il entra, le 22 novembre 1S5S, dans la Congrégation de la Mission ; le 1 2 août de l'année suivante il partit pour la Chine, où il travailla dans la Mongolie. Ce vicariat ayant été cédé aux Belges en 1S64, M. Chevrier passa dans celui de Péking, et fut nommé procureur à Tien-tsin en 1S66. Il y resta quatre ans ; très zélé, plein d'amabilité, de prudence, bon missionnaire et bon Français, il ne compta jamais que des amis. Son confrère M. Ou était né à Canton en 1821. Ses études terminées à Macao, il fut ordonné prêtre en 1846 et envoyé en Mongolie, où il resta 20 ans. C'était un homme de valeur et d'une grande piété. PORTE DE LA RESIDENCE DE SUEN-HOA-FOU. IV Vers la mi-mai 1870, des bruits alarmants commencèrent à circuler : des enfants avaient disparu, volés, disait-on, par des gens à la solde des missionnaires ; les Sœurs en avaient tué pour préparer avec leur cœur et leurs yeux des charmes et des remèdes européens !... Le 4 juin, une bande de fanatiques, excitée par ces rumeurs malignement répandues parmi le peuple, voulut voir si véritablement on arrachait les yeux des enfants ; elle se rendit au cimetière situé sur les bords du Pè-ho, et déterra une douzaine de petits cercueils. Ces petits squelettes, depuis lonotemps enterrés, n'avaient plus que les os et quelques cheveux ; on en conclut que les Sœurs leur avaient enlevé les yeux ! A côté de ces cercueils se trouvait la tombe du capi- taine Joly, recouverte d'une pierre portant son nom et d'une croix : elle fut brisée ! 236 PEKING. Les violations de sépultures sont toujours fort graves en Chine ; à ce moment, étant donnés les bruits qui se propageaient, celle-ci était plus sérieuse encore; cepen- dant on ne put obtenir réparation, et les violateurs restèrent impunis. Aussi dans la quinzaine qui suivit, des attroupements se formèrent, des insultes partielles furent infligées aux Européens, et des bruits sinistres, des menaces de mort se firent entendre dans la ville. Les chrétiens avertirent M. Chevrier, directeur de la mission, qui lui-même en informa M. Fontanier, consul de France. La paix parfaite qui régnait depuis huit ans, le respect que la population avait toujours témoigné pour les missionnaires et les Sœurs, sembla au consul un motif raisonnable de ne pas trop s'effrayer ; qui eût jamais pu soupçonner ce qui allait arriver ! Le 20 juin, une troupe malveillan- te se rassembla sur le quai de la mis- sion et du consu- lat ; plusieurs in- dividus lancèrent des pierres et des briques contre ces résidences; la nuit seule les dispersa. Mais le lendemain 2 1, dès 9 heures du matin, on en- tendit résonner le gong,çX. des attrou- pementsplus nom- breux se formè- rent ; à la foule évidemment hos- tiie se mêlaient des soldats, des gardes nationaux, des compagnies I. I.gl i-ie de N.-D. des Victoires. — 2. Consulat de France. — 3. Résidence des mission- entières de DOlTi- 11 ■m I- Yamen du vice -mi. — 5. Établissement des sœurs. — 6. Pont de bateaux. — . r>- » J 7. Cimetière des enfants. — A A' Canal impérial. — P P' 1" Meuve Pc ho. piers. rJientOt des projectiles de tout genre volent contre les fenêtres ; un envahissement paraît inévitable. Arrivent en ce moment le préfet et le sous-préfet de Tien-tsin, pour faire, disent-ils, une enquête dans le but de calmer la population. Reçus poliment par M. Chevrier, conduits par- tout, ils examinent, interrogent les domestiques, avouent ne rien trouver de com- promettant et prennent congé. Ces deux mandarins devaient rassurer la populace, la faire écouler lentement.. ; au lieu de prononcer un mot, un seul mot qui eût évité le malheur, alors bien facile à prévoir, ils remontent dans leurs chaises et s'en vont à leurs tribunaux, abandonnant la mission et le consulat à la merci des furieux ! Pendant cette visite des autorités, M. Fontanier, en grand uniforme, était allé chez le gouverneur général Tck'oung-keou, pour l'informer de ce qui se passait. Ce haut mandarin lui dit qu'il ne pouvait rien et l'engagea fortement à ne pas quitter le tri- bunal, disant : i Ici, je réponds de votre vie. » M. Fontanier bondit d'indignation et MASSACRES DE TIEN-TSIN ; PLAN TOPOGRAPHIQUE. DYNASTIE DES TS'ING. 237 répondit: « Vous, mandarin chinois, vous agiriez peut-être ainsi, mais je vais vous faire voir qu'un Représentant de la France ne craint pas la mort. > Il sortit alors avec son chancelier, M. Simon, mais il ne tira point un coup de pistolet, comme les Chinois l'ont raconté plus tard. Tcli oung-heou joua le rôle de Pilate et laissa faire. Près de son palais, en effet, se trouvait une caserne de ) 'ang-ts 'iang-toui (soldats armés à l'européenne) qui dépendait de lui ; ces soldats auraient pu voler au secours de la résidence sur un signe, mais Tek' oung-heou ne le rit pas! M. Fontanier n'ignorait pas les dangers qu'il allait courir ; près du gouverneur on n'eût pas osé le tuer, mais c'était un Français, il ne déserta pas son poste. Pour revenir au consulat, il avait a suivre le chemin qui longe le canal impérial, che- min qui n'a guère plus de i mètre 50 de largeur ; il se fit place le revolver en main et arriva sur le quai devant la porte de la mission. En route on lui avait déjà jeté des pierres et des briques ; lui et M. Simon avaient la figure ensanglantée, et leur marche était vacillante. Le sous- préfet sortait alors de la mission et re- montait dans sa chaise ; M. Fontanier l'interpella en lui disant : « Que faites- vous ? Défendez-nous, parlez à cette foule et ne partez pas ! » L'autre répondit : « O110 pou kouan » (Je ne m'en occupe pas). C'est alors que le consul exaspéré fit feu sur le mandarin, qui du reste ne fut pas atteint ; la balle frappa un de ses gens au milieu du front; il y eut une recu- lade dans la foule au coup du revolver. M. Fontanier menaçant de son arme quiconque s'opposait à sa marche, M. Si- mon, avec son sabre de cavalerie, ouvrant la route, l'un et l'autre parvinrent à la porte du consulat, que le peuple envahis- sait. Voici ce qui s'y était passé : Quel- ques jours auparavant, M. Thomassin, chancelier de la Légation de France à Péking, était arrivé avec sa jeune femme et logeait au consulat ; les barques qui devaient les conduire à la capitale avaient été louées et chargées, elles étaient amarrées au quai le matin du 21 ; M. Fontanier s'étant, comme nous l'avons dit, rendu chez le gouverneur, M. Thomassin se mit en travers de la porte du consulat un revolver à la main, et, par son attitude énergique, maintint la foule près d'une heure ; sa femme était à dix pas derrière lui, près d'une petite colline artificielle en rocailles, ne pouvant se décider à s'éloigner de son mari. Telle était la position, quand un enfant d'environ 15 ans jeta une brique qui attei- gnit M. Thomassin au visage ; celui-ci, ne voulant pas faire usage de son arme contre le jeune agresseur, fit un pas en avant pour lui donner un soufflet ; ce pas fut fatal ; la porte dégagée un instant fut envahie par la foule, et les égorgeurs massacrèrent LE SOUS-PRÉFET AU [OMENT DES MASSACRES. 238 PEKIN G. Mme Thomassin ; son mari, accouru à son secours, tomba percé de coups sur le corps de sa femme. Un quart d'heure avant, la porte de la mission, très solide.avait enfin cédé sous les coups réitérés des assiégeants ; M. Chevrier et M. Ou Vincent, prêtre chi- nois, se retirèrent alors dans l'église et la fermèrent, les domestiques s'échappèrent par le mur du nord. Les deux Lazaristes se confessèrent mutuellement et se donnèrent la dernière absolution, puis, voyant que la barricade cédait, ils se réfugièrent au con- sulat, en passant par une fenêtre de la sacristie qui donnait sur le jardin. M. Chevrier et M. Ou se trouvaient du côté nord-ouest de la petite montagne rocailleuse pen- dant que Mme Thomassin se tenait vers le versant sud-est ; ils furent massacrés en même temps. Quelques minutes après, M. Fontanier et M. Simon succombaient entre la porte dTentrée et le monticule en rocailles. Toutes les victimes furent donc immolées dans l'intérieur même du consulat : M. Fontanier reçut un coup de sabre à deux mains qui lui fendit le visage, et de plus un coup de lance et un coup de stylet dans le flanc gauche ; M. Simon fut TYPES D'ÉGORGEURS. écharpé en se défendant, M. et Mme Thomassin tailladés à coups de sabre, les deux missionnaires eurent le ventre ouvert, puis les cadavres furent jetés dans la rivière qui, en cet endroit, a plus de 17 mètres de profondeur. Le feu, mis à l'église et au consulat, dévora tout en quelques heures ; cependant la croix domine encore la tour, car l'escalier en bois qui conduisait au sommet, brûla en entier avant que personne pût monter pour arracher cette belle croix dorée. Tout fut pillé par la populace ; les égorgeurs, évidemment salariés, ne restèrent pas un instant après avoir terminé leur œuvre et partirent aussitôt pour aller chez les Sœurs de Charité : il était alors deux heures de l'après-midi. Tout avait été certainement calculé d'avance ; en effet, pour aller de la mission a la maison des Sœurs, il fallait traverser le canal impérial sur un pont de bateaux situé devant le palais du gouverneur. Le pont une fois ouvert, personne ne pouvait passer ; mais on le tint fermé, et un mandarin à cheval, Tchcn°-kouo-joui, resta sur le pont pour en empêcher l'ouverture, jusqu'à ce que les égorgeurs eussent tous passé. Ils n'étaient que 200 au plus, et avaient eu soin de se barbouiller la figure avec de la suie et de la chaux, pour empêcher qu'on ne les reconnût. Moins d'une demi-heure DYNASTIE DES TS'ING. 239 après les massacres du consulat, ils arrivaient ivres de sang et de vin chez les pauvres Sœurs. Sans nouvelles de la mission, les Filles de la Charité avaient vu de loin les flammes de l'incendie et avaient entendu autour de leur établis- sement toutes les boutiques se fermer subitement, sur un ordre venu on ne sait d'où. Il ne leur restait plus guère d'espoir que dans le bon Dieu ; aussi s'étaient-elles toutes réfugiées à la chapelle. Là, avec leurs orphe- lins et orphelines, elles attendaient les événements, après s'être commu- niées elles-mêmes pour ne pas laisser profaner le Saint-Sacrement. La porte de l'établissement fut vite enfoncée, les Sœurs, en partie du moins, §J étaient sorties de la chapelle ; la supérieure, Sœur Marquet, prononça 71 ces quelques paroles : « Que voulez-vous de nous ? nous ne faisons que ' du bien, ne faites pas de mal à nos enfants ; » elle n'avait pas achevé qu'un coup de sabre lui fendait la tête ; six Sœurs qui l'entouraient furent per- cées de coups de lance et tailladées à coups de sabre ; la septième, sortie par la sacristie, fut massacrée un instant après sous une véranda ; quant aux deux autres chargées des tout petits enfants, elles avaient voulu les sauver en les cachant sous la chapelle, où une vaste cave avait été ménagée ; elles furent égorgées et brûlées. Pas une ne fut jetée dans le fleuve, mais leurs corps disparurent, coupés en morceaux ou réduits en cendres ; les Chinois en emportèrent même des lambeaux au bout de leurs sabres et de leurs lances. La rage des égorgeurs était telle, qu'en un instantils n'eurent plus devant eux que des cadavres. On n'en voulait qu'aux Sœurs et non aux enfants, qui furent conduits chez le sous-préfet avec de bonnes chrétiennes qui aidaient les Filles de la Charité dans leurs travaux. Cependant quelques-uns périrent sous la chapelle, étouffés par la fumée de l'incendie; comme il y avait peu à pil- ler, le feu fut mis presque de suite à tous les bâtiments. Un commerçant, M. de Chalmaison, vivait avec sa femme assez loin de l'établissement des Sœurs, mais plus loin encore des concessionseuropéennes. Ce brave Français avait voulu courir au secours de l'orphe- linat, et c'est dans le trajet I. SABRE D'EXÉCUTIONS. — 4. GRAND SABRE EMMANCHÉ. 2. ÉPÉE A DEUX MAINS. - 3. ÉPÉE COURTK. — — 5. LANCE EN BAMBOU NOIR DE CINQ MÈTRES. IT.O PEKING. qu'il fut massacré ; sa femme, qui s'était échappée, fut trouvée vers le soir sous le petit pont d'un égout à jour où on la tua. Enfin deux Russes, MM. Protopopoff et Bazoff furent massacrés dans leurs chaises à porteurs avec Mme Protopopoff qui n'avait que 16 ans. Les Chinois firent des excuses pour ces trois victimes, en disant « qu'on les avait pris pour des Français ! S> Dès le lendemain des massacres, le 22 juin, la nouvelle en était donnée à Péking, où elle plongea tout le monde dans un profond étonnement et dans une grande dou- leur. On ne voulait pas y croire d'abord, mais les détails arrivèrent bientôt, il n'y eut plus moyen de douter. Des attroupements se formèrent quelques jours après, le 25 juin, devant la cathédrale du Pé-t'ang; le provicaire, M. Thierry, écrivit alors au Chargé d'affaires de France, M. le comte de Rochechouart, qui interrogea le prince Koung, Celui-ci, par dépêche officielle, affirma qu'il répondait de tout et que les Sœurs pouvaient continuer à vivre en paix. Il ne faut pas oublier qu'alors le télégraphe n'était construit que jusqu'à Kiachta, et une dépêche n'arrivait de Paris à Péking qu'après 16 jours! C'est la malle anglaise, partie le 1 er juillet, qui apporta en Europe les premières nouvelles écrites ; mais un télégramme expédié de Péking le 22 juin aurait dû être reçu en France vers le 10 juillet. Le jour des massacres, un seul navire se trouvait en rivière ; il précipita son retour à Chang-/iac, et bientôt quelques canonnières arri- vèrent. Le 12 juillet, le Chargé d'affaires de France se décida à descendre sur les lieux des massacres avec deux mission- naires, sur une barque escortée par un piquet de soldats qui suivaient la berge du Pc-ko. On arriva le 15 vers midi, et le comte de Rochechouart se rendit tout d'abord chez le gouver- neur de la ville avant d'aller sur les concessions; ce gouverneur était toujours Tclioung-heou, qui ne fut remplacé que plus tard par le fameux Tseng-kotio-fan. Le 18 au matin, le représentant de la France pria les missionnaires d'aller visiter les ruines et casse-tête. de lui faire un rapport. Ils partirent avec le nouveau préfet nommé Jl/a et les autorités de Tien-tsin. Sur la route, ils furent plusieurs fois arrêtés par des groupes de notables et de mandarins de Ier, 2e et 3e rang, qui les supplièrent de ne pas laisser brûler la ville par les canonnières. Dans l'établissement des Sœurs, le plus rapproché de la concession, tout avait été saccagé et brûlé ; on voyait des pans de murs noircis par le feu, des lambeaux de vêtements, des souliers d'enfants, des débris de statues pieuses et aussi quelques plaques roussâtres semblables à de la rouille, qui paraissaient être du sang ; c'était navrant ! Les missionnaires montèrent ensuite sur une barque pour aller visiter le consulat et la mission, car une foule immense remplissait les rues et rendait le pas- sage impossible. Au Ouang-liac-leou les ruines étaient sinistres, mais l'effet moins saisissant ; il y avait eu, ce semble, moins d'acharnement sur cet établissement que sur celui des Sœurs. L'église restait encore debout, la toiture et les colonnes man- quaient seules ; le feu avait fait de longues lézardes dans les murs, mais la façade était intacte. Plusieurs menus objets, entre autres le sceau du consulat, furent plus tard retrouvés. Revenus en barque jusque sur les concessions, les missionnaires écrivirent un rapport détaillé que M. de Rochechouart expédia en Europe. Le lendemain, ils durent s'occuper au plus vite des orphelins, toujours en prison chez le sous-préfet. Les Chinois offrirent un bâtiment qui jadis avait servi de douane : on l'accepta à titre de prêt, et le surlendemain, 20 juillet, les enfants revinrent dans deux bateaux. DYNASTIE DES TS'ING. 241 Les sœurs donnaient leurs soins à 1 20 enfants, 80 seulement furent rendus; mais peu à peu on retrouva les autres, à part une douzaine des plus petits, étouffés dans l'incen- die. On avait volé garçons et filles, autant qu'on avait pu, plusieurs ne furent rendus que 4 ou 5 mois après. Tout ce petit monde fut installé tant bien que mal, sous la surveillance de quelques bonnes femmes chrétiennes, dans le logement concédé. Les autorités donnèrent des sol- rt dats pour garder les enfants et ne laisser entrer personne ; les missionnaires y ajoutèrent deux chiens mongols pour garder les soldats. Les uns habitaient en dehors de la porte, les autres en dedans ; c'était prudent. Les autorités chinoises, voyant arriver les canonnières, crai- gnaient un bombardement. En effet, il y avait à quai deux canon- nières anglaises : le Dwarf et YA- von ; cinq canon- nières françaises : la Flamme, la Cou- leuvre, X Aspic, le Scorpion, le Fre- lon ; enfin une ca- nonnière améri- caine, XAshulot, MM. Vi- vielle, de la Jaille, de Sal- landrouze étaient là ; ils sont tous amiraux aujour- d'hui. Le Linois, grand aviso, ne pouvant remon- ter la rivière, avait jeté l'ancre sur la barre de Ta- koit, et son vaillant capi- taine, M. Levoile, amena à Tien-tsin ses meilleurs hommes et une pièce de débarquement. Tous dési- raient l'action, mais la di- plomatie travaillait à tout terminer pacifiquement. M. le comte de Rochechouart demandait une réparation pécuniaire considérable; sur ce point peu de difficultés, mais il voulait de plus les têtes du préfet et du sous-préfet, qu'on refusa énergiquement. Un ultimatum fut envoyé et resta sans effet ; on dut se contenter de voir condamner les deux mandarins à l'exil, exil du reste assez bénin et d'où, plus tard, ils revinrent pour être réintégrés dans leur grade. Plusieurs des coupables furent simplement mis à la cangue, et une vingtaine de gens sans aveu, déjà, dit-on, condamnés à être décapités en octobre, Péking. 16 242 PEKING. consentirent, moyennant un beau cercueil, un bon dîner et 500 taëls pour leurs familles, à être exécutés tout de suite. Tout cela réglé, M. le comte de Rochechouart avisa les missionnaires qu'on allait procéder à l'enterrement des victimes. En effet, le 2 août au matin, les cercueils, déposés au cimetière anglais le lendemain du massacre, furent déterrés. Pour repêcher les corps jetés à la rivière, on avait, dès le 22 juin, tendu un grand filet au sud des concessions euro- péennes, près d'un navire de Hambourg, XAltona; quel- ques jours après les corps y avaient été retrouvés ; M. Fontanier, reconnu seulement à ses chaussettes mar- quées H. F., M. Simon un peu moins défiguré, M. et Mme Tho- massin et les missionnaires, presque coupés en deux. De nouveaux cer- cueils avaient été pré- parés ; on y déposa les premiers sans les ou- vrir, puis, recouverts de draperies noires et blanches, ils furent chargés sur des cha- lands remorqués par deux canonnières. On arriva au Ouang hae-kou. Les au- torités chinoises, Tciï oung-heou en tête, s'y trouvaient déjà ; le Chargé d'affaires de France fit un discours, l'amiral français un autre ; le provi- caire dit ensuite quelques mots et bénit les fosses, où chaque cercueil fut descendu. A droite, côté du sud plus proche de la rivière, M. Fon- tanier seul, M. et Mme Thomassin, M. et Mme de Chalmaison, enfin M. Simon seul. A gauche, côté du nord, M. Chevrier et M. Ou, deux Sœurs, puis encore deux Sœurs et enfin une tombe de Sœurs! On avait pu recons- tituer les corps de quatre Sœurs en prenant une tête et des membres épars, le dernier cercueil ne contient que des débris humains ; c'est tout ce qui restait des dix Filles de la Charité massacrées ! Voici leurs noms: i° Marie-Thérèse Marquet, belge, supérieure ; 20 Marie- Pauline Viollet, française ; 30 Marie-Clorinde Andkéoni, italienne; 40 Marie-Josèphe Adam, belge, 50 Marie-Anne Pavillon, française ; 6° Amélie-Caroline Legras, française ; 7° Marie-Séraphine Clavelin, française ; 8° Marie-Anne-Noémi Tillet, française;- 90 Marie-Angélique Lenu, française ; io° Alice O'Sullivan, irlandaise. Après cette 1 1 \k.UÉS A L'EUROPÉENNE. (YANG-TS'IANG-TOUI). DYNASTIE DES TS'ING. 243 cérémonie, on revint aux concessions, et le 4 août, M. de Rochechouart fit appeler un missionnaire sur la Flamme où il se trouvait et lui dit : « La guerre est déclarée entre la France et la Prusse. » Le télégramme adressé à M. Leviston, parti de Lon- dres le 19 juillet, était arrivé à Tien-tsin en 16 jours, le 4 août au matin. Comme on le voit, tout était absolument terminé avant qu'on eût connaissance de la déclaration de guerre. Le Chargé d'affaires de France repartit alors pour Péking. Les nouvelles d'Europe étaient de plus en plus mauvaises, les missionnaires pas- sèrent de tristes jours avec les excellents commandants, désolés de se voir si loin quand l'ennemi foulait le sol de la France ! Mgr Delaplace, nommé vicaire apostolique de Péking, arriva le 30 octobre ; par une lettre très digne du 3 janvier 1871, il refusa toute indemnité pour les victimes, et accepta seulement la somme offerte pour reconstruire l'église et les établissements. Peut-être désirerait-on connaître les causes de ces horribles massa- cres. On a invoqué l'imprudence des Sœurs ; or, depuis huit ans elles étaient vénérées et respectées par tout le peuple, allaient dans les rues de la ville, souvent assez loin, avec leurs voitures, sans que jamais une insulte leur eût été faite. On a dit : Pourquoi achetait-on des enfants ? On n'achète pas les enfants, et quand ils sont apportés aux orphelinats, on exige un billet de la personne qui les a trouvés. On arrachait les yeux des enfants ! Ce conte que des gens mal intentionnés font courir parmi le peuple, on a tenté de l'appuyer en apportant à Tcliouitg- hcou deux rlacons remplis d'yeux d'enfants, trouvés chez les Sœurs. C'étaient... deux bouteilles de petits oignons en conserve!! Le coup avait été préparé, calculé ; les exécuteurs, grisés et payés ; les man- darins le savaient et auraient pu l'empêcher. Les seuls Français étaient condamnés ; le drapeau de la France a été jeté à la rivière, le consul de France massacré ; la nouvelle de ces méfaits n'est arrivée à Paris, a-ton dit, que le 20 juillet, la dépêche ayant été retardée pour une cause inconnue ! et ce jour-là, éclataient en Europe les événe- ments qui devaient mettre notre pays à deux doigts de sa perte. On oublia la Chine et les Chinois ! Mgr Delaplace donna l'ordre de reconstruire l'église et les établis- sements sur la concession française. L'ancienne chapelle des Sœurs fut provisoirement réparée, et à l'endroit où chacune d'elles est tombée, s'élève une colonne de marbre qui porte le nom de la victime. Les nouvelles constructions s'élevèrent rapidement, et l'église \ Saint-Louis fut terminée en un an ; sa façade est décorée de huit colonnedemarbke. colonnes monolithes en granit mesurant 7 mètres ; le travail en est fini et soigné. L'ancienne cloche, tombée de la tour en flammes et réparée, sert encore à appeler les fidèles aux offices. Vers cette époque, sur une réclamation venue du palais, le Tsoung-li ya-meu adressa à la Légation de France une dépêche pour demander la démolition des tours du Pé t'ang ; l'évêque de Péking partit pour la France le 1er novembre 1874, afin de traiter cette affaire. Un mois plus tard, le 7 décembre, avait lieu le passage de Vénus, que MM. Fleuriais et Lapied, officiers de marine, observèrent à Péking. Cet événement fut interprété d'une manière défavorable par le peuple de la capitale, et on s'attendit à la mort de l'empereur, qui était déjà malade et qui mourut en effet en janvier 1875. Les impératrices firent parvenir à la Légation de France une 244 PEKING. :$m\Qii!ll!i note où il était dit : « L'empereur étant mort, il ne sera pas donné suite pour le moment à l'affaire des tours du Pé-t'ang. » La jeune impératrice suivit de près l'empereur dans la tombe ; elle s'étouffa, dit-on, en avalant des feuilles d'or. L'impé- ratrice-mère (Si-t'ac-heou) resta ainsi seule régente et maîtresse absolue du pouvoir. Le règne de l'empereur T'oung-tche, mort à 20 ans, n'eut rien de remarquable, et cependant il fait époque, car pour la première fois l'audience impériale fut accordée aux représentants des puissances étrangères. On ne put obtenir l'entrée du palais proprement dit, et la cérémonie eut lieu au Tse-kouang-ko, grande salle de réception du jardin de l'ouest, voisin du lac attenant à la de- meure impériale. Après bien des pourparlers au sujet du cérémo- nial, il fut enfin réglé que les ministres se présenteraient en grand uniforme, l'épéede parade au côté, et ne seraient point as- treintsaux prostrations nommées K'o-{eou. Une partie du succès revient à l'ambassadeur du Japon, M. Soyesima, qui, prince-ministre des affaires étrangères de son pays, était arrivé sur un grand cuirassé et exigeaitune réception immédiate. Enfin, le décret sui- vant parut dans la Gazette de Péking. « Édit impérial : Le Tsoung-li ya-men m'avertit que les Ministres des différents roy- aumes demandent instamment à venir me saluer, pour me pré- senter les lettres de leurs souve- rains ; telle est la requête. Je permets à tous les Ministres qui ont des lettres de leurs souve- rains de me les remettre. Qu'on respecte ceci ! » L'audience, fixée d'abord au 22 juin, fut renvoyée au 29 ; pour éviter la chaleur, les ministres acceptèrent l'invitation de l'évêque, qui leur avait offert le Pé-t'ang pour revêtir leur uniforme. Ce jour-là, dès cinq heures du matin, arrivèrent à la résidence des missionnaires Leurs Excellences MM. de Geoffroy, ministre de France ; Vlan- galy, ministre de Russie ; Wade, ministre d'Angleterre ; Low, ministre des États- Unis, et Fergusson, ministre des Pays-Bas. Quant à S. E. M. Soyesima, qui était ambassadeur, le gouvernement chinois lui avait fait préparer un petit local d'attente et il devait entrer le premier en audience privée. Vers 6 heures S. E. TcE oung-heou, ancien ambassadeur chinois à Paris, vint au TCH OUNG-HEOU. DYNASTIE DES TS'ING. 245 nom de l'empereur prier les ministres de se rendre au palais. Leurs cinq chaises vertes partirent de la grande cour du Pé-t'ang avec nombre de chaises bleues affec- tées aux interprètes. Les différentes escortes française, anglaise et russe accompa- gnaient. Les rues avaient été interceptées de tous côtés, comme c'est la coutume en Chine pour les sor- ties de l'empereur ; ce qui n'avait pas empêché une foule immense de se porter sur le parcours ; plus de deux cents voi- tures, plus de trois mille spectateurs, dont l'attitude était du reste fort conve- nable, assistèrent au défilé. Dix minutes après, l'ambassadeur japonais, les cinq mi- nistres et les inter- prètes entraient au jardin-palais du Tse- kouang-ko, lieu fixé pour l'audience et sé- paré du Pé-t'ang par un simple mur. — L'empereur devait arriver vers six heu- res, mais des dépê- ches importantes re- çues le matin l'em- pêchèrent d'être ex- act, ce dont le prince Koung fit à plusieurs reprises des excuses au corps diploma- tique. Enfin, Sa Ma- jesté entra dans la salle du trône avant neufheures.et monta sur une estrade éle- vée de trois mar- TSENG-KOUO-FAN. ches, où se trouvait un siège splendide devant une grande inscription en marbre me ; elle s'y plaça, ayant à sa droite et à sa gauche les princes du sang, devant elle une grande table jaune, au bas de l'estrade les principaux ministres chinois, et autour de la salle sa garde noble. S. E. l'ambassadeur japonais entra le premier, et son audience spéciale dura cinq minutes à peine, le temps de remettre ses lettres de créance ; puis les ministres euro- péens s'avancèrent en faisant trois grands saluts, comme il avait été convenu. 246 PEKING. M. Vlangaly, doyen du corps diplomatique, lut d'abord en français une adresse commune à l'empereur, adresse que l'interprète traduisit de suite en chinois ; alors le prince Koung, montant les gradins du trône, se mit à genoux et en fit une tra- duction tartare à l'empereur, puis chacun remit ses lettres dans leur sachet ou enve- loppe de velours brodé d'or. L'empereur, toujours par l'entremise du prince Koung, dit alors « qu'il recevait avec plaisir ces lettres de créance ; qu'il espérait que la paix entre la Chine et les différents royaumes d'Europe ne serait pas troublée ; qu'il priait les ministres de présenter ses remerciements à leurs souverains ou présidents.» Tout fut terminé en un quart d'heure environ, puis chacun se retira après les trois saluts fixés dans le cérémonial. Une audience spéciale était bien due au représentant de la France : Tck'oung heou avait présenté, il est vrai, au Président de la République les excuses du gouverne- ment chinois, mais dans un moment si pénible, que la France, occupée à panser ses blessures, ne pouvait songer à exiger davantage. A l'occasion de cette première et solennelle audience, M. de Geoffroy lut à l'empereur une adresse sur les tristes évé- nements de Tien-tsin pour bien faire comprendre à la Chine que le pays qu'il repré- sentait n'avait rien oublié. Les audiences générales et particulières étaient donc accordées ; les ministres furent encore reçus dans la suite au Tse-kouang-ko, et même dans un autre local, mais l'entrée du palais resta interdite. Il fallut attendre plus de dix ans, profiter de circonstances exceptionnelles, et montrer une énergie peu commune pour obtenir enfin l'accès du vrai palais impérial. \'. MiÀ -h, I. L'EMPEREUR KOUANG-SU. LES FILLES DE LA CHARITÉ. EGLISE SAINT-JOSEPH (tOUNG- T'ANG). MORT DE MGR DELAPLACE. CONGRÉGATION DE SAINT-JOSEPH. TRAPPISTES. II. GUERRE DU TONKIN. MGR TAGLIABUE. LE TRANSFERT DU PÉ-t'aNG. CONVENTION. DÉCRET IMPÉRIAL. INAUGURATION. rand fut l'émoi à la mort de Toiaig-Uhe, qui ne laissait pas d'héritier direct. La compétition des princes permit à l'impératrice-mère de choisir elle-même le nouveau souverain ; son choix se porta sur l'enfant de sa sœur qui avait épousé le 7e prince, frère cadet du prince Koung. On accepta le nouvel empe- reur, et la régence fut établie jusqu'à sa majorité. Dans les années qui suivirent, les établis- sements religieux furent reconstruits et augmentés dans de grandes proportions. Les Sœurs de Charité, ramenées à Tien-tsin, ouvrirent un grand hôpital pour les Européens et les Chinois. Cet hôpital a déjà rendu d'immenses services, car le port de Tien-tsin est très fréquenté, et jusque là officiers ou matelots n'avaient eu personne pour les soigner. Une chapelle fort grarkie fut construite pour cet hôpital ; elle a 100 pieds de long et une façade élé- gante. Chaque année le dispensaire seul fait plus de 30.000 pansements et reçoit plusieurs centaines de malades. A Péking également, un hôpital du même genre fut ouvert, ainsi qu'un troisième dispensaire chez les Sœurs, près du Pé-t'ang. Bon an mal an, il passe par les mains des Sœurs de Charité plus de 100.000 malades ou blessés. Les orphelinats se multiplièrent aussi, et les enfants assistés, nourris, logés 248 PEKING. l'impératrice-mère (si-t'ae-heou). dans ces divers établissements, dépassent le nombre de 2.000! Quant aux écoles gratuites fondées par la mission, plus de 7000 en- fants les fréquen- tent, païens et chrétiens y sont reçus indistincte- ment. Une église manquait encore dans la ville de Péking, et dès son arrivée Mgr Delaplace n'eut rien tant à cœur que de la cons- truire. Au Toung- t'ang , ancienne église Saint-Jo- seph, le terrain seulavaitété ren- du, terrain bien situé du reste, près de la porte Toîing- hoa - men, sur une grande rue. Il fallait que cette église fût assez vaste pour contenirles 2.000 chrétiensquitous les dimanches et fêtes fréquentent assidûmentla pa- roisse. Faute des fonds nécessaires, es travaux n'a- vancèrent que lentement ; com- mencée en 1880, elle ne fut termi- née qu'en 1884. Cette église me- sure 70 mètres DYNASTIE DES TS'ING. 249 de long sur 20 mètres de large et autant de hauteur sous voûte. Seize colonnes d'ordre ionique fleuri supportent les poutres de la charpente : les chapiteaux sont en vieil or. Ces colonnes n'ont pas moins de 50 centimètres de diamètre, sur une hauteur de 17 mètres; elles sont en pin rouge de l'Amour. La voûte est cintrée et divisée en caissons ornementés. Le maître-autel, tout en marbre de Naples, est décoré de colonnettes et de divers motifs en émail cloisonné, dus à la générosité de M. de Sémallé, Chargé d'affaires de France. La façade rappelle de loin l'église de la (( Trinité » à Paris, mais elle a trois coupoles, dont la plus élevée mesure 30 mètres. Les cintres, la rosace et les frises sont en marbre, ainsi que les chapiteaux des pilastres ioniques qui la décorent. Toute l'église est bâtie en briques impériales de 25 kilos chacune. Une cour ne mesurant pas moins de 35 mètres de. côté précède le monument, et une grande porte donne accès sur la grand'rue. Mgr Delaplace eut la consolation de bénir solennellement cette église ; quelques jours après, cet évêque tomba malade et ne se releva plus ; le 24 mai 1884 il mou- rut au Pé-fajio-, entouré de ses confrères. Mgr Delaplace n'était pas un homme ordi- naire ; né à Âuxerre (Yonne) le 21 janvier 1820, il avait été sacré évêque en 1852. Pendant les 3S années qu'il passa en Chine, il se fit ^w5 remarquer par de précieu- ses qualités d'administra teur, et rendit bien des ser- vices non seulement aux M issionset aux Européens, mais encore aux Chinois. Attaché comme aumônier aucorps franco-chinois for- mé dans le sud contre les rebelles, il obtint pour ce ^ re- fait plusieurs récompenses porte du monastère de trappistes. du gouvernement ; entre autres, deux décorations, l'une d'argent l'autre d'or, en forme de gourdes et ornées de dragons avec caractère chinois. Un jour au Tsoung-li ya-men, un mandarin demandait à Mgr Delaplace ce que c'était. Le prince Koung irrité lui dit : « Vous devriez savoir que l'évêque a été récompensé pour ses mérites et qu'il est mandarin de l'empire. » Les funérailles de Mgr Delaplace furent magnifiques ; tous les minis- tres des puissances étrangères y assistèrent. Sa tombe est au cimetière français. Durant son administration, deux œuvres nouvelles prirent naissance dans le vicariat de Péking. Les Sœurs de Charité avaient été tuées à Tien-tsin, menacées ailleurs ; leur nationalité, leur costume les faisaient remarquer ; il leur était bien difficile d'aller dans l'intérieur, prendre soin des écoles et des orphelinats, comme elles le font dans les grandes villes ou ports ouverts. Mgr Delaplace voulut assurer pour l'avenir toutes ces œuvres et fonda la Congrégation chinoise dite de Saint- Joseph. Les personnes qui en font partie donnent leurs soins aux enfants, surtout dans la province. Leur maison-mère qui est à Péking pourvoit au personnel de sept autres établissements, et compte 60 membres ; l'existence de cette Congrégation est assurée par une fondation. La seconde œuvre est l'établissement des Trappistes en Chine. On acheta une propriété dans les montagnes de l'ouest, propriété qui, en suivant la crête des col- lines, mesure environ 30 kilomètres de pourtour, mais renferme peu de terres culti- 250 PEKING. vables ; on y construisit quelques bâtiments, laissant aux futurs Trappistes le soin de faire le reste, selon leur goût et leurs règles. Le 2 i février 1 8S3, la Trappe de Sept-fonds acceptait la fondation, et un mois plus tard, quelques Trappistes arrivaient en Chine. Le nouveau monastère reçut le nom de Notre-Dame de la Consolation. Les débuts furent pénibles, mais bientôt de nombreux novices se présentèrent. Le R. P. Bernard fut nommé prieur, puis abbé mitre ; actuellement plus de 50 Trappistes prient et travaillent selon leurs constitu- tions ; les trois quarts sont chinois. Au milieu de cette Chine remplie de couvents de bonzes peu respectables et peu respectés, il était bon, comme l'écrivait Son Éminence le cardinal Siméoni en approuvant l'œuvre, «d'opposer la véritable règle austère des Trappistes à l'austé- rité fardée des Lamas et des Bonzes ». Ces religieux travaillent ; on les voit partir la pioche sur l'épaule, leur abbé en tête, pour les champs et la montagne ; ils ont exécuté déjà des travaux considérables, détourné un torrent, tracé des routes et construit un vaste monastère entouré de murs. Une fois seulement, des rumeurs se répandirent contre eux ; elles avaient pour cause quelques coups de mine qu'ils avaient dû faire éclater ; le mandarin de Suen-hoa-fou se rendit sur les lieux, exa- mina tout par lui-même. Il fut reçu avec affabilité, mangea et coucha chez les religieux ; depuis ce temps, jamais le moindre trouble n'a interrompu la paix de ce monastère. II Peu après la mort de Mgr Delaplace, la guerre de l'Annam éclata. Les droits de protectorat sur l'Annam et le Tonkin ne pouvaient être contestés à la France, mais la Chine voyait avec peine un voisin européen venir s'implanter au sud de son empire, quand un autre voisin, le Russe, touchait déjà au nord ses frontières. Après bien des pourparlers qui n'aboutirent pas, on dut recourir à la force, et la Légation de Péking fut abandonnée ; le pavillon amené, l'écusson enlevé, les diplomates prirent le chemin du sud. Peu de jours après, des nouvelles de Fcm-tcheou arrivèrent ; en quelques minutes, l'amiral Courbet avait anéanti la flotte chinoise. Péking eut peur! Dans une seule journée, plusieurs télégrammes et courriers venus des bords de la mer depuis Ta kou jusqu'à Ckang-haè-kouan, répétaient : « L'amiral Courbet arrive !» La panique dura peu et, la flotte- française ne remontant pas au nord, on reprit courage. En effet, la Chine est grande, et les coups portés dans le sud ne font pas beaucoup d'impression sur la cour, que le voisinage seul du danger est capable d'émouvoir. L'empereur ne regarda point la guerre comme sérieuse, et Péking fut plus tranquille que jamais. Le 7e prince, père de l'empereur, qui prêtait son concours à l'impératrice-mère dans la régence, avait, au début des hostilités, lancé un décret portant que, « les mission- naires ne s'occupant pas de politique, il fallait les laisser en paix, ainsi que leurs chrétiens ». La nouvelle du prétendu désastre des Français à Langson arriva ; les Chinois voulurent faire accroire qu'ils étaient vainqueurs, mais personne, pas même eux, ne se fit illusion. Enfin, un traité fut signé à Tien-tsin le 9 juin 1885, par S. E. M. Patenôtre. La France gardait le Tonkin et s'établissait aux confins du Yun-nan. Ce qui peina le plus la Chine, ce fut le bris du sceau impérial donné au roi d'Annam par l'empereur, et la prohibition faite aux Annamites d'aller chercher le calendrier à Péking ; c'est-à- dire, la suzeraineté nominale de la Chine perdue pour jamais. DYNASTIE DES TS'ING. 251 En 1885, Mgr Delaplace eut pour successeur Mgr Tagliabue, qui travaillait en Chine depuis $3 ans- H continua avec zèle les œuvres commencées. Vers cette époque, la fameuse question des tours de l'église du Pé-tang se présenta de nouveau, cette fois considérablement grossie ; en voici la cause : L'empereur allait atteindre sa majorité, se ma- rier et prendre en mains les rênes de l'État. L'impératri- ce-mère, la célèbre Si-taè-keou, devait alors, selon la cou- tume, sortir du pa- lais et céder la place à la nouvelle impératrice. Les princes et les hauts mandarins étaient fort embarrassés ; on ne pouvait éloi- gner une impéra- trice de cette va- leur, qui était cer- tainement appelée à rendre encore d'immenses servi- ces. Après bien des pourparlers, l'im- pératrice- mère, comprenant la si- tuation mieux que personne, déclara qu'elle sortirait du palais pour se lo- ger au Nan-haè qui y est attenant. Les trois lacs, le pont et le Tse- kouang-ko passe- raient à son usage personnel; déplus, le Pé-t'ang devait léon xm (dessiné par un chinois.) être réuni aux jar- dins impériaux. On enclorait en outre dans les murs de l'enceinte réservée, toutes les maisons avoisinant le Pé-t'ang, et où logeaient plus de 2.000 familles chinoises. C'était un ultimatum, il fallut en passer par là, sous peine de voir les plus graves difficultés surgir lors de la majorité et du mariage de l'empereur. On commença par fermer le fameux pont de marbre ; ce qui gêna la circulation de toute la ville, mais peu importait ; on expropria toutes les familles chinoises en donnant à chacune 150 francs par chambre quelle qu'elle fût. On répara le Tse-kouang- ko, on construisit une superbe habitation ; bref, on dépensa sans compter. 252 PEKING. Tout cela n'était encore rien, la vraie, la seule difficulté sérieuse était le Pé-t'ang; c'était un bien de l'Église, et les Chinois le savaient parfaitement; K'an-si l'avait donné aux missionnaires, et la France en avait par ses armes obtenu la restitution. Le 7e prince prit l'affaire en mains et chargea le vice-roi Li-houng tchang de la traiter, lui promettant son appui et lui donnant plein» pouvoirs. On s'adressa d'abord au Pape, qui est le maître de tout bien de missions. Par télégramme, le Pape manda à Rome le plus ancien missionnaire de Péking, lequel lui présenta un projet de con- vention. Le gouvernement chinois promettait de donner aux missionnaires le Si-che- k'ou, nouvel emplacement plus vaste que l'ancien et situé de même dans la ville impériale. Il promettait de plus de donner toutes les sommes nécessaires à la recons- truction des bâtiments. Un édit imprimé dans la Gazette de Péking ferait connaître à toute la Chine que l'empereur ne chassait point les missionnaires, mais qu'au con- traire, forcé par la nécessité, il leur demandait leur établissement, faisant en échange le don impérial d'une autre propriété. La nouvelle église serait décorée sur son fron- ton des caractères Tche-kien, qui signifient «bâtie par ordre de l'empereur». D'autres articles de moindre importance étaient indiqués ; par exemple : le don du musée et des orgues à l'empereur, l'érection de pavillons de couleur jaune-impérial, et de stèles en marbre blanc pour perpétuer la mémoire de l'échange accompli. Le projet de convention ne fut pas rédigé sans peine ; ce n'est qu'après de longues discussions que le vice-roi consentit à laisser la mission dans l'enceinte de la ville impériale. On lui fit comprendre que K'ang si y ayant placé lui-même les mission- naires, son descendant, Konang-sn, ne pouvait moins faire que de les y conserver ; agir autrement, eût été blâmer son aïeul! Il n'accorda que difficilement un décret impérial, et cependant ce décret était absolument nécessaire; s'il n'avait pas paru dans la Gazette officielle, les provinces n'auraient pas manqué de dire que les missionnaires étaient chassés, le Pé-t'ang confisqué, et les conséquences d'une telle rumeur eussent été désastreuses. Il faut reconnaître que le 7e prince père de l'empe- reur, ainsi que le vice-roi, ont été sincères en cette circonstance, l'intérêt de l'Etat leur en faisant du reste un devoir ; le projet de convention une fois rédigé, ils le firent approuver par l'empereur Koitangsu. Le Souverain Pontife Léon XIII trouva le projet acceptable et donna son assenti- ment, puis il députa le même missionnaire qui le lui avait apporté pour le présenter aux deux autres parties intéressées : le supérieur général des Lazaristes, auquel le Pé-fang avait été légalement remis depuis plus de 100 ans, et le gouvernement français, dont le droit de protectorat sur les établissements religieux était incon- testable et incontesté. Le supérieur général des Lazaristes acquiesça sans difficulté, et le gouvernement français laissa à M. Constans, ambassadeur à Péking, le soin de terminer l'affaire. A son retour, le missionnaire avertit Li-houng-tchang du succès de sa mission; en lui remettant l'acceptation du Pape et du supérieur général, il déclara formellement que rien ne serait conclu sans l'assentiment du ministre de France, et qu'il eût à s'enten- dre avec lui. Avec une habileté consommée, M. Constans obtint du vice-roi de sérieux avantages et rendit à la mission des services signalés. Par son énergie et la connais- sance des Chinois qu'il avait compris en quelques mois, il veilla à ce que tous les articles du projet fussent ponctuellement exécutés ; ce projet accepté par les parties intéressées devint alors seulement acte officiel. Bien plus, le ministre de France obtint du Tsoung-li ya-men plusieurs autres concessions importantes en faveur de la mission française ; le délai de deux ans pour la rétrocession du Pdt'ang fut abrégé, mais, ce que les missionnaires n'auraient jamais cru possible, les Chinois enlevèrent DYNASTIE DES TS'ING. 253 une grande pagode qui eût masqué la nouvelle cathédrale. Grâce à la bonne entente des autorités, à la bonne volonté de tous, à la bonne foi tout exceptionnelle des Chinois, spécialement du vice-roi, à l'action intelligente de l'ambassadeur, cette grande question fut terminée à la gloire de la France comme de la religion et au grand con- tentement de l'empereur. Voici le texte de la Convention et du Décret impérial : Art. I. — A partir du ier de la irL' lune de la 13e année de l'empereur Kouang-su, commence le délai de deux ans accordé aux missionnaires pour évacuer 1^ Pé-tang et le Jen-tse-t'ang qu'ils devront livrer en entier, maisons, arbres, etc., sans en rien enlever, ex- cepté le mobilier. Art. II. — Le Ier de la 11e lune de la présente année, après avoir mesuré les quatre côtés du Si-che-k'ou, on livrera à l'évêque du Pé-t'ang les deux tiers du sud de ce terrain avec les arbres et tout ce qui s'y trouve, sans rien enlever, déra- ciner ou démolir. Art. III. — Le Pé-t'ang a été donné par l'empereurA'tfw^-- si aux missionnaires pour y de- meurer ; il a envoyé des officiers du palais pour veiller à la cons- truction de la grande église ; il a donné à la dite église la pré- cieuse inscription Pieu ; à cause de ces bienfaits, tout le monde vénère sa mémoire. La cour ac- tuelle a besoin d'enclore main- tenant le dit terrain dans le palais ; les missionnaires, se conformant à la volonté impé- riale, recevront en échange un terrain dans le Si-che-k'ou pour construire une église. L'empe- reur, dans sa grande bienveillance, comme K'ang-si son aïeul, donnera un Décret public pour que tout le monde sache l'histoire de ce bienfait envers les mission- naires, et que la mémoire de cette munificence soit conservée à jamais. Art. IV. Les missionnaires, pour honorer les dons impériaux, feront, comme ils l'ont fait jadis pour l'église du Nan-t'ang, graver sur marbre et surmonter de pavillons jaunes ledit de l'empereur ; ils feront aussi graver sur marbre le Pieu impérial, pour être placé à l'endroit le plus honorable. Ils bâtiront une grande église au Si-che-k'ou, mais elle ne pourra avoir plus de cinquante pieds de haut sous pou- tres, et les tours des cloches ne pourront dépasser la crête du toit. Art. V. — Pour la reconstruction des établissements du Pt'-t'ang sur le nouvel emplacement du Si-che-k'ou, les missionnaires désirent ardemment que le gouverne- PRINCE 254 PEKING. ment chinois s'en charge ; pourvu que l'on reconstruise les mêmes bâtiments avec les mêmes jardins, ils se déclareront satisfaits : mais si le gouvernement chinois ne peut entreprendre ces nouvelles constructions, les missionnaires devront faire eux- mêmes les plans et les exécuter ; en ce cas, lorsqu'on livrera le terrain du Si-cke-k'ou, on leur versera le tiers de l'indemnité accordée : le deuxième tiers six mois après, et le troisième après six nouveaux mois, de sorte qu'après dix-huit mois tout sera soldé. Pour reconstruire le Pé-£ang et le Jen-tsé-t'ang tels qu'ils sont, une somme de 450.000 taëls et plus est nécessaire, mais pour être agréable à Son Excellence le vice-roi Li, les missionnaires se contenteront de la somme diminuée de 100.000 taëls, c'est-à-dire qu'ils ne recevront en tout que 350.000 taëls en argent K'ou- p'ing, pao-in-tse. — Suivait une disposition annexe par laquelle le gouvernement chinois demandait pour l'impératrice les orgues et le musée d'histoire naturelle. Décret impérial. -- « Li-koung-tchang présente un rapport d'après lequel il s'est mis d'accord avec les missionnaires de l'Eglise (catholique) sise au Tsan-tchek'eou pour trans- porter ailleurs cet établissement, il s'est entendu définitivement avec le ministre(français) résidant à Péking par échange de correspondance. » J'ai lu ce rapport, et j'en ai pris une connais- I .yià^l]! M^^JÏ}/^ {j § sance attentive. L'église sise au Tsan-tche-k'eou, dans l'enceinte de la porte Si-ngan, a été élevée au temps de K'ang-si avec l'approbation d'un décret impérial. Jusqu'aujourd'hui, depuis plus de cent ans, les missionnaires de cette église, reconnaissants de la protection et de la grande bienfaisance de la cour, ont tous en paix observé les lois. L'an dernier, nous avons réparé le Nan- kaè et autres lieux afin que l'impératrice ornée des titres : Tse-si, Toan-jeou, Kang-i, Tchao-m, Tchouang-tcheng, puisse en faire un lieu de repos, pendant les loisirs que lui laissent les affaires gouvernementales ; tous les terrains qui avoisinent le côté sud-ouest (du palais) devront encore être dégagés ; (or) cette église se trouve très proche de la demeure impériale. Par Li-hoimg-tckang, un Anglais Dun J. -Baptiste fut d'abord appointé pour aller à Rome traiter cette affaire ; ii ( ' Li-houngtchang) manda aussi un commissairedes douanes, M. Detring, de fixer avec le missionnaire, M. Favier, les termes d'une convention pour le transfert ; ils convinrent qu'on fixerait des limites dans le Si-cke- k'ou au sud, et qu'une indemnité serait donnée pour la réédification. Le missionnaire a déclaré clairement que l'église rebâtie n'aurait que cinquante pieds de haut, qu'elle serait de plus de trente pieds plus basse que l'ancienne à l'extérieur, que les tours ou l'on suspend les cloches ne dépasseraient point le faîte de l'édifice. Quand tout cela eut été délibéré, M. Favier alla aussi à Rome et en référa au supérieur général de sa Congrégation, M. Fiat. Celui-ci, dans sa réponse, exprime une sincère reconnais- sance pour les bienfaits et la protection de la cour ; il y est dit : « J'ai à cœur de m'efforcer de donner une marque de gratitude... etc., etc. » Ses sentiments et ses paroles sont très sincères et cordiaux. Li-houng tcliang vient aussi d'échanger une correspondance (à ce sujet) avec le minisire (français) M. Constans ; celui-ci, dans sa réponse, dit qu'il approuve tout ce qui a été déterminé ; conservant ainsi les rapports FAÇADE DU NOUVEAU PÉ-T'ANG. DYNASTIE DES TS'ING. 255 harmonieux entre les deux royaumes, il a montré une parfaite science de ce qui con- venait et il est louable. Puisque, d'après le rapport de Li-koung-tchang, cette affaire a été délibérée et arrêtée dans ses détails et qu'aucune des parties ne manifeste d'avis contraire, qu'on agisse selon ce qui est demandé ; l'indemnité de réédification sera versée selon les époques déterminées, afin que les missionnaires rebâtissent leur établissement ; quant au reste, qu'on agisse en tout comme il a été délibéré. » Ngen-iou, Tao-t'aè, surnuméraire appointé dès le commen- cement pour traiter cette affaire, s'y est efforcé ; que le Con- seil d'Etat retienne son nom afin qu'en cas de vacance, il le mette en avant. » L'évêque Mgr Tagliabue a d'un cœur sincère rendu service ; le missionnaire Favier et l'Anglais Dun ont fait de longs voyages à travers les mers, sans reculer devant les fatigues ; c'est pourquoi Mgr Tagliabue recevra comme récompense le bouton insigne de 2e classe, M. Favier celui de 3e classe, M. Dun l'étoile précieuse de première grandeur du 3e degré ; M. Favier et M. Dun recevront en outre l'un et l'autre une somme de 2.000 taèls ; ils les recevront par étoile précieuse(pao-sing) Lihoung tchang. Le commissaire des douanes M. Detring, le consul (français) M. Ristelhueber ont, du commencement à la fin, réuni leurs efforts par leurs entrevues et communications; c'est pourqui M. Detring sera en récompense élevé à l'insigne de 2e classe, et M. Ristelhueber recevra l'étoile pré- cieuse de 3e grandeur au 2e degré. Quant aux autres qui ont négociant anglais Miche, etc., 1. BOUTON POUR RE- CEPTION IMPÉRIALE. 2. BOUTON DE MAN- DARIN. 3. TUBE EN JADE POUR ADAPTER LA PLU- ME DE PAON. apporte leur concours, comme le que Li-houngtchang examine avec soin et présente un rapport pour demander des récompenses. Que le ministère des affaires étrangères soit averti et observe ceci ! » Toutes les pièces concer- nant l'affaire, les actes de propriétés et les procès-ver- baux de mesurage furent livrés par l'entremise du représentant de la France à Mgr Tagliabue, vicaire apostolique de Péking. Le terrain concédé mesure 350 mètres du nord au sud et 220 mètres de l'est à l'ouest non compris le terrain jadis occupé par la pagode et qui mesure 17 mètres de large sur 25 de long. Le 30 mai 1887, on bénit la première pierre ; l'assemblée était nombreuse et la cérémonie fut brillante. Avec M. Constans et tout le personnel de sa Légation, on y remarquait des ministres européens et les membres du Tsoung-li ya-iucn,(\u\ avaient gracieusement accepté l'invitation. L'église était placée solennellement sous le vocable du St-Sauveur, ancien titre de la première. 256 PEKING. Cependant, le gouvernement chinois était fort embarrassé ; pressé d'un côté par l'empereur qui voulait prendre en mains le pouvoir, et par l'impératrice-mère qui désirait au plus vite habiter ses nouveaux palais, il était retenu d'un autre côté par le délai de deux ans accordé aux missionnaires. On pria plusieurs fois d'activer les travaux, et M. Constans finit par promettre que l'ancien Pé-t' ang serait évacué en février 1888; il obtint par contre de grands avantages, ainsi qu'une indemnité pécuniaire bien justifiée du reste, car cette précipitation exigeait des dépenses nou- velles. La construction fut activée, et souvent même les travaux furent continués de nuit par plus de 1400 ouvriers. Le gouvernement de Péking facilita la construction en donnant des passes gratuites pour les douanes de la capitale, comme Li houng- tckang l'avait fait pour celles de Tien-tsin. La date fixée au mois de février 1888 ne satisfaisait pas complètement les Chi- nois; sollicité de nouveau par eux, et décidé à tout pour plaire au gouvernement impérial, M. Constans demanda aux missionnaires de presser encore les travaux, et plus de 600 chambres furent terminées en 240 journées ; au mois de décembre 1887, on put livrer aux membres du Tsoung-li ya-men les clefs de l'ancien Pé-t' ang. La nouvelle cathédrale ne fut terminée que dix mois plus tard, et on procéda à la céré- monie de la bénédiction solennelle. Voici quelques passages de la relation qui en fut faite par le Chinese Tunes, journal anglais de Tien-tsin, dans son numéro du 15 décembre 1888 : « Dimanche, 9 décembre à 10 heures du matin, a eu lieu la consécration de la nou- velle cathédrale du Pé t'ang,\a. plus grande église de Chine ; presque tous les résidents étrangers, plusieurs grands personnages du Yamen et un nombre considérable de Chinois sympathiques étaient présents à cette cérémonie. Avant de raconter la con- sécration, donnons quelques détails sur ce nouvel édifice. A l'intérieur, la cathé- drale mesure en longueur totale 84 mètres, la largeur du transept est de i2> mètres, celle de la nef de 20 mètres et la hauteur de 22 mètres sous clef de voûte. Le nouvel emplacement est d'un tiers plus grand que l'ancien et d'un seul tenant. La cathédrale est située à une centaine de mètres de la rue ; on y arrive par une avenue spacieuse, après avoir franchi trois grandes grilles et portes de fer construites à Paris et séparées l'une de l'autre par un large espace de terrain. Le portail repose sur une terrasse de granit gris haute d'environ im6o et décorée d'une balustrade massive en marbre blanc ; on y monte par un escalier de granit qui conduit à la porte principale de la basilique. Le premier objet qui fixe l'attention, est un très beau relief de marbre blanc sculpté avec un fini et un art remarquables ; c'est un morceau de 4"' de long sur im6o de large, qui représente le Bon Pasteur et ses brebis. Les murs de l'église et les piliers reposent sur de larges couches d'un béton fait de sable et de chaux ; on a obtenu ainsi une fondation très solide et essentiellement monolithique. Sur cette fondation, un lit de granit haut de 1'" règne sans discontinuer sur le pour- tour de l'édifice ; plus haut vient un lit de solide maçonnerie faite de cette pierre cal- caire dure et résistante que l'on trouve à Péking, et au-dessus s'élèvent d'épaisses murailles faites de briques. Les briques sortent de la tuilerie impériale ; chacune pèse 25 kilos et porte le cachet de l'empereur. Intérieurement, la cathédrale est de style gothique du X 1 Ve siècle. On compte dans l'église 36 piliers ; chacun d'eux repose sur un socle de marbre blanc, et a pour couronne un chapiteau de feuillage sculpté ; ces piliers ont 49 pieds de haut, soit 16 mètres 30, car, aux termes de la con- vention passée avec les commissaires de la cour impériale, on ne devait pas dépasser 50 pieds. Il faut dire ici en passant que pour cette stipulation comme pour les autres, on a jugé bon de se tenir au-dessous des limites assignées. Chaque pilier se compose DYNASTIE DES TS'ING. 257 d'une pièce de om6o carrés en thuya, bois plus connu sous le nom de cèdre d'Orégon; quatre baguettes demi rondes de o"1 15 formant colonnettes sont appliquées sur le pilier et supportent les arceaux ; les pièces de bois sont peintes en bleu-marine, les baguettes sont dorées. L'édifice a 12 fenê- tres géminées dites (( à lancette » ; chacune a environ 10 mètres de haut ; les vitraux sortent des ateliers de Latteux- Bazin et O de Paris. L'abside et le transept sont éclairés par 12 autres fenêtres ogivales hautes de 5 mètres; ces 12 fenêtres ont des sujets fort bien composés ; on y re- marque le Christ dans sa gloire, la Ste Vierge, les douze Apôtres, Sf Joseph, Ste Anne, S1 Joachim, patron de Léon XIII, etc.. Nous devons également donner une mention spéciale à la chapelle du Saint- Sacrement, qui a 1 7m de long et reçoit le jour par 1 1 fenêtres de 5™ de haut, remar- quables aussi par des sujets bien dessinés et finement exécutés ; ils représentent Notre-Seigneur, S. Jean et N.-D. des Sept- Douleurs. » Dans l'église, outre le grand autel situé sous le transept, d'une exécution soi- gnée et fort beau dans ses lignes générales aussi bien que dans son ornementation, on compte neuf autels, tous richement et délicatement sculptés à Péking par des artistes chinois ; ils sont laqués et dorés. On remarque aussi les balustrades sculp- tées, une chaire à prêcher et un chœur fort riche garni de stalles. Les nouvelles orgues ont été fabriquées par Cavaillé-Coll de Paris ; c'est le plus considérable ins- trument de ce genre qui existe en Chine ; le buffet, œuvre remarquable, a été sculpté à Péking. » Une nombreuse assistance prit part à la fête de la consécration. Les ministres de France, d'Allemagne, d'Espagne, du Japon, des Etats-Unis et de Belgique, accompagnés des membres de leurs Léga- tions, la plupart en uniforme, étaient pré- sents à la cérémonie; le ministre d'Angle- terre, empêché, s'était fait représenter par son premier secrétaire. La cérémonie consistait en un office avec chant des litanies des Saints et de psaumes, messe basse, Te Deum et bénédiction épiscopale ; la fanfare du séminaire exécuta des morceaux decirconstance. Vers la fin du service, Son Excellence Soun, ministre du i 'amen, envoyé par l'empereur, et un autre personnage Péking. „ SON EXCELLENCE on D D R 022 IQ 20 A 1 | A' f ' o 22 G io H A C 1 1 A B — - o 22 I 9 J A A D| 1 E F o 22 K . J 8 L A" 1 1 A"' M 0 /-'il 1 N - ° \ '• N J PLAN TOPOGRAPHIi.H E DU NOUVEAU PÉ-T'ANG. LLE DE Om,OOI7 PAR MÈTRE.) DYNASTIE DES TSTNG. 259 PLAN DU NOUVEAU PÉ-TANG. I. — ÉTABLISSEMENT DES MISSIONNAIRES. L M I Église cathédrale française du Saint-Sauveur. N 2 ; Pavillons impériaux. O 3 Esplanade. P 4 41 4" Portes, grilles en fer forcé. Q 5 Cour d entrée. R 6 Grande porte d'entrée. S 7 Cour d'honneur. T S Cour Saint-Joseph. U 9 Cour de la Sainte Vierge. V IO Cour Saint-Vincent. X il Cour du grand séminaire. Y 12 Cour du petit séminaire. Z 13 Cour des dépendances. \Y 14 Grand potager. * 15 Parc planté d'arbres. 16 Cour des Frères. 17 Cour de l'imprimerie. 18 Cour des étrangers. 19 Abri pour la fanfare. 20 Monument 1S94-1S95. 21 Kiosque du petit séminaire. 1 22 Puits et pompes. 2 a Maître-autel et chœur. j b Sainte Vierge. 4 c Saint Joseph. 5 d Autel Saint-Vincent. e » BienheureuxPerboyre. 6 f > Saint-Michel. 7 g > Bienheureux-Odoric. A h » Saint-Pierre. B i > Sainte-Philomène. C j > privilégié de la Passion. D A A' A" A"' Habitations des missionnaires. E B Chapelle privée. F C Appartements de l'évéque et tour de l'horloge. G D Petit salon. H E Grand salon. I F Procure. J G Grande bibliothèque. k H Réfectoire. L I Bibliothèque chinoise. M J Salle de récréation. N K Magasin. Rf Musée. Magasin de l'imprimerie. Magasin chinois. Pharmacie. Economat. Ateliers des Frères. Cuisines. Imprimerie, reliure, machines. Pavillon des étrangers. Domestiques. Dortoir et classes du grand séminaire. Réfectoire des séminaires. Chapelle des séminaires. Classes du petit séminaire. Dortoirs du petit séminaire. Magasins à grains, dépendances, écuries, com- muns, etc., etc., etc. La ligne pointillée — . — .— . — . indique la super- ficie des établissements des missionnaires et des Sœurs à l'ancien Pé-t'ang. II. — ÉTABLISSEMENTS DES SŒURS. Cour des catéchumènes et du dispensaire. Cour des Sœurs. Cour des écoles. Cour des orphelins. Cour des cuisines, dépendances, crèche, buan- derie, etc., etc. Cour de l'église. Cour du noviciat. Église de l'Immaculée-Conception. Appartements de la Sœur supérieure et noviciat. Écoles. Orphelinat. Habitation des Sœurs. Catéchuménat. Dispensaire. Infirmerie et magasin. Dépense et appartements divers. Petite chapelle des Enfants de Marie. Magasin. Buanderie, magasin à grains, crèche, etc., etc. Porte d'entrée. Puits. R R'Rue séparant les deux établissements. important de l'empire, firent leur entrée à la cathédrale, suivis de cinq ou six offi- ciers. Après l'office, les visiteurs reçurent une très cordiale hospitalité en quatre réfectoires différents. En l'un d'eux, un banquet servi dans un fort bon style réunis- sait les grands personnages chinois, leur suite, et 60 hôtes étrangers. Levêque porta la santé de N. S. Père le Pape, de l'empereur Kouang-stt et de la France, et le ministre de France répondit en quelques mots ; puis, S. E. Soun se leva et dit en termes fort précis «qu'il était là par ordre de l'empereur, afin d'exprimer sa satisfac- tion pour tout ce qui avait été fait, et de donner aux missionnaires les meilleures assurances du bon vouloir de Sa Majesté impériale». Plusieurs autres discours furent prononcés, et rien ne manqua à la majesté de cette cérémonie. » I. MORT DE MGR TAGLIABUE. MASSACRES DE MONGOLIE. LE COLLÈGE FRANCO-CHINOIS. MGR SARTHOU. — II. GUERRE SINO-JAPONAISE. LA CORÉE. PING YANG.YA-LOU. PORT- ARTIIUR. OUÈE-IIAÈ-OUÈE. MANTCHOURIE. SIMONOSAKI. TRAITÉ DE PAIX. LA PRESQU'ILE DU LÉAOT-OUNG. III. SOULÈVEMENT ET INCENDIES AU SSE-TCHOUAN. AFFAIRES RELIGIEUSES. M. GÉRARD, MINISTRE DE FRANCE. LE VICE-ROI LI-HOUNG-TCHANG PART POUR L'EUROPE. élé, plein d'ardeur et de vie, Mgr Tagliabue sem- blait devoir gouverner pendant de longues an- nées encore l'Église de Péking, et cependant il ne survécut que peu de temps aux événe- ments que nous venons de raconter. Il mourut entouré de son clergé, dans le nouveau Pé- l'ang, le 13 mars 1890, à 1 heure et demie du matin. Mgr Tagliabue était né à Coincy (Aisne) en 1S22. Il partit pour la Chine en 1853, et travailla tout d'abord dans la mission de Mon- golie. Lorsque les Lazaristes cédèrent cette mission à la Congrégation belge, qui devait si dignement les remplacer, Mgr Tagliabue fut nommé coadjuteur du Kiang-si, puis vicaire apostolique du Tche-ly sud-ouest, et enfin trans- féré à Péking en 1884. Il semble que la Pro- vidence l'eût préparé pour cette grande et difficile affaire du Péfang; son intelligence, sa prudence consommée, comme aussi l'abnégation qui le caractérisait, conduisirent à bonne fin toute la négociation. — Le décret impérial l'éleva au rang de mandarin supérieur avec bouton rouge, honneur qui n'avait jamais été accordé à aucun missionnaire depuis les premiers empereurs de la dynastie. « La cérémonie de ses funérailles se fit le 15 mars, au milieu d'une très grande affluence de peuple ; tout se passa dans l'ordre le plus parfait, le vice-roi gouverneur de Péking ayant mis la police à notre disposition ; le ministre de France et les DYNASTIE DES TS'ING. 261 ministres étrangers y assistèrent en grand uniforme, et le gouvernement chinois y envoya deux représentants. Mgr Tagliabue, qui, de son vivant, détestait l'éclat, fut après sa mort exalté et comblé d'honneurs. » Quelque temps après, les troubles et les massacres de Mongolie vinrent attrister, effrayer même la ville de Péking. Des fanatiques, connus sous le nom de Tsaè-H-li (rationalistes), faisant partied'une secte im- pie opposée au chris- tianisme, se livrèrent à des actes abomina- bles dans la Mon- golie orientale. Ils avaient écrit sur leur drapeau : T'it'ien- sing-tao: Nous mar- chons SUR L'ORDRE du Ciel. Plusieurs villages chrétiens fu- rent pillés et brûlés, leurs habitants mas- sacrés.un prêtre chi- nois, M. Lin, tué avec des raffinements de cruauté inouïe ; le total des victimes s'éleva à près de 800. Le gouvernement central prit aussitôt des mesures pour ar- rêter les massacres et dompter en même temps une rébellion civile qui avait éclaté dans la partie nord de la Mongolie. Par décret impérial, le vice -roi Li-houng- tchang fut désigné ; il ne perdit pas de temps; on lui fit con- naître, sur sa deman- de, le lieu exact des chrétientés ; on lui donna une carte religieuse du pays, et en quelques jours, ses meilleures troupes, cavalerie et infanterie, étaient disposées ; elles fermèrent la route aux Tsaè-h ti et empêchèrent tout nouveau désastre en tenant garnison dans les principales chrétientés et dans la résidence de levêque. Les troupes du vice-roi vainquirent aussi les rebelles, et leur victoire arrêta une révolution qui eût pu avoir les plus graves conséquences pour Péking, et même pour la dynastie. Aussi l'empe- reur adressa-t-il au peuple un décret en l'honneur de Li-houng-tchang, décret qui 38 1 39 IO 42 II 45 36 H 16 i9 43 48 7 44 23 49 5o u 47 i3 Si 18 53 56 54 55 24 5 7 59 58 29 32 60 J/iin\\\\\^ i7 12 I l_U i4 33 35| 2.7 8 i5 29 28 20 22 25 26 3i 4o PLAN DU CIMETIÈRE FRANÇAIS DE TCHENG-FOU-SSE. DYNASTIE DES TS'ING. 263 LEGENDE. 1 j 14 "5 [6 17 iS 19 20 ; i 26 29 J. F. GERBILLON, jésuite français. 1707. Joachim 1'. suite fr. 1730. J.-B. 1 mitefr. 173S. Dominique PaREN n i n, jésuite fr. 1 74 1 . Fr.-X. d'Entre* olles, jésuite fr. 1741. Mathieu LOUO, jésuite chinois. 1746. Valentin Charlier, Jésuite fr. 1747. Thomas Y ÀNG, jésuite chinois. 1751. Pierre d'Incarville, jésuite fr. 17;-. F. Et. ROUSSET, (fr.-coadj.) jésuite fr. 175S. L. Debrossard, (fr.-coadj.) jésuite f. 175S. Joseph de Mailla, jésuite fr. 1758. Antoine GaUBIL, jésuite fr. 1759. Louis DESROBERT, jésuite fr. I760. Joseph TCHOOU, jésuite chinois. 1762. E. THÉBAULT, (fr.-coadj.) jésuite fr. 1766. Jean-Et. Kao, jésuite chinois. 1766. Alex. DELACHAR.\lE,y/r«;7-. 1792. 32 Jos, M. AMYOT, jésuite fr. 1793. 33 Paul I.IOU, jésuite chinois. 1794. 34 Fr.-X. Lan, jésuite chinois. 1796. 35 Thomas LlOU, jésuite chinois. 1796. 36 Robert Hann \, la triste. 1797. 37 Joseph Raux, lazariste fr. 1S01. 38 Charles Paris, (fr.-coadj.) lazar.fr. 1804. 39 J. Joseph GHISLAIN, lazaristejr. 1812. 40 Albéric M. DE Damas, officier fr. 1860. 41 Monument des officiers et soldats. 1860. 42 J. Léon Talmier, lazariste fr. 1862. 43 Jean Tchen, lazariste chinois. 1866. 44 t J. iMartial MOULY, évêque, lazariste fr. 1S68. 45 Antoine Yang, lazariste chinois. 1S69. 46 André JANDARD, lazariste fr. 1869. 47 J.-B. Km, lazariste chinois. 1869. 48 Flavien Gambart, lazarislefr. 1869. 4 ) Mathieu TcHAO, lazariste chinois. 1869. 50 Félix Saupurein, lazariste fr. 1874. 51 J.-B. Thiekrv, lazariste fr. 1S80. 52 + L. G. DELA PLACE, évêque, lazariste fr. 18S4. 53 Justin DUMONTEIL, (fr.-coadj.) lazarislefr. 1885. 54 t F. A. TAGLIABUE, évêque, lazariste fr. 1890. 55 Cosme Ma, lazariste chinois. 1890. 56 Joseph Salette, lazariste fr. 1891. 57 Jean Chr. K'o, lazariste chinois. 1891. 5S Pierre Tch'en, lazariste chinois. 1891. 59 J. L. CHEVRIER, lazariste fr. 1891. 60 J.-B. DELEMASURE, lazariste fr. 1893. N. B. Les tombes sans chiffre n'ont fias d'éfiitafihe. contenait le passage suivant : « Nous ne pouvons que donner les plus grandes louanges au vice-roi Li-houng-tchang... Nous ordonnons donc au tribunal des Rites de délibérer sur la manière de le récompenser... Quant aux mandarins coupables, ils devront être punis sévèrement et sont dignes des plus grands châtiments, pour avoir été cause par leur incurie de l'incendie, de la destruction des églises de la Religion (chrétienne) et de tant d'hommes tués par les révoltés. » Depuis plusieurs années, les Lazaristes avaient ouvert un collège à Tien-tsin pour les Européens, et un autre à Péking où de jeunes Chinois commençaient l'étude du français; ils voulurent donner à ces deux établissements une extension plus consi- dérable et appelèrent, pour les diriger, les Frères Maristes de Saint-Genis- Laval près Lyon. En 1S91, ceux-ci arrivèrent en nombre et bientôt les deux collèges prospérèrent. Les enfants des Européens à Tien-tsin apprennent, sous la direction des Frères, le français, l'anglais, l'allemand et les différentes sciences. A Péking, plus de cent élèves, tous chinois, étudient le français ; un bon tiers le parle déjà couramment. Le nouveau vicaire apostolique fut enfin nommé après huit mois d'attente ; le choix tomba sur Mgr J.-B. Sarthou, qui fut transféré du vicariat de Tcheng-ling-fou ( Tche-ly sud-ouest) à celui de Péking ( Tche-ly nord). Mgr Sarthou avait passé presque toute sa vie de missionnaire dans la capitale ; il était en dernier lieu curé de l'ancienne cathédrale lorsqu'on vint l'y chercher pour l'élever à l'épiscopat. 264 PEKING. II En lisant l'histoire de la Chine, on est frappé de l'antagonisme qui a existé de tout temps entre ce grand empire et celui du Japon. Malgré son immense population, la Chine a presque toujours été battue ; le peuple chinois, en effet, est plutôt lettré que militaire, et sait mieux manier le pinceau que l'épée. De plus, avec la dynastie étrangère qui règne en Chine, le patriotisme a disparu ; tandis qu'au Japon il s'est conservé et augmenté par la gloire des armes. La Chine ne demande que la paisible possession de ses provinces ; le petit peuple belliqueux qui l'avoisine ne rêve que gloire et conquêtes. Lorsque les raisons manquent, un prétexte suffit, et dans la "uerre que nous allons brièvement raconter, c'est la Corée qui, placée comme une pomme de discorde entre les deux pays, a été le motif invoqué. En 1894, le peuple coréen, opprimé plus que de coutume par les nobles et par les mandarins, sortit de son apathie, et des révoltes éclatèrent dans diverses provinces. La Chine voulut aller dé- fendre le roi de Corée son protégé ; mais avant même qu'elle eût commencé l'envoi des troupes nécessaires, une brigade de l'armée japonaise, sous le spécieux prétexte de protéger ses na- tionaux, avait débarqué en Corée au mois d'août 1S94. L'orgueil chinois en fut blessé et les troupes impériales partirent, soit en suivant la route de terre, soit embarquées sur des trans- ports. Les premiers coups de canon furent tirés par le Japon, qui coula le Kao-ckeng, bateau anglais affrété par les Chinois; c'était la guerre. Les Chi- nois s'y préparèrent avec activité, mais les Japonais étaient prêts depuis long- temps et, à la suite de plusieurs combats heureux, la Corée presque tout entière fut envahie par leurs armées. Les troupes chinoises avançant par la Mantchourie s'étaient retranchées près de la ville de Ping-yang ; après avoir résisté quelque temps, elles furent obligées d'abandonner leurs lignes et de se retirer de l'autre côté du fleuve du Ya-lou qui sépare la Corée de la Mantchourie. Les Japonais, campés sur l'autre rive, voulurent forcer le passage et envahir le territoire chinois ; un moment d'arrêt eut lieu, et pendant quelques semaines chacun se prépara à l'attaque comme à la défense. C'est alors que la Chine envoya des renforts considérables, embarqués sur six grands transports escortés par toute sa flotte, à l'embouchure du fleuve Ya-lou. Cette flotte n'était point à dédaigner : elle se composait du Ting-yuen et du Tchen- yuen, grands navires cuirassés de 7.335 tonnes ; du Léi-yuen et du King-yuen de 2.900 tonnes, soutenus par le Tsing-yuen et le Tche-yuen de 2.300 tonnes, filant 18 nœuds : enfin de cinq autres navires plus faibles et moins bien armés ; l'amiral Ting, aidé par quelques officiers européens, en avait le commandement. Si cette flotte l'amiral ito, d'après un dessin chinois. DYNASTIE DES TS'ING. 265 avait été suffisamment approvisionnée, les Japonais n'en auraient point eu facilement raison ; mais l'incurie et le gaspillage l'avaient mise dans un état d'infériorité notoire, et les principales pièces n'avaient que quatorze coups à tirer. La flotte japonaise, qui cherchait à se mesurer avec elle.était autrement commandée et outillée; ellese compo- sait également de 1 2 navires : le Matsouckimat le J "tsoukouchima, X ' Hachidaté,tous trois de 4.278 tonnes, armés des plus puissantes pièces Canet qui aient jamais été fabri- quées. De plus, VYochino, presque aussi fort que les précédents et filant 22 nœuds et demi ; Takac/n'o, le JVaniva, 1 ' HakiicsoucJiima, le Fouso, tous quatre dépassant 3,000 tonnes ; enfin quatre autres navires de moindre importance. Elle avait à sa tête le vice-amiral Ito, et pour chef d'état-major le vice-amiral Kabayama. Chaque navire était commandé par des officiers de mérite, ayant fait leurs études en Europe et sachant se servir des engins perfectionnés qu'ils avaient entre les mains. Le 10 sep- tembre, la Hotte japonaise quitte sa base d'opérations, et le 16 pousse une recon- naissance vers l'île de Hac-yang et l'em- bouchure du fleuve Ya-lou. Le 17 au matin, deux jours après la bataille de Ping- } rangt on signale la flotte chinoise dont les deux grands cuirassés formaient le centre; il était onze heures et demie ; la flotte japonaise reçoit de l'amiral l'ordre d'attaquer, et à midi et demi un croiseur chinois prend feu et coule, traversé de la poupe à la proue par un obus Canet. Plusieurs navires japonais s'enflamment et souffrent beaucoup, mais l'amiral les délivre et vers trois heures l'action était engagée sur toute la ligne. Le Tche-yuen coule à fond, d'autres navires chinois flambent, l'un d'eux va s'échouer et est incendié, les deux grands cuirassés en feu continuent le combat, mais, privés de munitions, ils allaient peut-être se rendre, lorsque les Japonais, à court également après ce combat de cinq heures, s'éloi- gnent, remettant au lendemain l'achèvement de leur victoire. Pendant la nuit, ce qui restait de la flotte chinoise, six navires sur douze, parvint à se retirer à Port-Arthur. Quoique gravement endommagée, la flotte japonaise ne perdit aucun navire, mais les tués ou blessés furent nombreux. Les Chinois eurent non seulement à déplorer la perte de leurs marins, mais encore celle de leurs navires et de leurs espérances. L'enthousiasme fut grand au Japon ; l'empereur envoya ses félicitations à l'amiral Ito, qui les avait bien méritées parles prudentes manœuvres que la rapidité de ses navires lui avait permis d'exécuter autour de la flotte chinoise. La tristesse et le découragement furent grands à Péking, où, selon, la déplorable coutume, on dégrada de braves officiers qui en somme s'étaient bien battus; le vice-roi Li-houng-tchang lui-même, dont on avait méprisé les sages avis, ne fut pas épargné. Environ un mois après, la flotte chinoise, en partie réparée et bien fournie de munitions, alla s'enfermer dans le port de Ouèe-kaè-ouèe, sur la côte du Chantoung; c'est là que toutes les forces japonaises l'attaquèrent ; après un combat qui dura LE VICE-AMIRAL KABAYAMA. D'APRÈS UN DESSIN CHINOIS. 266 PEKING. L'AMIRAL TING, D'APRES UNE PHOTOGRAPHIE JAPONAISE. plusieurs jours, ils en achevèrent la destruction. Des deux grands cuirasses, 1 un fut coulé par une torpille, l'autre dut amener son pavillon. Sur douze torpilleurs chinois, dix furent pris et les deux autres coulés. Les croi- seurs subirent le sort des cuirassés ou se firent sauter ; bref, il ne resta pas même aux Chinois un bateau pour porter la nouvelle du désastre. L'ami- ral Ting et plusieurs de ses officiers se donnèrent la mort. Les Japonais triomphants, quoique bien éprou- vés eux-mêmes, ramenèrent leurs prises dans les ports du Japon, et, à partir de ce moment, ils restèrent maîtres incontestés de la mer. Pendant ce temps, l'armée de terre, forte de plusieurs divisions, n'était pas demeurée inactive. Poussant sa marche en avant, elle refoulait devant elle les troupes chinoises, que l'infériorité de l'ar- mement, le manque de cadres et l'ignorance de leurs chefs rendaient peu redoutables aux Japonais munis d'armes perfectionnées et bien commandés par le maréchal Oyama, le général Yamasi, le major Sainto et nombre d'officiers instruits. La ville de Kin-tcheou tomba facilement en leur pouvoir, et sa garnison s'enfuit à Port-Arthur, poursuivie par les soldats du mikado. Ce fait d'armes avait lieu le 6 novembre, et dès le 7 les magnifiques forts de Ta-lien-ouan étaient occupés sans résistance. Les Japonais y recueil- laient d'immenses approvisionnements, des armes, des munitions et de nom- breux canons Krupp encore tout char- gés ; les Chinois n'avaient pas tiré un seul coup. La baie de Ta-lien-ouan fut occupée sans difficulté le 9 par dix-sept navires de guerre japonais, qui n'eurent que la peine d'y entrer. Dans tous ces combats, pas un seul Japonais n'avait été tué; 621 fusils à répétition, 129 canons, 33.000.000 de cartouches, 2.000.000 décharges d'artillerie, tom- bèrent entre les mains des Japonais, sans compter le trésor de guerre et les approvisionnements de bouche. Le 16 novembre, l'armée japonaise divisée en trois colonnes marche sur Port- Arthur. L'attaque générale a lieu le lendemain ; dès huit heures du matin, les plus importantes défenses du front de terre sont enlevées et, avant le coucher du soleil, on voyait flotter le dra- peau japonais sur cette redoutable forteresse qui passait pour imprenable. Les Japonais perdirent 7 capitaines, 1 lieutenant et 270 hommes. Malgré l'infériorité l'amiral koui, chef d'état-major, d'après une photographie japonaise. DYNASTIE DES TS'ING. 267 notoire des Chinois en fait de tactique militaire, la prise de Ta-lien-ouan et surtout celle de Port-Arthur a été si facile et a coûté si peu, qu'on est en droit de supposer que les Japonais, connaissant la vénalité des habitants du Céleste empire, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, n'ont pas négligé ce moyen d'épargner le sang de leurs soldats, bien certains que les avances faites seraient largement compensées. Quoi qu'il en soit, personne ne peut mettre en doute et la science des officiers japo- nais, et la vaillance de leurs troupes. Le Ier décembre, après avoir laissé une forte garnison pour garder leur conquête, les généraux ramenèrent l'armée japonaise à Kin-tcheou, qui devint le centre de leurs opérations dans le nord ; Ta-lien-ouan resta leur base d'opérations pour la flotte et les transports. Les succès de l'armée de terre furent, ce semble, moins éclatants que ceux de la marine. Les Japonais eurent l'intention de mar- cher contre Mouk- den, berceau de la dynastie, mais ne le firent pas ;C/iau- haè-kouan, l'entrée de la Chine pro- prement dite, n'é- tait pas éloigné : ils ne risquèrent pas à l'attaquer. Leurs troupes commençaient à souffrir cruelle- ment du froid, et leurs mouvements furent ralentis par / les difficultés de ' la circulation, de' sorte que presque tout l'hiver s'écou- la sans attaque sé- rieuse de part et d'autre. Cependant, si en décembre l'armée japonaise se fût ache- minée vers Péking, il est bien probable qu'elle y serait entrée sans combat. La seule place défendue était Chan-haè- kouan, qui n'eût pas arrêté six heures les vain- queurs de Port-Arthur. On s'attendait si bien à l'arrivée de l'ennemi, que la cour de Péking garda, pendant plus de deux mois, cinq cents voitures attelées pour prendre la fuite vers Si-ngan-fou. Sauf les forts de Ta-kou, loin d'être imprenables, et les vingt ou trente mille hommes de troupes passables que conservait le vice-roi Li-houng-tchang comme suprême ressource, il n'y avait plus rien. Des masses de pauvres gens n'ayant de soldat que le nom, armés de lances, de fusils à mèches, d'espingoles et souvent d'un simple bâton ferré, arrivaient bien de toutes les pro- vinces, mais ne faisaient qu'augmenter la misère devenue horrible par la pénurie des grains qui ne pouvaient plus arriver d'aucun côté. Ce rude hiver de 1S94-95 arrêta les vainqueurs et donna le temps à la diplomatie LE VICE-ROI LI-HOUNGTCHANG, D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE CHINOISE. 268 PEKING. de considérer le péril qu'il y aurait pour l'Europe à voir la Chine presque disparaître et le Japon grandir trop vite. Bien conseillés, les Chinois se résolurent enfin à demander la paix. Après avoir refusé les premiers négociateurs, comme trop petits pour lui, le Japon accepta enfin l'illustre Li-houng-tchang qui, bien à contre-cœur, mais voulant se dévouer encore une fois pour son pays, partit, malgré son grand âge, pour Simono- saki. Il avait vu l'empereur, il avait vu surtout et écouté de sages conseillers occu- pant les plus hauts rangs parmi les diplomates européens ; de plus, il avait encore toute sa sagacité et la profonde habileté que personne n'a jamais songé à lui con- tester. Aussi les Japonais, si heureux les armes à la main, le furent peut-être moins lorsqu'on prit le pinceau ; enfin, un événement imprévu vint faciliter la tâche du vice-roi. Un fanatique tira à bout portant sur Li-houngtçhang un coup de revolver, dont la balle pénétra sous l'œil gauche du haut fonctionnaire chinois. Pour accorder un armistice, les Japonais demandaient qu'on leur livrât Chanliac-kouan et Ta-kou; les Chinois allaient céder, mais ce petit morceau de plomb, si peu honorable pour la nation victorieuse, obligea le mikado à une réparation ; il accorda l'armistice sans condition. Restait la paix à faire ; le Japon, enorgueilli par ses succès, était exigeant, mais la Chine, aux abois, dut accepter les dures conditions du vainqueur. Le Japon deman- dait Formose, la presqu'île du Léao-toung et une indemnité de i milliard 200 millions de francs. Ces conditions draconiennes firent réfléchir l'Europe, dont les intérêts étaient enjeu; la France et la Russie, aidées bientôt par l'Allemagne, prêtèrent leur appui au gouvernement chinois. L'indemnité fut réduite à 800 millions, et la pres- qu'île avec Port- Arthur fut restituée contre une nouvelle indemnité de 120 millions de francs. Le Japon du reste n'avait pas à se plaindre : il touchait 920 millions et ajoutait à la couronne impériale la perle de l'Extrême-Orient, l'admirable et fertile I' ormose. La Chine enfin eut le bonheur de faire des emprunts plus avantageux encore qu'avant la guerre, assurés sur le revenu de ses douanes, en vue de se libérer vis-à- vis du Japon. Le sol des dix-huit provinces n'a pas été foulé par l'ennemi, Péking n'a pas vu le drapeau japonais, la cour et la ville ont repris leur apathique tranquillité ; on com- mence déjà à oublier ! Jusqu'à un certain point reconnaissante aux nations européennes qui l'avaient sauvée, la Chine leur fit quelques avantages. Grâce à l'habileté consommée du ministre de France, Monsieur A. Gérard, la frontière de Mékong fut définitivement concédée ; on donna même au ministre de France et au ministre de Russie la plus haute décoration que l'empereur delà Chine ait jamais accordée, la plaque d'or car- rée à double dragon, avec perle rose du premier rang. A cette occasion, la France et la Russie obtinrent enfin l'ouverture du palais impérial, et dans une audience solennelle, dont profitèrent les autres ambassadeurs, ils saluèrent le Fils du Ciel chez lui et non dans les pavillons plus ou moins destinés à recevoir des tributaires. Pour apprécier la haute portée de ce succès, il faut se souvenir que, même après la guerre de 1860, il n'avait pas été obtenu et qu'on tra- vaillait vainement depuis 1874 a être reçu au palais. Dévoué corps et âme à son pays, le ministre de France termina de plus toutes les affaires pendantes concernant le protectorat religieux, revisa les règlements défec- tueux, assura l'avenir des missions, et, par un travail opiniâtre, une activité ne con- naissant pas le repos, remit au premier rang l'influence française dans l'Extrême- DYNASTIE DES TS'ING. 269 Orient. Non seulement il mérita et obtint les éloges et les remerciements de tous les évêques de Chine, mais encore l'appui, l'approbation et les louanges de son gouvernement, qui sut apprécier les qualités hors ligne de son représentant en Chine. III Une des affaires les plus sérieuses que AI. Gérard eut à traiter, fut sans contredit celle du Sse-tck 'ouan. Cette grande province, comprenant plusieurs vicariats et près de 100.000 chrétiens, toujours fort agitée et turbulente, vit en 1895 des bandes de fanatiques ravager ses chrétientés, piller ses résidences, brûler ses églises; ce fut //////////////// PREMIÈRE RÉCEPTION DU CORPS DIPLOMATIQUE DANS LE PALAIS IMPÉRIAL (14 JANVIER 1895). un désastre complet. Grâce à la fermeté du ministre de France, à la sagesse de Mgr Dunand, vicaire apostolique de Tch'eng-tou, qui avait reçu de lui, sous la forme d'un titre chinois, une autorité exceptionnelle, tout fut réglé en quelques mois. Aujourd'hui, les indemnités justement exigées se paient, et les églises sont en cons- truction. Par une faveur toute spéciale, pour assurer l'avenir, les fameux caractères impériaux Tclie-kicu T ' ien tchotc-t 'ang (bâti par ordre impérial) seront placés sur le fronton de la nouvelle cathédrale. On a vu une fois de plus par ce fait la nécessité du protectorat de la France sur les missions catholiques, protectorat qu'elle n'a jamais abandonné et que l'Eglise n'a jamais songé à lui enlever. On verra toujours un consulat à côté d'une église, et le pavillon aux trois couleurs abriter la croix catholique ! Pour assurer la sécurité des établissements religieux et soutenir ce protectorat qui donne à la France un relief et une prépondérance incontestables, elle entretient dans l'Extrême-Orientune puissante escadre, qui vient apporter à la diplomatie un secours 270 PEKING. souvent nécessaire. Les amiraux et les officiers rivalisent entre eux de dévouement pour la gloire de la religion et de la patrie. Pendant l'hiver de 1894-95, chacun a pu voir le ministre de France à Péking partager, entre la légation de France et la mis- sion, un corps respectable de marins commandés par deux intelligents officiers, qui venaient protéger la croix et le pavillon français. En souvenir de cette triste année, la mission française a élevé dans le parc du Pc-fang un monument commémoratif en l'honneur de la Vierge protectrice, monument sur lequel on peut lire en chinois cette inscription: « Une guerre terrible étant venue mettre en péril l'empire, la dynastie et la religion, on a élevé ce monument votif à la Vierge qui les a protégés contre tout danger. » Enfin l'empereur vient d'envoyer pour le représenter au couronnement du Czar, et de là en France, avec une mission spéciale, le célèbre Li-houng-tchang, dont le nom est si connu dans toute l'Europe. En parcourant cette partie historique consacrée à la ville de Péking, on sera frappé de la vitalité de ce peuple chinois qui a traversé tant de siècles en conservant ses coutumes, ses usages, ses lois, son gouvernement. L'horreur du changement, le respect du passé, la soumission à l'autorité, est ce qui caractérise la Chine, mais aussi ce qui l'immobilise. Quel est l'avenir que la Providence lui réserve ? Personne ne saurait même le conjecturer ; cependant, si elle entre résolument dans la voie du pro- grès, si ses yeux s'ouvrent aux vérités religieuses qui seules peuvent la moraliser, cette' o-randé nation peut encore retrouver sa gloire, la cour son éclat, la ville son ancienne splendeur. II ïirtic HeiïtLiytibc VILLE DE PÉKING. — MONUMENTS. — PALAIS IMPÉRIAL. MINISTÈRES. — PAGODES. — LAMASERIES. — ÉGLISES. — JARDINS. SÉPULTURES DES EMPEREURS. INDUSTRIES COMMUNES. — VOYAGES. — CLIMATOLOGIE. SCIENCES ET ARTS. US ET COUTUMES. — FAUNE ET FLORE. — EAUX THERMALES. BRONZES ANTIQUES. CÉRAMIQUE CHINOISE, ETC., ETC. *$> ^ Pfting. 93&u CHAPITRE XV ~*~m I. PLAN DE FÉKING. LES VILLES. LE PALAIS IMPÉRIAL. LES MURAILLES. LES PORTES. — II. LES JARDINS IMPÉRIAUX. LE PÉ-HAÈ. LE TCIIOUNG-HAÈ. LE NAN-HAÈ. LES PALAIS DE L'IMPÉRATRICE. LE TSE-KOUANG-KO. LE PONT DE MARBRE. — III. TOUR DE LA CLOCHE. TOUR DU TAMEOUR. OBSERVATOIRE. SALLE DES EXAMENS. ÉLÉPHANTS. iTPE cités tout à fait différentes forment la ville de Péking. 1° L.\ VILLE VIOLETTE RÉSERVÉE (Tse-kill- tch'eng), ainsi nommée parce que jadis on ne devait employer que du mortier violet pour les constructions, de là Tse (violet). Cette ville est absolument interdite, et personne ne peut y pénétrer, d'où le mot kin (réservé) ; enfin, cette enceinte est fort étendue, d'où le mot tilieng (ville). 2° La VILLE IMPÉRIALE ( HodUg-tcIl eilg), ainsi nommée du mot Hoang (empereur) et du mot tclîeng (ville). On lui donne à tort le nom de ville jaune, confondant le mot hoang, jaune, avec le mot hoang, impérial. 3° La ville tartare, nommée Née-tcKeng, parce qu'elle est en dedans, c'est-à- dire au nord : d'où le mot Née (en dedans), tcheng (ville). 4° La ville chinoise (Nan-(ch 'eng ou Ouaè-louo-tciïeng); elle est au sud et a été adjointe à la précédente, comme l'indiquent les mots Nan (sud), louo (ajouté) et Ouaè (en dehors). i° TSE-KIN-TCHENG. — Au centre de Péking se trouve la ville réservée à l'empereur, contenant ses palais de réception et ses appartements privés. Du nord au sud, celle-ci mesure i .006 mètres ; de l'est à l'ouest, 786 mètres. Un mur crénelé de 22 pieds d'élévation l'entoure, ainsi qu'un fossé de 60 mètres de large, rempli 276 PEK.ING. •&» I'I. AN DE I'KKIN'i. PLAN DE PEKING. 277 LEGENDE DU PLAN DE PÉKING. i Pé kouan, établissement russe. — 2 Young-ho-koung. Bouddha vivant. — 3 Ngan-ting-men. - 4 Teucheng men. — 5 Nouveau palais du 7"'" prince. — 6 Si-tche-men. - 6' P'ing-tse-men. - 7 Tchoung-leou (Tour de la cloche). — S Kou-leou (Tour du tambour). 9 Toung-tche-men. — 9' Ts'i-hoa-men. — 10 Église du Si-t'ang. — 11 Heou-men. — 12 Le Si-che-k'ou (conservé par l'em- pereur). — 13 Le Si-che-k'ou (donné par l'empereur). — 14 Nouvelle cathédrale. Le Pét'ang. — 15 Pé-haè (Lac du Nord). — 16 Pè t'a. — 17 Pont de marbre (Yu-ho-k'iao). 18 Tchoung-haè (Lac du centre). — 19 Nan-haè (Lac du sud). — 20 Tse kouang-ko. — 21 Ancien Pét'ang. — 22 Nouveau palais de l'impératiice-mère. — 23 Mée-chan. — 24 Palais impérial. — 25 Appartements privés de l'em- pereur. — 26 Chen-ou-men. — 27 Entrée du palais. Porte du sud. — 28 Si-hoa-mer. — 29 Toung-hoa- men. — 30 Eglise Saint-Joseph (Toung-t'ang). -- 31 Magasins de ri/, impériaux. — 32 Légation de France. — 33 Légation d'Italie. — 34 Légation d'Allemagne. — 35 Légation du Japor. — 36 Légation d'Espagne. -- 37 Légation d'Angleterre. — 38 Légation de Russie. — 39 Légation d'Amérique. — 40 Inspectorat général des douanes. — 4r Bureau de poste. — 42 Ha-ta-men — 43 Ts'ien-men. - -14 Choun -tche-men. — 45 Ancienne cathédrale (Nant'ang). — 46 Les éléphants de l'empereur. - 47 Si-pien nien. — 48 Toung-pien-men, canal impérial. 49 Ancien palais du 7me prince. — 50 Tchang- i-men. — 5t Cha kouo-men. — 52 Nan-si-men. — 53 Young ting-men. — 54Tso-ngan-men. — 55 Tem- ple du ciel. — 56 Temple de l'agriculture. d'eau. A l'extérieur, entre les murs et le fossé, existe une enfilade de casernes et de magasins pour le service de la garde. Aux quatre angles sont autant de pavillons appelés Ktao-leou, c'est-à dire pavillons angulaires ; les murailles sont percées de quatre portes : au sud, Ou-men ; au nord, Ckenou-men ; à l'est, Toung-hoa-men ; à l'ouest, Si-hoa men. Après avoir traversé le Ou-men, on rencontre une seconde porte nommée Taè-homen, donnant accès dans une cour magnifique où se trouve le grand palais T'aè-ho tien : c'est la salle du trône, la salle d'audience, la première salle de réception ; c'est là que sont reçus les ambassadeurs ; l'empereur s'y rend le jour de sa naissance et le jour de l'an pour s'offrir aux prostrations et aux vœux des princes et des grands. Aucune salle du palais n'approche de celle-ci pour la magnificence. Vient ensuite le Tchoung-ho-tien, salle des cérémonies, de la généalogie impériale, où sont présentés à l'empereur les instruments d'agriculture, les grains, les échantil- lons des récoltes. En remontant toujours au nord, on arrive au Pao-ho-tien, salle du conseil, servant aussi aux examens des candidats à l'académie des Han-lin et de salle des Annales. Puis on rencontre le Tsien-ts ing-mai, donnant accès au palais Tsien-ts ing-koung ou appartements privés du souverain ; enfin le Kiao-t 'aè-tien, salle des noces ; le K 'oun-ning- kouiig, la porte K ' oun-ning-men et le jardin à fleurs Yu-hoa-yuen. Toute cette ligne de palais est bordée à l'est et à l'ouest par une muraille percée de plusieurs portes, ce qui forme encore deux nouvelles rangées d'appartements, le Toung-léou-koung et le Si-lcou-koung ; c'est là que se trouvent les palais des impé- ratrices, d'où viennent les noms des deux impératrices; Toung-t' aè-heou (impératrice de l'est) et Si-t' aè-heou (impératrice de l'ouest). On trouve aussi dans ces deux enfi- lades de droite et de gauche les appartements des femmes, les infirmeries, les salles de comédie, les magasins de soieries, pelleteries, vêtements, thé, médecines et mille autres choses; enfin plusieurs superbes pagodes et le trésor impérial renfermé dans l'appartement appelé Kouang-tchou-sse. Il faudrait un volume pour la description détaillée de tous ces palais ; c'est vers le sud-est que se trouve le Oiten-hoa-tien où furent reçus les ambassadeurs en 1895. i° HOANG TCH'ENG. — Cette ville impériale a été construite, ainsi que le palais et la ville tartare, par l'empereur Yoiing-lo des Mit/g (1406-1437). Les murs du Hoang-tch'eng ont 18 li de tour, soit 10 kilomètres 350 mètres ; leur hauteur est 278 PEKING. PLAN ET LÉGENDE DU PALAIS IMPÉRIAL DE PÉKING. ' ^f i ' > i-men. — 2. T'aè-ho-men. — 3. T'aè-ho-tien. — 4. Tchoung-ho-tien. - 7. Ts'ien-ts'ing-koung. — S. Kiao-t'aè-tien. — 9. K'oun-ning-koung. — 10, [j. Chen-ou-men. — S. Si-léou-koung. — P.Toung-léou-koung. — P. Kouang-tchou-sse 5. Pao-ho-tien. — 6. Ts'ien-ts'ing-men. — K'oun-ning-men. — II. Vu-hoa-yuen. — Chen-ou-men. — S. Si léou-koung. — P.Toung-léou-koung. — P. Kouang-tchou-sse. — I. Ing-hoa-tien. — J. Si- hoa vuen. - K. Tchoung-tcheng-tien. — C. Cheou-ngan-koung. — D. Lao-koung-lh'ou. — E. Cheou-k ang-Uoung. — 1 1 e-ning-koung. — G. Tsao-pan-tch'ou. — H. Née-ou-fou. — L. Nan-sun-tien. — M. Sien-ngan-koung. - i-kien. — O. Ou-ing-tien. — Q. Nan-fou. — R. Houng-i-men. — U. leou-i. — V. King-yun. che-lenu. — b. Vang-sin-lien. — c. Ning-cheou-koung. — d. Hoang-ki-tien. — e. Fong-sien tien. — g. Tsien-ting. — h. Ouen-hoa-tien. — i. Tch'ouan-sin-tien. — j. Loung-tsoung. — k. Tsouo-i. - m. T'i-jen-men. — n. Née-k'ou. — o. Née-ko. — 13. Si-hoa-men. — 14. Toung-hoa-men. A. — Murailles, fossés, maisons des gardes. X. Miao. — a. Vuè- - f. Kouo che-kouan. 1. Sse-k'ou-chou. — Z. Kiao-ho-leou. — PLAN DE PEKING. 279 de 18 pieds, leur largeur à la base de 6 pieds % sur 5 pieds 20 au sommet ; ils sont percés de quatre portes, dont voici les noms . au sud, Ta-ts ing-men ou TcJiang- ngan-men ; au nord, Ti-ngan-men ou Heou-men ;àl' 'est, Toung-ngan-men ou Toung- hoa-men ; à l'ouest, Si-ngan-men ou Si-hoa-mcn. Ces portes ont environ 70 pieds de large et sont divisées en cinq travées égales , celle du milieu est réservée à l'empe- reur. Dans l'intérieur du Ta-ts'ing-men se trouvent encore deux portes, le Tien- ngan-men et le Touan-mcn, puis le Ou-men, qui est l'entrée sud de la ville réservée ou palais impérial. Entre ces deux portes se voient les deux pagodes T'aè-miao et OUEN-HOA-T1EN, SALLE DE L'AUDIENCE. Che-ki-tan ; enfin au devant du Ou mai ont été placés des cadrans solaires et autres instruments. 30 NEE-TCH'ENG. — Cette ville tartare a 41 // 26 de tour, ou 23.720 mètres; les murs ont 4 1 pieds de haut sur une épaisseur de 62 à la base et 50 au sommet; ils sont percés de neuf portes, dont voici les noms : Au sud, Tcheng-yâng-men ou Tsien-men faisant face au palais, Tchoung-ouen-men ou Hata-men, Suen ou-men ou Choun-tche-men ; au nord Ngan-ting-mcn et 7 ' cu-chcng-men ; à l'est, Tclîao-yang- men ou Ts i-hoa-men et Toung-ie-men : à l'ouest, Fou-tcK eng-men ou P'ing-tse-men et Si-tche-men. Chaque porte est flanquée d'une demi-lune, comprenant une grande avant-porte en maçonnerie percée de meurtrières pour les canons, et de deux petites portes de côté; celles-ci en cas de guerre sont fermées par une énorme grille en fer 280 PEKING. cachée dans la construction qui les surmonte et qu'on laisse tomber en guillotine. Les avant-portes se nomment Tien-leou, la demi-lune Ync-tchaig, les portes de côté Yuè-tckeng-men ; il est évident que du temps où elles ont été construites, ces fortifi- cations étaient très respectables; aujourd'hui elles n'arrêteraient pas l'ennemi, quelques obus feraient tout sauter. 4° NAN-TCH'ENG. — Cette ville a été construite et entourée de murs bien après la ville tartare, la 23e année de l'empereur Kia-king des Ming. Ses murailles ont 2S li de tour, soit 15.900 mètres ; elles sont percées de sept portes : au sud, Young-ting-men, centrale ; Tsouo-ngan-men ou Kiang-tsa-men à gauche ; Yo-ngan- mai ou Nan-si niai à droite ; à l'est, Kouang kiu mai ou Cha-ouo-men et Tonng- piaiiuai ; à l'ouest Kouang- m ng r mai ou Tchang-i-men et Si pien-men. Ses murs ont 20 pieds d'épaisseur à la base et 14 au sommet, sur 25 pieds de haut. Comme dans la ville tartare, les quatre angles portent de grands pavillons en briques, nommés Kiao leou ; enfin la ville chinoise a aussi ses avant-portes et sa demi-lune mais sans portes de côté. D'après la croyance chinoise, les bons esprits traversant l'espace à 100 pieds de haut, aucun monument ne doit atteindre cette hauteur, pour ne pas les gêner ; aussi les édifices les plus élevés, comme les pavillons surmontant les portes, ont tous 99 pieds, soit environ 33 mètres. De chaque côté des portes sont dressées cinq mâts pour suspendre les étendards. De l'intérieur on peut facilement monter sur les murailles par des chemins en pente douce, en donnant une légère gratification aux gardiens. De là, on domine toute la ville, et la promenade de la porte Ha-ta -nien à la porte Choun-tclie-mai, sur les remparts, n'est pas sans intérêt : au nord on voit la ville tartare qui ressemble à une vaste forêt, car les arbres y sont à profusion : au sud on a sous les yeux la ville chinoise, et, si l'on s'arrête à la parte Tsien-men, le palais s'aperçoit en entier à quelques centaines de mètres. II Lis jardins de plaisance de l'empereur et des impératrices sont situés au nord et à l'ouest du palais impérial. i° MEE-CHAN. — En sortant du palais parla porte du nord C/een-ou-men, on a devant soi une charmante montagne réservée à l'empereur ; elle se nomme King- c/ian ou ( hiansoi/ir/ian, plus connue sous le nom de Mée-chan (montagne de charbon). On dit en effet qu'un amas de charbon y est préparé pour les cas de siège. Cette montagne artificielle a 210 pieds de haut en suivant la pente et deux //de tour, soit 1 1 50 mètres. Au bas se trouve un palais appelé Tsi-ouang-lcou, puis un chemin pour monter au cinq kiosques qui la dominent. Elle date des Yuen, mais c'est l'empereur Kia-king des Ming qui a fait construire les pavillons. Celui du milieu, le plus élevé, est carré et couvert de tuiles jaunes vernissées;les deux suivants de droite etde gauche sont hexagones, couverts de tuiles jaunes et vertes mélangées; les deux derniers près dis précédents, sont ronds et couverts de tuiles d'un vert bleuâtre à couleur irisée, fort agréable. Chacun de ces pavillons est placé sur un tertre, de telle sorte que la montagne forme cinq élévations couvertes d'arbres. Derrière la montagne, au nord, faisant face à la porte Heou-men de la ville impériale, on a construit un palais nommé Cheou-hoang-tien, qui a plus de 33 mètres de long ; c'est là que le cercueil de l'empereur est déposé après sa mort, avant d'être porté aux sépultures des sou- verains ; on y honore tout particulièrement l'image de l'empereur K'ang-si qui y PLAN DE PEKING. 281 est placée. Dans les cinq kiosques sont des statues de Fo, auxquelles l'empereur rend un culte quand reviennent certaines époques de l'année. VUE DU MEECHAN. On voit encore dans l'enceinte du Mée-chan l'arbre où l'empereur Tch oung-tchen s'est pendu : c'est une espèce d'acacia (hoc-c/iou), il se trouve sur la partie nord-est TSE-KOUANG-KO. de la montagne et est encore enchaîné. Actuellement il est impossible d'accéder à cette agréable montagne ; on ne peut même plus traverser le chemin qui existe entre elle et le palais, comme on le faisait facilement autrefois. 282 PEKING. 2° PÈ T'A. Voici sans contredit le plus beau paysage de Péking; cette montagne artificielle et probablement formée des terres provenant des lacs qui l'entourent, se nomme Kioung-hoa-tao: elle existait déjà du temps des Kin et des Yucn, et a tou- tours servi de jardin de plaisance pour les empereurs. Du temps des Kin, elle se trou- vait en dehors et au nord de leur capitale ; depuis les Yuen, elle est dans l'enceinte et fait partie des jardins absolument réservés à la cour. L'espèce de mausolée ou tour blanche qui domine le sommet a été construit par Choun-tche, premier empereur des Tsing : ce n'est point un tombeau, comme on pourrait le croire, mais une espèce de niche pour une belle statue de Fo très artistique en terre vernissée. Sur le devant, se voit une petite pagode entièrement en bronze contenant une autre statue : c'est un Poussa terrible en bronze fort bien travaillé, ayant autour du cou un collier de têtes de morts. De grands mâts sont disposés comme aux portes de Péking pour les oriflammes et drapeaux ; toute la montagne est boisée et décorée d'une multitude de Yr-HO-K'lAO (pont de marbre). kiosques et de pavillons. Des ponts de marbre la relient aux autres palais qui l'envi- ronnent, et une belle balustrade en marbre blanc règne tout à l'entour sur le bord des lacs. On regarde cette tour blanche comme le palladium de l'empire. 3° SAN-HAE. les trois mers. — Trois mers, ou plutôt trois lacs joints entre eux, occupent toute la partie ouest de la ville impériale ; ils ont donc une longueur du nord au sud, d'environ 7 li ou 3725 mètres. Le nom général est King-haè, mais chaque partie porte un nom spécial : au nord, Pé-haè ; au milieu, Tclioung-Jiaè, au sud, Nan-haè. Sous les Kin, cet emplacement se nommait Si-hoa-f an ; les Yuen y ont exécuté de grands travaux, et les Ming ont terminé les embellissements comme on les voit aujourd'hui. La largeur des lacs varie, mais la moyenne est d'environ 300 mètres. Aux lacs proprement dits on donne encore le nom de T'àc-itch'e. Un pont splendide en marbre sépare le lac du milieu de celui du nord et fait communi- quer les deux rives; ce pont se nomme Yu-ho-kiao. Au sud (Nan-haè) se trouve un pont volant en madriers ; on peut isoler les rives à volonté; c'est là que du temps des Ming se trouvaient de beaux palais reconstruits et très augmentés dernièrement PLAN DE PEKING. 283 pour devenir la résidence de l'impératrice- mère ; cette partie touche à l'entrée ouest du palais impérial. Au milieu (Tchoung-haè), nous voyons à l'est du lac, près des murs du palais, une belle pagode appelée Ouan-chan-tien ; elle est desservie par des bonzes payés par l'empereur. A l'ouest en rencontre l'ancien Péfang, le palais du Tsekouang-ko qui s'est appelé aussi Léeinn-ko ; c'est là que se font les examens militaires, comme les examens civils se font au Pao ho-tien. On y reçoit aussi les princes et ambassadeurs tributaires, et on y donne les grands repas aux princes mongols ; enfin l'empereur y a reçu les ambassadeurs européens en 1874. Le palais est fort beau, les murs sont décorés de peintures représentant les exploits deÀ"/<-«- loung ; un trône d'or occupe le milieu. A l'étage supérieur sont représentés tous les hommes célèbres qui ont illus- tré l'empire ; on appelle cette salle Koung-tchcn-siang : on y voit aussi les anciennes armures, cuirasses, casques, armes diverses des premiers temps. Derrière le Tse-kouanç-ko, se trouve un autre pavillon qui contient divers cadeaux faits à l'empereur par les étrangers, principalement des selles et des chaises à porteurs de toute espèce. De là on a une vue superbe sur le pont Yuhok'iao et sur la montagne Kioitno-hoatao : on aperçoit d'abord le Pé-haè, magnifique montagne domi- née par la tour blanche Pc-t'a, puisquel- ques bosquets fleuris du plus agréable effet ; mais les richesses sont au nord. La première est située sur les bords du lac ; c'est une espèce de pont, affectant la forme d'un dragon ; cinq ondulations simulent les replis du serpent, et entre chacune de ces ondulations est bâti un kiosque ; cet endroit s'appelle Ou- loitng-t'ing, il sert d'embarcadère pour les promenades en bateau. On trouve ensuite une magnifique pagode, le Ki- lo-che-kiè, avec quatre portiques en tuiles vernissées, très richement déco- rés ; dans l'intérieur on admire une reproduction de montagne en bois sculpté, avec grottes, chemins et sentiers, bonzes, ermites ; au nord de cette première pagode, il y en a une seconde non moins belle, Otîan-Fo-leou (temple des dix milles Fo) ; on compte en effet à l'intérieur dix milles statues et statuettes en bronze ; un peu plus loin, sur la droite, est le palais de repos de l'empereur; il s'y arrête dans ses prome- nades pour boire le thé. Tout à côté, se trouve l'immense temple Ta-Fo-leou (pagode du grand Fo) ; il mérite bien ce nom, car la statue de Fo que l'on y adore a 23 mètres ! Le palais de l'impératrice est à l'est de ce temple, moins grand que celui de l'empereur, mais également fort beau. Viennent ensuite le Ta-si-t'ien&t le Siao- si-t'ien, deux pagodes ; le Ts'an-t'an, espèce de magnanerie où l'on soigne les vers à YU-KANG EN JADE VASE A POISSONS). 284 PEKING. soie de l'impératrice. Toutes ces pagodes et ces temples sont desservis par des lamas en nombre très considérable. Les eaux de ces lacs viennent de la fameuse montagne Yu-tsiuen-chan, à l'ouest de Péking. 4° TCH'ENG-KOUANG-TIEN. - - Près du pont Yu-hokiao se trouve un grand pavillon entouré d'un mur circulaire ; jadis, sous les Yuen, il s'appelait Y-tien- tien ; on le nommait aussi Kien-kouang-tien ; enfin depuis les J\Iing il a pris le nom de Tcli cno-lcoiiang tien. L'empereur K'ien-Ioujig, la 10e année de son règne, y fit placer un énorme Yu- kavg (urne ou vase à poissons) en jade verdâtre nommé Pi yu ; c'est un objet de la plus haute antiquité. Dans le pavillon se trouve un trône impérial, et c'est là que le souverain a reçu en 1 893 plusieurs ambassadeurs européens ;ce pavillon sert encore à l'empereur pour se revêtir des vêtements de deuil, comme il fit il y a quelques années *^W™v R 'a mort de son père, le septième prince. III LA ville tartare renferme encore beaucoup d'autres monuments qui ne sont pas sans intérêt. i° TCHOUNG-LEOU, tour de la cloche. — Cette tour en pierre et en briques a près de 90 pieds d'élévation ; construit par les Yuen, ce monument était au centre de Kambalick, leur capitale ; il fut re- construit ou réparé à neufpar Yonng- lo des Ming, en même temps que cet empereur recouvrait de briques les murs de Péking ; il fut incendié et réédifié la 10e année du règne de K'ien-Ioung. Cette belle tour renfer- me une cloche fort grande qui sert encore maintenant à sonner les veil- lesde la nuit;elle pèse, dit-on, 20,000 livres. 2" KOU-LEOU, tour du tambour. Cet édifice est construit en briques jusqu'à l'étage supérieur, qui est en bois ; il mesure 99 pieds de haut et au moins autant de côté ; on le nommait jadis, sous les Yuen qui l'ont bâti, Tsi cheng-leou. Il y avait alors dans l'intérieur, pour servir à régler le temps, quatre vases en bronze ; au fond de ces vases une petite ouverture laissait échapper goutte à goutte l'eau dont ils étaient remplis. Le niveau de l'eau, progressivement abaissé, indiquait les différentes veilles de la nuit. Les vases existent encore, on ne s'en sert plus ; ils sont remplacés par des bâtonnets de sciure de bois qui brûlent et dont la longueur CI.OCHK Dh. 20.000 LIVRES (l'CHOUNG-LEOl PLAN DE PEKING. 285 diminuée peu à peu indique également les veilles ; un énorme tambour est placé au milieu de l'étage supérieur du monument et on le frappe à chaque veille, en même temps que la cloche du Tchoung-leou qui se trouve à environ 100 mètres plus au nord ; les vases anciens en bronze se nommaient Toung-leou-hou ; les bâtonnets dont on se sert à présent s'appellent Che-tchen-siang. 3° OBSERVATOIRE. — Du temps des Yuen, l'observatoire se trouvait à l'angle sud-est de leur capitale Ta ton ou Kambalick ; lorsque Young-lo des Ming rebâtit Péking, les murs furent repoussés plus au sud, et c est ainsi que l'obser- vatoire est maintenant plus au nord. Une voûte solide le supporte, et il a 50 pieds de haut seulement; mais sous les Yuen s'élevait au milieu une tour octogone : le quart de cercle y était placé. L'empereur Kia-king le reconstruisit ou répara la 2e année de son règne ; on y avait placé, pour l'étude des vents, un mât appelé Choun- foung-ts i-kant une sphère nommée 7/oiiu- t'ien-i, un cadran solaire Je-koiti ; la 7e an- née de cet empereur, on y construisit une tour en bois de 40 pieds, pour les observa- tions. Plusieurs autres instruments y furent encore disposés, entre autres le Pan-koui, le Pieu koui, le Suen-koui ; ils y demeurè- rent jusqu'à l'arrivée du Père Yerbiest, qui fit fondre de nouveaux instruments. Sous les Yuen, le grand astronome se nommait Kouo-cheou-king ; sous les Ming, Tckeoti- koun-mouo. Ces mandarins étaient aussi chargés de la rédaction du calendrier. 40 KOUO-TSE-KIEN, collège impé- rial. — Il fut construit par les Yuen au nord- est de la ville, et les Ming le com- plétèrent ; c'est là que les bacheliers et docteurs se préparent aux derniers examens de mathématiques ; ils sont entretenus aux frais de l'empereur, qui s'y rend lui-même quelquefois. La cour mesure 430 pieds et est pavée de marbre ; on y voit un jardin fort beau et enfin, à l'est, un temple nom- mé Ta-tch 'eng-tien, consacré au culte de Confucius. 50 KOUNG-YUEN, salle d'examens. — Cet édifice fut bâti par Young-lo et renferme, outre de magnifiques palais, dix mille chambres pour les lettrés. C'est là que les bacheliers reçus dans leurs provinces respectives doivent venir concourir en vue d'obtenir le haut grade de Kiu-jen et Kin-che. Tous les trois ans, ils arrivent au nombre de cinq ou six mille ; on donne à chacun une chambre où il travaille pendant un jour et deux nuits, sans communiquer avec personne et se nourrissant de petits gâteaux secs apportés du dehors ; il ne peut avoir aucun manuscrit. Au sortir de cette cellule, il remet sa composition, qui est examinée par les hauts mandarins désignés. Les cours sont décorées de superbes stèles en marbre; un pavillon en occupe le milieu; CADRAN' SOLAIRE. 286 PEKING. il est consacré à Confucius. Le Koung-yuen est placé à l'est de la ville, à 1 500 mètres de l'observatoire. 6° CHE-KIA-HAÈ. — Les Mingqui habitaient Nanking, en arrivant dans leur nouvelle capitale du nord, regrettèrent leurs rizières, leurs lacs de nénuphars, leurs 1 \y/ 1 *V LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE L'ASTRONOMIE. \\y^ splendides eaux du sud ; ils voulurent en revoir l'image et creusèrent le Chekia-hac. Cette espèce de lac se trouve en dehors de la porte Heou-men ; il est fort étendu. Encore aujourd'hui on y voit des rizières, et en été de magnifiques nénuphars blancs et roses ; l'eau y arrive de la montagne Y%-ts iuen-chan ; elle y entre au moyen d'une écluse pratiquée sous les murs de la ville impériale. A l'ouest se trouve une belle PLAN DE PEKING. 287 pagode, le Loung-hao-miao, avec une foule de temples plus petits aux alentours ; ils ont été bâtis par Sang-tsang-che, mandarin du Chen-si ; c'est sous le règne de l'em- pereur Ouan-li des Ming que tout fut terminé. 7n SIANG-FANG-TSE, palais des éléphants. — Les empereurs, à certaines époques de l'année, par exemple pour aller au Temple du Ciel, devaient monter sur un char traîné par des éléphants. L'empereur Houng-tche des Ming construisit pour ces animaux un palais en dehors de la porte Choun-tche-nten ; sous cette dynastie ils étaient fort nombreux ; mais peu à peu leur nombre a été fixé définitivement à six. Ils venaient de la Birmanie ou de l'Annam par la province de Yun-nan. Le char impérial était superbe et les éléphants couverts d'étoffes précieuses ; on voit encore cette grande machine devenue inutile ; un mandarin spécial était chargé de soigner les éléphants et de les mener baigner. Un certain jour, il y a environ 14 ans, un éléphant mal apprivoisé causa des accidents ; en passant dans une rue, il saisit une vieille femme sourde et la jeta par-dessus les toits ; un peu plus loin, il entoura de sa trompe une voiture trainée par un âne et lança le tout dans une bou- tique ; c'est depuis lors qu'on ne se sert plus d'éléphants et qu'ils ne sortent plus ; on assure même que la coutume d'atteler ces animaux au char impérial étant tombée en désuétude, on ne fera plus venir d'autres éléphants à Péking. PALAIS DES ELEPHANTS. I. TA-KAO-TIEN. TEMPLE DU CIEL. TEMPLE DE l'ac.RICULTURE. TEMPLE DES LAMAS. KOUANG-MING-TIEN. FA-YUEN-SSE. LOÙNG-FOU-SSE. t'ÔU-TI-MIAO. PAO-KOUO-SSE. VOUNG-IIO KOUNG. — II. INSTRUMENTS DE L'OBSERVATOIRE. existe dans Péking un nombre considérable de pagodes ; certains auteurs affirment qu'il y en a plus de dix mille; quelques-unes sont vraiment remarquables par leurgrandeur et leurrichesse; presque toutes ont été construitessousles Yuen et surtout sous les Ming. Elles sont desservies par des bonzes, des Tao-che ou des lamas. L'em- pereur se rend indistinctement dans chacune. i° TA-KAO-TIEN. — Lorsqu'on se place à l'angle nord-ouest du palais, on voit directe- ment au nord, et immédiatement après le fossé, une superbe pagode couverte en tuiles jaunes avec un portique imposant : c'est le Ta-kao-tien; il a été construit par l'empereur Kia-king des Ming, et les empereurs Young-tcheng çx fCien- loung y ont fait de nombreux embellissements. A l'entrée se trouvent deux pavillons d'une architecture fort curieuse; c'est une agglomération de quatre ou cinq toitures en tuiles jaunes enchevêtrées les unes dans les autres. Dans cette pagode ne logent ni bonzes ni lamas ; ces derniers s'y rendent à jours fixes avec l'empereur pour demander, selon l'occurrence, la pluie, la neige ou le beau temps ; Fo y est adoré et on lui brûle des bâtonnets odorants. 2" T'IEN-T'AN, temple nu ciel. — Au sud-est de la ville chinoise ou Ouaè- tclieng, on rencontre le Temple du Ciel. C'est un immense enclos qui mesure 5750 mètres de pourtour. Du côté sud, le mur est carré et a trois grandes portes ; du côté est et ouest, une seule entrée; au nord, la muraille est arrondie en demi-lune et n'a pas d'ouverture. Ce temple a été bâti par l'empereur Young-lo des Ming, la iS' année TA-KAO-T1EN. 289 de son règne ; on y adorait dans les premiers temps le Ciel et la Terre ; mais il ne fut bientôt consacré qu'au < i 1 seul. L'empereur K' ien-loung l'a orné et réparé com- plètement la 1 Ne année de son règne. Plusieurs enceintes divisent ce grand emplacement ; on le visitait facilement il y a quelques années, moyennant une petite redevance donnée à chaque porte ; aujour- d'hui on n'y pénètre plus même à prix d'argent ; des trois esplanades rondes en p^gg^^;^ l'Okl'E U ENTREE DU TEMPLE DU CIEE. marbre blanc, élevées de 14 marches et entourées de balustrades bien travaillées, la première mesure 250 pieds, la deuxième 232, la troisième 216 seulement : le grand temple entouré de nouvelles balustrades se nomme Tsi-nien tien; il est circulaire et couronné de trois toitures superposées, en tuiles bleues ; une boule dorée les sur- monte ; son diamètre est de 70 pieds à la base. On y voit des colonnes magnifiques, et peintes ainsi que les poutres qui apparaissent, car il n'y a aucun plafond ; au milieu est placé un trône pour l'empereur;iln'y a pas d'idoles, mais, quand on doit faire les cé- rémonies, on y transporte la ta- blette du Ciel qui est conser- vée dans un au- tre local. Près du temple sont disposées plu- sieursfournaises où l'on brûle du papier, des holocaustes : cerfs, bœufs et autres animaux offerts au Ciel. L'une de ces fournaises est en maçonnerie, cinq sont en fer, ressemblant à d immenses braseros. L'empereur se rend au temple trois fois l'an, pour adorer le Ciel et lui rendre compte de son administration ; il fait trois génuflexions et neuf adorations sur la grande esplanade décorée pour la cérémonie ; cinq de ses prin- cipaux ancêtres y assistent (en effigie) ainsi que les princes et les hauts mandarins. Péking. 3 j&gvyyy. ^^T^jfj^^à^h\^t^\\^^^^^^^j^. FOURNEAUX OL' SONT IiRULÉES LES OFFRANDES. 290 PEKING. La première cérémonie, nommée Kiaofien, se fait à l'entrée de l'hiver, pour rendre compte. La seconde, Teu-sin, à la première lune, pour recevoir la mission de o-ouverner durant un an. La troisième, Ta-iu, vers la fin du printemps, pour demander la pluie et une bonne récolte. N'oublions pas que l'empereur se dit fils du Ciel ; ce titre explique toutes les cérémonies qu'il fait dans ce temple. En 1889, la foudre consu- ma ce magnifique monument; les Chinois racontent qu'un mille-pieds (kou-oung) ayant eu l'audace de monter jus- qu'à la boule, le tonnerre l'avait foudroyé! Depuis lors, on s'occupe de reconstruire les coupoles ; comme les colonnes et les charpentes étaient faites d'un bois spé- cial, probablement de châtai- gnier, il s'agissait, par respect pour la tradition, d'en trouver de semblable ; c'était impos- sible. Après de longues hési- tations, on s'est décidé à employer le pin de l'Orégon ; la dépense sera énorme, on parle de vingt à trente mil- lions, et les travaux ne seront point terminés avant dix ans! 3°SIEN-NOUNG-TAN, TEMPLE DE L'AGRICULTURE. — A l'ouest du Temple du Ciel se voit celui de l'Agriculture, moins vaste mais également très important par les rites qui s'y observent. Il mesure 3450 mètres de tour ; sa forme est la même que celle du précédent. Bâti sous les Ming par l'empereur Kia- king, il a été réparé et orné [i ; mais K \vig-si\e reconstruisit la 5e année de son règne et l'appela Hounç-jen-sse ; il est plus connu sous le nom de Tchau-f an-sse. Plusieurs centaines de lamas, payés par l'em- pereur, desservent cette pagode, qui est riche- ment dotée; les cours sont pavées de marbre ; on y rencontre trois magnifiques monuments: le premier se nomme Tien-ouang-tien ; le second, Tsc-jen-pao-tieii; le troisième, Ta-pao- tien ; c'est dans ce dernier que se voit la fa- meuse statue de Fo, dite miraculeuse. D'après la tradition, cette statue, qui mesure un peu plus de cinq pieds, est venue seule de l'ouest, dès l'apparition de Fo. Elle est en bois de Tchau-t'au, et a été fabriquée par le roi You- tien-ouang, la 12e année du règne de Mou-ouang de la dynastie des Tchcou. On en DEESSE DE TCHAN-T'AN-SSE. 292 PEKING. avait 32, mais Fo lui-même a révélé que celle-ci était la seule ressemblante. Le roi de Po-sse (la Perse) en commanda une copie et l'appela Jou-Iàè siaug, c'est-à-dire qui vit et marche de soi même ; elle était jadis revê- tue dune espèce de vernis noirâtre et changeait de couleur selon la température et selon l'heure ; mais l'impératrice-mère, sous l'empereur Ouanh des Ming, la fit complètement dorer. Depuis sa fabrication jusqu'à la 60e année de Rang-si (c'est K ang-si lui-même qui ra- conte tous ces fabuleux détails), il s'est écoulé 27 10 années. Après être restée dans l'ouest 1280 ans, elle partit d'elle même pour le Koui-tse-kouo et y demeura 68 ans, puis au Kan-son 14 ans, à Si-ngan-fou 17 ans, au Kiang-nan 173 ans, au Ngan-houi 367 ans, et plus ou moins longtemps en d'autres lieux ; enfin, elle arriva à Péking dans la pagode Cheng- ngan-sse et au palais impérial, où elle resta 54 ans ; le palais ayant été brûlé, elle retourna à la pagode crâne humain servant de lampe. pour 59 ans ; tout ceci se passait avant et pendant la dynastie des Yucn. Sous les Ming, elle arriva au Kioufoung sse et y demeura 128 ans; bref, MASQUES DES DIABLES (CÉRÉMONIE DU BOUDDHA VIVANT). après plusieurs autres pérégrinations, elle se rendit définitivement à la pagode Houng-jen sse, la 4" année de K'ang-si ; on peut l'y visiter. Une de ses mains est TEMPLE DES LAMAS. 293 élevée vers le ciel, l'autre retombe vers la terre. Cette statue est très vénérée et l'empereur lui-même va l'adorer. On trouve encore dans le temple un nombre infini d'autres idoles; il y en a même une qui porte le nom de Lou-kifo cul, traduction exacte de Lucifer en langue chinoise ! Le Bouddha ou Fo vivant célèbre dans cette pagode une cérémonie fort curieuse, à laquelle on peut assister. Le 8e jour de la première lune de chaque année, il se rend avec tous les grands lamas à la pa- gode de Tchau-fan-ssc. Arrivé de- vant le Tapaotien, il monte sur un trône et assiste à l'office que récitent à voix très grave une centaine de lamas divisés en deux chœurs. Une lampe faite d'un crâne hu- main brûle sur un escabeau ; des conques marines accompagnent les chants. Le Houo-Fo se revêt des ornements de cérémonie : une espèce de dalmatique avec l'éphod juif, une mitre semblable à celle du grand- prêtre des Hébreux, le tout jaune brodé d'or. A ses côtés se trouvent des lamas-ministres, plusieurs en- fants portant des flambeaux, l'eau lustrale et les encensoirs. Pendant tout le temps de l'office, qui dure environ une heure, le Houo-Fo ne quitte pas son trône et se tient gra- vement recueilli ; la foule occupe toujours les cours, tous les pavillons et l'immense esplanade qui précède le temple ;elle est sans cessetroublée, refoulée, mise en émoi par environ 200 individus déguisés en diables, qui courent partout en jetant de la farine ou de la chaux et en criant comme des possédés. Leur déguise- ment n'a rien de remarquable : têtes de tigre, d'ours, d'animaux divers, de monstres, de diables, de fantô- mes, tout cela en carton peint avec des vêtements plus ou moins assortis. Lorsque l'office est terminé, Houo-Fo se lève, asperge toute l'assistance, met de l'encens dans les cassolettes et s'avance pour pénétrer dans la pagode, jusque-là strictement fermée; les portes s'ouvrent comme d'elles-mêmes, on aperçoit l'idole entourée de godets allumés où brûlent l'huile et le beurre ; l'autel est chargé de chan- delles carrées de diverses couleurs Le Houo Fo entre seul et les portes se referment. LAMA EX HABIT DE CHŒUR. 294 PEKING. Rien ne rappelle mieux l'entrée du grand-prêtre des juifs dans le Saint des saints. Lorsqu'ils voient le Bouddha-vivant entrer dans la pagode, les diables commencent à se remuer encore davantage, puis se réunissent tous dans la grande cour et font une ronde infernale, vociférant et poussant des hurlements affreux ; le peuple crie, fuit, revient ; les gens du commun, très nombreux, se joignent aux diables masqués, et bousculent les femmes et les enfants ; enfin subite- ment, sans qu'on puisse voir aucun truc, les diables s'évanouissent, disparais- sent on ne sait comment, soi-disant chassés par les prières du Hmio-Fo ; ainsi finit la cérémonie. Alors, leBouddha-vivantremonte dans sa chaise jaune et retourne chez lui, escorté de nombreux lamas à che- val et en voiture; le peuple se disperse peu à peu et tout rentre dans le calme. 5° KOUANG-MING- TIEN. — Dans l'intérieur de la ville impériale, près de la porte de l'ouest (Si- hoa-men),on voit la pagode Koiiavg-ming-tien ; elle est facile àdistinguerdu Tem- ple du ciel, car elle n'a que deux toitures rondes super- posées, tandis que le Tien- l'an en a trois. Le Kouang-ming-tien a été bâti en la 36e année du règne de Kia-king des Ming, et les empereurs de la dynastie actuelle y ont fait quelques réparations. Ce temple est desservi par des Taoche qui vivent déesse kouan un sur les feuilles du lotus (kircher). ensemble sous la conduite d'une espèce d'abbé ; c'est un semblant de monastère ; l'empereur donne une pension à ces Tao-che, qui du reste ne sont pas en très grand nombre. La double coupole est couverte en tuiles bleues, les cours dallées de marbre, et deux escaliers magnifiques conduisent à la plate-forme du temple. On n'y adore pas Fo comme chez les Bouddhistes, mais J u-Hoang, T'ai ki et d'autres divinités de la secte Lao-tse. 6" FA-YUEN-SSE. — Ce temple, situé dans bipartie ouest de la ville chinoise, est un des plus anciens cL Péking ; il date des T'ang. Sous cette dynastie on l'appe- LOUNG-FOU-SSE. 295 lait Ning-tckou-sse : il avait remplace la pagode Tche-tsîien-sse construite par les Soui, c'est à dire vers l'an ÔOO de notre ère. Une tour en bois fort belle y avait été élevée pour conserver les pré te m lues reliques de la déesse Kouan-iin ; d'après une légende, on découvrit en creusant la terre une caisse en pierre contenant un vase d'or ; dans ce vase étaient reniermés les ossements de la déesse. Actuellement cette pagode tombe en ruines. 7° LOUNG- FOU-SSE.— Cet- te pagode, en assez mauvais état au- jourd'hui, se trouve dans la partie Est de la ville tartare ; l'empereur King- t'aè des Ming en est le fondateur. Elle comprend cinq cours et autant de pavillons fort ri- ches ; on y adore Fo et la déesse Koitau- iin. Autrefois, sous les Ming, elle était desservie par de nombreux bonzes ; aujourd'hui, il n'y a plus que quelques gardiens. Depuis Young-tcheng, elle sert à une foire qui se tient les 9, 10 ; 19, 20 ; 29, 30 de chaque mois. 8°HOU-KOUO- SSE. — Cette pa- gode est située à l'ouest de la ville tartare, vis-à-vis de la précédente; sous les Yuen, elle se nommait Tchoung- kouo-sse, et n'a pris sa nouvelle dénomination que sous les Ming; c'est l'empereur Tcheng-hoii de cette dynastie qui l'a construite. On y adore Fo, et sous les Ming les bonzes la desservaient, actuellement ce sont les lamas ; elle compte quatre cours, quatre grands pavillons et deux petites tours sur le devant. Comme la précédente, elle est utilisée pour une foire qui se tient les 7, 8 ; 17, 18 ; 27 et 28 de chaque mois. 9° T'OU-TI-MIAO, pagode du génie local. — Ce temple est placé à l'ouest de la ville chinoise, près de la porte Tchang-i-men ; il existait déjà avant les Ming, DÉESSE KOUAN-IIN (PÉ-T'ANG . 296 PEKING. mais sous Ouan-li, la reine. mère le rebâtit complètement à l'occasion d'un vœu qu'elle avait fait pour obtenir la guérison de ses yeux malades. On n'y adore point Fo, car le temple appartient aux Tao-cke, qui y rendent leur culte à Lao-kiiin ou Lao-tse, le grand philosophe ; une foire s'y tient les 3. 1 3 et 23 de chaque mois. ^ io° PAO-KOUO-SSE. — Cette pagode, située non loin de la précédente, fut bâtie sous les Léao ; elle est une des plus anciennes de Péking. L'impératrice Tchao- t'aè-heou, de la dynastie des Ming, la reconstruisit à neuf pour son frère qui était bonze ; elle se nommait alors Tse-jen- sse.Qw y adore la déesse Kouan- iin, dont l'image d'un pied de haut est en porcelaine flambée; elle e^t regardée comme quasi miraculeuse ; sa couronne brille, dit-on, comme si elle était de pierreries, les habits eux-mêmes changeaient de couleur. Kouan- iin tient une roue à la main ; ce n'est point cependant la déesse de la fortune, on lui donne le nom de la bonne Mère. On voit des statues fort curieuses de cette divinité ; l'une d'elles représente une femme assise, les cheveux disposés comme chez les jeunes filles non ma- riées, tenant un enfant entre ses bras et foulant sous ses pieds un dragon ; à sa gauche, une colombe ; à sa droite, un vase avec une fleur ou un livre. Com- ment ne pas supposer une rémi- niscence de la Vierge Marie, en voyant ces emblèmes accom- pagner presque toutes les sta- tues de Kouan-iin ! 11" YOUNG-HO KOUNG — Sous les Ming, un beau pa- lais princier avait été construit dans le nord-est de la ville tar- tare pour Young icheng, qui devint ensuite empereur. Il est de règle que le palais habité précédemment par le sou- verain soit changé en pagode dès que celui-ci est monté sur le trône ; aussi, après l'élévation de Young icheng, le sien fut un lieu sacré. Son second fils et successeur, K'ien loung, le reconstruisit et le transforma en un temple magnifique qu'il nomma Young ho koung ; 3.000 lamas doivent le desservir aux frais de l'empereur, mais ils ne sont ordinairement que quatre ou cinq cents. La pagode est divisée en six parties: la porte Tchao-taè-men, puis la seconde Toung-ho 1/1:11 avec le palais l icn- BOUDDHA-V1VANT SUR SON ESTRADE ^VUUNU-HO-ROUNG). OBSERVATOIRE. 297 kouang-tien, puis le Young-ho-koung proprement dit et le palais Young you-tien ; vient ensuite le Fa- loung tien et trois pavillons très élevés, nommés Ouang-fouko, enfin plus au nord le Sotti tchen-tien. On peut visiter en détail, moyennant finances, ce superbe monument ; on y voit une statue de Fo qui mesure 23 mètres ; elle est en bois et torchis fort bien décoré. D'innombrables divinités remplissent tous ces beaux pavillons ; c'est la résidence du Houo-Fo ou Bouddha-vivant ; du moins c'est là que des étrangers, deux Français et un Russe, l'ont vu et entretenu pendant plus d'une heure, il y a environ 30 ans. 11 expliqua aux visiteurs qu'ils étaient trois Bouddhas vivants : l'un à Péking, l'autre à Lhassa, le troisième en route, se succédant tous les trois ans ; au-dessus d'eux est le Talc- Lama ou grand pontife, résidant toujours au Thibet. Le Fo vivant était alors un homme d'une quarantaine d'années, à physionomie très énergique et nullement chinoise, aux yeux noirs, au nez fortement accentué et à la moustache très fournie. Il ne s'engageait jamais à fond et répondait prudemment à toutes les questions : « Connaissez-vous les choses à venir? — Il y en a que je connais, d'autres que je ne connais pas. — Nos religions sont-elles bonnes? — Toutes sont bonnes. — Serons-nous sauves? — - Si vous êtes bons, vous serez sauvés ; si vous êtes mauvais, vous serez punis. » Le prétendu dieu a offert du thé excellent et quelques gâteaux dans une assiette européenne en verre bleu ; il portait des vêtements chinois très riches et était flanqué d'acolytes à gauche et à droite ; son trône était peu élevé, en bois sculpté et doré ; on lui mon- tra l'effigie de l'empereur Napoléon sur une pièce d'un franc: sa figure s'épanouit quand on lui fit don de cette pièce avec quatre autres pareilles ; ces cinq pièces montées en boutons ont servi d'attaches aux vêtements de luxe du Bouddha! Depuis bien des années on ne peut plus voir moulin a prières. le personnage, et même la simple entrée du Young-ho-koung est devenue plus difficile qu'autrefois. II L'OBSERVATOIRE. — Ce célèbre monument renferme les instruments dont nous allons donner la description d'après le P. Lecomte : Horizon azimutal de six pieds de diamètre. — « Cet instrument, qui sert h prendre les azimuts, n'est composé que d'un large cercle posé de niveau dans toute sa surface. La double alidade qui en fait le diamètre, court tout le limbe, selon les degrés de l'horizon qu'on y veut marquer, et emporte avec soi un triangle filaire, dont le sommet passe dans la tête d'un arbre élevé perpendiculairement sur le centre 298 PEKING. du même horizon. Quatre dragons repliés courbent leur tête sous le limbe inférieur de ce grand cercle pour l'affermir. » Grand quart de cercle de six pieds de rayon. — « Cette portion de cercle est divisée de dix en dix secondes. Le plomb qui marque sa situation verticale pèse une livre et pend du centre par le moyen d'un fil de cuivre très délicat. L'alidade est mobile et coule aisément sur le limbe. Un dragon replié et entouré de nuages va de toutes parts saisir les bandes de l'instrument, de peur qu'elles ne sortent de leur plan commun. Tout le corps du quart de cercle est en l'air, traversé par le centre d'un arbre immobile autour duquel il tourne vers les parties du ciel qu'on veut observer. » Sextant dont le rayon est d'environ huit pieds. ■ — « Cette figure représente la sixième partie d'un grand cercle porté sur un arbre, dont la base forme une espèce de large bassin vidé, qui est affermi par des dragons et traversé dans le milieu d'une colonne de bronze, sur l'extrémité de laquelle on a engagé une machine propre à faciliter, par ses roues, le mouvement de l'instrument. C'est sur cette machine que porte, par son milieu, une petite traverse de cuivre qui représente un des rayons du sextant et qui le tient immobile. Sa partie supérieure est terminée par un gros cylindre ; c'est le centre autour duquel tourne l'alidade ; l'inférieure s'étend environ d'une coudée au delà du limbe, pour donner prise à la moufle qui sert à l'élever ou à l'abaisser, selon l'usage qu'on veut en faire. » Sphère équinoxiale de six pieds de diamètre. — Cette sphère est soutenue par un dragon qui la porte sur son dos courbé en arc, dont les quatre griffes, qui s'étendent en quatre endroits opposés, saisissent les extrémités du piédestal, formé, comme le précédent, par deux poutres croisées à angle droit et terminées par quatre petits lions, qui servent à le mettre de niveau. Le dessin en est grand et bien exé- cuté. Sphère armillaire zodiacale de six pieds de diamètre. — Cette sphère porte sur quatre têtes de dragons, dont les corps, après divers replis, s'arrêtent aux extré- mités de deux poutres d'airain mises en croix pour soutenir tout le poids de la machine. Quatre lionceaux de même matière sont chargés des extrémités des poutres, dont les têtes se haussent ou se baissent par le moyen des vis qui y sont engagées. Les cercles sont divisés sur leur surface extérieure et intérieure en 360 degrés, chaque degré en 60 minutes par des lignes transversales, et les minutes de dix en dix secondes par le moyen des pinnules qu'on y applique. » Sphère céleste de six pieds de diamètre. — « Le corps du globe est de fonte, très rond et parfaitement uni, les étoiles bien formées et placées selon leur disposi- tion naturelle, et tous les cercles d'une largeur et d'une épaisseur proportionnées. Au reste, il est si bien suspendu, que la moindre impression le détermine au mouve- ment circulaire, et qu'un enfant peut le mettre à toute sorte d'élévation, quoiqu'il pèse plus de deux mille livres. Une large base d'airain, formée en cercle et vidée en canal dans tout son contour, porte sur quatre points également distants quatre dragons informes, dont la chevelure hérissée soutient en l'air un horizon magnifique par sa largeur, par la multitude de ses ornements et par la délicatesse de l'ouvrage. Le méridien qui soutient l'axe du globe est appuyé sur des nuages qui sortent du centre de la base, entre lesquels il coule par le moyen de quelques roues cachées, de sotte qu'il emporte avec lui le ciel, pour lui donner l'élévation qu'il demande. Outre cela, l'horizon, les dragons et les poutres de bronze qui se croisent dans le centre du bassin, se meuvent comme on veut, sans changer de situation à la base, qui demeure toujours immobile » I. TEMPLE DE LA GRANDE CLOCIIK. OU-T A-SSE. PA-LI-TCHOUANG. TEMPLE DE LA TERRE. TEMPLE DELA LUNE. TEMPLE DU SOLEIL. POUO-YUN-KOUAN. T'IEN-NING-SSE. HOANG- SSE. PI-VUN-SSE. VTU-TS'lUEN-CHAN. OUO-FO-SSE. RIÈ-t'aÈ-SSE. PA-TA-TCH'oU. - — II. VUEN-MING-YUEN. CANAL IMPÉRIAL. PONT DE LOUO-KOUO-k'(AO. SÉPULTURE DES MING. I les environs de Péking, on rencontre un grand nombre de pagodes. i° TA-TCHOUNG-SSE, temple de la grande cloche. — Cette pagode a été cons- truite la i te année de Yoimg-tcheng, mais la fameuse cloche date de la dynastie des Ming. Ce temple est situé à quelques li en dehors de la porte Si-tcke-men ; son vrai nom est Kiao-cheng-sse. L'empereur YoungJo avait fait fondre une dizaine de grosses cloches en bronze ; la seule qui existe encore est dans cette pagode, qui a été bâtie pour l'y placer. En sortant de Han-kivg-tchang, la fonderie de Péking, cette cloche fut d'abord transportée à la pagode Ouan cheou sse, et la 8e année de K'ien-louvg on la plaça défini- tivement à Ta-tchoung-sse. D'après les au- teurs chinois, elle mesure i 7 pieds de haut, 12 de diamètre et 8 pouces d'épaisseur à la base ; ces mesures paraissent exactes ; elle est en beau bronze et pèse 87.000 livres de 16 onces, soit environ 50,000 kilogrammes. Au dehors et au dedans est gravée, en caractères très fins et très nets, la transcription du Hoaien king (livre de prières bouddhiques); pour cette raison la cloche se nomme Hoa-ien tchoung. Elle n'a point de battant, mais une poutre en bois est suspendue pour la frapper, ce qui ne doit se faire régulièrement que sur l'ordre impérial ; elle est supportée par un échafaudage de poutres énormes, et n'a, ce semble, jamais été soulevée au-dessus du sol ; on a creusé, par-dessous, une excavation, et son rebord inférieur est de niveau avec le 300 PEKING. pavé de la pagode. Ce rebord n'est point relevé comme dans les cloches d'Europe, il est presque sur la même ligne que le corps de la cloche ; les anses sont finement sculptées ; l'année de la fonte et le nom de l'empereur sont gravés sur une plaque spéciale adhérente. Les bonzes desservant cette pagode reçoivent bien les visiteurs, même européens. A certains jours de l'année, les Chinois y vont en pèlerinage, comme dans presque tous les autres temples. 2° OU-T'A-SSE. — Un bonze venu de l'Inde ayant prié l'empereur Tckeng-koa, des Ming, de construire une pagode pour y placer les cinq statues de Bouddha qu'il avait appor- tées, ce souverain, la 9e année de son règne, édifia le Ou t'a-sse à 5 //delà porte Si lehe-uieu. Il fut plus tard réparé sous Kieu- loung. La forme indienne y est très accentuée, et les sculptures du soubassement sont remar- quables. 3° PA-LI-TCHOUANG. — A 8 // en dehors du Ping- tse-men, on aperçoit une belle tour, c'est celle de Pa-li- tchouang. Sous les Ming, l'im- pératrice Tse-chen-t 'aè-heou fit construire le temple et la tour à ses frais, et y plaça une ins- cription de sa composition. La tour, de 13 étages, est sur un beau socle en marbre; les étages sont en briques, surmontés d'un gracieux toit et d'une boule. Selon les livres chinois, cette lour s élevé jusqu'aux images, dans un pays plat comme celui de Péking, elle s'aperçoit à 20 kilomètres. On adorait dans cette pagode une déesse en or massif d'un pied de haut seule- ment ; on la nommait : La Kottan un aux neuf rieurs de Ictus, Kiou lieu, Kouau itn-poussa. Aujourd'hui, il ne reste plus que la tour ; les bonzes, mal payés, se sont entendus, il y a une dizaine d'années, avec les tribunaux de Pékino-, et ont démoli les bâtiments pour en vendre le bois, puis ont émigré chacun de son côté, laissant à deux vieux bonzes les pierres et les briques ! GRANOE CLOCHE ("TA-TCHUNG -SSli). TEMPLE DE LA TERRE. 301 4° TITAN, temple de la TERRE. — Ce temple est situé au nord de la porte Ngan-ting-men;\\ a été rebâti la 9e année de Kia-king des Ming, car il existait déjà du temps des Ytien. Il mesure 1476'" de tour, et son autel (Tan) a. 494 pie.ls en carré; il est entouré d'un fossé rempli d'eau, de 8 pieds de large sur 6 de profondeur. Cet autel regarde le nord et a 2 étages, dont le premier a 1 00 pieds de long, le second 60 ; l'escalier qui y donne accès est composé de 8 marches en marbre blanc ; l'empereur a dans l'enceinte un palais de 50 pieds de long, couvert de tuiles jaunes, où il se prépare pour les cérémonies. Au commencement de l'été, le jour appelé Sia-je, l'empereur doit s'y rendre pour le sacrifice; la tablette est en bois doré; comme dans le Temple du Ciel, on y immole différents animaux, et les grands mandarins assistent le Souverain, qui préside lui-même. 50 YUË-T'AN, temple de la lune. — Ce temple, en dehors de la porte / y ing- tse-men, vers le sud, a été bâti par Kia-king des Ming, la 9e année de son règne ; l'autel a 40 pieds carrés et n'est élevé que de 4 pieds 1/2 ; il est dallé en briques carrées recouvertes d'un vernis blanc; remplacement n'est pas très étendu. L'empereur y a son pavillon et y sacrifie un bœuf blanc avec des offrandes blanches : des jades, des perles, des pièces de soie. La tablette de la lune est jaune, avec des caractères blancs ; une cloche abritée par un kiosque sonne a a moment du rite. 6° JE-T'AN, temple du soleil. — Ce temple est à 3 li de la porte T$ i-hoa-mcn ; le terrain mesure 810 pieds de côté ; c'est aussi l'empereur Kia-king qui l'a construit, la même année que le précédent. A l'équinoxedu printemps, l'empereur y va adorer le soleil, ou plutôt sa tablette, qui est dorée, avec des caractères rouges ; il immole un bœuf rouge et fait des offrandes rouges : pièces de soie et pierres précieuses. r POUO-YIJN-KOUAN. — Ce temple, situé à 1 li de la porte Si-picn-men, est desservi par des Tao-che qui vénèrent Yu-Jioang, disciple de Lao tse. Il a été bâti par ^^^^^^^yg'^^^^^^ff les Yucn et portait alors le nom de T ac-ki-koung ; depuis longtemps l'empereur n'y va plus, les princes seuls s'y tour de pa-li-tchouanc rendent pour faire leurs offrandes. Le 19 de la Ie lune, la fête principale y attire une foule de gens plus ou moins religieux. Sous un petit pont en marbre qui se trouve dans la pagode, est suspendue une immense sapèque en bronze ; tous les pèlerins essayent de la frapper en lançant d'autres sapèques ; cette monnaie tombe à terre et devient le profit du bonze. Celui qui atteint la grande sapèque croit sa fortune assurée ! 8° T'IEN-NING-SSE. — En dehors de la porte Tchang-i-men, on aperçoit une haute tour ; c'est celle de ce temple, qui a été construit sous la dynastie des T'ang. Une pierre sonore y est conservée et vient, dit-on, des Han. Les Sont ont commencé la tour, qui a été achevée par leurs successeurs ; on lui donne 100 pieds d'élévation ; le soubassement est octogone, et chaque face mesure seulement 4 pieds. Le 8 de chaque mois on allumait 160 lampes devant l'autel de Fo, qui y est adoré. La tour a 12 étages, dont les ornements portaient jadis 3400 clochettes qui toutes ont dis- paru ; cependant la tour s'est conservée en assez bon état. 90 HOANG-SSE. — Ce temple est près de la porte Nang-ting-men ; il est com- 302 PEKING. posé en réalité en deux temples : celui de l'est, Toung-hoang-sse, et celui de l'ouest, Si-hoang-sse. Autrefois se trouvait au même endroit une. pagode appelée Poïi-king< et c'est la 8e année de son règne que Choun-tche commença le temple actuel ; la 33e an- née de K'ang-si,\\ fut entièrement terminé et confié aux lamas, qui y adorent la statue de Fo. On voit sur le devant deux superbes pavillons impériaux, et le bâtiment principal se nomme Ta-chen-pao-tien. ) 'oung-tcheng embellit ce temple, et la 36e année de son règne K'ien-loung ré- para entièrement le Si-hoang- sse, qu'il destinait à l'habita- tion des princes mongols venant chaque année offrir eurs salutations et leurs pré- sents à l'empereur. Encore aujourd'hui, cette partie de la pagode n'a guère d'autre "'est au Hoang-sse quese fabriquent les divinités en bronze doré, qui sont achetées par les lamas de la Mongolie et du Thibet ; der- nièrement on a fondu un énorme Bouddha mesurant plusde7mètres; cettestatueaété chargée par piè- ces sur des cha- meaux qui l'ont transportéedans un temple cons- truit surla route de Péking à Lhassa; un prin- ce mongol en a fait la dépense, qui montait, dit- on, à un demi- million. Onmar- tèle aussi au Hoang-sse pres- que tous les ou- vrages en cuivre rouge destinés ensuite a être cloisonnés et décorés par les émailleurs de la capitale. 10" PI-YUN-SSE. - - Voici un des plus beaux temples des environs de Péking, et qui mérite d'être visité ; il se trouve dans l'ouest, à près de 12 kilomètres de la porte P ' ing-tse-men. Un grand ministre du temps des Yuen, nommé Ngolomi, avait orné d'une belle pagode cette montagne de Pi-yun-sse. Sous l'empereur Tcheng-teu des Ming, un eunuque fort riche construisit pour le culte de Fo le temple actuel, qui fut terminé sous Ouanli et décoré sous la dynastie suivante par K'ien-loung. La YU-TS'IUEN-CHAN. 303 montagne se nomme Siang-ckan, et, d'après ICien-loung, qui en fait une description pompeuse, elle aurait mille pieds de haut ; la tour a environ cent pieds et porte le nom de Kin-kang-tckouang-t' a. L'empereur s'est réservé un palais entouré de murs dans cette magnifique pagode, composée d'une infinité de temples remplis de divinités sans nombre ; il faudrait tout un volume pour en donner le détail. On dépasse d'abord un pont et le palais T ' ien-ouang-tien, puis un arc de triomphe en marbre, ensuite trois HAN-SIANG-TSE ET LAN-TS'AI-HO (IMMORTELS). TEMPLE DES TAO-CHE. grands pavillons nommés : Si-fang-ki-locke-kiè, Nço-mi-to-fo, Ngan-yang-tao-ckang. Enfin on arrive à la tour, près de laquelle l'eau d'une source très abondante s'écoule avec violence ; cette source jointe à d'autres alimente les lacs, les maisons de plaisance et les palais impériaux. ii° YU-TS'IUEN-CHAN. — ■ Une belle route réservée au souverain unit ce temple au précédent, dont il n'est pas très éloigné ; on peut aller en une heure de l'un à l'autre. Sous la dynastie des Hfing, l'empereur Tchang-tsoung construisit sur cette montagne un palais nommé Fou-joun-kien ; il fit disposer des jardins, des 304 PEKING. grottes d'où sortaient des eaux magnifiques. Les Ming augmentèrent encore les constructions ; K'ang-si les termina définitivement et nomma ce palais King ming- yuen, puis il construisit plusieurs pagodes, dont voici la nomenclature : i° Cheng- yen-sse, où Fo est adoré ; 2° Jen yu-kottng, où l'on vénère l'esprit de la montagne ; 3° Y a tchengpao tien, confié aux Tao-che qui y adorent leur fameux Yuhoang ; enfin 4° Taè-kiun-leou, pavillon très élevé à plusieurs étages. C'est après ce dernier monument que commence la route dallée qui conduit à Pi-yiin- ssc. Dans ces lieux s'élèvent trois charmantes tours, l'une en briques grises, l'autre en pierre, la troisième en briques vernissées du travail le plus soigné ; la photographie seule peut donner une idée de cette si élégante tour encore bien conservée. Une fontaine des plus abondantes jaillit à environ 4c centimètres au- dessus du sol ; ses eaux se mêlent, au sortir de la pagode, avec celles de la source dont il a été parlé précédemment, puis se divisent en deux ruisseaux limpides, dont l'un coule vers le sud-est, l'autre, vers le sud-ouest. Cette eau alimentait les jeux hydrauliques du Yuen-ming- vucu ; elle alimente encore aujour- d'hui les lacs des palais impériaux hors de la ville, puis, arrivée à la porte Sitche-men, entre dansPéking, I remplit les rizières et lacs du Che- \ kiahaè, pénètre dans les lacs des San-kaè et va se jeter dans les fossés au sud des murailles ; quand l'eau est trop abondante, le surplus se déverse dans le petit canal qui vase joindre au Pè-ko, près de la ville de T'oung-tchcou. Il faudrait bien peu de travail pour utiliser ces eaux ) excellentes et doter Péking de bor- nes-fontaines ; personne ne s'en occupe, l'on continue à boire en ville l'eau des puits, eau saumâtre, nitreuse et très nuisible à la santé. Ajoutons que, le peuple chinois ne buvant que du thé, l'eau est toujours bouillie, et par là moins malsaine. 12° OUO-FO SSE, le fo couché. ■ — Au nord-ouest de Piyiin sse, à environ S kilomètres, une belle pagode a été construite sous les T'ang ; on l'appelait alors Touo-cfiom-vnao, et la montagne elle-même Kiu-pao-chan. Les T'ang}- avaient placé une statue couchée du dieu Fo, en bois de Siang-fan ; mais elle fut remplacée par KIE-T'AE-SSE. 305 la statue actuelle fondue sous les Yuai. L'empereur donna cinq cent mille livres de bronze pour la fabriquer ; il est probable qu'alors, comme aujourd'hui, llorissait le règne des pots de vin, car la statue ne mesure que 3 mètres 50, et son poids est relativement faible. Sous les Ming, la pagode fut nommée Young-ngan-sse ; l'empe- reur Young-tcheng de la dynastie régnante l'appela Che-fang-pou-kiao-sse, mais le peuple a continué à lui donner le nom de Ouo-Fo-sse, Temple du Fo couché. 130 KIÈ-T'AÈ-SSE. — A six lieues de Péking, à 40 li au nord-ouest du pont de Lou-keou-k'iao, on aperçoit la montagne Ma-ngan-chan, ainsi nommée parce qu'elle a la forme d'une selle de che- val ; sous la dynastie des T'ang, on avait bâti au pied de cette montagne une belle pagode, le Houi-kiu-sse; sous les Lc'ao, un bonze nommé Fa-kuin construisit l'autel Kiè-t'aè, ou autel de l'absti- nence, qui fut placé au milieu d'un beau pavillon ; il est en marbre à trois gradins, et les statues des anciens person- nages qui ont le mieux obser- vé l'abstinence, l'entourent. Le 8e jour de la 4e lune, on y célèbre une grande fête où se rendent tous les bonzes des environs; le supérieur fait un sermon sur l'abstinence et on l'écoute avec respect. Ce temple est encore aujour- d'hui très richement doté par l'empereur. De là, on a une des plus belles vues de Pé- king, et les terrasses sont superbes ; c'est une espèce de séminaire pour les jeunes bonzes, quiy pratiquentl'abs- tinence et des austérités sou- vent cruelles. Voici ce qu'un visiteur raconte : Nous vîmes un jeune bonze d'environ vingt ans qui faisait une pénitence ; il s'était déjà brûlé cinquante fois avec des bâtons odorants offerts à l'idole, et son bras gauche n'était qu'une plaie; il devait de même brûler le bras droit à la fête suivante. Ce spectacle était navrant. D'autres se traversent les joues avec des broches, traînent des chaînes, portant sur le dos des châsses garnies de préten- dues reliques. Le supérieur venait causer avec nous ; mon compagnon, peu scrupu- leux, lui offrait souvent du jambon, du vin et autres liqueurs absolument défendues ; Pékinz. ~, LU-TOUNG-PIN (IMMORTEL). TEMPLE DES TA.O-CHE. 306 PEKING. po il résistait, protestant de sa foi et de son abstinence ; enfin, un jour il nous dit : « Attendez-moi ce soir, je viendrai.» Il était tard, la communauté était au lit ; le supérieur se jeta sur les victuailles et même se grisa quelque peu, malgré mes efforts pour l'arrêter. « Il n'y a péché, nous disait-il, que si on est vu ; or, j'ai fait coucher tout mon monde ! » Et il s'en donna jusque vers minuit. Ajoutons que ce temple est réputé le plus régulier et le plus sévère de tout le pays ! 140 PA-T'A-TCH'OU. — Les temples et les collines de Pa-£ a-tcK ou sont situés à environ 16 kilomètres à l'ouest de Péking. La plupart des Légations européennes y louent pour l'été des appartements. L'air y est frais et pur, l'eau excellente, mais moins abondante que celle des belles sources de Pi-yun-sse. Un des temples est indiqué par une grande tour blanche, qui s'aperçoit de fort loin ; les autres pagodes sont étagées sur les versants de la promenade, offrant ainsi des habitations complètement séparées, où chacun peut retrouver son chez-soi. Les alentours ne sont pas sans agréments, et l'on peut aller visiter des sépultures et des parcs encore fort bien entretenus. Dès le mois d'octobre, la fraîcheur ramène en ville tout le personnel diplomatique. L' 11 es monuments qui datent de la dynastie des Tsiiig sont rares ; presque tous ceux que l'on voit à Péking sont l'œuvre des Ming. Il en est un cependant qui, à lui seul, suffirait pour illustrer plusieurs règnes: c'est le fameux palais d'été. Il était en réalité composé d'une multitude de palais joints les uns aux autres : le Tchang- tckoung-yuen, le Ynen-mingyuen et le Ouon- cheou-chan, construits et décorés par les empereurs Kang-si, Young-tcheng et K'ien-loung. Ces palais formaient la grande résidence impériale, où le souverain demeu- rait toute l'année, à l'exception de deux ou trois mois d'hiver qu'il passait à Péking. L'incendie de 1860 avait laissé de beaux restes; certaines constructions étaient peu endommagées, les arbres étaient debout et de nombreux vases, ponts, balus- trades, colonnettes en marbre décoraient encore ces jardins. Depuis lors tout a dis- paru, vendu par les gardiens, ou volé de nuit par la population. On a brisé les belles sculptures de marbre pour prendre le fer qui attachait les pierres entre elles : on a VASE EN BRONZE (PALAIS D'i YUEN-MING-YUEN. 307 coupé tous les arbres pour en faire du bois de chauffage ; on a vendu les briques, les tuiles vernissées, enfin à peu près tout. Après l'expédition, les palais étaient répa- rables, en partie du moins ; on n'a rien réparé. Aujourd'hui ce n'est plus possible, et on en construit à nouveau quelques-uns ; la dépense que l'on va faire aurait suffi jadis pour remettre entièrement en bon état ce Versailles de la Chine. Nous lisons dans le Je-sia : i.Kang-ri habitait le palais d'été nommé Tchang- tch'oun-yuen (jardin du printemps perpétuel) ; il y reçut les ambassadeurs, les légats et les différents envoyés des royaumes étrangers. A 500 mètres plus au nord était un autre palais appelé Yuen ming-yuen ; ce nom lui avait été donné par K'ang-si&t signifiait «jardin de la prudence et de la clarté». La 48e année de son règne, K'ang- si fit cadeau de son habitation à son quatrième fils, Yoting-tcheng, qui devait lui suc- céder ; on y voyait comme principales constructions le Ta-kouang-ming-tien et le Foiuig-sati-ou-sse-tien, K'ien loung réunit tous les palais ensemble, et ils prirent le nom unique de Yuen-ming-yuen. La 2e année de son règne, l'empereur chargea Lang-che-ning (le Frère Castiglione), de concert avec Soun ion, Cken-iuen et d'autres mandarins, de tracer les plans généraux, puis il voulut avoir plusieurs pavillons à BRIQUE VERNISSEE, BLEU TURQUOISE SANS AUTRE COULEUR. BRIQUE VERNISSÉE, BLEU MARINE, JAUNE D'OR, VERT D'EAl . l'européenne, qui furent exécutés sous la direction du P. Benoit, d'après les dessins du Frère Castiglione. Le Père Benoît écrivait de Péking, le 16 novembre 1767 : «A 2 lieues de la capi- tale, l'empereur a une maison de plaisance où il passe la plus grande partie de l'année, et il travaille de jour en jour à l'embellir. Pour en avoir une idée, il faut se rappeler ces jardins enchantés dont l'imagination brillante des auteurs a fait une si agréable description. Tous ces jardins sont entrecoupés de différents canaux serpen- tant entre des montagnes factices ; dans quelques endroits, passant par-dessus des rochers et y formant des cascades, quelquefois se réunissant dans des vallons et y formant des pièces d'eau qui prennent le nom de lac ou de mer, suivant leurs diffé- rentes grandeurs ; des sentiers en zigzag serpentant par-dessus des montagnes con- duisent à des palais délicieux. Le palais destiné au logement de l'empereur et de toute sa cour est d'une étendue immense, et réunit dans son intérieur tout ce que les quatre parties du monde ont de plus recherché et de plus curieux. Outre ce palais, il y en a beaucoup d'autres dans les jardins situés, les uns autour d'une vaste pièce d'eau ou dans les iles ménagées au milieu de ces lacs, les autres sur le penchant de quelque montagne ou dans d'agréables vallons. C'est dans ces jardins que l'empereur, 308 PEKING. ayant voulu faire construire un palais européen, pensa à orner tant l'intérieur que le dehors d'ouvrages hydrauliques dont il me donna la direction, malgré toutes mes représentations sur mon incapacité. » Le Frère Attiret donne de nombreux détails sur le palais, dans une lettre du Ier no- vembre 1743 : «Toutes les montagnes et les collines sont couvertes d'arbres, surtout d'arbres à fleurs qui sont ici très communs ; c'est un vrai Paradis terrestre. Les canaux ne sont point, comme chez nous, bordés de pierres de taille tirées au cor- deau mais tout rustiquement avec des morceaux de roche dont les uns avancent, les autres reculent, et qui sont posés avec tant d'art qu'on dirait que c'est l'ouvrage de la nature. Tantôt le canal est large, tantôt étroit ; ici il serpente, là il fait des coudes, comme si réellement il était poussé par les collines et les rochers. Les bords sont semés de fleurs qui sortent des rocailles et qui paraissent y être l'ouvrage de la nature ; chaque saison a les siennes. Toute la façade du palais est en colonnes et en fenêtres, la charpente dorée, peinte, vernisée, les murailles de briques grises bien taillées, bien polies, les toits couverts de tuiles vernissées rouges, jaunes, bleues, violettes, qui par leur mélange et leur arrangement font une agréable variété de compartiments et de dessins. Ces bâtiments n'ont presque tous qu'un rez-de- chaussée. Chaque vallon a sa maison de plai- sance, petite, eu égard à tout l'enclos, mais en elle-même assez considérable pour loger le plus grand de nos seigneurs d'Europe avec toute sa suite. Plusieurs de ces maisons sont bâties en bois de cèdre qu'on amène à grands frais de 500 lieues. Mais combien croirez-vous qu'il y a de ces palais dans les différents vallons de ce vaste enclos? Il y en a plus de 200, sans compter au- tant de maisons pour les eunuques. Les canaux sont coupés par des ponts de distance en dis- tance, pour rendre la communication d'un lieu à un autre plus aisée. Ils ont pour garde-fous des balustrades de marbre blanc travaillées avec art et sculptées en bas-reliefs, du reste toujours différents entre eux par la construction. On en voit qui, soit au milieu, soit à l'extrémité, ont de petits pavillons de repos. Mais ce qui est un vrai bijou, c'est une île ou rocher d'une forme raboteuse et sauvage qui s'élève au milieu d'un lac, à une toise ou environ au-dessus de la surface de l'eau. Sur ce rocher est bâti un petit palais où cependant l'on compte plus de 100 chambres ou salons. Il a quatre faces et il est d'une beauté et d'un goût que je ne saurais vous exprimer; la vue en est admirable. L'endroit où loge ordinairement l'empereur est un assemblage prodigieux de bâtiments, de cours, de jardins, etc., en un mot, c'est une ville qui a au moins l'étendue de notre petite ville de Dôle. C'est dans les apparte- ments qui le composent qu'on voit tout ce qui se peut imaginer de plus beau en fait de meubles, d'ornements, de peintures (j'entends dans le goût chinois), de bois pré- cieux, de vernis du Japon et de la Chine, de vases antiques de porcelaine, de soieries, d'étoffes d'or et d'argent. On a réuni là tout ce que l'art et le bon goût peuvent ajouter aux richesses de la nature. Je vous avouerai que la manière de bâtir de ce pays-ci me plait beaucoup ; mes yeux et mon goût, depuis que je suis en Chine, sont devenus un peu chinois!... Il n'yaici qu'un homme; c'est l'empereur. Tout estfait pour luiseul; BRIQUE VERNrSSÉE, FLAMME VIOLETTE, PLEURS CRÈME MÊLÉE DE VERT ET DE BLEU MARIN. CANAL IMPERIAL. 309 cette superbe maison de plaisance n'est guère vue que de lui et de son monde ; il est rare que dans ses palais et ses jardins, il introduise ni princes, ni grands au delà des salles d'audience. De tous les Européens qui sont ici, il n'y a que les peintres et les horlogers qui, nécessairement et par leurs emplois, aient accès partout. » Le P. Benoît est l'auteur de travaux hydrauliques qui furent de vrais chefs- d'œuvre ; il réussit à construire une fontaine qui servait d'horloge à eau, et dont les douze animaux laissaient échapper le liquide, chacun pendant deux heures. Ce qu'il a fait de plus considérable, c'est la conduite des eaux de Yu-tsiuen-ckan jusqu'au grand réservoir placé derrière les bâtiments européens et qui alimentait toutes les gerbes et cascades ; l'eau était amenée par une grande machine hydraulique, mais dès 1786 le P. Bourgeois écrivait qu'elle était déjà détériorée et que l'on montait l'eau à bras d'hommes ; elle avait donc duré 25 ans! cela n'est pas étonnant, car le Chinois, soit mépris, soit négligence, finit toujours par revenir aux petits moyens qui lui sont propres. On a vendu des milliers de livres de plomb provenant des feuilles qui doublaient le réservoir. La petite montagne d'où l'on avait une si belle vue, d'après les lettres du Frère Attiret, existe toujours, ainsi que les ponts, mais sans balustrade et plus ou moins endommagés ; les sentiers en zigzag, les grottes en rocailles sont encore là, parce qu'on n'a pu les emporter. On voit aussi de superbes cartouches en tuiles vernissées à plusieurs couleurs, représentant des fruits, des rieurs, des oiseaux, des nids, enfin des motifs charmants, mais toutes enlevées de leur place et tellement ébréchées, qu'on ne pourrait plus rien en faire. Ce que ces palais ont dû coûter de temps, de peine et d'argent est incalculable ; il fallait aussi une rare intelligence et une véritable science architecturale pour mener à bien ces immenses travaux, dont rien en Europe ne saurait donner une idée même approximative. Tout y était en effet original et imprévu, riche et simple en même temps, régulier et contourné de mille façons ; c'est le genre chinois, qui n'a guère changé depuis des siècles. i° LE CANAL IMPÉRIAL. — Dans la relation de Marco-Polo, nous lisons que « le Canal impérial allait de Kambalick (Péking) jusqu'à King-saï ( Tchen-kiang). Il était navigable pour les navires et avait 40 journées de longueur, avec des écluses pour distribuer l'eau ; sa largeur était d'environ 30 aunes. » Tout cela est exact, mais il ne faudrait pas croire que l'empereur des Yuen qui vivait dans ce temps-là, Koubilaï-kan, ait lui-même fait creuser en entier ce long canal. Bien avant lui, les monarques chinois avaient déjà fait de grands travaux pour relier entre elles les rivières, surtout dans le sud de l'empire. Les Yuen, d'après les Annales, ayant manqué leur expédition contre les Japonais et perdu cent mille hommes dans un typhon, voulurent pouvoir se passer de la mer pour approvisionner la capitale, et commencèrent le canal qui unit Péking au Pè-ho, puis Tien-tsin au fleuve jaune. Les Ahng, qui avaient leur capitale à Nan-King, se transportèrent à Péking sous Young-lo, et terminèrent alors tous les travaux de cet important ouvrage qui joint le sud au nord. Ce canal, quoique fort mal entretenu, sert encore au transport des riz impériaux; chaque année, 10.000 barques le parcourent et approvisionnent le nord de la Chine ; c'est par elles que vient tout le riz distribué par l'empereur aux familles des soldats tartares. Ajoutons cependant que depuis la création d'une marine marchande à vapeur, le transit diminue beaucoup sur ce canal ; les quais de Tien-tsin sont chargés d'innombrables sacs de riz, que transportent ensuite les barques à Toung-tcheou ; là, le canal est employé pour remonter jusqu'à Péking, près de la porte Toung-pien-men ; du fleuve à cette porte, il y a cinq écluses entièrement démolies ; à chacune, il faut transporter les sacs à dos d'homme, 310 PEKING. jusqu'au niveau supérieur. On passe sous le pont de Pa-li-kiao, célèbre par la défaite des troupes tartares en 1860. Ce pont n'a rien qui le distingue des autres ; c'est un pont à trois arches seulement, et le parapet porte encore les traces des boulets français. Si on veut subir l'ennui de cinq transbordements, on peut aller en barque de Péking à Tien-tsin par ce canal et le Pè-ho. 2" PONT DE LOU-KEOU-K'IAO. — Marco-Polo parle du superbe pont de Lou-keouk' iao bâti en cinq années (1 189-1 194) par l'empereur Ming-tchang de la dynastie des Kin. Ce pont est une merveille ; ceux qui le traversent ne peuvent s'empêcher de l'admirer ; il a 350 pas de long (Marco-Polo dit rooo pieds), sur 18 pas de large; onze arches le supportent; elles vont s'abaissant du milieu vers les rives. Le parapet est divisé en 140 parties, par autant de petits lions ; le tablier a bien 50 pieds d'élévation, et les arches 35 ; aujourd'hui le sable les remplit, et c'est à peine si l'eau trouve une issue. Au point de vue pratique, on pouvait faire mieux ; les piles sont énormes, les ouvertures restreintes, si bien que l'eau s'y engouffre sans pouvoir passer. — Le pont de Lou-keou-k' iao est en réalité à 21 //de la porte sud-ouest de Péking, quoique les Chinois en comptent 24. Ces 12 kilomètres sont pavés de larges dalles carrées qui jadis ont dû rendre la route facile ; aujourd'hui, comme il en manque un bon nombre et que les autres sont branlantes, ce chemin est à peine praticable. 3° LA SÉPULTURE DES M1NG. — Les dynasties des Léao et des Kin avaient leurs sépultures dans les montagnes de l'ouest, à environ 100// de Péking ; celles-ci n'ont jamais été fort remarquables et il n'en reste plus que des ruines. Les tombeaux des M/ug sont au contraire de vrais monuments encore très bien conser- vés ; ils sont situés entre 13 collines, nommées Che-san-ling, à 90 li de Péking, vers le nord, près de la sous-préfecture de Tcli aug-f ing-tclieou. Voici la liste des sépul- tures : i° à la colline Tck'ang-ling est enterré Tch'eng-tsou ou Youiig-lo ; 20 au Sien- ling est enterré Jen-tsoung ; 30 au King-ling, Suen-tsoung; 40 au Yu-ling, Iing-tsoung ; 50 au Mao-ling, Sientsoung ; 6° au T'aèling, Siao-tsoung ; au 70 K'ang-ling, Ou- tsoung (cette sépulture est à 30 li plus au nord-ouest que les autres) ; 8° au Young- ling, Che-tsoung ; 90 au Tchao-ling, Mou-tsoung ; io° au Ting-ling, Chen-tsoung ; ii° au King-ling, Kouang-tsoung ; i2°au Teu-ling, Si-tsoung; 130 enfin au Sse-ling repose Tckouang-lié-ming-hoang-ti. Du temps des Iing-tsoung, quatrième empereur, son frère King-t 'aè-hoang-ti régna pendant que Iing-tsoung était prisonnier des Tar- tares, mais on n'a point mis son tombeau avec les autres parce qu'il ne fut pas réel- lement empereur ; il est enterré à King-ckan-k'eou près de Yu-tsiuen-chan.K 6 //au nord de Tclî ang-f ing-tchcou, commence la longue avenue qui conduit au tombeau de J roung-lo, le plus grand, le plus beau de tous. Un arc de triomphe magnifique apparaît tout d'abord ; il ne mesure pas moins de 50 pieds de haut sur 80 de large; il est tout en marbre et divisé en cinq ouvertures séparées par des piliers carrés ; il a été cons- truit par l'empereur Snen-teu. Deux li plus loin se trouvent les trois portes Tahoung- men avec une inscription qui ordonne de descendre de cheval en cet endroit, puis un beau pavillon de 30 pieds d'élévation tout en marbre blanc, avec 4 colonnes sculp- tées, œuvre de l'empereur Jcu-tsoung. Enfin trois autres portes nommées Loung- foung-men donnent accès au véritable tombeau. Entre l'arc de triomphe et ces portes, on voit de chaque côté du chemin appelé Cheng-lou (la route sainte), toute une enfilade de personnages et d'animaux monolithes vraiment extraordinaires, soit comme travail, soit comme dimensions ; on se demande comment ils ont pu être apportés là. Voici l'ordre dans lequel ils sont placés : deux colonnes en marbre, décorées de ENVIRONS DE PEKING. 311 nuages sculptés ; deux lions couchés, deux lions debout ; deux béliers couchés, deux debout: puis de même quatre chameaux, quatre éléphants, quatre chimères (K'i-lin) et quatre chevaux. Ensuite viennent les personnages : quatre mandarins militaires, quatre mandarins civils et quatre Lao-tch'en, c'est-à-dire hommes célèbres ; au total, 12 personnages, 24 animaux, 2 colonnes et l'arc de triomphe monumental. C'est l'empereur Suen-ieu qui, à la 4e lune de la 14e année de son règne, inaugura ce beau travail. Après avoir parcouru pendant plus d'une heure toutes ces avenues et ces CIRTE DES ENVIRONS DE PEKING (ERETSCHNEIDER). 1 1. Péking. — 2. Palais d'été. — }. Haè-tien. — 4. Pée-tch'eng. — 5. Cha-ho. — 6. Tch'ang-p'ing-tcheou. — 7. Xan- k'eou. — 8. Kiu-young-kouan. — o. Y.ingfang. — 10. Kouan-che. — II. Choun-i-sien. — 12. Hoè-jou-sien. — 13. Sé- pulture des Ming (Che-san-ling). — 14. Po-fou-U'oun. — 15. Tang-chan. — 16. Pa-t'a-tch'ou. — 17. Ma-iu. — 18. Pée- sin-ngan. — 19. Pa-li-tchouang. — 20. Pa-p-10-clian. - 21. TVing-ho. — 22. T'oung-tcheou. " — 23. Tch.-ing-kia-ouan. — 24. Parc impérial. — 25. Si-chan. 20. I. .11 keou-k'iao. — A.V Pé -ho. — BB' Chah- 1 1 Ki-ho. — DD' Ts'ing- ho. — EE' Can.-.l des Kin. — FF' Houn-ho. — GG' Léang-choui-ho. — HH' Canal de T'oung-tcheou. — II' Route en pierre. — JJ' Route en pierre. — K. Echelle de 20 li. portes, on arrive enfin au tombeau ; comme élévation, il n'y a rien déplus remarquable que les palais de Péking, mais à l'intérieur on voit d'immenses colonnes en bois d'une seule pièce qui ont au moins 3 mètres 50 de circonférence sur une hauteur de i 7 à 18 mètres. A l'origine, il paraît que de belles constructions en bois précieux accom- pagnèrent ces diverses sépultures, mais l'empereur K'ien-loung, pour construire le palais d'été, fit main basse sur tout ce qu'il trouvait à sa convenance, remplaçant les raretés par des matériaux ordinaires, enlevant des marbres, des bois surtout qu'on ne pouvait plus se procurer ; pour réparer ensuite les monuments avariés, il dépensa 312 PEKING. plusieurs millions ! néanmoins on lui fit des représentations sur cette manière de décorer ses propres palais, et il s'imposa lui-même la pénitence d'aller jusque dans la province du Kiang-nan, pour expier cette violation des tombeaux. Aucun voyageur ne regrette la fatigue de cette course à la sépulture des Ming, une des plus belles choses des environs de Péking. Choun-tche et K'ang-si allaient faire des sacrifices à ces anciens empereurs ; mais depuis on a laissé ce soin à un arrière-neveu des Jl/ing, honoré du titre de Heou-Yè (marquis) ; il est actuellement le seul sacrificateur. Au printemps et à l'automne, il se rend aux tombeaux, immole divers animaux, offre des soieries, de la nourriture, brûle des parfums, du papier, et fait toutes les cérémonies du culte des ancêtres. Le gouvernement députe aussi chaque année un des membres du Koutig-pou (ministère des travaux publics), pour examiner si les monuments restent en bon état et si on veille à leur conservation. Sous les premiers empereurs des Ming, on enterrait vivantes, avec le cercueil impérial, celles de ses femmes que le souverain avait le plus affectionnées. L'empereur Iing-tsoung défendit de continuer cet usage barbare, et on n'enterra plus ces femmes qu'après leur mort. Mais comment amener les cer- cueils aux côtés du tombeau impérial, quand il est absolument défendu de suivre la route réservée au seul empereur ? On éluda la difficulté en creusant un puits loin de la sépulture et en atteignant celle-ci par voie souterraine ; les souterrains existent encore. 4° HAÈ-TSE, parc de chasse. — Si l'on sort de la ville chinoise parla porte du sud médiane, on ne tarde pas à rencontrer une immense enceinte en assez mauvais état : c'est le parc impérial de chasse ; il n'est pas très difficile d'y pénétrer, mais rien n'y existe plus de bien curieux. Autrefois ce parc, qui n'a pas moins de So kilomètres de tour, renfermait des animaux de toute espèce : cerfs, daims, chevreuils et le fameux Sse-pou-siang (Elaphurus Davidianus). Ces animaux trouvaient là de beaux pâturages, une eau courante, et se multipliaient en liberté. Il y a seulement trente ans, on voyait encore là de nombreux troupeaux d'élégants cervidés, qui se laissaient approcher de près, protégés par la loi portant peine de mort contre celui qui oserait en tuer un seul. Aujourd'hui l'empereur n'allant plus chasser, le parc est presque abandonné, et les quelques soldats qui le gardent se font agriculteurs ; les murs dégradés par les pluies ont laissé échapper une bonne partie des animaux, dont les hommes des campagnes environnantes ont fait leur profit. Enfin, pendant la guerre sino-japonaise, les 30,000 hommes campés dans ce vaste enclos ont fait main basse sans scrupule sur tout le gros gibier. Une chose qu'on ne saurait trop déplorer, c'est la disparition du superbe Sse-pou-siang , il n'en reste plus un seul et la race va proba- blement s'éteindre, à moins que les rares individus échappés ne se soient réfugiés dans les hautes montagnes de l'ouest, comme quelques Chinois l'ont affirmé. I. l'empereur, les princesses, sépulture impériale. II. LES ministères: inté- rieur, FINANCES, CÉRÉMONIES, GUERRE, JUSTICE, TRAVAUX PUBLICS. LE TSOUNG- JEN-FOU. LE NÉE-OU-FOU. LE TOU-TCh'a-VUEN. LE NÉE-KO. LE KIUN-KI-TC1IOU. III. LE TSOUNG-LI YAMEN. LES LÉGATIONS. - - IV. l'aRMÉE CHINOISE. I nviron cinq à six mille personnes demeurent clans l'intérieur du palais impérial : c'est une véritable ville. Les dames du palais, les femmes du second rang, les servantes, les eunuques, chacun y possède une habitation spéciale. Pour recruter tout ce per- sonnel, l'impératrice-mère, à des époques déter- minées, fait assembler les jeunes filles apparte- nant aux familles tartares, et choisit celles qui lui paraissent aptes au service qu'elle leur des- tine.Sont-elIes agréées du souverain, les honneurs et la richesse seront leur partage ; ne plaisent- elles pas, on les reléguera dans de petits appar- tements où elles ne recevront que le strict néces- saire : dans tous les cas, elles sont pour la vie confinées dans le palais. Beaucoup d'entre elles meurent très jeunes ; quelques-unes atteignent la vieillesse, et dernièrement encore on a enterré une princesse dont l'entrée au palais datait de l'empereur Tao-kouang. L'impératrice-mère choi- sit aussi d'autres jeunes filles tartares pour son service et celui des impératrices et des dames du palais ; ce sont de simples servantes qui après un temps donné retour- neront dans leur famille. En général, ces jeunes personnes ont beaucoup à souffrir ; c'est toujours à genoux qu'elles doivent présenter à toute heure du jour et de la nuit ce dont on a besoin ; l'humeur variable des dames du palais rend leurs fonctions bien pénibles, et aux moindres fautes les mauvais traitements ne leur sont pas épargnés. L'empereur est astreint à de sévères règlements lorsqu'il réside au palais, ce qui explique pourquoi les souverains n'y passaient autrefois que quelques mois de 314 PEKING. l'année, et pourquoi ceux du temps présent désirent reconstruire le palais d'été pour y demeurer. En effet, lorsque l'empereur est à Péking, il se lève chaque jour à deux heures du matin, et après une heure consacrée aux soins de sa toilette, il prend une légère réfection et prépare de suite les affaires du conseil, qu'il préside entre trois et six heures, hiver comme été ; il déjeune à neuf heures, continue à s'occuper des affaires de l'État, et souvent son temps libre est abrégé par les cérémonies et les rites dont il ne saurait se dispenser. Son dîner a lieu vers cinq heures du soir, puis il se retire dans ses appartements. Des mandarins spéciaux sont affectés au service du palais ; les uns sont chargés des vêtements impériaux, les autres du mobilier : ceux-ci de la vaisselle : ceux-là des diverses fournitures ; il y en a pour la viande, pour les légumes, pour les fruits, pour le laitage, pour les fleurs ; il y en a pour les feux d'artifice, les comédies, la chasse, les chevaux, les chaises, les voitures ; enfin leur nombre est presque illimité. On serait en droit de penser qu'avec tant de serviteurs, l'empereur est bien servi ! il n'en est rien ; ici encore tout est réglé. Tel jour l'empereur doit manger des primeurs, PALAIS IMPÉRIAL D'APRÈS UNE ANCIENNE GRAVURE. mais comme elles seraient très chères et peut-être introuvables, on fixe ce jour un mois après leur apparition. On pourrait servir à l'empereur de beaux fruits, maison craint de ne pas pouvoir le faire, et la seconde qualité passe pour la première, pour chaque fourniture les mandarins en agissent ainsi. L'empereur paie cependant au moins le décuple de la valeur réelle des objets, mais tant de gens doivent gagner, et il faut dépenser tant d'argent pour obtenir une de ces charges! En juin 1896, l'em- pereur actuel se rendait chaque jour près du cercueil de sa mère, vers huit heures du matin ; son déjeuner de neuf heures, qu'il devait y prendre, lui était compté quatre nulle francs ! Tout ce qui est servi au souverain doit être servi par paires: deux canards, deux poulets, deux poissons. Il mange fort peu et de très peu de plats, mais les repas sont préparés au complet, selon les usages ; il touche à peine aux mets servis, qui sont ensuite le profit des fournisseurs ; ceux-ci les revendent ou les conservent pour eux-mêmes. Des médecins toujours présents règlent, on peut dire, la nourriture et l'appétit du souverain sur sa santé : aime-t-il spécialement une préparation culinaire, et pour ce motif en prend-il un peu trop, de par les docteurs elle ne lui sera plus servie. Enfin l'empereur est peut-être l'homme qui jouit en Chine du moins de liberté. Quand il veut sortir de son palais, c'est une grande L'EMPEREUR. LES PRINCESSES. 315 affaire ; les gardes sont convoqués, tous les agents de police sur pied, les rues nivelées, sablées, les bou- tiques fermées, toute vie disparaît sur son passage. Comme cela se faisait il y a cinq cents ans, des ar- chers, l'arc en bandoulière et le carquois garni de flèches, montés sur des chevaux étiques, précèdent la chaise impériale, simplement couverte de soie jaune et portée par des gens revêtus de casaques rougeàtres à rieurs peintes ; ces porteurs, qui s'exercent du reste pendant de lon- gues années, doivent être attentifs, car si la chaise versait, ils seraient tous con- damnés à mort. Suivent une douzaine de cavaliers portant des insignes et des drapeaux; enfin les voitures de la suite et les gardes. Quelques mandarins hauts placés se tiennent seuls aux côtés de la chaise. L'empereur actuel sort toujours en chaise à porteurs ; cependant, selon l'ancienne coutume, on entretient pour son usage huit chevaux, qui sont loin d'être de premier ordre ; ici encore un mandarin en est chargé et y trouve son avantage. Ces chevaux doivent toujours aller au pas ; on les promène quelquefois dans Péking, et alors chaque voiture et chaque piéton doit s'arrêter en laissant la chaussée à l'écurie impériale ! A la moindre sortie de l'empereur, les dépen- ses sont énormes ; mais que dire lorsqu'il se rend aux tombeaux de ses ancêtres ! la dépense alors devient fabuleuse. Comme les routes dites impériales n'exis- tent pour ainsi dire plus, on en trace une en ligne droite à travers champs ; une indemnité est donnée aux propriétaires, mais avant d'arriver entre leurs mains, elle est tellement égrenée qu'elle devient presque impalpable. Rien n'est omis pour augmenter la dépense : jadis à tel endroit se trouvait un ruisseau, depuis des années il est comblé; mais le cortège doit passer sur un pont : on creuse donc un fossé, on abat les arbres d'alentour, le pont est fait, la règle observée ; ainsi de tout le reste. Les sépultures impériales se trouvent DAME DE LA COUf 316 PEKING. l'une à l'est, l'autre à l'ouest, à trois journées de Péking ; les montagnes qui les avoisinent renferment de beaux matériaux, mais, dans la crainte de dépenses moindres, les marbres de l'est ne s'emploient qu'à la sépulture de l'ouest, et vice versa. Un missionnaire, se rendant un jour dans une chrétienté, rencontra un cortège de plus de trois cents hommes occupés à transporter un bloc de marbre d'environ quatre mètres de long sur quatre-vingts centimètres en carré; soixante quinze mulets y étaient attelés, quinze autres portaient les cordes seules ; on s'embourbait, on s'ensablait, peu importe ; le petit man- darin chargé de l'affaire faisait dresser sa tente, buvait son thé, fumait sa pipe, laissant ses gens se débrouiller. Huit à dix jours après, revenant par le même chemin, le missionnaire revit ce bloc de marbre qu'on avait réussi à faire avancer d'environ huit cents mètres! L'empe- reur, qui paie si cher, est cependant de droit le maître absolu de tout ce qui existe dans son empire ; on peut même dire qu'il est le seul propriétaire, car tous les biens territoriaux sont censés lui appartenir ; il a le droit de vie et de mort sur tous ses sujets ; quant à sa per- sonne, elle est tellement sacrée que, si par impossible un attentat était commis contre l'empereur, la loi veut que la fa- mille du coupable soit éteinte ; son grand-père, son père, ses fils, ses petits- fils avec leurs femmes et leurs enfants jusqu'au dernier né, tout doit être mas- sacré. A la mort de l'empereur, tout l'empire doit porter le deuil et ne point se raser la tête pendant cent jours ; cette règle est sévère, et lorsque T'ouug-tche mou- rut, les ennemis du vice-roi Li-koung- tchang lui firent donner un blâme pour l'avoir, disaient-ils, négligée. Aussi, quel- ques jours après, le vice-roi, ayant ren- contré un pauvre homme rasé de frais, lui fit sans plus de façon trancher la tête! Quant à la succession au trône, elle ne revient pas de droit au fils aîné ; l'empereur a dû désigner, de son vivant, celui qui le remplacera. Ces successions n'ont pas toujours lieu sans réclamations et sans murmures, mais le respect de l'autorité est tellement ancré dans l'esprit du peuple et des mandarins, qu'on accepte toujours sans révolution les faits accomplis. SERVANTE DU PALAIS. LES MINISTERES. 317 II Péking renferme les six grands ministères desquels dépendent tous les fonction- naires de l'empire. L'empereur Young-lo, la i 8e année de son règne, construisit de vastes bâtiments pour chacun de ces tribunaux supérieurs. Ils ont tous la même organisation, c'est-à-dire : deux présidents appelés Ckang-chou, l'un chinois, l'autre tartare ; quatre vice-présidents, deux chinois et deux tartares, que l'on distingue par vice-présidents de droite (Yeou-che-lang) et vice-présidents de gauche (Tsouo-cke- lang)- Quant aux mandarins subalternes, ils sont très nombreux et chacun a sa fonc- tion spéciale. 1° LI-POU, MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR. — Ce tribunal est situé dans la rue flou-pou kiè, entre les portes Tsien-mcn et Ha-ta-?nen, dans l'est de la ville tartare. Il a pour attribu- tions la nomination de tous lesmandarinscivils nommés Ouen-kouan, Dans tout l'empire, le Li-pou choisit les candidats et les propose à l'empereur, qui donne son approbation, puis le tribunal délivre les brevets. Aux présidents sont réservées les nominations depuis le pre- mier jusqu'au septième degré ; les moindres ^^ sont laissées aux Che-lang. C'est aussi ce tri- bunal qui juge des mérites ou des démérites de tous les mandarins, fixe les blâmes ou les punitions à leur infliger, les récompenses ou les promotions à leur accorder ; en un mot il règle tout ce qui regarde les officiers civils de l'empire. 2° HOU-POU, MINISTÈRE DES FINANCES. — Il est au sud du précédent et donne son nom à la rue où il se trouve ; les tributs, les impôts, les douanes, les grains, les riz de l'Etat sont sous sa dépendance. Le trésor de l'em- pire (OuacJcou), les fabriques de monnaie en or, en argent et en cuivre occupent les bâtiments de ce minis- tère : l'hôtel des monnaies se nomme Pao-tsuen-kiu. Un mandarin tartare, spécialement préposé pour la solde (Tsien-Iéatig) de ses compatriotes, est adjoint aux prési- dents. Tous les officiers payeurs, receveurs de contributions, sont nommés par le Hou-pou et relèvent directement de lui pour toutes les recettes et les dépenses. 3° LI-POU, ministère des cultes et cérémonies. — Les bureaux de ce minis- tère sont situés au sud du Hoîi-pou. C'est le Li-potc qui règle toutes les cérémonies et avertit l'empereur pour les rites, fêtes, sacrifices, visites aux pagodes, etc. ; il doit également tout préparer et ordonner. Son président est le grand-maître des cérémo- nies, l'introducteur des ambassadeurs ; il a dans son service tout l'interprétariat pour les traductions ; enfin, c'est aussi ce ministère qui procède aux examens des lettrés qui ne sont pas mandarins ; on y garde le catalogue de leurs noms. C'est là égale- ment que doivent être gravés les sceaux des fonctionnaires ; le tribunal en donne la forme et l'inscription. 4° PING-POU, ministère de la guerre et des postes. — Tous les mandarins LA CANGUE. 318 PEKING. militaires, de quelque grade qu'ils soient, sont nommés par ce ministère et en dépen- dent directement, Les" bâtiments se trouvent non loin des autres ministères, mais dans une rue parallèle, le Ping-pou-kiè. L'infanterie, la cavalerie, les flottes de guerre, quanta la direction et à l'organisation, sont de son ressort ; il doit tout pré- parer et entretenir : les chevaux, les armes de tout genre, les fabriques de poudre ; n'ayant pas de trésor spécial, une fois les dépenses approuvées, il envoie prendre l'argent au Pou pou ; c'est le Ping-pou qui doit aussi fournir l'escorte pour les am- bassadeurs étrangers et veiller au service des postes pour tout l'empire ; les cour- riers correspondant avec les provinces sont expédiés par lui seul. 5°SING-POU, ministère de la justice. — Sous les Ming, ce ministère se trouvait placé au Singpou-kiè ; mais il a été reconstruit par les Tsing au Tchen- ioung, près des tribunaux, du côté de l'ouest. Les murs qui l'entourent ont 7 mètres d'élévation, sont très épais et surmontés de branches épi- neuses ; c'est la prison géné- rale pour lesgrandscriminels. L'empereur seul a le droit de condamner à mort, et toutes les sentences capitales pas- sent par ses mains. Pour cer- tains crimes avérés : pillage, révolte, meurtre, les vice- rois et même des mandarins inférieurs font de suite couper la tête aux coupables, mais alors ils doivent en donner avis à l'empereur par l'entre- mise du Sing-pou; ordinairement, les grands criminels & ' ^ r>' sontenvoyesare- king, le Sing-pou juge, détermine la punition, l'empe- reur approuve et on exécute. Pour les cas tout à fait extraordinaires, les mandarins du Sing-pou n'osent quelquefois pas se prononcer ; l'affaire est alors renvoyée au tribunal suprême, nom- mé Tchao-cheng, qui fonctionne dans l'intérieur même du palais impérial. Les exécu- tions générales se font à jour fixe en dehors de la porte C/iountche-men, au carrefour appelé Ts aè-che-k' eo'u (les rites exigent que l'empereur ne franchisse jamais cette porte). Les coupables, à genoux, sont exécutés l'un après l'autre, leurs corps empor- tés à la voirie, leurs têtes suspendues dans de petites cages montées sur trois échalas. En passant par là, on peut voir des têtes exsangues, avec de gros yeux terrifiés, à demi rongés par les pies et les corbeaux qui picotent au travers des barreaux ; la tresse traîne jusqu'à terre, les chiens regardent et se lèvent sur leurs pattes de derrière pour essayer d'atteindre ; le spectacle est écœurant. 6 KOUNG-POU, ministère des travaux publics. — Ce ministère est au sud du Ping-pou ; son président est chargé de toutes les constructions de l'État : palais, pagodes, casernes, greniers, ponts, etc. De plus, il doit prendre soin des routes, des LES MINISTERES. 319 rues, des digues fluviales et de tous les jardins ou parcs impériaux ; il a son trésor particulier pour les cas exceptionnels ; ordinairement il va prendre les fonds au Hou- poit. Une succursale de la fabrique des monnaies reste sous sa dépendance, elle se nomme Pao-yuen-kiu. Enfin, il possède des magasins immenses de matériaux pour les travaux à exécuter. En dehors de ces six ministères, il y en a beaucoup d'autres dont les principaux sont : i° TSOUNG-JEN-FOU. — ■ Ce ministère est présidé par des princes que nomme l'empereur. Ce grand tribunal, le premier de tous, ne s'occupe que.des affaires de la famille impériale et des personnes de sang royal ayant droit à la cein- ture jaune « koang-taè-tse » ; il peut juger même les princes du sang. 2° NÉE-OU-FOU. — Il est consacré uniquement à l'empereur et à sa cour. Tout ce que l'empereur désire doit lui être fourni par le Née-ou-fou, qui a son trésor particulier Née-k'oîi, lequel est comme la cassette im- périale. L'impératrice veut-elle de l'argent? elle avertit ce tribunal, qui, s'il n'en a pas, s'arrange pour en trouver soit au Hou-pou, soit ailleurs ; au besoin, les vice-rois sont requis de remplir les coffres. 3° TOU-TCH'A-YUEN, tribunal des censeurs. — Le premier des censeurs en est le président ; les censeurs sont nommés ou dégradés par le Li-pou, comme les autres mandarins. Ils sont fort nombreux ; chaque ministère, chaque quartier de la ville a son censeur ; chaque province a également le sien ; ils peuvent parler de tout et de tous, même de l'empereur, et faire des représen- tations sur tous les actes du gouvernement ; mais s'ils ne prennent garde de censurer à faux, de dépasser les bornes, d'observer les formes voulues, ils ne restent pas longtemps eu place. Il y a quelques années, l'un d'eux eut l'audace de s'attaquer à l'impératrice- mère ; il fut de suite dégradé, tant il est vrai que « Toute vérité n'est pas bonne à dire» ! Ces censeurs ont cependant une autorité incontestée, et font souvent trem- bler les plus hauts mandarins. Sous les Ming, les bureaux de ce tribunal étaient à l'ouest de la porte C/ioun-tchevien ; depuis ils ont été reconstruits au nord du Sing-pou. 4° NÉE-KO, grand secrétariat de l'empire. — C'est là que s'élaborent les décrets de 1 empereur, c'est au Née-ko que l'on appose les sceaux impériaux. Quand il en est besoin, l'empereur les fait porter à ce tribunal ; sous les Ming, les eunuques, en grande faveur, étaient chargés de ce soin ; maintenant cet honneur est réservé aux seuls mandarins de haut grade nommés à cet effet. Il n'est point nécessaire de demeurer en ville pour faire partie du Née-ko. Les quatre membres de ce tribunal ont tous le rang de Tclwung-t'ang ou vice-roi. Le premier est appelé Ouen-hoa-tien, le second Ou-iing-tieu, le troisième T'i-jeu-ko, le quatrième Toung-ko. On nomme PRISONNIERS ENCHAINES. 320 PEKING. ces quatre personnages les Ta-siao-che, et le premier est sans conteste le plus haut mandarin de l'empire ; actuellement c'est Li-houng-tchang. 5° KIUN-KI-TCH'OU, grand conseil. — Il se tient chaque jour au palais même entre trois et six heures du matin, présidé par un prince ; il est spécialement composé de huit membres, mais l'empereur peut en appeler autant qu'il le juge conve- nable. Ce grand conseil délibère avec l'empereur sur les affaires de l'État ; chacun donne son avis et l'empereur décide. Tous ces ministères, tous ces tribunaux, tous ces conseillers sont tellement dépendants les uns des autres, qu'ils se surveillent mu- tuellement. Chacun est obligé d'agir avec prudence et sagesse sous peine d'être attaqué, accusé par le voisin. Rien n'est laissé à l'arbitraire ; l'empereur lui-même ne peut s'écarter des règles posées ; la machine gouvernementale est montée de telle sorte, qu'elle fonctionne ainsi sans aucun dérangement depuis des siècles. LIT A TORTURE. III Après les Traités, les ministres européens devant résider à Péking, il fallait désigner un tribunal pour discuter les affaires avec eux. A cet effet, au lieu de choisir un des six grands ministères dont nous avons parlé plus haut, par exemple, le ministère des Rites, le gouvernement chinois préféra créer un tribunal spécial décoré du titre de Tsoungli-ko-kouo Yamen, c'est-à-dire, Tribunal pour traiter les affaires de tous les royaumes ; il est situé dans l'est de la ville, à deux kilomètres des Légations ; les bâtiments sont peu imposants, mais assez propres. On reçoit dans un petit pavillon entouré de rocailles et dans une salle de 2>° pieds sur 20, où l'on sert ordinairement des rafraîchissements. Les princes Roung et Tsing en sont actuelle- ment les présidents, et dix membres forment le conseil ; deux ou trois viennent chaque jour alternativement pour recevoir les ministres ou interprètes des Légations qui se présentent. Mais ce Yamen ne peut soutenir la comparaison comme monu- ment, ni avec les vrais ministères de Péking, ni à plus forte raison avec les salles splendides où sont reçus les ambassadeurs en Europe. Pendant que les missionnaires s'installaient à Péking en 1860, les diverses Léga- tions prenaient également pied et organisaient leurs Hôtels respectifs. LES LEGATIONS. 321 Pour la France le gouvernement chinois donna un palais vaste et commode dans la rue Kiang-mis-iang. La Légation française est surtout remarquable par son jardin, qui est le plus grand et le mieux entretenu de tous, par son superbe portique qui n'a pas de rival, et par ses salons somptueusement décorés ; l'entrée, imposante, est ornée de deux grands lions et de bornes en pierres reliées entre elles par une énorme chaîne de fer ; cet ouvrage a été exécuté sous la direction du génie, lors de l'expédition française. La Légation de Russie est placée non loin de celle de la France, dans une confor- table habitation donnée jadis par K'ang-si aux missionnaires russes. Cette Légation possédait déjà une fort belle chapelle, on augmenta peu à peu les bâtiments ; aujour- d'hui c'est une des plus grandes de Péking, son salon mesure plus de 14 mè- tres de côté, et les installations — : sont merveilleu- sement compri- ses. Pour l'Angle- terre, le gouver- nement chinois accorda un an- cien palais situé dans la ville tar- tare au sud-est, sur les bords d'un canal ou déversoir qui conduit les eaux du palais impé- rial en denOrs 1. Cour d'honneur. — 2. Grand portique. — 3. Cour du ministre. — 4. Appartements du de la ville ■ Cette min's're' — 5' Grand salon. — 6. Salle à manger. — 7., Serre. — 8. Grand salon des Fêtes. — 9. Premier interprète. — 10. Second interprète. — II. Élève interprète. — 12. Pavillon du pre- eSt mier secrétaire. — 13. Pavillon des étrangers. — 14. Chapelle. — 15. Chancellerie. — 16. Appar- tements du chancelier. — 17. Pavillon du docteur. — 18. Serre du jardin. — 19. Jeu de Paume. — 20. Grand parc. — D. Dépendances et écuries. — P. Grande porte d'entrée. — M. Pavillon verte en partie de la musique. de tuiles vernis- sées ; les Anglais l'ont depuis embellie et complétée. La Légation d'Allemagne ne fut construite que plus tard, sur un terrain acheté par la Prusse ; elle est du reste assez bien aménagée et offre du confort, mais son jardin est très petit. Celle d'Espagne, située dans la même rue que les précédentes, a des bâtiments convenables et des pavillons indépendants pour les secrétaires et interprètes ; le ministre d'Espagne y réside en permanence, quoiqu'il soit en même temps accrédité près du roi de Siam. La Légation du Japon est fort bien; un architecte japonais y a fait des améliora- tions intelligentes ; deux lions de marbre décorent l'entrée. Celle d'Amérique est située vis-à-vis de l'Hôtel de Russie, mais elle est loin de l'égaler comme étendue et comme construction. Péîcing. 21 PLAN DE LA LÉGATION DE FRANCE A PÉKING. (CAUBERT.) résidence grande et cou- 322 PEKING. La Légation d'Italie, située près des autres, laissait beaucoup à désirer; mais, dans ces derniers temps, un ministre entendu en architecture y fit de nouvelles bâtisses qui la rendent très suffisante. La Légation de Belgique, un peu loin des précédentes, a plusieurs fort belles cours aménagées à la chinoise, et un beau pavillon pour le secrétaire. Quant à la Hollande elle construit son Hôtel, et l'Autriche n'a point de Légation à Péking. On ne peut passer sous silence la superbe habitation du directeur général des douanes ; elle se fait remarquer par un magnifique jardin, où chaque semaine une fanfare bien conduite accueille de nombreux invités. Sous la dépendance de ce per- sonnage se trouvent encore le collège chinois nommé T'oung-ouen-kouan, établi au Tsoung-li-Yamen, l'hôtel de la poste européenne et toutes les habitations des nom- breux fonctionnaires attachés à ces grands établissements. — On voit enfin près des Légations une succursale de la banque de Hong-kong et Chang-hai, puis de vastes magasins tenus par des Européens, et même un hôtel français où l'on peut trouver tout le confort d'Europe. Les chapelles protestantes de Péking sont nombreuses, mais aucune ne mérite le nom de monument ; les ministres qui les desservent sont logés avec leur famille dans de vastes demeures. Ils connaissent bien la langue chinoise, souvent ne reculent pas devant l'habit et les coutumes du pays, disposent de sommes énormes et d'un per- sonnel considérable ; cependant ils font peu d'adeptes dans le nord de la Chine. A environ 3 kilomètres de la porte ouest de Péking, appelée P'ing-tsemen, les Euro- péens se sont rendus locataires d'un im- mense terrain nommé Ouang-haè-leou, où ils ont établi un champ de courses. On y a préparé de belles tribunes, une maison très confortable, entourée d'arbres fruitiers et de fleurs; l'endroit est fort agréable, et deux fois l'année ont lieu les courses, qui sont toujours très brillantes ; c'est une des distractions de la capitale. Les Légations ainsi que de nombreux particuliers y font courir des chevaux choisis en Mongolie, entraînés à l'avance et supérieurement montés par des amateurs. Des paris considérables sont souvent engagés sur tel ou tel cheval ; le gagnant ira peut-être remporter à Chang-hai de nouvelles victoires pendant que le malheureux perdant, vendu presque pour rien, traînera pénible- ment une triste charrette de louage à Péking ! PAVILLON DE LA LÉGATION DE RUSSIE. IV Si l'on considère l'immense étendue de pays qui forme l'empire chinois, et le nombre de ses habitants qu'on ne saurait évaluer à moins de quatre cent mil- lions, il semble que l'armée chinoise devrait être fort nombreuse et très aguerrie. L'ARMEE CHINOISE. 323 Il y a en effet beaucoup de soldats, mais on peut dire qu'il n'y a pas d'armée : ce qu'on décore de ce nom se compose d'éléments divers ; avant tout, les hommes des bannières, soldats tartares qui se distinguent par la couleur de leurs drapeaux et de leurs uniformes : i° la bannière jaune ; 2° la bannière jaune bordée de rouge ; 30 la bannière blanche ; 40 la bannière blanche bordée de rouge ; 50 la bannière rouge ; 6° la bannière rouge à bordure blanche ; 70 la bannière bleue ; 8° la bannière bleue à bordure rouge. Tous ces soldats des ban- nières restent habituellement dans leurs famil- ^ les ; cependant, on trouve aux alentours de Péking, par exemple en dehors de la porte Ping-tse-mcn, des espèces de camps où chaque soldat possède une petite maison et une petite cour. Là, il vit avec sa femme et ses enfants aux frais de l'empereur. Tous ces Tartares reçoivent du souverain une paie // Ul\ 1^^ M / variant entre 7 francs et 50 francs par mois, selon leur grade ; de plus, à diverses époques de l'année, on leur distribue quelques sacs de riz provenant des magasins impériaux de Péking ou de T'onuç- tcheou. Leur armement consiste, comme il y a deux cents ans, dans l'arc, les flèches, les piques, sabres, fusils à mèche et espingoles. Pour la collation des grades, c'est encore le tir .— -1 à l'arc sur lequel seul porte l'examen ; on se fait peu de scrupule, du reste, pour faire passer son examen ; par un autre, pour faire " dessubstitutionsdeperson- nes, pour faire inscrire un jeune enfant sur les rôles de l'armée, pour acheter un grade ou la dispense complète du service. Les tribunaux militaires et les chefs ferment les yeux, car ils y trouvent leur bénéfice. On comprendra que les trois ou quatre cent mille hommes qui composent cette grande armée tartare ne soient pas très redoutables. Les exercices à feu se font à jours réguliers en dehors de la porte Teu-cheng-men, où chaque soldat se rend séparé-' ment avec sa pipe, son éventail, son parapluie et son fusil entouré de toile bleue et bouché à l'extrémité par une LA queue du renard. houppe rouge ; il s'est contenté de passer par-dessus ses pauvres vêtements une casaque légère aux couleurs de sa bannière. L'artillerie se rend aussi au champ de manœuvres ; elle n'est composée que de canons en fer, ou FUSILIER. 324 PEKING. de pièces inférieures en bronze achetées à l'étranger et fort mal entretenues. Chaque pièce avec son caisson est traînée par quatre chevaux mongols, dont le harnachement laisse beaucoup à désirer. Lors- que les chefs sont arrivés, toutecette trou- pe prend son rang et fait des exercices où il est difficile de comprendre quelque chose ; marche, contre-marche, volte- face, simulacre de fuite, retour offensif, tout est mêlé d'après une règle qu'on ne s'explique pas, et qui date de plusieurs siècles. Les drapeaux, toujours en très grand nombre, s'agitent de tous côtés ; on fait beaucoup de bruit, une énorme consom- mation de poudre, et tout sem- ble confirmer cette parole du P. Hue: « Les Chinois sont plutôt artificiers qu'artilleurs!» Outre cette armée toute dé- vouée à l'empereur, puisque, selon l'expression chinoise, « elle le mange », la Chine comprend encore de nombreuses troupes composées de Chinois, mais dont les chefs ESPINGOLIERS. ESPINGOLES MONTEES SUR PIVOT. sont toujours tartares ; celles-là ont à peu près les mêmes armes, moins l'arc et les flèches, et leur dévouement au souverain est bien loin d'égaler celui des Tartares. L'ARMEE CHINOISE. 325 Enfin, la Mongolie dont les immenses plaines nourrissent plus d'un million de chevaux, doit fournir à l'empereur plusieurs centaines de mille cavaliers ; mais ils sont peu exercés, mal armés et mal commandés ; aussi, malgré leur fidélité à la dynastie, ne peuvent-ils apporter qu'un appoint peu sérieux en cas de guerre. Depuis une quinzaine d'années, des mandarins intelligents, spécialement le vice-roi Li-koung-tckavg, ont essayé de former des troupes sur le modèle européen, et y ont en partie réussi ; bien armées, sévèrement disciplinées, proprement tenues, habitant des camps retranchés ou des forteresses, ces troupes ont fait plusieurs fois l'admira- tion des officiers européens qui les voyaient manœuvrer. Près de cent mille hommes ont été ainsi exercés, et auraient représenté une force réelle, car la bravoure ne leur manque pas, s'ils avaient été commandés par des officiers instruits et que l'intendance eût fonctionné régulièrement. Ici encore la vénalité et l'amour du lucre sont venus paralyser ces premiers efforts. Tel mandarin avec deux barils de poudre européenne en faisait douze, et l'on s'étonnait que le boulet ne sortît pas de l'âme du canon ! tel autre exigeait pour lui-même le tiers de la valeur d'une commande, et acceptait des armes défectueuses. On passait l'inspection d'un fort, 2.000 hommes bien tenus s'y trouvaient ; mais, pendant que l'inspecteur déjeunait, on les faisait passer dans un autre fort, puis dans un troisième, et ces 2.000 hommes comptaient pour 6.000. On allait examiner le magasin à obus ; le premier rang était réel, les autres en carton recouvert de papier argenté ! Ces détails suffisent pour faire comprendre comment l'armée et la flotte chinoise ne purent soutenir la lutte contre le Japon. Si la Chine moralisait ses fonctionnaires, faisait instruire ses officiers, payait ses troupes, si, en un mot, elle voulait réellement prendre l'Europe pour modèle, la richesse de son sol et le nombre de ses habitants lui permettraient d'avoir, en peu d'années, une flotte redoutable, une infanterie excellente et la plus nombreuse cavalerie du monde. I. LES TRIBUNAUX. LE PÉ-YAMEN. LA POLICE. LES PRISONS. II. LES RUES. LES PLACES. LES VOLEURS. LES POMPIERS. — III. LES BANQUES. LES MONTS-DE-PIÉTÉ. LES THÉÂTRES. LES MAISONS DE JEU. L'OPIUM. LES BOUTIQUES. LES RESTAURANTS. LES CAFÉS. IV. LES ENFANTS TROUVÉS. eaucoup de personnes regardent Péking comme la capitale du Pé-tche-ly, il n'en est rien ; cette province a sa préfecture particulière. Péking, capitale de la Chine, est directement régi par un vice-roi spécial, nommé « le gouverneur des neuf portes », et l'étendue de sa juridiction ne dé- passe pas quelques kilomètres au dehors de la ville. Il a sous ses ordres deux sous-gou- verneurs chargés, l'un de cinq portes, l'autre de quatre, avec les quartiers qui en dépendent. Le principal tribunal est celui du nord ( Pé- yamen), où le gouverneur traite les affaires de police et les procès ; il y en a de plus deux autres présidés par les sous-gouverneurs ; enfin, dans la ville chinoise, chaque division a son tribunal particulier. Outre ces grands tri- bunaux, on rencontre dans chaque rue impor- tante plusieurs postes de police, et à chaque carrefour des gardiens spéciaux. Pendant le jour, chacun doit veiller à ce qu'aucun désor- dre ne se produise dans la partie de la cité qui lui est confiée ; pendant la nuit, chaque poste doit disposer des veilleurs qui, munis de lanternes, parcourent jusqu'aux moindres ruelles pour empêcher tout vol ou toute attaque nocturne. Ces veilleurs poussent des cris, se répondent de loin les uns aux autres, et frappent sur des ins- truments en bois pour annoncer leur présence. Il est difficile de comprendre com- ment ces moyens bruyants, qui indiquent exactement où se trouve la police, peuvent arrêter les voleurs dans leurs mauvais desseins ; quelques agents subalternes ne se font point du reste scrupule d'accepter une prime et de s'entendre avec eux ! LES TRIBUNAUX. 327 Dans les tribunaux de Péking, comme dans ceux de toute la Chine, la vénalité de la justice a donné lieu au proverbe suivant : « Si votre cause est mauvaise et que vous soyez riche, entrez hardiment ; si elle est bonne et que vous soyez pauvre, n'entrez pas ! » Tout est estimé, discuté, acheté et payé; un homme est-il condamné à recevoir cent coups de bambou, l'exécuteur a supputé la valeur de son sujet ; celui-ci offre-t-il 20 francs, on continue à frapper fort ; arrive-t-il à promettre 50 francs, qui représentent sa valeur, on frappe encore, le patient crie, les coups résonnent, mais sans faire aucun mal, sans laisser aucune trace. Les satellites, ne recevant rien de leurs maîtres, trouvent ainsi moyen de se faire d'assez beaux bénéfices. Pour écrire une accusation, pour la faire présenter, accepter, patronner, il faut payer ; tout cela sert d'émoluments aux scribes, aux portiers, aux secrétaires des tribunaux ; le mandarin lui-même ne pourrait vivre avec la somme qui lui est allouée par l'em- pereur, il est obligé d'aviser, car il a de lourdes charges et ne doit pas se présenter les mains vides devant ses supérieurs; aussi, à un simple préfet qui est payé LE VICE-ROI GOUVERNEUR DE PEKING ET SON ESCORTE. 15.000 francs, les affaires en rapportent de cinquante à soixante mille chaque année. Le Chinois dit souvent: « Les gros poissons mangent les petits, les petits man- gent les crevettes, les crevettes mangent la vase ; » mais le peuple est-il tellement opprimé ? Il est libre de ne pas intenter de procès, et la crainte d'avoir à payer les juges amène le plus souvent une entente à l'amiable ; les fonctionnaires le pressurent un peu, lui de son côté vole les mandarins et même l'empereur, c'est un cercle vicieux. Un jour, une voiture chargée de bois coupé au Yuen-ming-yuen traversait Péking ; quelqu'un dit aux conducteurs : « Mais cette espèce de bois n'existe qu'au palais d'été, vous l'avez volé ! » Ils répondirent : « Si nous ne mangeons pas l'empereur, qui mangerons-nous ? » On veut entrer à Péking et conduire au centre même de la ville des choses prohibées, rien de plus simple : on solde à chaque poste de police une petite redevance, cela s'appelle « balayer la route ». Pour que 25.000 fonctionnaires retiennent dans l'obéissance 400.000.000 d'habi- tants, il faut bien, malgré tout, user parfois d'une certaine sévérité. Si l'Européen ne comprend pas l'atrocité de certains supplices, le Chinois la comprend et l'accepte. La prison est le premier ; on souffre de la vermine, de l'humidité, du manque de nour- 328 PEKING. riture dans ces infects réduits ; mais les Chinois y résistent, et bien peu meurent des suites d'une détention, même prolongée. En 1870, un prisonnier chrétien âgé de 20 ans, saisi lors des massacres de Tien-tsin, séjourna plus d'un mois dans une basse- fosse ; son pied droit, tuméfié, ne présentait plus qu'une masse informe rongée par les vers, lorsqu'on lui rendit la liberté ; tous les docteurs des canonnières françaises furent d'avis de couper le membre gangrené, dans l'espoir de sauver la vie à ce malheureux, il s'y refusa, et, grâce à la médecine chinoise, aux soins, à la jeunesse, il fut guéri en quelques semaines. Les soufflets appliqués avec une semelle de cuir, les coups de bambou, la cangue, sont des peines fort ordinaires que l'on inflige pour de simples peccadilles. Le Chinois les supporte stoï- quement; il ne souf- fre probablement pas autant quel'Eu- ropéen, ayant moins de sang, moins de nerfs, par suite moins de sensibi- lité; on épargne ces punitions aux man- darins etaux lettrés, qui doivent perdre d'abord tous leurs grades avant de su- bir aucune autre condamnation. Les femmes ne sont point frappées ailleurs que sur les mains ; le mari se charge, chez lui, de représenter le man- darin et même le bourreau. Il y a quelques années.on put voir à l'heure de midi, dans la r\i&Léo7ili-ic/îang, une des plus populeuses de Péking, un furieux trancher la tête de sa femme avec un couteau de boucher! Plus de mille personnes étaient présentes, aucune ne se dérangea ni ne fit un seul pas pour empêcher le crime ; le mari, paraît-il, dut payer quelques centaines de francs pour ne pas être inquiété. Mais rien n'égale l'horreur du supplice infligé à une femme qui tue son mari : elle est saisie, couchée sur une natte et découpée vivante devant tout le peuple, toujours avide des spectacles cruels ; on commence par les articulations des pieds et des mains, on continue par celles des membres, enfin le tronc est coupé en quatre ! Il est vrai que, moyennant finances, les parents obtiennent du bourreau qu'un coup de stylet achève rapidement la victime ; pour la suite du supplice, une autre personne poussera des cris déchirants ; toujours un peu de comédie dans le drame. AGENTS DE POLICE SALUANT LE PREFET. LES RUES. 329 II LES RUES. — Les dépenses pour l'entretien des places et des voies publiques sont, paraît-il, très considérables, maison ne s'en aperçoit guère. En hiver, les rues sont couvertes d'un pied de poussière que le vent soulève par tourbillons ; en été, les tlaques d'eau, la boue, les cloaques à découvert, rendent toute sortie pénible. Jadis, il existait des égouts passables ; aujourd'hui ils sont à jour, plus élevés souvent que la voie, et jamais on n'a pensé à les réparer. Comme chacun jette tous les matins les détritus de son ménage sur la chaussée, avec le temps elle devient plus élevée que le pas des portes ; aussi n'est-il pas rare de voir plusieurs pieds d'eau dans les boutiques. Les rues sont fort larges dans la ville tartare ; les boutiquiers, revendeurs, marchands d'habits et autres obtiennent, en payant la police, de s'installer sous des tentes à droite et à gauche ; peu à peu ces tentes se changent en mai- sonnettes, et la rue en est presque obstruée. Lorsque l'empereur doit passer, tout est emporté, déblayé, nivelé, sauf à reparaître quelques jours après. Au milieu de ces rues se promènent des chiens errants, des porcs, des poules, des pigeons, des corbeaux, même des milans noirs d'une audace étonnante, qui arrachent parfois la viande sur l'étal des bou- chers ou dans les mains des acheteurs. Ces milans, ces chiens, ces corbeaux sont les vrais agents- voyers de Péking ; ils emportent tout, quand ils ne sont pas prévenus par des industriels peu dé- goûtés qui leur font concurrence ; rien d'écœurant comme de voir des misérables disputer aux chiens un os ou un lambeau de viande avariée. Souvent ils profitent de leur voracité pour jeter un nœud coulant au cou de ces malheureuses bêtes, puis se sauvent en les traînant jusqu'à ce qu'elles soient étranglées. Ces voleurs de chiens vendent à bon prix la chair de leurs victimes. Les voitures stationnent un peu partout et paient un centime comme droit de stationnement. On les prend à la journée, à la demi- journée ou à la course ; le prix se débat longtemps et se fixe ordinairement entre 2 fr. 50 centimes et 5 francs par jour, selon la propreté du véhicule. De temps en temps on rencontre dans les rues deux individus qui se maudissent, se prennent par la tresse et se préparent au combat ; mais des médiateurs ne tardent pas à séparer les combattants, il est rare que la police ait à s'en mêler. — Les rues de Péking pourraient être belles, et sont dans un état déplorable à cause de l'incurie des agents et du gaspillage des fonds publics ; elles sont en revanche assez sûres, même la nuit, quoique les voleurs ne manquent pas. Lorsqu'ils veulent faire un beau coup, ils s'entendent d'avance avec quelques veilleurs, pour ne pas être dérangés ; ils percent ordinairement le mur des boutiques et emportent tout, puis partagent honnêtement ! Une bande attaqua, il y a quelque temps, un mont-de-piété en dehors de la porte Tsien-men ; c'était vers minuit, on croyait tout le monde plongé dans le sommeil, LANTERNE DES RUES. 330 PEKING. mais les gens du mont-de-piété veillaient ; lorsque le trou fut pratiqué dans la mu- raille, un jeune voleur passa les pieds en avant, comme c'est la coutume, et fut tout étonné de se trouver arrêté ; de l'intérieur on lui avait écarté les deux jambes, il ne pouvait plus sortir. Ses compagnons vocilérèrent de terribles menaces, sans faire céder les gens du mont-de-piété; alors, de crainte d'être trahis par leur complice, ils lui coupèrent la tête et l'emportèrent. Le lendemain, le directeur, accusé d'avoir tué un homme, fut incarcéré, frappé, et l'établissement complètement ruiné. Les maisons de Péking étant en bois et en papier, les incendies y sont fréquents; on se demande même comment ils n'y sont pas journaliers. Pour les combattre, chaque poste de police a une pompe rudimentaire qui, quand elle marche, peut lancer l'eau à i 5 ou 20 mètres. L'éveil étant donné, les agents de police et veilleurs POMPIERS ET LEURS POMPES. qui font l'office de pompiers, partent sans se presser ; on prend l'eau où l'on peut, et on commence à éteindre le feu ; on tâche surtout de protéger les boutiques voi- sines, après s'être entendu avec les marchands sur le prix à solder. S'ils refusent, leur maison sera démolie, sous prétexte de couper le feu ! L'incendie est une bonne affaire pour les pompiers et pour les voleurs, qui ont vile déménagé la boutique. En général, les incendiés, comme secours, reçoivent la bastonnade et sont envoyés en exil, à moins qu'ils ne puissent payer une forte somme aux tribunaux ; telle est la coutume, elle oblige chacun à une grande vigilance, et sans cette sévérité Péking tl.unberait tous les hivers. LES BANQUES. 331 III LES BANQUES. — Il y a dans Péking des banques chinoises de premier ordre, quTont des succursales dans les dix-huit provinces et sont d'une rare honnêteté ; mais outre ces grands établissements, qui se soutiennent mutuellement et offrent une garantie parfaite, presque dans chaque rue on trouve une petite banque ou boutique à sapèques ;le change de l'argent se fait là. Comme il n'y a aucune monnaie, le numéraire est en lingots d'argent qui varient de poids et de qualité. A-t-on besoin de faire un petit paiement en argent, il faut couper ces lingots, où très souvent on trouve une notable quantité de plomb habilement coulé. De plus, les balances varient, on en compte au moins cinq ; la qualité de l'argent varie également, il peut y avoir un écart de 7 à 8 :(, ce qui rend la fraude habituelle ; aussi le Chinois est heureux de changer ce numéraire contre des bil- lets de banque, plus portatifs et plus fa- ciles à employer. Chaque petite banque en fabrique à son nom, sans contrôle ; à l'acheteur de voir si les billets sont bons, si la banque est assez solide. Les banqueroutes sont fréquentes, et chaque année, surtout dans le dernier mois, une vingtaine au moins de ces établissements se ferment, et leur papier devient sans valeur. On vend quelquefois dans les rues des billets de2 à 50 francs, que Ton offre pour quelques centimes ; pourquoi ? parce que si la banque dont il porte le nom venait à se rouvrir, ces billets recou- vreraient leur valeur intrinsèque; c'est un mince espoir, mais c'en est un, on peut donc risquer quelques sous ! Qu'arrive- t-il, en effet, souvent ! une banque émet des billets pour le décuple de son numé- raire, une banque rivale les achète, se les fait rembourser, et lorsque la première banque a dépensé ce qu'elle a en argent, billet dic banque de 5 ligatures de péking. ne pouvant continuer à payer, elle ferme, la voilà ruinée et son propriétaire en fuite. Ce n'est pas fini ; ces honnêtes gens, pendant un an ou deux, parcourent la ville, rachètent à dix ou vingt centimes leurs vieux billets, puis, lorsque presque tous sont rentrés, on rouvre boutique et la ban- que reprend comme si elle n'avait pas fait banqueroute ; c'est une fraude ingénieuse 332 PEKING. et les gens qui ont acheté le billet portant le nom de cette banque font eux-mêmes une bonne affaire. La monnaie ordinaire est la sapèque, petite rondelle de cuivre percée d'un trou GRANDES ET PETITES SAPEQUES DE PEKING. carré et portant les caractères du règne pendant lequel elle a été frappée. Du temps de K'ang-si, mille sapèques enfilées formaient une ligature (tiao), elles étaient belles et en bon cuivre. Peu à peu, la Monnaie décida que chacune en vaudrait deux, alors 500 sapèques ont encore fait un tiao, soit mille. Ensuite, le gouvernement a frappé de nouvelles pièces un peu plus grandes, en en fixant la valeur à 20 sapèques chacune ; alors 50 représen- tent un tiao, soit mille sapèques ; c'est la sapèque de Péking, encore n'en donne-t-on que 49 pour un tiao, la dernière étant réservée comme prix de la ficelle ! La grande ligature (celle de mille) vaut environ 3 francs ; la petite (celle de 500) vaut la moitié ; la ligature de 49 grandes sapèques vaut à peine o fr. 35 centimes. Tous ces changements firent naître bien des difficultés ; ce fut une perturbation générale. Tel qui avait loué sa maison 10 ligatures par mois, soit trente francs, à la première modification ne recevait plus que 15 francs ; à la seconde 3 fr. 50 ! Aussi, Péking seul se soumit, et les provinces refusèrent la grande sapèque, qui en représentait 20. La Monnaie essaya bien encore de spéculer en frappant des sapèques en fer ; cette fois c'était trop, elles furent impitoyablement refusées. Comme système monétaire on peut conclure que la Chine n'est pas très avancée. LES MONTS-DE-PIÉTÉ.— Les monts-de-piété sont nombreux ; dans chaque quartier de la ville, presque dans chaque rue importante, on en rencontre ; c'est une vraie ressource pour le peuple ; cependant le taux de l'intérêt est fort élevé : 2 % ou 3 % par mois, et un mois commencé doit être payé en entier. On peut tout engager, à l'exception des animaux, qu'il faudrait nourrir ; depuis les objets les plus chersjusqu'à un objet de cinquante centimes, tout est reçu. Celui qui engage, débat le prix avec le prêteur qui en général avance le tiers, la moitié a,p plus de la valeur réelle de l'objet. Lors- que ce sont des fourrures ou des vêtements qui peuvent s'avarier, le prêteur pour ENSEIGNE DE MONT-DE- l'I El I . LES MONTS-DE-PIETE. 333 se couvrir, s'empresse de noter sur le titre de prêt : Vêtement en zibeline mangé des vers, habit de soie taché d'huile, ainsi du reste ; ajoutons cependant qu'en géné- ral le mont-de-piété soigne bien tout ce qui lui est confié ; les objets engagés ne meurent, comme on dit ici, qu'au bout de trois ans. Le porteur du titre de prêt peut toujours les racheter pendant ce temps, en payant, outre la somme avancée, l'intérêt de cette somme. Tel qui ne peut racheter son bien, en vend le titre à un autre. Les agents du rnont-de-piété doivent connaître la valeur de tout objet, sous peine d'être trompés ; ils doivent avoir l'œil selon une expression aussi chinoise qu'européenne ; par ignorance, ils font souvent des pertes sensibles. Presque tous les monts-de-piété ont pour bailleurs de fonds des mandarins ou des ESTRADE D'UN THEATRE. PREMIÈRES ET SECONDES LOGES. gens très riches ; il faut en effet, pour ouvrir un mont-de-piété, une mise de fonds considérable, puisqu'on doit attendre 36 mois avant de rien vendre ; il faut aussi un local immense et un ordre parfait. Ces établissements sont bien tenus et font en général d'excellentes affaires ; ils sauvent delà misère une infinité de pauvres gens qui engagent leurs vêtements, leurs couvertures après l'hiver, et les rachètent à l'au- tomne après la récolte. Ils sauvent de la faillite un grand nombre de marchands, qui engagent une partie de leurs fonds pour payer des dettes criardes, et se relèvent ensuite par deux ou trois ans d'ordre et d'économie. C'est une excellente institution et d'une grande honnêteté dans ses transactions. Lorsqu'on fait une vente dans les monts-de-piété, il n'y a ni crieur, ni commissaire priseur ; on étale tout ce qui est à vendre avec un numéro sur chaque objet, les acheteurs, très nombreux, viennent, examinent et écrivent sur un billet: « Moi, un tel, j'offre tant pour tel numéro, » 334 PEKING. puis remettent leur billet cacheté au maître de l'établissement ; trois jours après, on avertit l'adjudicataire, qui vient payer et retirer son objet ; la concurrence élève la valeur à son maximum. C'est fort avantageux pour le vendeur ; les marchands s'observent les uns les autres, et offrent souvent des prix exagérés pour que l'objet convoité ne leur échappe pas. LES THÉÂTRES. — Les plus beaux théâtres sont situés en dehors de la porte Tsicn-mcn, dans la ville chinoise ; l'épithète de bemix est une façon de parler toute relative, car, en réalité, ce sont d'affreuses constructions mal bâties, mal tenues et malpropres. Il y en a de plusieurs sortes, et de longues affiches, collées aux murs de la ville, indiquent les spectacles du jour. Ordinairement on représente des scènes du temps passé, les hauts faits de héros chinois ; mais souvent aussi, ce sont des scènes égrillardes et malsaines. Pendant le spectacle, les assistants sont assis autour de tables garnies de gâteaux ; on leur sert du thé ou des rafraîchissements selon la saison ; la consommation est comprise dans le prix du billet : une table de quatre an mi DÉS ET CARTES A JOUER. places coûte environ 15 francs. On se gêne peu pour causer, encore moins pour aller et venir ; l'acteur se démène pendant ce temps-là sur une estrade élevée, et crie son rôle à tue-tête ; s'il chante, c'est toujours avec une voix de fausset fort désagréable, imitant la voix de femme. Le spectacle est diurne en hiver comme en été, et les femmes ne devant point paraître sur la scène, leurs rôles sont tenus par de jeunes garçons. Les acteurs en vogue font courir toute la ville, et provoquent des explosions d'hilarité que l'on entend même de la rue ; il paraît qu'en réalité certaines comédies sont fort drôles ; le Chinois aime les bons mots, les double-sens, la gaudriole et par- dessus tout les histoires fortement épicées. En somme, ces théâtres ont peu de rapport avec ceux d'Europe, mais aucune pièce, aucun ballet, aucun décor artistique savamment composé ne vaudra pour le Chinois les oripeaux, les barbes fausses, les paillettes et les grimaces de ses acteurs. MAISONS DE JEU. — Le jeu est absolument interdit, et... on joue partout ! La plupart des maisons de jeu sont installées dans la domesticité des princes ou des hauts mandarins, pour éviter la police, qui ne peut fouiller ces palais. Un joueur arrive, il passe d'abord à la caisse et dépose là tout l'argent qu'il compte jouer ; on LES MAISONS DE JEU. 335 lui donne en échange des jetons avec lesquels il ponte. Une table carrée est disposée au milieu de la pièce ; elle est divisée par deux lignes se coupant en croix et lio-u- rant quatre cases avec des numéros ; de chaque côté de la table se tient un croupier ; on fait le jeu, puis un cinquième croupier, placé dans une chambre voisine, apporte la boîte fermée dans laquelle se trouvent les dés ; on ouvre la boîte, les gagnants sont payés, les croupiers empochent la mise du perdant, puis 0:1 recommence. La fraude est habituelle et les joueurs perdent presque toujours, de là disputes et ba- tailles se terminant par l'expulsion pure et simple du joueur ; les croupiers ont tou- jours raison, et l'obligation de déposer 1 argent d'avance assure le paiement de la banque, qui gagne des sommes énormes, sommes qu'elle partage avec ses protec- teurs. Outre ces grosses maisons de jeu, il y a d'innombrables tripots plus ou moins I. Pipe de femme. — 2. Pipe d'homme. — 3. Pipe courte. — 4. Pipe pour tabac huileux. — 5. Fourneau. — 6. Bec. - 7. S. Pipe à eau. — 9. Pipe à opium. — io, 13, 14, 15. Blagues en cuir. — 11. Briquet. — 12. Blague en satin brodé. clandestins ; on joue dans les restaurants, dans les boutiques, dans les chantiers, dans les rues, sous une véranda, contre une borne ; on joue aux cartes, aux tarots, aux dés, aux bâtonnets. Tout sert d'enjeu : les pauvres en haillons jouent jusqu'à leur dernier vêtement, des fanatiques jouent leurs femmes et leurs enfants. Enfin, on joue, paraît-il, jusqu'aux phalanges de ses doigts! Un jeune homme, joueur effréné quoique chrétien, avait joué et perdu sa femme qui n'avait pas vingt ans ! Et pour combien? pour iS francs ; le missionnaire paya la dette et rendit la jeune femme à sa mère. Quelques mois après, elle avait rejoint son mari, et on ne pourrait affirmer qu'il ne l'ait pas jouée et perdue de nouveau ! OPIUM. — Les maisons d'opium sont ouvertes partout à Péking ; le riche fume chez lui, le pauvre fume n'importe où, les autres fumeurs remplissent ces officines d'empoisonnement ; on y est servi par des femmes qui préparent les pipes. C'est, comme le jeu, une passion dont on guérit difficilement. Le mandarin fume de l'opium de bonne qualité, se nourrit bien, répare ses forces et vit quand même ; mais 336 PEK1NG. FUMEUR D OPIUM. le peuple ne peut pas en faire autant ; l'opium le tue rapidement, et on rencontre de malheureux jeunes gens, jaunes, pâles, d'une maigreur ef- frayante, de vrais ca- davres ambulants, qui meurent, saturés d'o- pium, sur la voie pu- blique ! LES BOUTI- QUES.— Pékingest à la Chine ce que Pa- ris est à la France ; on peut s'y procurer les produits de toutes les provinces. Il y a de superbes magasins extérieurement décorés avec un grand luxe de sculptures, de dorures et de vernis précieux, intérieurement remplis des plus BOUTIQUES DE PATISSERIES. riches marchandises. Ces magasins sont à prix fixe et ne rabattent jamais un cen- time, mais serait-ce un enfant qui vient acheter, il ne sera pas trompé. La plupart des magasins se trouvent en dehors de la porte Ts'ien-men; les soies, les fourrures, LES BOUTIQUES. 337 les broderies, les pierres précieuses, les thés les meilleurs, s'y rencontrent en abon- dance. Depuis une vingtaine d'années, les Chinois ont également ouvert des maga- sins d'objets européens qui renferment tout ce que l'acheteur peut désirer, souvent à meilleur compte qu'en Europe. Des boutiques de moindre importance bordent les rues marchandes ; on y vend des vêlements, des chaussures, des chapeaux, des (leurs artificielles, des pipes, des livres. Enfin, de plus petites encore offrent de la bijouterie fausse, des porcelaines récentes, de la quincaillerie, de la ferronnerie, des lampes, des briquets et tous les objets utiles ou futiles. Le grand commerce est concentré dans la zone qui se trouve en dehors du rempart sud de la ville tartare, et chaque quartier a son commerce spécial : tous les libraires, par exemple, sont dans la rue nommée Léou-li-ich'ang, tous les quincailliers, en dehors de la porte Ha-ta- men ; ainsi des autres. Quant aux boutiques d'antiquités et de bibelots, il y en a de .«.«SiS» vraiment belles; on y admire les jades, les pierreries dures, les cornalines, l'améthyste et le cristal de roche, travaillés sous mille formes diverses mêlés aux plus belles porcelaines Ming, ICang-si, K' uii-loiing ; les bronzes, les bronzes niellés, les mon- naies anciennes, les cloisonnés, les bois sculptés, fouillés, incrustés d'ivoire, enfin les curiosités si appréciées en Europe. La politesse est parfaite dans ces boutiques ; on présente à l'acheteur du thé ou des rafraîchissements, on lui offre un siège : il fait tout apporter, tout déballer, reste deux heures sans rien acheter, et on le reconduit avec grâce, sans manifester le moindre mécontentement. LES RESTAURANTS. — Il n'y a pas à Péking ce que nous appelons la table d'hôte, les repas sont à la carte. Les mandarins, les lettrés, les voyageurs, les entrepreneurs, les marchands même, vont au restaurant; on choisit sa table, on s'y installe, et pendant que l'on boit le thé en fumant quelques pipes, le dîner est servi ; il coûte i franc ou 20 francs, selon le menu. Un bon dîner se paye de 2 à 3 francs, mais si on demande des raretés ou des primeurs c'est autre chose ; un bol d'ailerons Pckin-. 338 PEKING. de requin pour quatre vaut 5 francs ; un potage aux nids d'hirondelles vaut 10 francs; la cosse de petits pois primeurs, cinq centimes ; un petit concombre en hiver, 50 centimes, et le reste à l'avenant. Dans les restaurants plus ordinaires, les ouvriers viennent prendre leur nourriture à très bon marché ; avec 50 centimes, ils font un abondant repas. Enfin il y a d'affreuses gargotes où se vendent des détritus de tout genre, des viandes hétéroclites ; mulet crevé, chien, chameau, cheval mort de maladie, intestins d'animaux, tout passe ; les pauvres en haillons s'y attablent, et moyennant quelques centimes apaisent leur faim. Vous voyez aussi une foule de petits restaurants en plein air ; dans une espèce de caisse arrondie, le restaurateur a sa marmite avec tous ses ustensiles ; il dispose à l'entour de petits bancs, fait sa cuisine, et les amateurs d'accourir. On prépare ainsi le gras double, les tripes et d'autres plats de même acabit, qui, avec une bonne tasse de riz, constituent un déjeuner passable, payé 15 centimes. D'autres individus vendent de la viande toute cuite, des petits pains parsemés de grains de sésame, des galettes, des patates ; d'autres, en hiver, une bouillie qui réchauffe les pauvres gens ; en été, des mets glacés et des rafraîchissements. On a de la glace, en effet, presque pour rien ; un bloc de 50 centimètres de côté sur 0,30 d'épaisseur coûte à peine 40 centimes, et ne fond pas vite par le temps sec qui se prolonge ordinairement jusqu'en juillet. Plus tard les pluies arrivent, mais la glace résiste, on la vend seulement un peu plus cher. Somme toute, à Péking, on peut très bien vivre et à bon marché ; beaucoup de familles ne dépensent que 20 ou 25 centimes par jour et par personne. Dans presque chaque rue, on voit aussi des boutiques de pâtisseries et de confi- series ; on y prépare une espèce de gâteau de Savoie, l'oublie, le biscuit, les fruits confits et plusieurs bonbons ou sucreries ; enfin on rencontre d'innombrables recoins où sont servis des petits pains frits à l'huile et du thé ; c'est là qu'on vient se reposer, fumer une pipe, causer affaires. Les gens riches ont de belles salles destinées au même usage ; on s'y rend pour se parler, s'entendre, comploter, se réconcilier, entre- prendre un mariage, enfin sous tous les prétextes. Dans ces cafés, que nous devrions appeler thés, on ne fait pas de politique ; chacun s'occupe de ses petites ou grandes affaires, sans se préoccuper ni de celles du voisin, ni de celles du gouvernement. Avec ce principe, on comprend que les clubs et les orateurs soient inutiles. Les maisons de bains ne sont pas rares dans Péking, mais elles y sont tout autres qu'au Japon. Ici, aucune promiscuité ; les hommes seuls vont dans ces établis- sements, qui sont assez bien tenus et font de bonnes affaires. Pour quelques sapèques, on a le droit de se plonger dans la piscine commune, où il y a toujours de l'eau bouil- lante et qui est environnée d'une buée presque opaque produite par la vapeur. Pour un prix modique on peut avoir son baquet particulier ; enfin les mandarins et les riches qui peuvent payer plus cher, ont des cabinets spéciaux bien aménagés. Les bains se prennent toujours de très bon matin, ou très tard dans la soirée ; pour avertir que l'eau est à point, on hisse une lanterne au haut d'un mât et on sonne une cloche. IV LES ENFANTS TROUVÉS. — Que n'a-t-on pas dit et écrit en Europe sur l'œuvre de la Sainte-Enfance en Chine! Bien des gens pensent encore que parler des enfants mangés par les chiens, est une pieuse exagération. Tel ne sera pas certainement l'avis des personnes qui, demeurant à Péking depuis un certain temps, connaissent ce qui se passe dans cette grande ville. LES ENFANTS TROUVES. 339 Les nombreux décrets impériaux rédigés contre l'infanticide et l'abandon des enfants, sont une preuve que le mal existe. Les nombreux établissements entretenus par le gouvernement pour loger les enfants trouvés, en sont une seconde preuve. Enfin, pour en avoir une troisième, on n'a qua visiter les orphelinats que l'œuvre admirable de la Sainte-Enfance entretient dans Féking. La coutume ne permet pas d'enterrer les enfants au cimetière de la famille ; la plupart du temps, lorsqu'un de ces petits êtres vient à mourir, les riches le font ensevelir près des murs de leur sépulture, les pauvres l'enveloppent dans une natte et le déposent contre les murailles de la ville, ou sur les terrains vagues qui les avoisinent ; on en rencontre sur les routes, dans les fossés, sous les ponts, enfin un peu partout. Un Euro- péen traversant la ville de bon matin, aperçut près du Mée-chan des chiens qui se disputaient les lambeaux de chair d'une petite fille de trois ou quatre ans, déjà à moitié mangée lorsqu'il arriva. Un autre jour, il vit des milans et des corbeaux dépecer sur un talus un garçonnet de quatre ou cinq ans. Ces exemples ne sont pas rares, et on aurait souvent sous les yeux ce triste spectacle, si un tombereau traîné par un bœuf ne parcourait plusieurs fois le jour les différents quartiers de la ville pour recueillir les enfants morts. Parmi eux, il s'en rencontre quelquefois des vivants ; un enfant est malade, rachitique, boiteux, bossu : le Chinois, moins sensible à l'affection paternelle que l'Européen, ne se fait pas scrupule de le compter déjà comme mort et de l'abondonner. Une trop nombreuse famille, une pauvreté extrême sont autant de prétextes pour se débarrasser des enfants ; les neuf dixièmes sont des filles, il est rare qu'on abandonne un garçon, lequel pourra plus tard aider ses parents et perpétuer leur nom. Ces enfants trouvés ont tous beaucoup souffert de la faim, du froid, des mauvais trai- tements ; aussi la mortalité est-elle d'environ 50 pour 100, dans le premier mois ; le gouver- nement chinois ouvre à ces enfants des crèches et des orphelinats ; ces établissements produisent peu de bien, malgré la somme allouée, qui reste en majeure partie dans les mains des administrateurs ; de plus, ces habitations sont malsaines, privées d'air et sans aucune propreté. Il n'en est pas ainsi des établissements de la Sainte-Enfance tenus par des Frères ou par des Sœurs de Charité, suivant le sexe des enfants qui y sont élevés. Ce sont de vastes constructions bien aérées, où rien ne manque au point de vue de l'hygiène. On peut dire que, chaque jour, de pauvres gens païens ou chrétiens y apportent des enfants, car la moyenne à Péking seulement est de 600 par année ; l'âge varie entre huit jours et six ans ; on n'accepte pas un enfant sans un billet de donation formelle et on n'en- 340 PEKING. courage par aucune rétribution celui qui l'apporte. L'enfant est aussitôt mis en nourrice, où il reste jusque vers l'âge de cinq ans ; ces nourrices reçoivent de deux à trois francs par mois et sont surveillées avec soin. Si l'enfant meurt, on lui achète un petit cercueil et il est enterré dans un cimetière spécial préparé par l'établissement; s'il vit, au sortir de nourrice on le place dans un orphelinat, où des Sœurs euro- péennes et chinoises lui apprennent tout ce qu'une jeune fille doit savoir. Si c'est un garçon, les Frères européens chargés des ateliers et des fermes lui enseignent un état qui lui permettra de gagner sa vie. Plus tard, ces enfants se marient, on les accepte volontiers ; la maison donne un trousseau, aide un peu ces jeunes ménages qui forment de nouvelles familles chrétiennes, dont on n'a ordinairement qu'à se louer. Parmi tout ce qu'on peut voir à Péking, ces établissements ne sont pas les moins curieux à visiter. EGLISE DE LORPHELINAT DE LA SAINTE-ENFANCE A CHA-LA-EUL, PRES PÉKING. I. LA FAMILLE. LE PÈRE. LA FEMME. l'eNFANT. L ÉCOLE. LE MARIAGE. II. LES FETES. LE Ier JOUR DE L'AN. LES PÈLERINAGES. III. LES OUVRIERS, INDUSTRIES DIVERSES. LES PETITS MÉTIERS : BARBIER, PÉDICURE, ACROBATE, ETC. — IV. LES LETTRÉS. LA PEINTURE. LA MUSIQUE. LA MÉDECINE. L'ACUPONCTURE. — V. LA MALADIE. LA MORT. LES FUNÉRAILLES. LA SÉPULTURE. I x^Yj^f^ étiré au fond de son palais, invisible pour tous, l'em- lll^rS^». pereur n'en est pas moins nommé père de ses sujets ; "^ les mandarins, qu'ils soient justes ou oppresseurs, sont appelés fou- n/ou-kouan, pires et mères du peuple. Dans la famille chinoise, le père est maître absolu ; ses fils, même avancés en âge, lui doivent le respect, l'obéissance et la vénération. Tout le gouvernement de la Chine repose, depuis des milliers d'années, sur ce principe de l'autorité paternelle. La parricide est un crime presque inconnu, et la ville où il aurait été commis, devrait avoir un angle de ses murs rasé, puis reconstruit à pans coupés, pour perpétuer la mémoire d'un tel forfait. Le père est possesseur de tous les biens ; à sa mort, le fils aîné continue à gouverner la famille ; si, par suite de divisions entre frères, on est obligé à un partage, cela est regardé comme peu honorable, et il est rare que la famille continue à prospérer. Lorsque le père atteint sa soixantième année, et à plus forte raison sa soixante-dixième, il est fêté et honoré d'une manière toute spéciale ; tout dernièrement on a vu des fêtes splendides données en l'honneur du vice-roi Li houng-tcliang, qui venait d'atteindre ses soixante-dix ans. La valeur des cadeaux offerts montait à plusieurs millions ; l'empereur lui-même envoya une inscription écrite de son impérial pinceau rouge, et l'impératrice douai- rière, une peinture faite par elle-même. Le père ainsi honoré de son vivant, l'est encore plus peut-être après sa mort, et bien des familles se ruinent pour manifester leur piété filiale par des funérailles d'un luxe exagéré. 342 PEKING. La femme légitime reste toujours maîtresse dans la maison. L'obéissance qu'elle GRAND DINER OFFERT AU VICE-ROI LI-HOUNG-TCHANC. A L'OCCASION DE SA 70e ANNÉE. doit au chef de la famille est du reste absolue et sans contrôle. Les femmes des man- darins et des riches ne font à peu près rien ; elles s'occupent de leur toilette, de leur chevelure, dont l'arrangement est toujours très com- pliqué, fument la pipe, boivent du thé et font ou reçoivent des visites. La coutume de lier les pieds n'existe que pour les femmes chinoises. Chez le sim- ple peuple, la femme n'est qu'une servante condamnée aux plus durs travaux, surtout dans les ménages peu fortunés ; elle ne doit point se mettre à table avec son mari ni même avec ses fils, mais les servir ; la cuisine, les vêtements, le lessivage, la propreté de la maison, sans compter le soin des enfants, tel est son lot ; il n'est pas bien rare dans la campagne de ren- contrer de ces pauvres femmes tournant la meule pour moudre des grains, et même attelées à la charrue avec un bœuf ou un âne. Enfin la femme doit obéissance à sa belle-mère, qui ne se gêne pas pour la malmener ; la critique des belles-mères n'est point spéciale en Europe. Lorsqu'un enfant vient au monde, si c'est un gar- çon, on fait, un mois après, une fête de famille où parents et amis apportent leurs félicitations et leurs offrandes ; l'enfant est ensuite presque abandonné à lui-même, sans aucuns langes; il prend ses ébats sur le k'ang qui sert de lit commun, et sa mère s'en occupe peu, sauf pour lui donner sa nourriture. L'af- fection maternelle est tout autre qu'en Europe, et il est bien rare de voir une mère embrasser son fils. A peine peut-il marcher, qu'on le laisse faire ce qu'il veut ; sans habits, tête nue au grand soleil, on voit in fait par l'impératrice-mere constamment des quantités d'enfants de trois ou pour le vice-roi li-houng-tchang. quatre ans à peine barboter dans les rues et les flaques d'eau de la capitale. Dès l'âge de six ou sept ans, l'enfant est envoyé à l'école, qui est ouverte ordinairement dans une pagode ; il y chante pendant quelques années les livres classiques sans y comprendre un seul mot. LA FAMILLE. 343 Le maître les lui expliquera plus tard, s'il veut continuer ses études ; dans le cas contraire, on le place en apprentissage, où il reste trois ans sans rien gagner que sa nourriture ; presque toujours il y perd plus que son temps, et y apprend bien d'autres choses qu'un métier. Les jeunes filles ne sortent point de la famille et restent avec leur mère jusqu'à leur mariage ; les parents songent à marier leurs fils vers l'âge de quinze à dix-huit ans. On a dit que les jeunes gens n'étaient point consultés et ne voyaient jamais leurs fiancées ; ceci est exagéré. Ils savent fort bien ce qui se prépare et trou- vent facilement le moyen d'apercevoir celle qui leur est destinée. Sans doute, il n'y a pas en Chine les aimables préliminaires des maria- ges de l'Europe, ce n'est point la coutume; mais il ne faudrait pas croire qu'on se marie toujours ici les yeux fermés. Les cérémonies du mariage varient selon que les époux sont riches ou pauvres, tartares ou chinois ; la chaise à porteurs y joue un grand rôle. Le mobilier s'envoie d'avance : couver- tures piquées et brodées, vases d'ornementa- tion, pendule, table carrée, table à thé, table de canapé, buire, objets de toilette, armoires doubles, etc., etc. Tous ces objets sont portés en procession sur des tablettes dorées, laquées, ou recouvertes de drap rouge ; mais les por- teurs ne sont que des mendiants habillés pour la circonstance. Quelques membres de la famille accompagnent tous ces cadeaux jusqu'à la mai- son de l'époux. Au jour fixé, la fiancée monte dans unsuperbe palanquin pour serendreauprès de son mari ; fort probablement, c'est la seule fois de sa vie qu'elle aura un tel honneur. Les personnes qui se sont entremises pour le ma- riage, en dirigent aussi le rite, savoir : les pros- trations des époux devant l'idole, ou devant la croix s'ils sont chrétiens, les prostrations de- vant les parents, le repas que les hommes et les femmes prennent séparément, enfin toutes les cérémonies d'usage. Des matrones épilent le front de la mariée et lui arrangent la cheve- lure, selon qu'elle est tartare ou chinoise ; après avoir bien festoyé, on laisse les époux. Le len- demain, nouvelle fête, nouveaux repas ; quel- . . , , , . . r 2. 1 DAME TARTARE DE PEKING. quefois cela dure huit jours, et souvent les mariés, qui défraient tout le monde, n'y perdent rien, car chacun doit apporter un 344 PEKING cadeau en argent ; le moindre est d'un franc, les repas consommés se trouvent ainsi payés. II LES FÊTES. Le jour de l'an. — Les fêtes sont peu nombreuses à Péking, même la fameuse fête des Lanternes n'a rien de bien curieux. Chaque trimes- tre, on fait les sacrifices aux ancêtres et on paie ses dettes, ou au moins on essaie de s'arranger avec ses créanciers ; il n'y a guère de Chinois sans dettes ou sans créances. C'est principalement dans les derniers jours de l'année que l'on court après ses débiteurs. Jusqu'au milieu de la nuit qui précède le jour de l'an, on se dispute, on se bat, on s'injurie ; minuit sonné, c'est fini, le droit d'insister cesse et on estlibre jusqu'àlaprochaine fois; les gens qui venaient de se maudire et de se souhaiter les choses les plus abomina- bles, se saluent, se font mille politesses, et se souhaitent mu- tuellement mille félicités. De- vant les parents, les supé- rieurs, les mandarins, on fait la prostration triple ; devant les égaux, on se salue simple- ment en s'inclinant de manière à ce que les poings fermés et unis entre eux atteignent les genoux. Tous les Chinois échangent des cartes de visite où le nom est imprimé en noir sur papier rouge ; cependant, si l'on est en deuil, un papier blanc légè- rement teinté de jaune doit trancher sur la carte rouge, et porter seul les caractères. Pen- dant les fêtes du Ier jour de l'an, les boutiques sont toutes fermées ; les restaurants, les auberges ont portes closes, et on y fait un charivari infernal en frappant sur des gongs ou autres instruments peu harmonieux. Quant aux pétards, on en lance toute la nuit et toute la journée ; la poudre, que chacun peut fabriquer à sa guise, est à bon marché. Un superbe pétard à double effet, s'élevant et éclatant à 80 mètres, coûte un sou ! Les pièces d'artifice sont belles, entre autres ce qu'on appelle ici des boîtes. Ces boîtes, qui souvent mesurent 2 mètres de diamètre, sont suspendues en l'air par un échafaudage rudimentaire ; on allume le soir une mèche attachée à l'appareil, la machine se déploie d'elle même, il en sort une treille avec ses raisins, des caractères souhaitant le bonheur, une pagode, une tour, enfin quatre ou cinq tableaux fort jolis, le tout en feux de couleurs bien combinées ; le prix de ces boîtes, qui demandent une longue préparation, varie de 5 francs à 100 francs ; pour cette der- nière somme, on a quelque chose de très beau. Pendant toutes les fêtes du ierde l'an, on ne fait que se promener, manger et tapager ; selon les diverses I. LANTERNE A MAIN. —2. LANTERNE DE GRANDE PORTE. — 4. LANTERNE DE MARIAGE. — 5. LANTERNE DE TABLE. — 6. LAN- M INI. D'ESCORTE. — 3, 7, 8. LANTERNES DE DECORATION. LES PELERINAGES. 345 industries, les réjouissances durent plus ou moins longtemps ; les hôtels ouvrent le troisième jour, les boutiques de comestibles le sixième, et les autres le seizième, ou même le vingtième seulement. C'est le temps des vacances. LES PÈLERINAGES. — Vers le cinquième mois de l'année commencent les pèlerinages, qui ne sont qu'un prétexte pour se promener et s'amuser : les jours sont choisis et annoncés d'avance par les nombreuses pagodes environnant Péking dans un rayon de 30 kilomètres. Les jeunes gens désœuvrés, les marchands, les filous s'y donnent rendez-vous. On en revient le lendemain ou le surlendemain, rapportant un bâton fourchu, un petit panier, enfin un souvenir quelconque. Ces promenades sont peu intéressantes et peu sûres ; un jour, des Européens qui se trouvaient dans une pagode à pèlerinages, bien que prudemment retirés dans leur chambre, y ont été lapidés, et ne se sont sauvés qu'à grand' peine, poursuivis par une meute furieuse de vauriens de toute espèce. Le mois des pèlerinages est dan- gereux ; passé ce temps, les pagodes sont hospita- lières, et on peut y séjourner agréablement pendant les chaleurs de l'été. III T ES OUVRIERS. — En Chine les ouvriers L^ se groupent en associations, sous un chef auquel ils obéissent. Un jeune homme, après ses trois ans d'apprentissage, passe ouvrier payé, mais il faut qu'il ait fait son stage dans l'association, sans quoi il ne peut trouver d'ouvrage. L'ouvrier maçon, le menuisier, le tailleur de pierres, le sculp- teur sur bois, gagnent par jour de 1 fr. 75 à 2 francs, selon leur habileté. Le simple journalier ou manœuvre ne gagne que 70 centimes ; les uns et les autres versent de 40 à 50 centimes au chef de l'atelier pour leur nourriture, le reste constitue leur bénéfice. Si l'on retranche le temps des repas, du thé, de la pipe, de la sieste, un ouvrier ne travaille que huit heures. On trouve des artisans habiles, et quand on connaît bien la langue, on s'arrange faci- lement avec eux ; ceux qui travaillent le fer sont seuls très inférieurs aux ouvriers d'Europe, les autres les égalent quelquefois. L'ouvrier mange du riz, du millet, clés galettes de farine et bien rarement de la viande ; comme tout Chinois il est joueur et perd souvent la nuit ce qu'il gagne pendant le jour ; cependant on en trouve de rangés, de sobres, d'économes, qui avec leurs bénéfices font vivre toute une famille. Les grèves ne sont point inconnues en Chine, et plus d'une fois des bandes de menui- I 'I I E D ARTIFICES. 346 PEKING. siers ont suspendu leur travail en exigeant de plus forts salaires et en empêchant par la force toute autre bande de travailler ; ordinairement la grève n'est pas sérieuse et ne dure pas longtemps ; comme en toute dispute, il se trouve des entremetteurs qui arrangent l'affaire. Une spécialité de Péking est le travail de l'émail cloisonné, qui a beaucoup pro- gressé depuis trente ans. On prépare un vase de cuivre rouge, il doit être soudé au laiton et martelé, puis un fil de cuivre mince est appliqué en suivant les lignes du dessin projeté, ce fil adhère au moyen d'une colle spéciale. Une fois tout le dessin de cuivre appliqué sur le vase, on recouvre le dessin et la colle d'une poussière d'argent et on chauffe le tout, l'argent se liquéfie avant le cuivre et soude ainsi très solidement les linéaments de cuivre superposés au vase ; ces linéaments forment des cloisons, dans les intervalles desquelles on verse la pâte d'émail colorée selon les fantaisies du dessin. Ce travail accompli, on suspend avec précaution l'objet clans un tube de tôle proportionné à sa dimension, on entoure ce tube d'un grillage en fil de fer éloigné d'environ 25 centimètres: l'intervalle est rempli de charbon de bois allumé, et on active le feu avec des éventails ; en peu de temps le tuyau devient rouge et l'objet qu'il contient est cuit. Quand on l'extrait, on ne voit qu'un amas de boursouflures informes, mais l'ouvrier lime avec soin, fait des retouches, corrige les places où l'émail n'a pas pris ; il recommence l'opération, la chauffe, le polissage et les retouches, jusqu'à ce qu'il ne reste pas le moindre défaut ; enfin il LES OUVRIERS. 347 repolit longuement au charbon pour que tout le dessin de cuivre reparaisse, puis il dore au mercure. Les travaux fins passent sept ou huit fois au feu. Les émailleurs ont amélioré leur art, et les nouveaux produits sont plus soignés que les anciens ; on arrive aujourd'hui à dégrader les couleurs de la même cloison. Ce qui a été exé- cuté de plus parfait en ce genre, est une croix envoyée dernièrement par la Mission de Péking à Sa Sainteté Léon XIII pour son jubilé épiscopal. Elle mesure im50 de haut, et toutes les arabesques, volutes, décorations sont en ronde bosse émaillée ; c'est un travail des plus difficiles et qui a été admirablement réussi ; cinq ouvriers, travaillant même la nuit, ont mis six mois à l'exécuter. Une paire de candélabres, représentant neuf dragons sortant de la gueule d'un dragon central, a été envoyée parla mission du Kan-sou; les candélabres ne mesurent que 50 centimètres de haut, mais ils sont également fort beaux. On est parvenu d'ail- leurs à cloisonner jusqu'à des statues, qui ont fait l'admira- tion des connaisseurs. LES PETITS M É- TIERS. — Ils sont nom- breux à Péking, où chacun CORDO.VNIER. gagne péniblement sa vie ; que de gens travaillent pendant toute une journée, par tous les temps, pour rapporter le soir 50 centimes à leur famille ! — Les Chinois ont, comme chacun le sait, la tête rasée moins le sommet, dont les cheveux sont tressés; cet usage nécessite une multitude de barbiers, le nombre en est presque illimité à Péking. Les uns tiennent boutique, les autres parcourent les rues avec tout un attirail contenant réchaud, plat à barbe, rasoirs, etc.; pour 10 centimes, ils peignent et tressent les cheveux ; pour 20 centimes, ils rasent tête et menton, et pour quelques centimes en plus, ils y ajoutent le massage. Si l'empereur vient à mourir, les bar- biers sont désolés, car il y a défense pour tout le monde de se raser pendant cent jours ; c'est une ruine pour leur industrie. On entend quelquefois dans les rues le bruit de deux petites castagnettes, c'est l'annonce du pédicure ; pour quelques sous, il se charge de mettre en bon état vos extrémités inférieures ; en général il est fort habile, et les accidents sont rares. Un pauvre homme porte sur son dos une caisse volumineuse qui contient des 348 PEKING. poissons, des oiseaux, des animaux, des bonshommes en sucre soufflé et filé ; devant vous il exécute avec beaucoup de dextérité ces divers sujets. Avec le marchand de jouets, il fait le bonheur des enfants, qui peuvent ainsi se procurer une foule de petits objets ; ce sont nos boutiques à un sou, seulement il ne s'agit que d'une sapèque, soit environ un centime. D'autres portent de grands caissons très légers, remplis de fleurs artificielles confectionnées avec du papier de riz : d'autres, des boîtes ou paquets renfermant de la mercerie ; sur le pas des portes, ils s'arrêtent et vendent aux bonnes femmes leur marchandise. Enfin, le commerce des infiniment petits est énorme, grâce à la divisibilité de la monnaie chinoise ; pour un centime, un demi-centime et même moins, on vend une tranche de pastèque, vingt allumettes chimiques, un morceau de sucre, en un mot c'est le commerce du détail le plus sectionné. Il y a des gens qui, avec un fonds roulant de 3 francs, montent boutique et vivent toute l'année en vendant des pe- tits pains, un peu de glace, un fruit, une tasse de thé, un rien. Tous ces petits marchands sont honnêtes, pacifiques, ingénieux et d'une sobriété extraordinaire. Des enfants même très jeunes font ce métier, et ne se laissent pas tenter par leur marchandise. Il n'est pas rare de trouver dans un carrefour le vrai guignol d'Europe avec un gendarme et son commissaire ; non seulement les enfants, mais les grandes personnes assistent avec intérêt aux péripéties du drame. Dans les rues de Péking se ren- contrent aussi des acrobates assez habiles en leur métier, et qui atti- rent la foule, mais elle est encore plus tentée par les conteurs d'his- toires ; ceux-ci s'installent sous une tente ou en plein air, et racontent avec beaucoup de verve les hauts faits des temps passés, ou bien encore des anecdotes croustilleuses, qui amènent les sapèques à leurs pieds. Quand le conteur a de la faconde, la foule s'amasse et il gagne facilement 5 à 6 francs par jour. Ordinairement, c'est à domicile que l'on fait venir les prestidigitateurs ; ceux-ci se distinguent par l'absence de trucs machinés ; tout leur art est dans leur habileté. Un jour, une séance fut donnée sur le pont d'une canonnière, par un individu qu'accom- pagnait son fils âgé de huit ans ; pour une piastre, il amusa l'équipage et les offi- ciers pendant des heures. Un de ses mille tours est celui-ci, dont il n'a pas voulu vendre le secret : il avale dix aiguilles en acier, une à une, un morceau de fil d'un mètre de long, un grelot ; il frappe sur son estomac pour faire résonner le grelot, puis, un moment après, sort de ses lèvres un bout de fil, qu'il prend délicatement ; les dix aiguilles sont enfilées et le grelot pendu au bout. Notons que cet homme-là n'avait pour tout vêtement qu'un pantalon de toile et une très légère chemisette. IIARF.IER. LES LETTRES. 349 UN f.ETTRÉ. Une petite, industrie des bonzes consiste à s'enfermer dans une cabane de bois sur laquelle sont plantés des clous qui traversent jusqu'à l'intérieur ; l'anachorète n'en sort plus, et frappe une cloche à chaque minute. Les Chinois lui font des offrandes considérables destinées à la reconstruction d'une pagode ; chaque clou est taxé, et celui qui paie la taxe indiquée em- porte le clou comme une relique : il y en a de différents prix, selon qu'ils ont touché ou non de leur pointele bonze enfermé. Quand il n'y a plus de clous, alors seulement le reclus peut sortir. Les mendiants pullulent à Péking ; ils y ont même un grand chef, un roi, une orga- nisation complète ; chaque bande a son quartier d'où elle ne sort pas. Ils importu- nent tout le monde, se placent devant les boutiques et font un tapage infernal jusqu'à ce qu'on leur ait donné une au- mône forcée. Si on les rudoie, ils crient, font une émeute, se pendent même quelquefois à la porte d'une boutique, qui est ruinée dans un procès où eux n'ont rien à perdre ; c'est une plaie et une puissance. A part quelques exceptions, ce sont tous d'affreux vau- riens. Le soir, ils couchent n'importe où, et volent ce qu'ils peuvent ; s'ils meurent, la police les ramasse et les enterre dans un trou. Callot aurait trouvé des scènes di- gnes de son crayon, dans la capitale du Céleste-Empire ! IV LES LETTRÉS. — C'est à Péking que se trouve la célèbre académie des Han- lin, dont les membres jouissent de la plus haute considération, et arrivent sou- vent aux charges les plus importantes de l'empire ; la dernière impératrice choisie 350 PEKING. par l'empereur était fille du président de cette institution. C'est également à Péking que se passent les grands examens, qui amènent à la capitale jusqu'à 10.000 bache- liers ambitionnant le titre de docteur ; ils arrivent de toutes les provinces, au temps indiqué par l'empereur. Les lettrés appartenant à la province du Pé-tche-ly sont peu nombreux, presque tous sont originaires des provinces méridionales. Pour être reçu bachelier, il faut avoir terminé des études dont voici à peu près le programme : Dès l'enfance, et seulement pour retenir les caractères, on apprend le Pè-kia-sing, le San-tse-king et le Tsicn-tse-oiien, puis le maître fait réciter mot à mot les livres suivants : i° le Ta-sio (grande étude), qui traite de la conduite des familles, du royaume, etc. ; 20 le Tchoung-young (juste milieu), qui traite des vertus nécessaires pour bien gouverner : 3" le Loun-iu, qui renferme les interrogations et les réponses faites entre Confucius et ses disciples ; 40 le Moung-tse, qui traite de la doctrine des anciennes dynasties, de la sa- gesse des gouvernements, etc.. Jusque-là, les enfants ont récité tous ces livres sans rien y comprendre, la mémoire seule a travaillé pendant au moins quatre ou cinq ans ; ensuite l'élève écoute les explications du maitre d'après les commentaires de Tchou-si, étudie le Che-king (livre poétique sur les mœurs des différents royaumes), le Li-ki (livre des cérémonies), le CJiou- king (Annales de la Chine jusqu'à Confu- cius), le Y-king (livre des divinations), puis enfin le Tclionn-tsiou (livre historique et chronologique). Ceux qui poussent les études plus loin étudient aussi : i° un choix de compositions anciennes ; 20 le livre littéraire appelé You-sio, pour l'orne- ment du style ; 30 diverses compositions nommées Oucn-tchang, comme prépara- tion directe aux examens. Enfin ils étu- dient les poésies de Tang-cke et d'autres plus récentes. Avec ce bagage littéraire on est sûr d'arriver aux grades de bache- lier et de monter même plus haut. Lorsqu'un lettré a mérité par ses examens d'être élevé à la dignité mandarinale, il faut qu'il achète une charge, car sans argent il n en obtiendrait jamais. Pour ce faire, s'il est pauvre, il emprunte à des taux exor- bitants, sûr de rembourser facilement avec les bénéfices du mandarinat, à moins que son père ou sa mère ne vienne à mourir, car alors il doit porter le deuil pendant trois ans et déposer sa charge. Du reste, un mandarin n'exerce jamais dans son propre pays ; ceux du nord sont placés dans le sud et vice-versa. LA PEINTURE. — La peinture à l'aquarelle est en honneur ; il y a de véritables artistes en ce genre, mais ordinairement ce sont toujours les mêmes motifs qui sont traités, on ne varie pas : scènes antiques, combats, paysages, oiseaux et rieurs. Dans les pagodes, on rencontre parfois des tableaux finement exécutés et surtout curieu- sement imaginés. Le peintre chinois excelle dans les éventails ; vous en voyez parfois où plus de cent personnages sont représentés ; avec son encre chinoise et son MAI IRE D ECOLE. LA MUSIQUE. 351 pinceau, il reproduit une photographie sans omettre le moindre détail. On découvre parfois, dans les boutiques, d'anciens dessins sur papier ou soie, dont plusieurs remontent à un siècle ou deux ; ces dessins, auxquels les Européens donnent le nom de Kakimono, sont souvent d'une rare élégance, dénotant un vrai talent artistique dans leur auteur. LA MUSIQUE. — On a écrit des traités entiers sur la musique chinoise ; on a décrit les nombreux instruments : le Ts in, le tambourin, les flûtes, les guitares, les violons, etc. : le meilleur ne vaut rien ! Pas de rythme, pas de thème, pas de phrases, pas de modulations; tous les instruments partent ensemble à l'unisson, se contentant d'octavier les uns sur les autres ; presque tous les instruments, peu d'accord, sont couverts par d'horribles cymbales, et par une espèce de castagnettes qui battent I. SIEN-TSE. — 2.YANG-TS'£N. — 3. TI-TSE. — 4. LA-TS'lN. — 5. HOU-TS'lN. — 6. HOU-HOU. —7. EUL-KOU- TSE. —S. CHENG. — 9. YUE-TS'IN. — 9. p'i-I'A. — IO. SIAO. — II. KOUAN-TSE. — 12. JOUN-TS'IN. — 13. TSENG. à contre-temps. Ce vacarme est assez drôle en son genre ; quant aux Chinois, le meilleur orphéon, la meilleure fanfare, les orgues les plus parfaites ne peuvent entrer en comparaison avec leur assourdissant concert. Aucun instrument ne vaut leur divin ts'in, et le vieux lettré aux ongles longs, qui gratte le boyau d'une espèce de o-uitare recouverte en peau de serpent, est l'artiste sans rival. LA MÉDECINE. — En Chine, la médecine est empirique. Ne demandez pas aux médecins de vous décrire le corps humain, l'anatomie leur est inconnue, mais ils ont des livres qui leur disent : dans telle maladie on donne tel remède, voilà tout. Est médecin qui veut ; c'est aux malades à contrôler la science de celui qu'ils appellent. La première opération est de tâter le pouls ; le Chinois reconnaît trois pouls distincts à chaque poignet ; il les consulte ensemble et séparément, puis écrit son ordonnance, qui est toujours fort longue ; dix ou douze espèces de panacées y 352 PEKING. sont indiquées, avec le motif qui les fait employer. On se rend à la pharmacie, qui vous livre le remède ; on fait bouillir le tout à petit feu et on avale la décoction; le lendemain, on fait bouillir de nouveau et on prend la seconde tasse. Si ce sont des pilules, et il y en a de grosses comme une noix, on les avale telles quelles. Il entre dans la pharmacopée chinoise les choses les plus hétéroclites: rotules de tigre, os de poisson, sang des cornes naissantes du cerf, fossiles, insectes, etc. ; elle est surtout composée de plantes médicinales, et aucun remède minéral n'est employé. Du reste, le médecin n'est pas responsable ; a-t-il de la renommée, il est payé quelquefois 5 francs par visite, mais ordinairement l'honoraire ne dépasse pas un ou deux francs. On ne peut passer sous silence le fa- meux Jen-chen, plante médicinale ayant la forme d'un salsifis et si estimée en Chine. Elle se récolte en Mantchourie et en Corée dans les endroits les plus sau- vages ; elle est tellement rare qu'elle se vend plus qu'au poids de l'or ; mais on en cultive une espèce plus commune, beaucoup moins efficace et d'un prix modique. Cette médecine très échauf- fante peut avoir de bons effets sur le Chinois peu sanguin, mais ne serait peut-être pas sans danger pour le tem- pérament européen. La chirurgie est absolument mise de côté ; on ne coupe jamais un membre, même gangrené, on le guérit si on peut. Presque partout il y a des rebouteurs ou des médecins possesseurs de secrets mirifiques ; pour les membres cassés, écrasés même, il y a des guérisons vrai- ment extraordinaires, par exemple, re- mettre et guérir deux jambes broyées au-dessus des genoux. Quant à l'acu- poncture, on ne saurait en nier l'efnca- 5 cité. Un témoin oculaire rapporte le fait suivant: «Un jour, un missionnaire tombe presque mort sur une route, il avait le choléra ; je me rends près de lui et le trouve froid, exsangue, sans connaissance. Deux Chinois lui enfonçaient DESSIN REPRÉSENTANT LE CORPS HUMAIN AVEC LES ENDROITS OU L'ON PEUT PIQUER. LA CHIRURGIE. 353 dans les bras et dans les jambes des aiguilles en fer à très grosse tête de laiton tressé, le sang ne sortait pas. Enfin, sous les genoux on lui introduit une aiguille de plus d'un pouce de long, une gouttelette de sang noir apparut ; l'un des médecins dit alors : « Il est sauvé ! » Là-dessus, ils fumèrent une pipe et burent le thé. Le malade ne bougeait toujours pas, je leur dis : « Mais continuez donc, vous voyez » bien qu'il est mort ou à peu près ! — Soyez tranquille, répondirent-ils, le sang est » sorti, nous avons le temps. » Impossible de les amener à continuer l'opération ;je brûlais d'impatience. Enfin, après leur troisième ou quatrième pipe, ils recommen- cent et font de nouvelles piqûres ; au bout d'un quart d'heure, le malade se dresse sur son séant, comme un cadavre vivant, me regarde et dit: «Où suis-je?... Ah! c'est vous ? je... « fumerais bien une pipe !» Lui aussi ! Bref, j'ai voulu le rapporter sur une civière à la capitale, éloignée de- 12 kilomètres ; alors mes Chinois de dire : « Oh ! vous voulez l'emmener ! c'est bien, mais il faut prendre quelques précau- » tions » ; sans rien ajouter, ils lui enfoncèrent quatre aiguilles de huit centimètres de long (je les ai mesurées), et je le ramenai à Péking. Pendant toute la nuit il dormit paisiblement, et le lendemain il était complètement guéri. On vend dans Péking des dessins représentant le corps humain recouvert de petits ronds qui indiquent les endroits où l'on peut enfoncer les aiguilles, suivant la maladie. De plus, pour les élèves qui veulent devenir maîtres en acuponcture, on a fabriqué un homme en bois ou en cuivre, ayant autant de petits trous qu'il y a d'endroits où l'aiguille peut entrer sans danger. On recouvre d'un papier très mince ce mannequin, et l'élève doit, à la demande du maître, sans aucune hésitation, enfoncer les aiguilles selon le cas ; alors seulement il est réputé acuponcteur de premier ordre. V Une des maladies les plus à craindre dans le nord de la aiguilles a acuponcture. Chine, est la fièvre typhoïde ; les missionnaires et les Sœurs de Charité qui vivent au milieu des Chinois, n'y échappent que très rarement; les autres Européens l'évitent presque toujours. Quant aux indigènes, elle fait parmi eux d'affreux ravages ; ou bien la tête se prend et on est emporté après quelques jours de cruelles souffrances, ou bien les entrailles sont attaquées et on meurt brûlé. En Europe on combat le feu de la fièvre par la glace ; les Chinois la croient mortelle en pareil cas. Somme toute, sur un nombre de malades soignés à l'européenne et sur le même nombre soigné à la chinoise, la mortalité a été à peu près égale. Le choléra devrait être en permanence à Péking ; les égouts découverts, les flaques d'eau croupie, les boues infectes, la mauvaise qualité de l'eau, rien ne man- que pour le propager ; cependant l'épidémie cholérique est rare, et on ne voit habituellement que des cas isolés. Il y a peu de phtisiques ; la fièvre ordinaire et la migraine sont presque inconnues des Chinois ; mais il y a bon nombre d'aveugles qui sont censés voir clair dans les choses de l'avenir ; ils parcourent les rues en pinçant de la guitare ou en soufflant dans une flûte, et on les appelle pour dire la bonne aventure, pour choisir un endroit propice, pour détourner des sorts, etc. ; on a un grand respect pour eux, et chacun les aide dans les rues pour leur faire éviter les voitures. Ils ont du reste des concurrents clairvoyants qui, installés devant une petite table, tirent les cartes et les dés moyennant quelques sapèques, et prédisent aux gens crédules tout ce qu'ils peuvent désirer. Ce qui tue le plus les pauvres Péking. 2, 354 PEKIN G. Chinois, c'est la misère et l'opium. Il y a des misères noires dont on n'a pas l'idée, des bouges infects où de malheureuses femmes meurent de faim avec leurs enfants; malgré tout, la mortalité n'est pas plus considérable qu'en Europe, et les naissances surpassent de beaucoup les décès. Le Chinois est prolifique, on voit des enfants partout et la population croit rapidement. Une veuve se remarie presque toujours, et garder la viduité passe pour une grande vertu ; on élève même quelquefois des arcs de triomphe pour perpétuer la mémoire d'une personne qui a, jusqu'à la fin de sa vie, conservé le seul souvenir de son premier mari. Le Chinois est un peu fataliste ; la pensée de la mort ne le trouble pas ; souvent même on discute la vie pour savoir s'il y a bénéfice à la conserver. Un jour, un bon CERCUEIL AVEC QUATRE PORTEURS. vieillard de 70 ans étant malade, ses fils réunis discutaient entre eux pour savoir s'il fallait appeler le médecin : « Le père est âgé, il ne peut plus rien faire ; le méde- cin coûtera tant, les médecines tant ; c'est une grosse dépense, ne vaudrait-il pas mieux le laisser s'éteindre tout doucement ? » Le malade avait entendu et il leur dit: «Ne vous inquiétez pas, c'est inutile de faire une dépense pour moi, je vais mourir tranquillement ; au lieu de perdre notre argent en médecines, faites plutôt donner une nouvelle couche de vernis à mon cercueil!» Comme chacun sait, le cercueil est préparé d'avance, c'est un meuble de luxe que l'on soigne, que l'on offre à ses parents, ce dont ils sont fort reconnaissants. Il y a des boutiques super- bes de cercueils ; vous en achetez selon vos moyens, un de 20 francs ou un de i.ooo lianes. On ne saurait croire combien un Chinois tient à posséder ce beau meuble! I.orsqu'en 1860 on préparades cercueils pour les victimes de T'oung-tcheou, il en resta \\\\ que le général de Montauban laissa à la cathédrale. Le vieux Père indi- LA MALADIE. 355 gène qui s'y trouvait espérait bien l'avoir, mais un autre mourut avant lui ; quel malheur ! Ce bon vieillard, qui trépassa à l'âge de 84 ans, ne s'est jamais consolé d'avoir manqué une si bonne aubaine ! Les funérailles sont toujours coûteuses ; à cette occasion, les gens peu aisés font des dettes, et celui là même qui aura épargné une médecine pour l'auteur de ses jours ne reculera pas devant une dépense cent fois plus forte pour l'enterrer ; c'est une affaire de face, selon l'expression chinoise, c'est-à-dire qu'on serait déshonoré si on agissait autrement. Les catafalques sont recouverts de broderies superbes, valant souvent de 4 à 5.000 francs ; de plus, on doit porter d'innombrables insignes : parasols, oriflammes, lanternes ; on brûle devant le catafalque des bonshommes, des voitures, des mules et mille autres objets en papier, pour servir au mort dans l'autre vie ; on brûle aussi des lingots d'argent, des pièces de soie, des pagodes, des mai- sons dans le même but ; et bien que tout cela soit en papier, on arrive à de fortes sommes; pour porter l'immense catafalque, 12, 24, 40 et même 96 porteurs sont convoqués et payés cher. Enfin on régale tout le monde, les pleureurs, les amis, les parents , c'est une fête qui se passe, à peu de chose près, comme celle du mariage, chacun y apporte son écot. Écoutons un témoin oculaire : « J'étais un jour chez des chrétiens, un peu avant l'enterrement de la mère de famille récemment défunte ; de ma chambre j'entendais et je voyais tous les préparatifs : plus de cinquante per- sonnes s'amusaient, riaient en fumant la pipe et en buvant le thé, lorsque le fils aîné arrive et dit : . 107. Kiu-young-kouan. p. 46, Si. K'o (P.), p. 24, 26, 27, 168, 203. Koegler (P.), p. 182. Koffler (P. André), p. 143. Kouang ming-'.ien, p. 294. Kouang-ngen-sse, p. 19. Kouang-si-men, p. 21. Kouang-su, p. 252. Kouan-iin, p. 295. Kouan-iu, p. 35. Kouan-ti-miao, p. 35. Kouan-yangtchang, p. 58. Koubilaïkan, p. 20, 49, 103. Koui (Amiral), p. 266. Kou-kou-noor, p. 25, 180. Kou-leou, p. 21, 22, 284. Koung (Prince), p. 222, 245. Koung-fou-lse, p. 35. Koung-pou, p. 318. Koung-tch'eng, p. 107. Koung-yuen, p. 285. K'oun-loun, p. 26, 34. Kouo-chou-king, p. 112. Kouo-tchen, p. 153. Kouo-tse-i, p. 56, 67, 73. Kouo-tse-kien, p. 285. Kou-pa-taè, p. 166. Kou-pè-k'eou, p. 46, 48. Kou-sin-tchen, p. 68. Kouyoukkan, p. 79, 83, 87, 91. Lagrenée (de), p. 207. Lamiot(M.), p. 196, 200. Lamothe-Lambert (de), p. 163. Lampacao, p. 127. Lang-foung, p. 34. Lan-tien-sien, p. 70. Lan-ts'ai-ho (immortel), p. 303. Lanzu (Lao-lse), p. 37, 40, 42. Laochéou-sin.p. 35. Lao-tse, p. 23, 33-36, 41, 42. Lapied, p. 243. Lauture (d'Escayrac de), p. 213, 219. Lazaristes(Congrég.des.), p 190-192. Léang (Dynastie des), p. 55. 63. Léang (officier général), p. 74. Léang-choui-ho, p. 18. Léang-yè, p. 56. Léao (Dyn. des), p. lS-22, 56, 77. Lebrilon, p. 22S. Le comte (P.), p. 32, 163. Legras (Sr Maiie-Caroline), p. 242. Lenu (Sr Marie-Angélique), p. 242. Léon XIII (S. -S.), p. 252. Léou-li-tch'ang, p. 18, 22. Léoupang, p. 50. Léou-pè-ouen, p. 22, 124. Léou-tsoung-yuen, p. 56, 70. Leviston, p. 243. Levoile, p. 241. Li-chan, p. 49. Li-che-min, p. 63 Lien-hoa-tche, p. iS. Liè-tse, p. 26. Li-houng-tchang, p. 252, 261, 265, 267, 270. Li-ki, p. 23, 36. Li-kien, p. 58. Li-koang-pi, p. 67. Li-kouang-li, p. 51. Li-koung ou Li-tse-tchang, p. 137. Li-ling, p. 51. Lin (Vice- roi), p. 205. Lin (M.), p. 261. Ling-ouang, p. 35. Li-pin-tchang, p. 74. Li-pou (Ministère de l'intérieur), p. 317. Li-pou (Ministère des Cultes), p. 317. Li-sse, p. 44, 5°. Li-t'aè-pè, p. 56, 72. Li-tcheng-men, p 21. Li-tsoung, p. 78. Li-yuen, p. 63. Lo, p. 178. Lock, p. 219. I.ongobardi (P. Nicolas), p. 134. 1 53- Lo-pi, p. 26. TABLE ALPHABETIQUE. 411 Lou, p. ji. 35. Loti (Mgr Grégoire) ou Lopez, p. 159- Loung-fou-sse, p. 295. Louis (S'), p. 66, Si, 90. Louis XVI, p. 190. Lou-keou-k'iao, p. 27. 78, 310. Lou-ling-sien, p. 60. Loung-men, p. 51. ng, p. 32, 55, 74. Low, p. 244. Lu, p. 29, 30. Lucenas (P.). p. 53, Lucy, p. 220. Lu-toung-pin (immortel), p. 305. L) -Léon, p. 130, 1 52. M Ma, p. 240. Macartney, p. 47. 49, 196. Ma-hoang-heou. p. 124. Maigrot (Mgr), p. 163, 170, 172. Maillac(P. de), p. 176. Mangoukan, p. 79, 91, 04. Ma-ouen-loung. p. 135. Marco-Polo, p. 19-21, 49. 53, 104, 309. Marquet(Sr Marie-Thérèse), p. 242. Martin de Rada, p. 128. Martin (Mgr de Saint), p. 195. Marty (Frère), p. 235. Ma-t'ang, p. 129. Ma-teou, p. 213. Ma-yu, p. 78. Mée-chan, p. 137, 280. Méliapour, p. 53, 62. Mercure, p. 3S. Métello Souza y Menesez (dom), p. 180. Meurs (Vincent de), p. 163. Mezzabarba (Mgr Charles), p. 174. Miao-tse, p. 188. Michéas (général alain), p. 87. Michie, p. 255. Ming (Dynastie des), p. 19, 20,62. Ming-tchang, p. 78. Ming-tchoung-sse, p. iS. Ming-ti, p. 32. Ming-tsoung, p. 76. Moncly, p. 81. Montcorvin (Jean de), p. 66, 112. Morao (P.), p. 180. Mouly (Mgr Joseph-Martial), p. 204, 210, 211, 234. Moung-hao-jan, p. 56, 73. Moung-tse, p. 23, 37. Moyria(P.), p. 176. Montauban (Cousin de), p. 21 }. Montels (M. ), p. 211. Moukden, p. 267. Moung-tien. p. 43, 45,50. Moung-tse, p. 27. Mciung-y, p. 50. Mou-ouang, p. 33. Mutrécy (de), p. 219, 220. N Xabuchodonosor, p. 34. Naïmans (Terre des), p. 80, 94. Xan-hoè-jen, p. 165. Nan-king, p. 19. 21,37, 55, 61, 7S. Xa-ngan-sien, p. 62. N'an-ouang, p. 42. Nan-si-men,p. 22. Nan-t'ang, p. 16S. 182, 1S9, 194, 200, 280. Xan-tch'eng, p. 10,22. 124. Napier (général), p. 222. Xavan, p. 109. Née-ko, p. 310. Née-ou-fou, p, 319. Née-tch'eng, p. 270. Nemrod, p. 24. ti,p. 43. Xgan-ting-men, p. 21, 221. Ngan-tou, p. 59. Ngan-toun, p. 59. Xgen-iou, p. 255. mg-siou, p. 56, 71 Nicéphore, p. 55. Xicolas Bonnet, p. 110. las de Botras, p. 1 1 v Nicolas de Molano, p. 110. Nicolas de Pistoie, p. 113. Xicolas IV, p. 1 12. Xicole de Yizenze, p. 105. Xi-Ii, p. 34. Ninive, p. 34. Nipchou, p. 164. Niu-sia, p. 165. Noé, p. 24. Norman (de), p. 220. \u-koa. p. 2 ;. 25, 26. Nunnius Mascarénias (P.), p. 38. Odoric Matthiuccide Pordenone.p. 20. 107, 116. Olopen, p. 64-67, 72. 1 >goul ou Ogoulgnimiz, p. 70. 91. Oktai, p. 79. 81. Omyto, p. 3S. Ongkan ou Ouangkan (Prêtre Jean), p. 79. 80. Ork-ho, Orho, Ourkoun, Orgon, p. So, 165. O'Sullivan (Sr Alice), p. 242. Ou (M.), p. 235. Ou (Royaume des), p. 56. Ouang-haè-leou, p. 241 . Ouang-iin-ling. p. 133. Ouang-kia, p. 58. Ouang-ngan-che. p. 74, 76. Ouang-ouée, p. 73. Ouan-li, p. 62, 126. Ouan-Ii-tch*ang-tch'eng, p, 45. Ouan-ning-sse, p. 20. Ouée (Dyn. des), p. 32, 36, 5557,66. Ouée, p. 2i>4. Ouen-miao, p. 37. Ouen-ming-men, p. 21. Ouen-ouang, p, 9, 2;. 28 Ouen-tsoung, p. 117. Ouïgours (Pays des), p. 94. Ouirat (Tribut), p. 109. Ouo-fang-iin, p. 19. Ouo-fo-sse, p. 104. Ouokouo, p. 69. Ou-ouang, p. 17, 25, 28 Ourga, p. S2. Ou-san-koui, p. 15S. tôo. Ou-soun-ts'uen ou Soun-ou, p. 59, 61. Ou-tao-nan, p. 133. Ou-t'a-sse, p. 109, 300. Ou-ti, p. 50, 55. Ou-t'se-ticn, p. 56, 68, 69. Ou-tsoung, p. 56, 112. Oxus, p. 50. Oyama (Maréchal), p. 266. Ozouf, p. 219. Pakoua, p. 23, 28. l'a-li-k'iao, p. 214. Pa-H-tchouang, p. 300. Pallu (Mgi 1 1 163 Pan (Achillée), p. 143. Pan-ki, p. 74. Pan-kou, p. 52. P'an-k'ou, p. 23, 24. Pan-tchao ou Pa-ouée-1'an. p. 43, 51 52. Pantoja (P.), p. 129. Panzi 1 P. ). p. 104. l'an kouo-sse, p. 296. Paouang, p. 144. Parennin (P. Dominique), p. 176. Paris (F. Charles), p. 192, 196. Parkes (M. ), p. 213. Pascha, p. 98. Pa-sien, p. 35. Pasio (P.), p. 134. Pa-sse-pa, p. 1 10. Pa-t'a-tch'ou, p. 306. Patenôlre (S. E. M.), p. 250. Pautier, p. 55. Pavillon (Sr Marie-Anne), p. 242. Pi drini (M.), p. 173. Pé-ho, p. 27, 77. l'e-ien, p. 109. l'é-kin, p. 31. Péking, p. 20, 21, 37, 276. Pé-kouan, p. 17;. Pé-lien-kia, p. 201. Pé-mi-hou, p. 57. Pé-p'ing-fou, p. 21. Perboyre(B. Jean-Gabriel), p. 205. Péi égrin, p, 115. Pereyra (P.), p. 155, 164. Pè-t'a, p. 2S2. Pé-t'a-chan, p. 19, 108. Pè-t'ang, p. 167, 193, 201, 230. 245, 251, 256, 258. Pé-yamen, p. 326. Pé-yu, p. 36. Pè-yun-kouan, p. 18, 19, 22. Philippe (S"), p. 55. Pie VI, p. I90. Pie IX, p. 210. Pierre (Czar), p. 175. Pierre de Florence, p. I 15. Pierre de Lucalongo, p. 115. Pina (M. de), p. 216. Ping-pou (Ministère de la guerre), P- 3>7- P ing-tse-men, p, 21, 22. Ping-yang, p. 264. Pinheiro (P.), p. 182. lins (Mgr Gaétan), p. 196, 109. 204. Pi-yiin-sse, p. 302. Plan-Carpin, p. 66, 79. 85, 84. Poirot (P. de), p. 194. Poitevin (Armand), p. 163. Polo (Nicolas-Matteo), p. 103. I1 rt Arthur, p. 265. Posekiao, p. 67. >se, p. 67. Pouo-ouang, p. 261. I Yiuii-yun-kouan, p. 301. P'ou-sa, p. 60. Pou-ta-la, p. 110. Poutiatin (Comte), 212. Proté (Amiral), p. 228. Protopopoff, p 240. Pythagore, p. 39. t!2 TABLE ALPHABETIQUE. R Raux (Xicolas-Joseph), p. 192. Réa, p. 24. Keed (M.), p. 212. Régis (P.), p. 176. Rho(P.), p. 136. Ribeiro (M.), p. 196. Ricci (Mathieu), p. 128. Richenet (M.), p. 196. Ripa(M.), P- 173- Ristelhueber(M.), p. 255. Rochechouart (Comte de), p. 240. Roger d'Angleterre, p. 119. Roggier (Michel), p. 128. Rodrigue de la Mère de Dieu (P.), p. 194. Rodriguez delCapo, p. 135. Rome, p. 59, 67. Rouger (Mgr), p. 59, 61. Royo (P.), p. ISS. Rubruquiso» Guillaume de Ruysbroeck, p. 66, 79, 92. Sabatin de Ursis, p. 136. Saing-yu, p. 55. Sainto (Major), p. 266. Sallendrouze (de), p. 241. Samarkande, p. 34, 49, 7§> 81. San-haè, p. 282. San-hoang, p. 23, 201. San-ko-lin-sin on Seng-houang, p. 212, 214. San-koun, p. So. San-li-ho, p. iS, 21, San-siang, p. 127. Sanz (Pierre), p. 1S8. Sartak, p. 92. Sarthou (Mgr), p. 263. Schall (P. Adam), p. 136, 145. Schmitz (colonel), p. 2 17. Schenegrans (chef d'escadron), p. 221. Sciaguia, p. 37, 38. Sciuro, p. 38. Selingiskoi, p. 164. Sémallé (M. de), p. 249. Sémédo(P.), p. 56, 65, 132, 135. Sémiramis, p. 34. Serra (M.), 196, 201. Serrano (P.), p. 18S. Siang-fang-tse, p. 2S7. Siang-koung, p. 35. Siang-ti, p. 55. Siao-ou-ti, p. 50. Si-che-k'ou, p. 253. Sien-foung, p. 202, 211, 227. Sien-jou-han-tse, p. 69. Sien-noung-t'an, p. 290. Sien-tsoung, p. 103. Simon, p. 237. Simonosaki, p. 268. Sin (Luc, général), p. 143. Si-ngan-fou, p. 43, 56, 57, 63, 65, 67, 68, 72. Si-ngan-men, p. 18, 22. Si-ngan-tsoung, p. 67. Si ng-pou( Ministère de la justice), p. 318. Sinhoée, p. 68. Si-ning, p. 180. Sin-pou-tse, p. 178. Si-ouang-mou, p. 23, 34, Si-pé, p. 2S. ■Si pien-men, p. 22. Si-taè-heou, p. 244. Si-t'ang.p. 175, 194. Si-tche-men, p. 22. Sira-Ordou, p. 83, SS. Sley (Major), p. 217. Socrate, p. 34, 37. Soldaya ou Soudac, p. 92. Sosan (Prince), p. 164. Soubouctai, p. 102. Sou-che, p. 56, 74, 76. Soui (Dynastie des), p. 63. Soui (régent), p. 153, 157. Soui-jen, p. 24, 33. Sou-jo-lan ou Sou-houi, p. 56, 57. Soukana, p. 158. Soun (S. E.), p. 257. Soung (Dynastie des), p. 36, 56, 63, 74, 77- Soung (Coréen), p. 203. Soung-t'aè-tsou, p. 73- Soun-ou, p. 61. Sou-ou ou Sou-tse-king, p. 43, 50, 51, 59- Sourniama, p. 176, 178. Sou-ts'ing-nien, p. 21, Sou-tsoung, p. 65. Soyesima (S. E. M.), p. 244. Souza(Joachim de), p. 196. Sse-li-yuen, p. 180. Sse-ma-i, p. 56- Sse-ma-ien, p. 56. Sse-ma-kouang, p. 56, 74, 76. Sse-ma-t'an, p. 51. Sse-ma-tche, p. 74. Sse-ma-ts'ien, p. 24, 34, 43. 5'> 54, 74- Strabon, p. 5°- Su (Thomas), p. 143. Suarez (P. Joseph), p. 17S. Sue (M.), p. 195, 201. Suen-tsoung, p. 72- Su-heng, p. 121. Su-kouang-ki, p. I32- Swastika (Croix et), p. 62. Tachard (P.), p. 163. Taè-chan, p. 135. Taè-jen, p. 28. Taè-koung, p. 29. Taè-ouan, p. 152. T'aè-t'ing, p. 1 17. T'aè-tsou, p. 74, 103. T'aè-tsoung, p. 56, 103. T'aè-yang-kan, p. 100. T'aè-yuen-fou, p. 25. Tagliabue (Mgr), p. 251, 255, 260. Ta-kao-tien, p. 28S. Ta-lien-ouan, p. 266. Ta-mo ou To-mo, p. 55' Ta-née, p. 107. T'ang (Dynastie des), p. 1S, 56,62-64, 67', 68, 74. T'ang-chan, p. 171. T'ang. kaotsou, p. 63. T'ang-sien, p. 27. T'ang-t'aè-tsoung, p. 63. Tangut, p. 80. Tao-kouang, p. 202. Ta-ouang-miao, p. 60, 61. Ta-sia, p. 50, 52. T'a-t'a, 79, 83. T'a-t'a-toung-ho, p. 100, 106. Ta-tchoung-sse, 299. Ta-tou.p. 20,21. Ta-ts'in, p. 5S, 59, 64, 67. Tayankan, p. So. Tchang-che, p. 37. Tchang-kia-k'eou ou Ralgan, p. 45. Tchang-kia-ouan, p. 214. Tchang-k'ien, p. 43, 50. Tchang-kouo-lao (immortel), p. 302. Tchang-pao, p. 201. Tch'ang-ngan, p. 43. Tchang-sien, p. 67. Tchang-soung-che, p, 68. Tchang-yu, p. 51. Tchan-t'an-sse, p. 291. Tchao, p. 44, 50, 52. Tchao-kao, p. 50. Tchao-kien-lou, p. 107. Tchao-siang-ti, p. 74. Tch'ao-tcheou, p, 69. Tchao-ti, p. 51. Tch'a-tao, p. 27, 46. Tchen (P.), p. 17S. Tch'en (Dynastie des), p. 63. Tchen-che-loung, p. 142. Tcheng-che, p. 74. Tcheng-fou-sse, p. 199, 262. Tcheng-i, p. 201. Tcheng-kouang-tien, p. 2S4. Tcheng-kouo-joui, p. 238. Tch'eng-ouang, p. 30, 34. Tcheng-tsaè, p. 35. Tcheng-tsoung, p. 112. Tcheou (Dynastie des), p. 17, 23, 27, 3°. 34, 35,42- '1 cheou-koung, 23, 30, 31. Tcheou-sin, p, 2S, 29. Tche-tsoung, p. 75. Tch'ou, p. 50. Tchouan-su, p. 25. Tchouangtse, p. 26. Tchou-ko-léang, p. 56. Tchou-koung-ho, p. 27. Tchoung-chou-ling, p. 51. Tch'oung-heou, p. 236, 244. Tchoung-jen-men, p. 21. Tchoung-lo ou leou, p. 21,22, 106, 2S4. Tchoung-soung, p. 68. Tchoung-tch'en, p. 135. Tchoung-tou, p. 19-21, 36, 78, 81, 83. Tch'ou-pa-ouang, p. 45, 50. Tchou-san, p. 205. Tchou-si, p. 56, 76. Tchou-yuen-tchang, p. 122. Temour ou Ou-tsoung, p. 102. Teou-tao, p. 57. Térentius (P. Jean), p. 136. Teu-cheng-men, p. 21, 22. Teu-mo, p. III. Teu-tsoung, p. 67, 70. Théodose (patriarche), p. 54. Thibet, 49,80, 83. Thierry (M.), p. 240. Thomas, p. 115. Thomas (S1), p. 32, 43, 53-55, 62- Thomassin, p. 237. Tiè-mou-tsin, p. 79, So. T'ien-chan, p. 25. Tien-ki, p. 135. Tien-ming, p. 126. T'ien-ning-sse, p. 18-22, 301. T'ien-t'an, p. 288. T'ien-tchou (Dieu du Ciel), p. 60. Tien-tsin, p. 77. Tien-tsoung, p. 135. Ti-k'ou, p. 25. Tillet (S' Marie-Anne-Noémi), p. 242. Ting (amiral), p. 264. TABLE ALPHABETIQUE. 413 Ting-koung, p. 36. Ti-t'an, p. 301. Ti-tche, p. 25. Titsingh (Isaac), p. 196. Tokarestan, p. 5°- Tonkin, p. 102. Torre (de), p. 192, 195. Torette (M.), p. 203. Toth, p. 38. Tou-iou, p. 56, 72. Toung-chan-sse, p. 62. Toung-ling, p. 151, 19S. Toung-ngan-men, p. 22. T'oung-ouen-kouan, p. 322 Toung-pien-men, p. 22. Toung-l'ang, p. 1S2, 194, 200, 248. T'oung-tche, p. 227, 244. Toung-tche-nien, p. 22. T'oung-tcheou, p. 20, 22, 213. Toung-lcheou-kiun, p. 42. Tourakina (impératrice), p. 70. 82, 88, 102. Tournon (Charles Maillard de), p. 171. Tou-tch'a-yuen (Tribunaldes Censeurs), P- 3'9- T'ou-ti-miao, p. iS, 19, 22. Trahison, p. 219. Trégaro (abbé), p. 223. Trenio, p. 38. Tricault (commandant), p. 213. Trigault (P.), p. 38, 39, 120. T'saè-tsing, p. 32. Ts'ao-pi, p. 56. Ts'ao-ts'ao, p. 56. Tse-iin, p. 50. Tse-ki, p. 205. Tse-kouang-ko, p. 251. Tseng-kouo-fan, p. 240. Tsekin-tch'eng, p. 21, 275. Tsi, p. 36. Ts'i( Dynastie des), p. 63. Ts'ien-raen, p. 22. Ts'i-hoa-men, p. 20-22. Tsin, p. 42. 1 Vin (Dynastie des), p. 56, 63. Ts'in (Dynastie des), p. 4;, 44. 50. Ts'in-che-hoang-ti, p. 17» 43 45- 49. 50. Ts'ing (Dynastie des), p. 141. Tsin-king, p. 32. Tsin-ou-ti, p. 56. Tsiou (Jacques), p. 203. Tsou, p. 37. Tsoung-jen-fou, p. 319. Tsoung-li-kouo-yamen, p. 320. Ts'ou-tsai, p. loi. Tsuen-tcheou-fou, p. 62. U Urbain Y, p. 1 19. Ventavon(P.), p. 193. Yerbiest(P. Ferdinand), p. 154, 159. Violet (Sr Marie-Pauline), p. 242. Visdelou (de), p. 163, 173. Vivielle (M.), p. 241. Vivinon (M.), p. 216. Vlangaly (S. E. M.), p. 244. W Wade, p. 244. Williamson, p. 6S. Va-cheng, p. 37. Va-lou, p. 135, 264. Yamassi (Général), p 266. Vang (Michel), p. 132, 203. Yang-che, p. loi. Yang-kouang-sien, p. 154, 159. Vao (Empereur), p. 17, 23, 24, 26, Yao-tchou, p. ni. Yao-tch'oung, p. 72. Yè (Vice-roi), p. 212. Yé-chou-kaè, p. 79. Yé-Ieou, p. 101. Yé-lu, p. 77. Yeou-tcheou. p. 17, 77. Yen(royaume), p. 17, 43. Yen-king, p. 19, 27, 77, 78, loi. Yen-ouang, p. 35, 125. Yen-tcheou-fou, p. 35, 37. Ying-lsoung, p. 125. You-ouée, p. 178. Young-ho-koung, p. 296. Young-lo, p. 21, 125. Young-tcheng, p. 174, 170. Young-ting-men, p. 22 Y-sse, p. 68. Y-tchang, p. 205. Yu, p. 23, 26, 51. \'u (mandarin), p. 203. \"ué-loun, p. 79. Yuen (Dynastie des), p. 21, S2. Yuen (Général), p. 136. Yuen-ming-yuen, p. 186, 216, 307. Yuen-t'aè-tsou, p. 80. Yuen-t'aè-tsoung, p. 81. Yuè-t'an, p. 301. Yuè-ti, p. 50. Yule, p. 68. Yun-leang-ho, p. iS. \'u-ts'iuen-chan, p. 303. TABLE DES MATIERES PARTIE HISTORIQUE. INTRODUCTION Aperçu général sur les différents noms donnés à la ville de Péking et sur ses modifications topographiques, dep°uis l'année 1121 avant notre ère jusqu'à nos jours 17 CHAPITRE PREMIER. I. La mythologie : P'an-kou, les San-hoang, Fou-si, Nu-koa. Les premières origines du peuple chinois : Hoang-ti, Yao, Choun, Vu.— II. La dynastie des Tcheou: Ouen-ouang, Ou-ouang, Kiang-t'aè-koung, Tcheou-koung, Manifestation de Bouddha. Siouang-mou. — III. Les grands philosophes : Lao-tse, Confucius, Moung-tse 23 CHAPITRE II. I. Dynastie des Ts'in : Ts'in-che-hoang-ti. Le lettré Fou-cheng. Le général Moung-t'ien. — La Grande Muraille. — II. Dynastie des Han: Hankao-tsou Tchang-k'ien. Sou-ou. Sse-ma-ts'ien. Pan-tchao.— III. Ngaè-ti. Apostolat de saint Thomas 43 CHAPITRE III. I. Les petites dynasties. Tchouko léang. Les trois royaumes. Sou-jo-lan. L'empereur Ou-tsoung. Croix de fer du Kiang-si et autres monuments. — II. Dynastie des T'ang : Kao-tsou. Inscription de Si-ngan- fou. T'aè tsoung. Le P. Sémédo. Kouo tse i. — III. L'impératrice Ou-tse-t'ien. Han-iu. Li-t'aè-pè. Tou- tou. Léou-tsoung-yuen. Moung-hao-jan. — IV. Dynastie des Soung : Sou-che. Ngo-yang-siou. Sse- ma-kouang. Tchou-si. — V. Dynastie des Léao et des Kin 5° CHAPITRE IV. I. Gengiskan. Ongkan (Prêtre Jean). Oktaikan. — IL Jean de Plan-Carpin. L'impératrice Tourakina. Kou- youkkan. - III. La régente Ogoulgaimiz. Mangoukan. — IV. Ruysbroeck ou Rubruquis 79 CHAPITRE V. I. Dynastie des Yuen : Koubilaïkan (Che-tsou). Marco-Polo. Construction de Kambalick (Péking). — Il.Conquêtedela Chine. Nomination du grand Lama. Mort de Che-tsou.— III. L'empereur Ou-tsoung. Jean de Montcorvin, Ier archevêque de Péking. Odoric de Pordenone. - IV. L'empereur Choun-ti. Nicolas de Botras, 2e archevêque de Péking. Jean de Florence. Guillaume de Prato, 3e archevêque de Péking. Fin de la dynastie des Yuen io3 CHAPITRE VI. I. Dynastie des Ming. Houng-ou. Léou pè-ouen. Mahoang-heou, Young-lo. — IL Saint François Xavier. Gaspard de la Croix. — III. L'empereur Ouan-li. Le P. Matnieu Ricci. — IV. Attaque des Tartares. Insurrection. Le P. Longobardi. Le P. Trigault. Le P. Adam Schall. Li-koung. Fin de la dynastie des Ming 12 TT CHAPITRE VIL I. Dynastiedes Ts'ing. Choun-tche. A-ma-ouang. Joun-liè. L'impératrice Hélène— II. Décret en faveur du P. Adam Schall. Construction de l'église du Nan-t'ang. Mort de Choun-tche M1 CHAPITRE VIII. I. Avènement de K'ang-si. Les régents. Mort du P. Adam Schall. Cimetières et sépultures. — Grégoire Lopez. Le P. Verbiest. Observatoire. Les vicaires apostoliques. — III. La mission française. Décret de K'ang-si ; le Pè-t'ang. — IV. La question des rites. Le cardinal de Tournon. Mgr Mezzabarba. M M. Appiani, Fedrini et Ripa. Conversion des Sourmia. Travaux des missionnaires. La mission russe. Mort de K'ang-si. — V. Young-tcheng. Les Sourmia. Le P. Morao '53 TABLE DES MATIERES. 415 CHAPITRE IX. I. K'ien-loung. Le P. Parennin. Guerre des Éleutes. Le P. Gaubil. Le P. Benoist. Le F. Castiglione. Le F. Attiret. — IL Persécution. Guerre des Miao-tse. Le général Tchao-hoei. Suppression des Jésuites. Incendie du Nan-t'ang. — III. La Congrégation de la Mission, dite des Lazaristes. Décrets. Mgr de Gouvéa. MM. Raux et Ghislain. Le F. Paris. Abdication de K'ien-loung [82 CHAPITRE X. I. L'empereur Kia-k'ing. Persécution générale. Destruction du Si-t'ang. Mgr Pires. Destruction du Toung- t'ang. Martyre de M. Clet. Révoltes. Mort de Kia-k'ing. — 11. L'empereur Tao-kouang. Destruction du Pé-t'ang. Mgr Mouly. Mort de Mgr Pires. Confiscation du Nan-t'ang. J. -Gabriel Perboyre. Guerre de l'opium. Traité Lagrenée. Mort de Tao kouang 199 CHAPITRE XL I. L'empereur Sien-foung. La croix du Nan-t'ang abattue. Mort de M. Chapdelaine. Expédition de 1858. — 1 1. Expédition de 1860. Ta-kou. Tchang kia-ouan. T'oung-tcheou. Pa-li k'iao. Palais d'été. Fuite de l'empereur. Le prince Roung. Traité signé à Péking 211 CHAPITRE XII. I. T'oung-tche. Rebelles aux longs cheveux (Tch'ang-mao). Les Filles de la Charité. Le second Pé-t'ang. — IL M. Armand David ; ses travaux, ses découvertes. — III. Mort de Mgr Mouly. Église de la Sainte-Croix. Eglise de N.-D. des Victoires. MM. Chevrier et Ou. — IV. Massacres de Tien-tsin. Mgr Delaplace. Construction de l'église Saint-Louis 228 CHAPITRE XIII. I. L'empereur Kouang-su. Les Filles de la Charité. Église Saint- Joseph (Toung-t'ang). Mort de Mgr Dela- place. Congrégation de Saint- Joseph. Trappistes. — II. Guerre du Tonkin.Mgr Tagliabue. Le transfert du Pé-t'ang. Convention. Décret impérial. Inauguration 247 CHAPITRE XIV. 1. Mort de Mgr Tagliabue. Massacres de Mongolie. Le Collège franco-chinois. Mgr Sarthou. — IL Guerre sino-japonaise. La Corée. Ping-yang. Ya-lou. Port-Arthur. Ouée-haè-ouée. Mantchourie. Simonosaki. Traité de paix. La presqu'île du Léao-toung. — III. Soulèvement et incendies au Sse- tch'ouan. Affaires religieuses. M. Gérard, ministre de France. Le vice-roi Li-houng-tchang part pour l'Europe 260 II. — PARTIE DESCRIPTIVE. CHAPITRE XV. I. Plan de Péking. Les villes. Le palais impérial. Les murailles. Les portes. — IL Les jardins impériaux. Le Pé-haè. Le Tchoung-haè. Le Nan-haè. Les palais de l'impératrice. Le Tse-kouang-ko. Le pont de marbre. — III. Tour de la cloche. Tour du tambour. Observatoire. Salle des examens. Eléphants. 275 CHAPITRE XVI. I. Ta-kao-tien. Temple du ciel. Temple de l'agriculture. Temple des lamas. Koung-ming-tien. Fa-yuen- sse. Loung-fou sse. Hou-kouo-sse. T'ou-ti-miao. Pao-kouo-sse. Young-ho-koung. — IL Instruments de l'observatoire 288 CHAPITRE XVII. I. Temple de la grande cloche. Ou-t'a sse. Pa-li-tchouang. Temple île la terre. Temple de la lune. Temple du soleil. Pouo-yun-kouan. T'ien-ning-sse. Hoang-sse. Pi-yun-sse. Vu-ts'iuen chan. Ouo-fo-sse. Kiù- l'aè-sse. Pa-t'a-tch'ou. — 1 1. Vuen ming yuen. Canal impérial. Pont de Louo kouo-k'iao. Sépulture des Ming 299 416 TABLE DES MATIERES. CHAPITRE XVIII. I. L'empereur. Les princesses. Les eunuques. Sépulture impériale. — IL Les ministères: Intérieur, Finances, Cérémonies, Guerre, Justice, Travaux publics. Le Tsoung-jen-fou. Le Née-ou-fou. Le Tou-tch'a-yuen. Le Néeko. Le Kiunki-tchou. — III. Le Tsoung-li yamen. Les Légations. — IV. L'armée chinoise 313 CHAPITRE XIX. I. Les tribunaux. Le Pé-yamen. La police. Les prisons. — II. Les rues. Les places. Les voleurs. Les pompiers. — III. Les banques. Les monts-de-piété. Les théâtres. Les maisons de jeu. L'opium. Les boutiques. Les restaurants. Les cafés. — IV. Les enfants trouvés 326 CHAPITRE XX. I. La famille. Le père- La femme. L'enfant. L'école. Le mariage. — II. Les fêtes. Le 1er jour de l'an. Les pèlerinages. — III. Les ouvriers. Industries diverses. Les petits métiers: barbier, pédicure, acrobate, etc. — IV. Les lettrés. La peinture. La musique. La médecine. L'acuponcture. —V. La maladie. La mort. Les funérailles. La sépulture 341 CHAPITRE XXI. I. Habits de cour Vêtements des riches, du peuple, des pauvres, des jeunes filles, des enfants. — IL Un grand dîner. Nourriture du peuple, des pauvres. — III. Habitations : palais,pagodes,maisons,paillotes. 357 CHAPITRE XXII. I. Voyages. Moyens de transport : barques, voitures, chaises à porteurs, palanquins à mules. — II. Cheval. Mulet. Ane. Chameau. Traîneaux. Bêtes de somme. Attelages. Brouette, etc. Chemin de fer. — III. Routes. Tourelles kilométriques. Auberges 366 CHAPITRE XXIII. I. Géologie. Climatologie. Eaux thermales. — II Céréales. Fleurs. — 1 1 1. Ornithologie. — IV. Faune. . 374 CHAPITRE XXIV. Bronzes antiques : Dynasties des Tchang, des Tcheou, des HanetdesTang 385 CHAPITRE XXV. La céramique : Dynasties des Soung, Vuen, Ming et Ts'ing 392 Table alphabétique des noms propres 409 Desclee, De Brouwer et Cie. Lille Paris. — Bruges. BINDÏNG SECT. JUL 3 0 1965 D5 Favier, Alphonse 795 Pêking, histoire et 1902 descriPtion Nouv. êdf PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY -